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Entre privé et public

Perspectives linguistiques sur la question des limites

de Daniela Pietrini (Éditeur de volume)
©2024 Collections 158 Pages

Résumé

Les frontières entre la sphère privée et la sphère publique évoluent au fil du temps pour devenir aujourd’hui de plus en plus floues, notamment pour ce qui est de l’espace numérique et de nouveaux formats médiatiques. Ainsi, des personnages publics partagent des informations concernant leur vie privée lors des émissions télévisées et des particuliers publient des photos personnelles sur les réseaux sociaux pour se présenter face à un public inconnu, pour ne citer que quelques exemples.
Les contributions regroupées dans ce volume abordent la question des limites entre privé et public de différents points de vue linguistiques en examinant l’espace numérique et le discours journalistique et télévisé sur la base de diverses méthodes. L’accent est mis sur la France, mais les études prennent également en compte l’Allemagne, la Suisse, la Roumanie et l’Italie.

Table des matières

  • Couverture
  • Titre
  • Copyright
  • À propos de l’auteur
  • À propos du livre
  • Pour référencer cet eBook
  • Table des matières
  • Introduction
  • Onsefaitunebouffe et la recette culinaire : de la sphère privée au public et du public au public personnalisé
  • « Alors moi, j’ai vécu plusieurs années à Berne… » : stratégies discursives à la télévision locale entre espace public et espace privé
  • « Vous connaissez la vie privée de vos collaborateurs ou de vos amis ? Moi pas ». Le discours privé comme stratégie électorale dans les débats télévisés
  • Vie privée et peopolisation : l’affaire Hollande-Gayet entre politique et comédie
  • La constitution linguistique des domaines du privé et du public dans le discours sur la surveillance et la sécurité – Analyser des changements au gré des événements et des acteurs politiques
  • La sphère privée à l’époque du virtuel. Une étude linguistique et contrastive (français / allemand)
  • Les blogs vidéo des YouTubeurs dans le continuum entre le public et le privé : une approche théorique et empirique
  • Adresses et mentions sur Twitter : subtilités d’exploitation des espaces semi-privés et semi-publics
  • Auteures
  • Contacts

Daniela Pietrini

Introduction

1. La vie privée : une notion floue

« Votre vie privée compte » ; « Le respect de votre vie privée est notre priorité » ; « Les Éditions Le Robert respectent votre vie privée » : impossible aujourd’hui de consulter n’importe quel site Internet sans tomber d’abord sur des déclarations de protection de la vie privée, liées dans ce cas-là à la collecte de cookies. Même outre le cas des données personnelles et de leur exploitation, le recours à la notion de vie privée est omniprésent dans l’expérience quotidienne :

La vie privée est souvent invoquée au quotidien ou lors de débats politiques sous la forme de simples injonctions, souvent viscérales : ‹ Il faut respecter la vie privée des gens › ; ‹ Internet menace la vie privée › ; ‹ Ne te mêle pas de mes affaires ! › ; ‹ Je suis libre de faire ce que je veux chez moi › ; ‹ Je fais ce qu’il me plaît de ma vie! ›. (Rochelandet 2010, 6)

Bien que l’expression de vie privée soit autant fréquente dans le français commun, son sens demeure plutôt incertain. Définie par opposition à la vie professionnelle et publique (TLFi, s.v. privé) en tant que vie intime, « qui est d’ordre strictement personnel, qui n’intéresse pas le public » (GRob, s.v. privé), elle ne fait l’objet d’aucune définition juridique, bien que son respect soit réglé par l’article 9 du Code civil français, issu de la loi du 17 juillet 1970 : « Chacun a droit au respect de sa vie privée ». Même s’il n’est pas inscrit explicitement dans le texte constitutionnel, le respect de la vie privée a aussi acquis une valeur constitutionnelle depuis la décision n° 99–416 du Conseil constitutionnel du 23 juillet 1999 qui le considère comme une conséquence directe de la liberté proclamée par l’article 2 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen (1789): « la liberté proclamée par cet article implique le respect de la vie privée » (Décision n° 99–416 DC, 45). La notion de vie privée figure également à l’article 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales : « Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance ». Malgré la reconnaissance juridique de la vie privée, ses composants « n’ont pas fait l’objet d’une définition ou d’une énumération limitative afin d’éviter de limiter la protection aux seules prévisions légales » (Braudo, s.v. vie privée). En dépit du manque d’une définition légale, la jurisprudence aide à saisir cette notion en y reconnaissant plusieurs aspects tels que la vie sentimentale et familiale, l’image, la réputation, la correspondance (même au niveau professionnel), l’état de santé, la résidence et le domicile.

