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La construction d’un ordre juridique du terrorisme

exemple des infractions terroristes en Turquie et les droits procéduraux

de Göksu Isik (Auteur)
©2023 Thèses 794 Pages

Résumé

La lutte contre le terrorisme forme l’ordre politique et juridique des États et des organisations supranationales. C’est une lutte disposant de son propre régime juridique créé de manière distincte des infractions de droit commun. Les fondements théoriques de cette différenciation conduisent vers une question sur la signification de l’État actuel. On observe une tendance à la sécurisation pour la protection de l’État par la création d’un ordre juridique spécifique pour les menaces. La Turquie en constitue un bon exemple. Cette étude s’y concentre pour s’interroger s’il existe un régime spécifique du droit pénal et du respect des droits procéduraux pour les personnes jugées pour des infractions terroristes.

Table des matières

  • Couverture
  • Titre
  • Copyright
  • À propos de l’auteur
  • À propos du livre
  • Pour référencer cet eBook
  • LA CONSTRUCTION D’UN ORDRE JURIDIQUE DU TERRORISME : EXEMPLE DES INFRACTIONS TERRORISTES EN TURQUIE ET LES DROITS PROCÉDURAUX
  • The construction of a legal system for terrorism: example of terrorist offences in Turkey and procedural rights
  • Préface
  • Sommaire
  • Les Abréviations
  • Introduction
  • Première partie : Un ordre juridique SPÉCIFIQUE pour les infractions terroristes ?
  • Titre I : L’ÉMERGENCE d’un ordre juridique distinct pour les infractions TERRORISTES
  • Chapitre I : La distinction des infractions terroristes de celles de droit commun
  • Chapitre II : La distinction du régime juridique applicable aux infractions terroristes
  • Titre II : La SPÉCIFICITÉ de l’ordre juridique actuel pour les infractions terroristes
  • Chapitre I : L’emprise grandissante de l’exécutif sur les autres pouvoirs
  • Chapitre II : Le difficile contrôle juridictionnel des mesures d’état d’urgence
  • Deuxième partie : Les implications de l’ordre juridique spècifique des infractions terroristes sur le respect des droits procéduraux
  • Titre I : Le RESPECT des garanties d’ordre général pour les infractions terroristes
  • Chapitre I : Les principes entourant l’organisation de la justice en matière terroriste
  • Chapitre II : L’équité globale du fonctionnement de la justice en matière terroriste
  • Titre II : Le respect des garanties PROCÉDURALES SPÉCIFIQUES pour les infractions terroristes
  • Chapitre I : La restriction des droits de la défense pour les infractions terroristes
  • Chapitre II : Le régime des privations de liberté pour les infractions terroristes
  • CONCLUSION GÉNÉRALE
  • Bibliographie
  • Table des matières
  • Index alphabétique

←16 | 17→

Introduction

Le nombre total de décès causés par les accidents de la route est d’1,35 million en 20161. Le nombre de victimes du terrorisme est cinquante fois moindre2. En Turquie, les accidents de la route ont causé sept fois plus de décès3 que ceux résultant du terrorisme4 dans la même année. Pourquoi attribue-t-on alors une importance particulière au terrorisme dans le contexte politique et juridique lorsque ses conséquences sont moins graves (quant au nombre de décès) comparées à celles des accidents de la route5?

Nous avons été témoins de changements énormes des systèmes politique et juridique de la Turquie dans ces dernières années. L’état d’urgence fut déclaré à la suite de la tentative de coup d’État du 15 juillet 20166, celui-ci dura jusqu’au 18 juillet 20187. Le système parlementaire fut changé en un nouveau système ←17 | 18→présidentiel8 avec le référendum du 16 avril 2017, qui est entré en vigueur le 9 juillet 2018 après les élections présidentielles9. Entre temps, le pays fut dirigé par les décrets-lois de l’état d’urgence pour lesquels le contrôle juridictionnel n’était pas possible pendant un laps du temps, à cause d’un revirement de la jurisprudence de la Cour constitutionnelle turque (CCT)10. Le nombre de personnes, qui furent placées en garde à vue à partir de la première déclaration de l’état d’urgence, est de plus de 150 000 alors que le nombre de personnes détenues est de plus de 78 000 pour les infractions terroristes11. Ceci étant dit, le nombre d’acquittements est le plus élevé pour les infractions dans le cadre de la loi no 3713 relative à la lutte contre le terrorisme (la loi antiterroriste turque ci-après) selon les statistiques du ministère de la Justice en 201812. C’est-à-dire qu’il est facile d’être suspecté et poursuivi pour des infractions terroristes, même si l’on n’a pas commis tels actes.

