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Minorisation linguistique et inégalités sociales

Rapports complexes aux langues dans l’espace francophone

de Karine Gauvin (Éditeur de volume) Isabelle Violette (Éditeur de volume)
©2020 Collections 212 Pages

Résumé

Cet ouvrage est le fruit de contributions soumises dans le cadre du colloque Minorisation linguistique et inégalités sociales tenu en 2017 à l’Université de Moncton (Nouveau-Brunswick). Si l’espace francophone est ici le terrain privilégié par les chercheurs et chercheuses, il n’est que prétexte pour réfléchir aux notions liées à la minorisation : qu’est-ce qu’une minorité ? Quelles catégories discursives crée-t-on pour en parler ? Comment la minorisation opère-t-elle dans l’espace médiatique et institutionnel ? Avec quels impacts sur la représentation et l’appropriation des langues? Se dégage de ces 9 chapitres un souci commun d’interroger les évidences politiques et idéologiques qui sous-tendent l’étude de la minorisation afin de donner voix et corps à des groupes marginalisés.

Table des matières

  • Couverture
  • Titre
  • Copyright
  • À propos de l’auteur
  • À propos du livre
  • Pour référencer cet eBook
  • Table des matières
  • Présentation de l’ouvrage (Karine Gauvin et Isabelle Violette)
  • La non-neutralité du chercheur au prisme de deux concepts usités en matière de minorités linguistiques : « vitalité » et « allophone » (Elatiana Razafimandimbimanana et Christophe Traisnel)
  • Au-delà de la notion de « minorité linguistique » en Acadie : penser le croisement des processus de minorisation (Samuel Vernet)
  • Minorisation linguistique : le cas des francophones en Ontario et des anglophones au Québec (Diane Gérin-Lajoie)
  • L’Autre autochtone : une analyse des processus de différenciation dans la presse canadienne francophone (Émilie Urbain et Sandrine Tailleur)
  • Français des banlieues – arabe maghrébin : « wesh-wallah » déconstruisons un mythe (Wajih Guehria)
  • Institutionnalisation de la LSF et construction de l’altérité sourde : entre valorisation, contradiction et disjonction (Saskia Mugnier)
  • Explorer les imaginaires plurilingues pour interroger le sens et les enjeux des problématiques de minorisation sociolinguistique (Aude Bretegnier et Marie-Laure Tending)
  • Paradigme ethnique, réalités sociales et pratiques linguistiques : le cas des Sereer (Sénégal) (Rébecca Ndour)
  • Le choix d’un enseignement bilingue en langue des signes (LSFB) et en français en Belgique : politique linguistique du dispositif et représentations de parents entendants d’enfants sourds (Laurence Meurant, Sarah Kirsch et Charles Gaucher)
  • Liste des tableaux
  • Liste des évaluatrices et évaluateurs des textes soumis
  • Liste des auteures et auteurs
  • Obras publicadas en la colección

Karine Gauvin et Isabelle Violette

Présentation de l’ouvrage

Du 4 au 7 octobre 2017 s’est tenu le colloque Minorisation linguistique et inégalités sociales à l’Université de Moncton (Nouveau-Brunswick), institution de langue française située au Canada atlantique. Organisé par le Centre de recherche en linguistique appliquée (CRLA), cet événement scientifique d’envergure internationale venait souligner le 30e anniversaire de la fondation du centre. Au cours de ses trois décennies d’existence, le CRLA a consacré une part importante de ses travaux à l’aménagement linguistique en milieu francophone minoritaire dans le but de fournir des ressources tant conceptuelles que pratiques aux locutrices et aux locuteurs aux prises avec un fort sentiment d’illégitimité linguistique. Pour cause, le français en Acadie est une langue à la fois officielle et minorée par rapport à l’anglais, cette dualité linguistique participant de modes d’identification, de catégorisation et de hiérarchisation entre groupes et locuteurs. Au vu de cette situation, les linguistes qui ont gravité autour du CRLA ont défendu une conception socialement ancrée de la langue qui tient compte des conditions historiques, sociopolitiques et économiques de son emploi et de ses usages. Il était donc tout-à-fait de mise de proposer un colloque anniversaire sous le thème porteur et rassembleur de la minorisation linguistique et des inégalités sociales afin de poursuivre la réflexion sur ces enjeux entamée depuis la fondation du Centre en 1977. Plus précisément, le colloque s’est donné pour objectifs d’examiner les modalités de construction, les formes de manifestation et les possibilités de remédiation de la minorisation linguistique en mettant en évidence les processus sociaux qui les sous-tendent. On peut donc affirmer que c’est dans une volonté de renouer avec la tradition intellectuelle engagée de la sociolinguistique [voir Labov (1972), Lafont (1997), Piller (2016) et plus près de nous, Boudreau (2016)] que le comité organisateur du colloque a invité la communauté scientifique à réfléchir à la minorisation à partir de l’angle résolument interdisciplinaire de la justice sociale et des politiques publiques. Il s’est agi en ce sens d’explorer les liens entre catégorisations sociales et discrimination linguistique, entre pluralité linguistique et déqualification sociale, mais également entre action sociale et émancipation linguistique, de manière à mettre l’accent sur les processus constitutifs des groupes plutôt que des langues. À ce compte, les recherches présentées lors de l’événement se sont notamment intéressées aux communautés canadiennes de langue officielle, aux ←7 | 8→groupes ethniques, aux groupes colonisés, aux jeunes de banlieues françaises, aux sourds, aux élèves nouveaux arrivants, aux migrants et réfugiés à partir d’approches qui empruntent à la fois à la sociolinguistique, à la science politique, à la sociologie, à l’éducation et à l’anthropologie.

