Littérature et écrans
Expansions de l’adaptation
Résumé
Cet ouvrage explore la présence renouvelée de la littérature dans les images animées, du grand écran aux séries télévisées, en passant par les jeux vidéo et les plateformes numériques. Il examine les multiples « expansions » de l’adaptation : comment les oeuvres dialoguent entre elles dans un foisonnement créatif, comment les nouveaux médias révolutionnent les possibilités de reprise fictionnelle, et comment l’adaptation stimule l’imaginaire des lecteurs et des spectateurs.
Extrait
Table des matières
- Couverture
- Titre
- Copyright
- À propos de l’auteur
- À propos du livre
- Pour référencer cet eBook
- Sommaire
- Remerciements
- Introduction
- Chapitre 1 Adapter les théories de l’adaptation
- Chapitre 2 Expansions intertextuelles
- Chapitre 3 Expansion des mondes fictionnels
- Chapitre 4 Expansions médiatiques
- Chapitre 5 Expansions culturelles : du cinéma Heritage au renouveau du period drama
- Chapitre 6 Expansions des signes : intertextualité et transfilmicité
- Chapitre 7 Expansion des signes : sériation des films et des textes
- Conclusion
- Bibliographie
- Index
Remerciements
Je remercie tout d’abord le laboratoire « Formes et Représentations en Linguistique, Littérature et dans les arts de l’Image et de la Scène » (FoReLLIS) à l’Université de Poitiers pour avoir participé au financement de cet ouvrage. Un grand merci à Anthony Mason pour son accompagnement dans le processus éditorial.
Je remercie les collègues et les étudiants que j’ai eu la chance de côtoyer depuis plusieurs années, que ce soit en Ontario, à Mayotte ou à Poitiers, et qui ont nourri mes réflexions. Mes remerciements vont d’abord à Denis Mellier et Daniel Vaillancourt, des directeurs de thèse devenus des amis. Un merci aux camarades de l’axe de recherches « Médialités, intermédialités, transmédialités » à Poitiers pour les passionnantes conversations du jeudi, et à Charlotte Krauss pour son soutien et sa fabuleuse direction du FoReLLIS.
Un immense merci à Caroline Julliot, pour son amitié, ses encouragements, ses relectures et sa capacité à propulser les agents de l’ « Internationale de la critique policière », vers des horizons toujours renouvelés des études littéraires.
Je remercie mes proches des deux côtés de l’Atlantique, en particulier mes parents, ma sœur et mon frère, ma précieuse bande d’amis de London, pour leur affection, leur présence et les discussions stimulantes. Je remercie mon conjoint, pour absolument tout. Enfin, je remercie – même s’ils ne liront pas ces lignes – les deux êtres qui se sont succédé pour accompagner joyeusement mes journées d’écriture de ce livre, mes petits compagnons Elit et Arianna.
Introduction
Si notre contemporain connaît une situation de reconfiguration des constellations médiatiques et de banalisation des pratiques de reprise fictionnelle, l’adaptation ne paraît plus constituer la voie d’accès privilégiée pour l’étude des relations entre littérature et cinéma, et encore moins entre la littérature et les autres arts audiovisuels, comme les séries télévisées ou les œuvres interactives.
Sur un plan théorique, l’adaptation se trouve concurrencée par des termes comme « transmédialité1 » et « intermédialité2 ». Elle est aussi en passe d’être diluée dans une masse de notions voisines, comme la transfictionnalité, le reboot ou le remake, qui mettent moins l’accent sur la notion de médium que sur la manière dont une fiction, un récit ou encore un « univers » est réactualisé par une expansion ou une continuation. L’adaptation semble ainsi, à certains égards, constituer un horizon critique frappé d’inactualité.