Parallèlement à cela, les pouvoirs étatiques furent également transformés. En ce qui concerne l’exercice du pouvoir exécutif, les compétences du président de la République furent renforcées avec les modifications constitutionnelles, dont l’un des motifs fut le besoin d’un gouvernement fort, à cause de la menace que posait ←18 | 19→le terrorisme pour le pays13. Quant au pouvoir législatif, l’exigence d’adaptation des codes du droit pénal à cette augmentation énorme des personnes sujettes aux enquêtes et des poursuites pénales dans la lutte contre le terrorisme fut au cœur de son exercice14. Quant au pouvoir judiciaire, nous observons une transformation concrète de son exercice, considérant la révocation d’un tiers du nombre total des magistrats et le remplacement rapide de ceux-ci par d’autres, ou considérant la réduction les moyens du contrôle des mesures d’état d’urgence. Par conséquent, les fonctions principales de l’État, à savoir les pouvoirs exécutif, législatif et judiciaire ont été restructurées en raison des arguments de lutte contre le terrorisme, surtout dans la période post-15 Juillet. La lutte contre le terrorisme n’est donc pas seulement une question de prévention des décès résultant du terrorisme, mais une question de raison d’État contemporaine, dont l’un des exemples les plus significatifs est l’État turc.

Le terrorisme n’étant un phénomène strictement juridique, nous commencerons par les exemples du terrorisme ayant des liens directs avec les politiques interne et externe des États. L’objectif est de trouver les éléments d’identification du terrorisme à travers les points communs de ces exemples.

§ 1. Genèse de l’étude

A. Exemples historiques du terrorisme

Il y a plusieurs exemples de terrorisme ou de recours à la terreur dans l’histoire15, qui peuvent faire, ou ont fait l’objet de recherches poussées. Les points communs ←19 | 20→de ces exemples nous aideront à trouver d’abord les éléments descriptifs du terrorisme et ensuite sa typologie de manière cumulative.

1. Éléments descriptifs du terrorisme

Nous trouvons chronologiquement le premier exemple du terrorisme dans un ouvrage historique sur les Hittites. Il s’agit de la qualification des actes commis par Abdi-Ashirta et de son fils Aziru au xıve siècle avant J.-C. Ceux-ci sont décrits comme « terroristes » par un hittitologue16. L’information la plus importante pour nous dans cette histoire est que ce duo frondeur jouait sur les deux tableaux. Avec l’Égypte contre les Hittites lorsque l’Égypte était l’ennemi le plus dangereux, vice-versa lorsque les Hittites étaient les plus dangereux17. Malgré 3 500 ans de différence, certaines pratiques demeurent et, toute proportion gardée rappellent que le royaume d’Amurru du xve siècle avant J.-C. a, d’une certaine manière, été l’Afghanistan du dernier demi-siècle. Dans la mesure où le terrorisme moderne était également provoqué par l’intervention des États-Unis en Afghanistan contre l’Union soviétique et s’est retourné contre ceux-ci après la chute de son adversaire18, nous considérons que le premier élément descriptif du terrorisme est « l’effet des politiques des grands pouvoirs du monde ». Cet élément est important surtout dans la période de la transnationalisation de la menace terroriste.

Deuxièmement, commençant par l’exemple des Assyriens nous trouvons un autre élément permettant de décrire le terrorisme. Ceux-ci recouraient aux méthodes violentes contre les infidèles au pouvoir politique, et les grecs, qui recouraient à la terreur contre les agents immoraux19. De même, les recherches liées au terrorisme font surtout référence à l’époque de la République romaine pour reconnaître les premiers exemples du terrorisme. Le conflit entre les patriciens et les plébéiens pour le pouvoir politique pendant deux siècles entre 494 et 300 avant J.-C. représente une sorte de guerre civile qui fit chanceler la République ←20 | 21→romaine d’après les recherches de James et Brenda Lutz20. On observe ainsi le deuxième élément dans « la déstabilisation du pouvoir politique ». L’auteur change mais cet élément reste la motivation ou le produit de la terreur.

