Cultures politiques en mutation : Italie et France, 1968-milieu des années 1990 / Changing Political Cultures: Italy and France from 1968 to the mid-1990s

Cultures politiques en mutation : Italie et France, 1968-milieu des années 1990

Changing Political Cultures: Italy and France from 1968 to the mid-1990s

Aurélie Andry, Lucia Bonfreschi, Frank Georgi (dir. / eds.)

PETER LANG
Bruxelles - Lausanne - Berlin - Chennai - New York - Oxford

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Ce volume est imprimé avec la contribution du Dipartimento di Studi Umanistici dell'Università Roma Tre, du programme Cassini de l'Ambassade de France et de l'Institut français en Italie, ainsi qu’avec le soutien l’Université d’Évry Paris-Saclay et du laboratoire IDHES-Évry.

ISSN 0944-2294

ISBN 978-2-8076-1868-8

ePDF 978-2-8076-1869-5

ePUB 978-2-8076-1870-1

DOI 10.3726/b22405

D/2024/5678/63

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À propos de l’auteur

Aurélie Andry (Ruhr University Bochum – Alexander von Humboldt Experienced Researcher) est chercheuse post-doctorale en histoire contemporaine de l’Europe. Ses recherches portent sur le socialisme et le syndicalisme, l’intégration européenne et les idées et pratiques de la démocratie au travail.

Aurélie Andry (Université de la Ruhr à Bochum – Alexander von Humboldt Experienced Researcher) is a post-doctoral researcher in contemporary European history. Her research interests include socialism and trade unionism, European integration, and ideas and practices of workplace democracy.

Lucia Bonfreschi (Université Roma Tre est) maîtresse de conférences. Ses travaux portent sur l’histoire intellectuelle et politique de la France et de l’Italie d’après-guerre.

Lucia Bonfreschi (Roma Tre University) is Senior Assistant Professor. Her interest lies in intellectual and political history of post-war France and Italy.

Frank Georgi (Université d'Évry Paris-Saclay) est professeur d’université en histoire contemporaine, spécialisé dans l’histoire du syndicalisme et du socialisme, de la gauche chrétienne, de la démocratie au travail de l’autogestion.

Frank Georgi (University of Évry Paris-Saclay) is a University Professor in contemporary history, specialized in the history of trade unionism and socialism, the Christian left, workplace democracy and self-management.

À propos du livre

Alors que, au lendemain de la Seconde guerre mondiale, en Italie et en France, les principales cultures politiques se sont consolidées, à partir de la fi n des années 1960, elles font face aux changements profonds qui affectent les sociétés ouest-européennes, jusqu’à la restructuration des systèmes de partis des deux pays au milieu des années 1990. Les auteurs et autrices de cet ouvrage collectif analysent les transformations et érosions subies par les cultures politiques, ainsi que l’hybridation et le renouveau de ces cultures.

In the aftermath of World War II, Italy and France saw the consolidation of their principal political cultures. However, from the late 1960s onwards, these cultures encountered profound changes that impacted Western European societies, culminating in the restructuring of both countries’ party systems by the mid-1990s. The authors of this collective work delve into the transformations and erosions experienced by these political cultures, as well as their hybridization and the emergence of new ones.

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Introduction

Aurélie Andry, Lucia Bonfreschi, Frank Georgi

Les contributions ici recueillies se proposent d’étudier les interactions entre les transformations profondes (économiques, sociales, culturelles …) qui ont affecté les sociétés occidentales dans les dernières décennies du XXe siècle et les cultures politiques en Italie et en France, c’est-à-dire – en reprenant une définition minimale qui a fait consensus parmi les historiens – ces systèmes de représentations où se mêlent mémoire, images, rites et mythes politiques¹.

L’historiographie des cultures politiques a surtout porté sur la période de l’entre-deux-guerres et sur celle du second après-guerre (même si, dans le cas français en particulier – et en dépit de la mise en garde salutaire de Marc Bloch sur les risques du recours à cette notion – il avait bien fallu remonter aux « origines », c’est-à-dire à la grande Révolution). Au cours de ces deux moments, les principales cultures politiques des deux pays se sont consolidées, consolidation qui, dans le cas italien, est allée jusqu’à l’émergence de sous-cultures capables de réguler un ensemble de relations beaucoup plus larges que les relations politiques et, en premier lieu, les relations associatives, de solidarité ou d’intérêt². Ce constat, qui n’est pas sans évoquer le phénomène de « pilarisation » des sociétés belge et néerlandaise, a donné lieu en Italie à un débat sur la notion de « sous-cultures politiques » – « blanche » et « rouge » – forgée pour souligner l’identification forte des citoyens à l’un des deux systèmes de croyances dominants et leur participation aux activités des associations et réseaux gravitant autour de l’Église catholique d’un côté, des partis socialiste et communiste de l’autre³. Tout en tenant compte de cette notion de « sous-cultures politiques », ce volume entend étudier les cultures politiques dans leur acception de systèmes de représentations qui ont trouvé dans des partis politiques leur organisation au niveau institutionnel.