Sans être limité aux situations d’usage du français, le colloque a principalement réuni des chercheuses et chercheurs dont les terrains sont situés dans l’espace francophone. Cet espace, tant par son étendu géographique que par son épaisseur sociohistorique, permet d’explorer des situations de minorisation complexe et imbriquée au sein desquelles 1) le français est tour à tour langue d’État, langue (post)coloniale, langue vernaculaire hybride, langue stigmatisée par rapport à d’autres langues, et 2) la catégorie « francophone », loin d’être monolithique, se construit dans des rapports d’altérité multiples, face par exemple à l’« anglophone », l’« allophone » ou l’« autochtone », comme nous le verrons plus précisément dans ce volume.

À l’issue du colloque qui a réuni 44 participantes et participants (3 conférences plénières et 31 communications), les directrices de cet ouvrage ont lancé un appel à textes pour la soumission d’une version revue et augmentée des communications présentées. Suite à un strict et rigoureux processus d’évaluation, 9 textes ont été retenus pour publication au sein de cet ouvrage1. À l’image des communications présentées lors du colloque, les textes ci-réunis sont caractérisés par une diversité tant théorique qu’empirique, ainsi que par des postures épistémologiques nécessairement situées et orientées des phénomènes socio-langagiers analysés. De façon transversale toutefois, les approches qualitative et interprétative privilégiées ainsi que l’analyse d’un matériau principalement discursif confèrent une unité d’ensemble au propos de l’ouvrage.

Les premiers trois textes de l’ouvrage proposent une réflexion sur les notions de « minorité » et de « minorisation » linguistiques, réflexion qui touche non seulement au contenu définitoire et opératoire de ces concepts, mais qui interroge également les effets des catégories discursives mobilisées par divers acteurs sociaux (chercheurs, militants, enseignants et élèves) en termes de construction des groupes minoritaires et de politique de revendication et de reconnaissance. Pour ce faire, on y adopte une démarche critique et/ou réflexive qui s’appuie sur ←8 | 9→une connaissance fine et ethnographique de terrains canadiens et, plus accessoirement, français.

Dans le chapitre d’ouverture, Elatiana Razafimandimbimanana et Christophe Traisnel partent de l’idée que la pratique de la recherche est constitutive des dynamiques sociales et linguistiques étudiées : le chercheur, de par les catégories de désignation, dénomination et catégorisation qu’il emploie pour faire sens du monde dans lequel il vit, participe de la contestation tout comme de la reproduction des inégalités sociales. Par un regard croisé de sociolinguiste et de politologue, les auteurs problématisent cette posture en examinant l’emploi de deux notions qui occupent une place prépondérante dans les recherches portant sur les minorités linguistiques, soit celle de « vitalité » et celle d’« allophone ». Par une historicisation de l’émergence de ces deux catégories dans les champs respectivement politique et scolaire au Canada et en France, les auteurs démontrent, d’une part, que l’usage de ces notions produit des effets enfermants sur la production scientifique et d’autre part, défendent la nécessité d’expliciter et de dépasser ces contraintes institutionnelles pesant sur les possibilités d’action et de remédiation, dès lors que la finalité sociale de la recherche est de veiller à la déminorisation.

Samuel Vernet se penche, quant à lui, sur les limites de la notion de « minorité linguistique » pour penser la complexité des processus de minorisation qui touchent les francophones en Acadie du Nouveau-Brunswick. Prenant appui sur une enquête ethnographique menée à l’Université de Moncton, Vernet analyse le discours engagé d’une étudiante à l’égard de la cause linguistique, montrant que le rapport d’opposition entre francophones et anglophones que cette dernière implique est surdéterminant et empêche la prise en compte des inégalités sociales inscrites dans la hiérarchisation des pratiques d’usage du français entre Acadiennes et Acadiens. L’auteur propose alors de penser le croisement des multiples processus de minorisation, et les marginalisations qui en découlent, en évitant la tendance réifiante de la notion de « minorité linguistique » lorsqu’elle est employée comme une catégorie démolinguistique.