Cette concurrence n’est pas seulement conceptuelle. Elle repose aussi sur une forme de lassitude envers la pratique d’adaptation lorsqu’on l’envisage dans son sens le plus restreint et conventionnel, c’est-à-dire un texte littéraire transposé en un film. L’adaptation est à la fois dépassée par la multiplicité des pratiques de reprise et de supports médiatiques, et considérée comme peu efficace à mesurer la richesse des rapports entre les arts, leurs équivalences et leurs croisements imaginaires. Il est vrai que l’adaptation cinématographique de la littérature a longtemps été assimilée à un processus de réduction, de simplification3. En outre, elle induit souvent une logique binaire, un mode de pensée qui place d’un côté le langage, de l’autre l’image. Or, la culture médiatique et les horizons critiques contemporains sont imprégnés de figures rhizomatiques, placés sous le signe de l’infini.
La persistance de l’adaptation
Pourtant, l’adaptation manifeste encore son omniprésence. Nous en consommons en permanence. Des films bien sûr, des grandes sagas comme Le Seigneur des anneaux (2001-2003), Twilight (2008-2012) et Hunger Games (2012-) au plus classique Les Quatre filles du docteur March (Greta Gerwig, 20194) en passant par les plus auteuresques La Vie d’Adèle (Abdellatif Kechiche, 2017) et Le Double (Richard Ayoade, 2012). L’adaptation concerne aussi les séries, soit tirés de romans (Le Trône de fer, HBO, 2011-2019 ; La Servante écarlate, Hulu, 2017-) soit de jeux vidéo (The Last of Us, HBO, 2023-). Ces derniers sont aussi transformés en films (Aaron Horvath et Michael Jelenic, Super Mario Bros., le film, 2023) et des films (John Krasinski, Sans un bruit, 2018) sont transformés en jeux vidéo (2022) ou expériences de réalité virtuelle (Ridley Scott, Seul sur Mars, 2015, jeu de VR sorti en 2016 ; Jean-Jacques Annaud, Notre-Dame brûle, 2022, jeu de VR sorti la même année). Des romans peuvent devenir des musicals (Les Misérables, 1980) ou des pièces de théâtre (Le Grand Inquisiteur, adapté des Frères Karamazov de Dostoïevski [1880] et mis en scène par Sylvain Creuzevault en 2020). Le format de plus en plus populaire des podcasts donne lieu à des développements ou adaptations en séries télévisées (non-fiction avec Lore ; fiction avec Homecoming, Amazon, 2020), des bandes dessinées ou des romans sont adaptés en créations radiophoniques (plusieurs albums de Tintin de Hergé sont adaptés par France Culture et la Comédie française, 2019-2023).
Une enquête menée par le Centre national du cinéma (CNC)5 montre que le nombre d’adaptations tend à augmenter en France : de fait, un film sur cinq qui sort dans les salles est tiré d’un texte littéraire. Si les grands romans du XIXe siècle font leur retour sur le grand écran avec des superproductions rencontrant un certain succès – Illusions perdues (Xavier Giannoli, 2021), Les Trois Mousquetaires (Martin Bourboulon, 2023) et Le Comte de Monte-Cristo (Matthieu Delaporte et Alexandre de La Patellière, 2024) – c’est surtout la littérature contemporaine qui fournit le plus d’adaptations, et la durée entre la parution d’un roman et son adaptation tend à se réduire6, notamment grâce à une professionnalisation de la cession des droits audiovisuels7.
On le voit à l’évocation des jeux vidéo et des podcasts : ce sont surtout les supports de l’adaptation qui sont renouvelées grâce à des « cibles » (l’œuvre seconde) et des « sources » (l’œuvre originale, ou première) multipliés grâce aux arts vivants, aux formes nées ou développées avec le numérique, revêtant parfois des modalités interactives.
D’autre part, un même film peut adapter un roman, mais aussi faire référence à d’autres arts, d’autres œuvres. L’adaptation, entreprise « chirurgicale » de réduction-simplification, est, elle aussi, devenue une pratique beaucoup plus dense, placée sous le signe de la diversification.