Troisièmement, le moyen employé peut être l’élément le plus connu et objectif du terrorisme. « L’assassinat politique » était l’un des moyens les plus efficaces et uniques pour contester l’autorité politique dès l’Antiquité21. Nous l’observons dans l’exemple de l’assassinat de Jules César à l’époque tardo-républicaine22, chez les Zélotes23 au premier siècle après J.-C.24 et aussi dans la secte des Assassins ←21 | 22→(Haschichin) entre les années 1090 et 127525.

Quatrièmement, si nous essayons de rapprocher aujourd’hui, les exemples du dernier millénaire nous aident à trouver un autre élément descriptif du terrorisme. Parmi les types du terrorisme, le terrorisme d’État figure d’abord dans l’exemple des Mongols et des Turcs, qui avaient une stratégie de la conquête par l’emploi de la terreur. L’un des exemples suivants est la Guerre de Trente Ans26. Jacques Baud définit le terrorisme d’État comme une expression d’origine marxiste-léniniste, qui désigne la politique des États totalitaires s’appuyant sur l’omniprésence d’une police secrète27. Tous ces exemples ont un point commun de « l’anéantissement physique de l’adversaire ». Même si le terrorisme actuel signifie un changement de l’auteur des actes terroristes, la conséquence d’anéantissement physique de l’adversaire reste le même.

Finalement, l’apparition moderne du terrorisme est observée, par ailleurs, à partir de 178928. Cette apparition signifie une époque de « recours à la violence pour garantir l’obéissance du peuple au pouvoir politique » d’après Noam Chomsky29. Le gouvernement mit en pratique une stratégie d’extermination des ennemis du peuple30 en qualifiant les contre-révolutionnaires comme une nation ←22 | 23→étrangère ennemie31. Cette période est un exemple de l’expression selon laquelle la fin justifie les moyens32. L’objectif était de protéger la Révolution et les institutions en charge de cette protection. La terreur était plutôt la méthode employée à cette époque, mais l’objectif d’assurer l’obéissance au pouvoir politique existe toujours aujourd’hui dans l’incrimination des actes terroristes, à savoir ceux commis contre l’État.

Par conséquent, nous trouvons tous ces éléments dans le contexte actuel où nous utilisons le terme terrorisme. Ce sont d’abord les grands pouvoirs (politiques) du monde qui déterminent qui est le terroriste. Ensuite, il doit s’agir d’actes menaçant le pouvoir politique, où le recours à des méthodes violentes est légitime pour l’auteur. L’anéantissement physique de l’adversaire est également observé car le terrorisme est utilisé, quand il existe une dichotomie entre l’autorité politique et ses adversaires. À partir de ce constat, nous pouvons avoir une idée des cas où on utilise le terme terrorisme. Néanmoins, il existe également des différences entre ces cas qui varient selon le type de terrorisme dont il s’agit.

2. Typologie des organisations terroristes

Les chercheurs de diverses disciplines utilisent des typologies différentes pour catégoriser les organisations terroristes afin de faciliter l’analyse du phénomène. Il existe de nombreux types identifiés selon les exemples historiques33. Nous préférons utiliser l’expérience de l’histoire récente. Elle nous donne deux types principaux de terrorisme : le terrorisme traditionnel et le terrorisme moderne34.

←23 | 24→Suite à la Seconde Guerre mondiale, les conflits idéologiques sont polarisés par la confrontation entre deux blocs rivaux. Les mouvements de libération nationale, (apparus pendant l’époque de la décolonisation) ont agi de manière favorable aux idéologies marxistes-léninistes afin de recevoir le soutien de grands pouvoirs comme l’Union soviétique et la Chine35. D’une part, le capitalisme et l’impérialisme occidentaux furent considérés comme une forme de terrorisme d’État selon les marxistes qui justifiaient la révolution36. D’autre part, les mouvements de libération nationale prenaient le soutien des pays de l’est appartenant à l’idéologie marxiste-léniniste. Certains entre eux étaient qualifiés comme terroristes par le bloc occidental. Ceci a conduit à une association entre des différentes catégories du terrorisme et de l’idéologie révolutionnaire marxiste-léniniste37. C’est ce que nous appelons le terrorisme traditionnel.