Le choix de la France et de l’Italie, dans une perspective comparatiste, s’est rapidement imposé. En effet, au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, ces deux pays ont présenté un panorama très similaire : l’hégémonie de trois grands partis qui se voulaient de masse, se référant aux trois principales cultures politiques (catholique, socialiste et communiste) ; le lien entre ces grands partis et les trois principales organisations syndicales ; l’éclipse (très) temporaire des discours politiques de droite.

La thèse sur laquelle ce volume entend s’interroger part d’une tentative de périodisation : si le second après-guerre a représenté un temps de consolidation des principales cultures politiques –en premier lieu à cause du poids de la guerre froide, mais pas seulement –, celles-ci ont commencé, à partir de la fin des années 1960, à subir des processus d’érosion, de transformation et de recomposition qui se sont poursuivis jusqu’au milieu des années 1990. La validité de cette périodisation est soutenue par l’émergence d’un nouveau système politique en Italie – ce qu’on appelle la « Deuxième République » – et en France, sous la Vème République, par la crise profonde d’un système partisan un temps structuré par le « quadrille bipolaire » décrit par Maurice Duverger. Cette remise en question radicale des cultures politiques traditionnelles a affecté la dynamique du fonctionnement et la légitimité même des systèmes démocratiques dans les deux pays.

Les soubassements économiques, sociaux et culturels de ces processus sont multiples : l’émergence de valeurs définies par Ronald Inglehart comme « post-matérialistes »⁴, en particulier les questions environnementales, et plus généralement les mutations technologiques, économiques et sociales, ouvrant sur la transition vers des sociétés dites « post-industrielles », et remettant en cause la pertinence des lectures en termes de classes supposées homogènes ; la nécessité d’adapter les systèmes de protection sociale et la mise en question de l’État social; l’accélération de l’intégration européenne et de la globalisation et leur impact croissant sur la politique des deux pays et sur la vie quotidienne des citoyens ; les progrès de la sécularisation et le déclin (provisoire?) du fait religieux.

Les contributions du volume abordent ces questions selon deux grands axes : d’une part, elles analysent l’impact de ces facteurs sur les cultures politiques – prises globalement ou par grandes familles ; d’autre part, dans une perspective chronologique, elles étudient les transformations dans le temps de ces différentes cultures ou de quelques éléments essentiels qui les structuraient et les caractérisaient, afin d’expliquer comment d’autres systèmes de représentation ont pu prendre le relais au seuil du nouveau siècle, et par quels acteurs individuels ou collectifs, politiques, sociaux, intellectuels, ils ont pu être construits ou promus. Chacun des chapitres, tout en se concentrant sur un aspect particulier, participe d’une enquête plus vaste sur les manières dont les systèmes de représentations ont évolué face aux défis imposés par le temps, dans une perspective comparatiste.

La première partie de l’ouvrage rassemble les contributions sur les grandes cultures politiques qui ont le plus marqué les scènes politiques française et italienne depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale. Le volume s’ouvre par l’examen d’un des principaux « dinosaures » italiens : la culture politique du catholicisme politique, dont la spécificité résidait dans sa longue présence au pouvoir et sa domination de la scène politique post-Seconde Guerre mondiale jusqu’aux années 1980. Comme le montre Daniela Saresella, la transformation de la culture politique de la Démocratie chrétienne (DC) s’inscrit dans un contexte de profondes mutations sociétales – la sécularisation croissante de la société italienne, illustrée par le résultat du référendum sur le divorce – et proprement religieuses – notamment le Concile Vatican II, ouvrant pour les croyants la possibilité d’interpréter de manières diverses la doctrine sociale de l’Église. Les années 1960 et 1970 ont été témoins d’un bouillonnement culturel et politique, avec des mouvements au sein des associations catholiques et des syndicats qui ont progressivement remis en question leur alignement sur la DC. Si cela n’a pas conduit dans un premier temps à une profonde érosion du consensus en faveur de celle-ci, la chute du mur de Berlin et plusieurs scandales judiciaires au début des années 1990 ont transféré au niveau politique les changements culturels intervenus et définitivement enterré l’unité politique des catholiques italiens.