Partant de la situation des anglophones au Québec, minorité de langue officielle reconnue par l’État canadien, Diane Gérin-Lajoie rappelle que la minorisation linguistique ne se réduit ni à une question de statut, ni à une question de poids démographique du groupe qui s’identifie à une langue minoritaire. Forte des résultats de trois recherches ethnographiques menées en milieu scolaire anglo-québécois, l’auteure montre qu’un groupe peut se concevoir comme une minorité linguistique sans que cela ne s’accompagne d’un net sentiment de menace quant à sa reproduction ni de dévaluation à l’égard de sa langue et de sa culture. L’auteure met en évidence le fait qu’une analyse des processus de ←9 | 10→minorisation ne peut faire l’économie d’une prise en compte des ressources symboliques et matérielles dont disposent les membres du groupe pour participer légitimement à la société et de la place occupée par ce dernier, historiquement et actuellement, dans la stratification socioéconomique.

Dans la continuité de l’ouvrage, les trois contributions suivantes abordent la minorisation linguistique par le biais des processus de différenciation et de stigmatisation qui s’opèrent sur des groupes exclus des sphères du pouvoir et au sein de sociétés qui leur dénient le droit à la parole. Elles analysent plus précisément, au sein de l’espace médiatique et politico-institutionnel dominant, les discours produits à l’égard des groupes stigmatisés, de leur langue et de leurs pratiques, en pointant les catégorisations qui contribuent à les dépeindre comme des Autres agressifs et déficitaires et dont la différence ainsi construite sert à justifier leur marginalisation sociale.

À partir d’une approche historiographique arrimée aux outils d’analyse du discours, Émilie Urbain et Sandrine Tailleur examinent la construction d’un discours sur les Autochtones dans la presse franco-canadienne de la Confédération à la Première Guerre mondiale. L’objectif de leur contribution est d’analyser le regard que porte une minorité nationale sur une autre minorité, polyforme et dont l’histoire, les langues, les cultures, voire même l’existence, ont souvent été passées sous silence ou stigmatisées. À partir d’un corpus d’articles portant sur les Premières Nations, les Inuits et les Métis tirés de journaux acadiens et québécois, les auteures montrent comment les discours de presse de cette période participent aux processus de différenciation et de distanciation entre Blancs francophones et Autochtones, processus centraux dans la légitimation des rapports de pouvoir qui sont au cœur de l’entreprise et de l’idéologie colonialistes.

Wajih Guehria traite pour sa part de la minorisation dont font l’objet les locuteurs du français dit jeune, de banlieue ou beur – parler jugé problématique en raison de son caractère présumé violent et agressif. En prenant exemple de discours qui circulent au sein des médias et du cinéma français, l’auteur montre que la stigmatisation de ce parler résulte de la corrélation établie entre l’origine de ses locuteurs, issus de l’immigration maghrébine et appartenant aux classes populaires défavorisées des périphéries urbaines, et la langue arabe. Il s’opère alors un amalgame entre mise en danger de l’intégrité du français face au mélange avec l’arabe et menace pour la société française face à la culture arabo-musulmane, réduite à la radicalisation religieuse et au terrorisme. Déconstruisant les arguments sur lesquels s’appuient un tel postulat et illustrant les effets pernicieux sur les locuteurs concernés, Guehria avance que la surévaluation de l’influence de l’arabe sur ce parler jeune est symptomatique de la ←10 | 11→marginalisation d’une population qui est construite, à tort, comme refusant de s’intégrer à la nation française.

Dans un texte consacré aux représentations sociales entretenues à l’égard de la langue des signes française (LSF) au sein du cadre législatif français, Saskia Mugnier fait état du conflit linguistique qui traverse le rapport minorisant à la surdité et qui dessine les figures de l’altérité sourde. Si, comme le fait ressortir l’auteure par un retour historique, l’opposition idéologique entre courant oraliste et courant gestuel est bien documentée dans l’éducation des sourds, est moins bien connu le conflit de modalité qui s’y arrime, celui entre une modalité visuo-gestuelle d’une part et une modalité audio-vocale d’autre part. Par un examen des évolutions législatives et éducatives récentes en matière de politiques linguistiques et de politiques du handicap, Mugnier montre que des catégorisations binaires persistent entre « sourd oral » et « sourd gestuel » avec pour effet une essentialisation des sujets qui nie le répertoire bilingue et bimodal dont ils peuvent tirer parti dans leur rapport au langage.