Le terrorisme moderne motivé par des idéologies religieuses apparait à partir des années 198038. L’effet visible de l’islamisation se présente par les conflits en Palestine et au Liban dans les années 197039. Le géopoliticien Gérard Chaliand allègue que l’Arabie Saoudite a organisé un djihad sunnite avec le Central Intelligence Agency américain (CIA) et le Pakistan suite à l’intervention soviétique en Afghanistan. L’objectif du Pakistan était d’affaiblir l’Inde, lorsque les États-Unis visaient à mettre l’Union soviétique en échec40. Après la révolution iranienne, un palestinien islamiste appartenant aux Frères Musulmans, Cheikh ←24 | 25→Abdullah Azzam a initié les fondements de l’organisation Al-Qaïda41 en soutenant la résistance afghane42. En 1988, Oussama Ben Laden a créé Al-Qaïda afin de fonder une « armée » internationale protégeant les musulmans43 et de restaurer le califat avec un État panislamique fondé sur les préceptes sunnites44. Avec la fin de la présence de l’Union soviétique au Moyen-Orient, la présence des États-Unis n’était plus nécessaire45. Le djihad sunnite s’est vite retourné contre les États-Unis et les pouvoirs occidentaux46. La nature terroriste d’Al-Qaïda fut donc établie dans les années 199047 et le premier mandat d’arrêt pour Ben Laden fut émis par la Libye en 199848.

Nous observons ainsi que le deux types récents de terrorisme découlent des effets des grands pouvoirs du monde à l’origine. Leur provocation a initié les mouvements ultérieurement qualifiés comme terroristes. Ensuite, le terrorisme traditionnel soutenu par l’idéologie marxiste-léniniste a tourné sa tête vers une approche plus nationaliste, alors que le terrorisme moderne soutenu contre cette idéologie s’est penché vers une motivation religieuse. En ce moment, il n’existe, par conséquent, aucun point commun en termes d’idéologie entre les deux types de terrorisme49. Le terme terrorisme reste la seule similarité pour signifier toute menace globale.

←25 | 26→Néanmoins, la même qualification terroriste cause un mélange des concepts et des réponses50. Ce mélange est très visible dans le cas de la Turquie aussi concernant deux organisations terroristes principales. La menace terroriste du Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK) convient à ce que nous appelons le terrorisme traditionnel alors que la menace terroriste de l’organisation terroriste güleniste/structure dite de l’État parallèle (FETÖ/PDY) se base sur les motivations religieuses comme le terrorisme moderne.

B. Organisations terroristes en Turquie

La poursuite des infractions terroristes est conditionnée à l’existence d’une organisation juridiquement qualifiée comme étant terroriste en droit turc. Une analyse sur la nature, l’émergence et l’action des organisations terroristes en Turquie est ainsi importante d’entrée de jeu.

1. Exemples du terrorisme traditionnel

En droit turc, il n’existe pas de système de listes pour identifier les terroristes, comme les systèmes internationaux et européens, à part la mise en œuvre des listes de l’Organisation des Nations Unies (ONU). Les juridictions nationales évaluent les preuves et les faits obtenus pendant la procédure pénale et une organisation est considérée comme criminelle, terroriste ou armée avec l’acquis de la force de chose jugée51. La typologie des organisations terroristes est constituée ←26 | 27→à partir de quatre objectifs différents52 : les organisations terroristes d’idéologie marxiste-léniniste, les organisations terroristes séparatistes, les organisations terroristes ayant des motivations religieuses53 et les organisations terroristes soutenues par des forces étrangères54. Il y a aussi des recherches sur les organisations terroristes créées par les Arméniens55.

La considération de l’idéologie marxiste-léniniste dans le contexte du terrorisme se coïncide avec l’approche anticommuniste américaine, qui a considéré le recrutement des membres au Parti communiste comme un danger substantiel pour la sécurité nationale, dès l’arrêt Dennis v. United States de la Cour suprême ←27 | 28→américaine56. En Turquie, il y a une longue histoire de mouvements de gauche qui sont considérés comme terroristes. Les mouvements soutenant les idéologies marxistes-léninistes prennent leurs racines dans le Parti socialiste des travailleurs et des paysans de Turquie57 créé par Şefik Hüsnü en 1919 et du Parti communiste de la Turquie créé par Mustafa Suphi à Bakou (Azerbaïdjan) en 192058. Mais la vraie réaction contre ces mouvements en Turquie dans le contexte de la lutte contre le terrorisme correspond à la période de la guerre froide.