De l’autre côté, le privé ne peut pas être conçu sans son antonyme, le public :

Was ‹ Privatheit › meint, lässt sich schwerlich kennzeichnen, ohne den Gegenbegriff mitzubedenken, das ‹ Öffentliche ›. Privatheit und Öffentlichkeit sind durch ihren Bezug aufeinander bestimmt.1 (Weiß 2002, 29)

Le droit au respect et à la protection de la vie privée, par exemple, doit être mis en relation avec d’autres valeurs et libertés autant fondamentales, telles que la liberté d’expression et d’information. Si le public a un intérêt légitime à être informé sur des questions relevant de la vie privée d’un personnage menant une existence médiatisée (homme ou femme politique, artiste, etc.), le rapport entre les deux pôles opposés du privé et du public peut se compliquer :

[…] le fait d’exercer une fonction publique ou de prétendre à un rôle politique expose nécessairement à l’attention du public, y compris dans des domaines relevant de la vie privée, de sorte que certains actes privés de personnes publiques peuvent ne pas être considérés comme tels, en raison de l’impact qu’ils peuvent avoir, eu égard au rôle de ces personnes sur la scène politique ou sociale et de l’intérêt que le public peut avoir, en conséquence, à en prendre connaissance. (Braudo, s.v. vie privée)

En outre, on peut révéler soi-même des faits concernant sa propre vie privée ou donner son autorisation à leur divulgation, et certaines restrictions au droit à l’intimité de la vie privée peuvent parfois se justifier pour des raisons de sécurité générale.

2. L’opposition privé vs. public au gré du temps

Il ressort déjà de ces réflexions que la notion juridique de vie privée et le concept courant du privé dans l’expérience quotidienne ne se recoupent pas complètement. En outre, il s’agit de notions qui évoluent au gré du temps, étant traitées en permanence en société : « […] la vie privée, quant à elle, semble être une notion à géométrie variable qui dépend en particulier de sa représentation par les individus eux-mêmes. » (Rochelandet 2010, 6) Si aujourd’hui nous associons le privé en premier lieu à la vie en famille et entre amis, à l’intimité sexuelle, et en général à tout ce qui est soustrait au regard de la société, l’étendue et la portée du domaine privé par rapport au domaine public n’ont pas toujours été les mêmes à différentes époques et leur définition réciproque est le résultat d’un processus dynamique qui se poursuit encore aujourd’hui. L’opposition entre public et privé existait déjà dans l’antiquité grecque, où, selon le modèle aristotélique de la société, le domaine public se rapportait à la sphère politique, et celui du privé à la vie domestique. Le public était lié à l’action politique des citoyens, à leur rôle dans la gestion démocratique de la Polis, qui se déroulait dans l’espace collectif (public) de l’Agora, le lieu où la communauté se réunissait.

À toute période, les Grecs ont opposé au public ce qui est idios, c’est-à-dire propre, personnel (le mot est de même origine que suum, le sien, et tiendra lieu de possessif à l’époque hellénistique) et qui ne concerne qu’un individu ou les individus en général. En face d’idios, le collectif est évoqué soit par un adjectif formé sur démos, le peuple […], soit par koinos, commun, général, le terme politikos étant trop institutionnel pour s’opposer à idios. (Levy 2001, 20)

De même, la société romaine de l’époque républicaine distinguait entre deux sphères sociales différentes, la res publica, c’est-à-dire le domaine de la communauté, et le domus, le domaine domestique de chaque citoyen. Mais cette distinction nette entre public et privé ne peut pas être interprétée exclusivement à l’aide des catégories contemporaines, car le domaine domestique au sein duquel le pater familias exerçait son autorité n’est pas tout à fait comparable à une maison actuelle. Son rôle comprenait plusieurs fonctions économiques et religieuses que nous rangerions plutôt dans le champ du public :

Résumé des informations

Pages
158
Année
2024
ISBN (PDF)
9783631918326
ISBN (ePUB)
9783631918333
ISBN (Relié)
9783631912935
DOI
10.3726/b21792
Langue
français
Date de parution
2024 (Mars)
Mots clés
domaine public domaine privé discours médiatique blog vidéo politique débat électoral discours journalistique
Published
Berlin, Bern, Bruxelles, New York, Oxford, Warszawa, Wien, 2024. 158 p., 5 ill. en couleurs, 6 ill. n/b, 16 tabl.

Notes biographiques

Daniela Pietrini (Éditeur de volume)

Daniela Pietrini est Professeure de Linguistique Italienne et Française à l’Université de Halle-Wittenberg. Ses recherches portent sur l’analyse du discours, la linguistique variationnelle et textuelle, la formation des mots, les pratiques discursives dans les médias, l’italien et le français contemporains. Pour Peter Lang, elle a récemment publié le volume Lingua e discriminazione. Studi diacronici, lessicali e discorsivi (2023).

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