Enfin, une dernière série de trois textes explorent les rapports asymétriques aux langues par l’entremise des dynamiques de transmission et d’appropriation linguistiques vécus dans des contextes familiaux, scolaires et/ou migratoires. Ces contributions proposent un regard sur la conflictualité politique et idéologique entre langues de poids inégal telle qu’elle se joue et se décline dans les pratiques, les choix et les positionnements linguistiques des individus.

Aude Bretegnier et Marie-Laure Tending proposent d’explorer les imaginaires plurilingues inégalitaires à travers des histoires de langues constituées lors d’entretiens semi-directifs auprès d’étudiants africains francophones vivant en France. Les auteures examinent le sens conféré par les locuteurs à l’inégalité statutaire qui caractérise les rapports entre les différentes langues de leur répertoire afin d’éviter une lecture déterminante et causale de la minorisation linguistique. Elles montrent que les langues ne sont pas figées dans une opposition dominante/dominée mais font l’objet de sentiments complexes et contradictoires, qui, du reste, se transforment au fil du temps et des expériences, dont celles de la scolarisation et de la migration.

Dans sa contribution, Rébecca Ndour a pour ambition d’étudier les rapports entre langue et ethnicité en interrogeant le paradigme selon lequel la perte de l’une entraînerait automatiquement la disparition de l’autre. Pour ce faire, l’auteure analyse le cas des Sereer du Sénégal par le biais des pratiques de transmission linguistique intergénérationnelle de familles vivant à Dakar et se revendiquant toutes comme Sereer. Ndour montre que l’investissement socioaffectif à l’égard du sereer y est variable et que son statut de langue garante de l’ethnicité fluctue d’une famille et d’une génération à l’autre, certes en fonction ←11 | 12→de la concurrence qu’exercent le wolof et le français, mais également selon les conditions socioéconomiques qui ont marqué les vagues de migrations successives depuis l’indépendance et qui ont donné lieu à des stratégies d’intégration différenciées au monde urbain.

En dernier lieu, Laurence Meurant, Sarah Kirsch et Charles Gaucher se penchent sur les raisons pour lesquelles les parents entendants d’enfants sourds décident ou non de se tourner vers un enseignement bilingue (langue des signes de Belgique francophone et français). Les auteurs montrent que les clivages hérités des conflits idéologiques entre éducation oraliste et courant gestuel, et les tensions existant entre minorité sourde et majorité entendante, continuent d’influencer les perceptions et les choix des parents. De plus, les enjeux liés à l’accessibilité des apprentissages et au développement linguistique et cognitif des enfants sourds – principes fondamentaux qui définissent le dispositif d’enseignement bilingue étudié – n’apparaissent pas dans les discours des parents interrogés. Cette absence perpétue, selon les auteurs, la minorisation des sourds dont la réussite scolaire et l’intégration sociale demeurent encore largement compromises à l’heure actuelle.

Au terme de la présentation du contenu de cet ouvrage, on aura constaté, à travers les différentes contributions, un souci commun d’interroger les évidences politiques et idéologiques qui sous-tendent l’étude de la minorisation, d’échapper à une lecture statique et dichotomique des rapports de pouvoir et des inégalités sociales ainsi que de donner voix et corps à des groupes marginalisés qui, traditionnellement, ne sont que peu pris en compte au sein du champ de recherche sur les minorités linguistiques. Nous espérons que le contenu de cet ouvrage saura nourrir intellectuellement tant les néophytes que les initiés de ce champ d’études.

Résumé des informations

Pages
212
Année de publication
2020
ISBN (PDF)
9783631813195
ISBN (ePUB)
9783631813201
ISBN (MOBI)
9783631813218
ISBN (Relié)
9783631812792
DOI
10.3726/b16617
Langue
français
Date de parution
2020 (Mai)
Page::Commons::BibliographicRemarkPublished
Berlin, Bern, Bruxelles, New York, Oxford, Warszawa, Wien, 2020. 212 p., 1 tabl.

Notes biographiques

Karine Gauvin (Éditeur de volume) Isabelle Violette (Éditeur de volume)

Karine Gauvin est professeure agrégée de linguistique au Département d’études françaises de l’Université de Moncton (Canada). Ses travaux portent sur les pratiques lexicales de la communauté acadienne du Nouveau-Brunswick. Isabelle Violette est professeure de linguistique au Département d’études françaises de l’Université de Moncton (Canada). Ses travaux portent sur l’immigration, le nationalisme et les idéologies linguistiques en Acadie du Nouveau-Brunswick.

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Titre: Minorisation linguistique et inégalités sociales