D’abord, les années 196059 ont amené une vague de politisation parmi les associations, les syndicats et les autres organisations collectives60. Celle-ci correspond à la présence de mouvements de gauche dans les universités d’autres pays comme la France61. Mais l’état de siège, déclaré suite au coup d’État militaire organisé par voie de mémorandum le 12 mars 1971, a mis un terme aux activités de ces mouvements par l’exécution de la peine de mort des acteurs principaux62. Dans les années 1975 il y eut une résurgence partielle de ces mouvements63, celle-ci ←28 | 29→s’acheva avec le coup d’État du 12 septembre 1980. Aujourd’hui, le Parti-Front révolutionnaire de Libération populaire (Devrimci Halk Kurtuluş Partisi-Cephesi) (DHKP-C), créé en 1994, est considéré comme le successeur d’une de divisions de ces mouvements. Il est toujours considéré comme une organisation terroriste par la Turquie, l’Union européenne (UE) et les États-Unis64.

Le PKK est également né de cette idéologie marxiste-léniniste mais comme les autres mouvements qualifiés dans le cadre du terrorisme traditionnel, il s’est peu à peu tourné vers une idéologie plus nationaliste. Il fut créé le 27 novembre 1978 par Abdullah Öcalan65. Des auteurs considèrent que ses demandes territoriales existaient dès le début de sa création dans les années 197066. Mais certains autres estiment que le PKK s’est détaché de l’idéologie marxiste-léniniste avec la violence employée aux civils67. Ce changement se voit également dans le retrait du marteau et de la faucille des emblèmes dans le 5e congrès en 199568. Les racines ←29 | 30→marxistes-léninistes existent donc, mais cette idéologie ne constitue pas (ou plus) la raison d’être du PKK.

Les objectifs du PKK se focalisent sur la création d’un Kurdistan indépendant, unifié et socialiste69. L’organisation rentre ainsi dans la catégorie des organisations terroristes séparatistes selon la typologie turque70. Robert Olson lie cet objectif avec la promesse donnée dans le Traité de Sèvres en 1920 aux Kurdes71. Selon Sedat Laçiner, la politique de la République de Turquie étant de construire une nouvelle identité à la place de l’identité musulmane, s’est concentrée sur l’identité turque et ceci a fortifié la polarisation basée sur l’ethnicité et la création de l’identité politique kurde72. L’auteur observe le problème avec le PKK dans la continuité de son recours à la terreur, car les guerres d’indépendance doivent, à un moment donné, quitter le seul domaine de la violence pour la légitimation de leurs mouvements73. Emin Gürses qualifie le PKK comme une organisation nationaliste qui vise à bénéficier du droit à l’auto-détermination74. Les demandes indépendantistes contre la République de Turquie priment donc sur les demandes marxistes-léninistes. Le PKK est considéré d’avoir des objectifs contraires à l’intégrité de l’État turc selon les autorités judiciaires75.

Considérant l’objectif de réunir les Kurdes présents sur les territoires de l’Irak, de l’Iran et de la Syrie dans un État indépendant, il était inévitable pour le PKK d’avoir des relations avec d’autres pays. À partir des années 1980, on observe un ←30 | 31→parrainage effectué par la Syrie et l’Union soviétique76. Ceci se voit par l’évasion d’Abdullah Öcalan en Syrie en 198077 et sa présence jusqu’à son expulsion en 199878. La chute de l’Union soviétique et le rapprochement entre la Syrie et l’Europe, par contre, ont conduit à la qualification du PKK comme une organisation terroriste par la Syrie79. Quant à l’Irak, une coopération est développée avec la Turquie contre les populations kurdes sur leurs territoires depuis le Traité d’Ankara du 5 juin 1926 avec la présence du Royaume-Uni jusqu’à l’invasion du Koweït80. Robert Olsen constate que le Royaume Uni a eu une certaine influence encourageant le nationalisme kurde, qui a conduit à l’attribution de plus de droits aux Kurdes d’Irak qu’à ceux de Turquie81. À partir des années 1980, les guerres contre l’Irak, telles que la guerre Iran-Irak des années 1980 et la guerre du Golfe au début des années 1990, ont aidé à la consolidation et à la régionalisation des groupes kurdes nationalistes82 avec la perte du contrôle de l’Irak sur son propre territoire. L’effet des États-Unis sur les mouvements kurdes est allégué comme étant une partie de ses opérations couvertes contre l’Iran83 et de ses efforts de manipuler les Kurdes pour déstabiliser Saddam Hussein84. La position de l’UE par rapport au PKK réside entre autres dans sa réaction contre la peine de mort ordonnée pour Abdullah Öcalan en disant que l’exécution sera un obstacle devant l’adhésion de la Turquie à l’UE85.

À partir de la seconde moitié des années 1980, les actes du PKK sont devenus plus violents86. Lorsque tous les mouvements de gauche et de droite ont perdu leur ←31 | 32→pouvoir dans la vie politique suite au coup d’État du 12 septembre 1980, le terrain fut laissé ouvert pour que le PKK réalise ses attaques armées contre l’État turc87. Des cessez-le feu ont été déclarés dans les années 1990 en quête d’une solution au conflit entre le PKK et l’armée turque88. La fin des cessez-le-feu lors d’attaques brutales a durci la réaction de l’État turc, qui conduit à la capture du commandant en second du PKK en 199789 et d’Abdullah Öcalan en 199990. À l’heure actuelle, le PKK poursuit ses actes avec certaines pauses du conflit de temps en temps91. Pour terminer avec le PKK, nous pouvons dire qu’il est qualifié d’organisation terroriste par l’UE depuis 200292 et par les États-Unis depuis 199993. La Cour européenne des droits de l’Homme (CourEDH) considère les actes du PKK comme un danger à la vie de la nation dans ses arrêts où s’applique l’article 15, la clause de la dérogation de la Convention européenne des droits de l’Homme (ConvEDH)94.

←32 | 33→2. Exemples du terrorisme moderne

À cause de l’association de l’idéologie marxiste-léniniste et le terrorisme traditionnel, la lutte anticommuniste a aussi joué un rôle dans l’évolution du terrorisme moderne95. Ce qui a également conduit à l’émergence du terrorisme moderne en Turquie96. L’historien Daniele Ganser allègue que les États-Unis ont commencé à fonder un groupe secret anticommuniste au sein de l’armée turque dès 1948, en renforçant le mouvement pan-turquiste soutenant l’idéologie de droite97. À partir des années 1970, ce mouvement était à l’origine de relations compliquées entre organisations illégales et forces secrètes de l’État98. Il fut associé aux assassinats de militants de gauche ainsi qu’à l’assassinat manqué du pape Jean-Paul II99. Un accident de la route a mis en évidence les relations entre l’État, la police et la mafia, le 3 novembre 1996100. Dans la voiture, il y avait le leader fugitif de ce ←33 | 34→mouvement, un député et le directeur de l’École policière. Dans l’acte d’accusation préparé devant la Cour de sûreté de l’État d’Istanbul, l’infraction reprochée au député survivant de cet accident fut la création d’une organisation criminelle dans le but de lutter contre les terroristes de manière illégale101. Les opérations couvertes constituent ainsi une méthode de la lutte pour le maintien des intérêts de l’État, contre lesquels les groupes de gauche militent102.

Résumé des informations

Pages
794
Année
2023
ISBN (PDF)
9783631883747
ISBN (ePUB)
9783631891230
ISBN (Broché)
9783631889541
DOI
10.3726/b20251
Langue
français
Date de parution
2023 (Mars)
Published
Berlin, Bern, Bruxelles, New York, Oxford, Warszawa, Wien, 2021. 822 p.

Notes biographiques

Göksu Isik (Auteur)

Göksu Işık, diplômée de la Faculté de Droit de l’Université Galatasaray en Turquie a obtenu un master en Droits de l’Homme à l’Université de Strasbourg et un autre en Droit public à l’Université Galatasaray. Elle a fait son doctorat à l’Université de Strasbourg. Ses recherches sont axées sur les droits de l’Homme et le droit constitutionnel.

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