Une série télévisée comme Penny Dreadful (ITV-Showtime, 2014-2017) est à la fois adaptation, œuvre intertextuelle et transmédiale, multipliant à la fois ses sources et ses cibles. Grâce à une dynamique de crossover8, les personnages de Dracula, Docteur Jekyll et Dorian Gray se croisent dans un Londres victorien où évoluent également des personnages originaux, créés pour la série. Elle adapte certains fragments du Frankenstein de Mary Shelley (1818), fait de nombreux clins d’œil à de grands classiques d’Hollywood, cite des poèmes de Coleridge et Tennyson. Par son titre, la série se présente comme l’actualisation télévisuelle d’une forme médiatique ancienne, les « penny dreadfuls » de l’époque victorienne, c’est-à-dire de petits livres bon marché de récits d’épouvante. Les « cibles » sont également multipliées : la série s’est déployée sur trois saisons, mais elle a connu un spinoff (Penny Dreadful : City of Angels, Showtime, 2020), des novellisations, et des fanfictions en ligne.
Des films à gros budget tracent un lien entre notre imaginaire médiatique et social actuel, et celui du passé, par le biais de l’adaptation. C’est le cas de Gatsby le magnifique (Baz Lurhman, 2013), qui, en reprenant le roman de Francis Scott Fitzgerald de manière très anachronique (les sompteuses fêtes des années folles voient danser les personnages sur des airs de hip-hop des années 2000), rend hommage aux « roaring 20s » et à leur temporalité effrénée tout en opérant des liens avec des formes contemporaines de décadentisme. L’adaptation, ici, se réalise dans une expansion des rythmes du film, l’utilisation de tous les moyens technologiques comme les images numériques de synthèse (CGI) pour représenter l’entre-deux guerres, son goût de la vitesse et de la dépense, son avidité son avidité d’images qui marque la modernité.
Dans la culture de masse, l’adaptation demeure donc largement dominante, même si elle se renouvelle et se présente souvent autrement, par des expressions synonymes et parce qu’elle trouve d’autres chemins que celui, traditionnel, du film tiré d’un roman. Ainsi, parmi les 52 films du box-office américain de 20239, on compte relativement peu de films présentés comme des adaptations, au sens traditionnel, de récits littéraires : Knock at the Cabin (M. Night Shyamalan) tiré du roman La Cabane aux confins du monde de Paul G. Tremblay (2018) ; et Le Garçon et le héron (Hayao Miyazaki), inspiré par le roman Et vous, comment vivrez-vous ? de Genzaburō Yoshino (1937).
La plupart des autres films ne sont ni des adaptations au sens strict, ni des scénarios originaux : ce sont par exemple des suites ou « reboots » (Indiana Jones ou le cadran du passé [James Mangold]) ; des films tirés de franchises comme Marvel (Spider Man ! Accross the Spider-Verse [Joaquim Dos Santos Kemp Powers et Justin K. Thompson), comme ou bien des remakes de films passés (comme La Petite Sirène [Rob Marsahll). L’un des films ayant eu le plus de succès, Barbie (Greta Gerwig), est à la fois le fruit d’un scénario original, écrit par la réalisatrice, mais la fiction est bien tirée de l’univers de la poupée créée par Mattel. Les univers « ludiques » sont par ailleurs de plus en plus présents dans les sources d’inspiration des films : il y a le cas de Donjons et Dragons : L’Honneur des voleurs (Jonathan Goldstein et John Francis Daley), qui est un « reboot » de la franchise cinématographique des années 2000, elle-même inspirée par le jeu de rôles sur table médiéval-fantastique Donjons et Dragons, créé en 1974 ; et celui de Super Mario Bros. Movie (Aaron Horvath et Michael Jelenic), tiré de l’univers du jeu vidéo créé par Nintendo. L’adaptation, dans ce cadre, est souvent rebaptisée par des formules comme « based on the universe of » (« tiré de l’univers de »), surtout dans le cas des franchises10 Marvel ou DC Comics, qui tendent à devenir des « multivers » dont la chronologie d’exécution ne correspond pas aux chronologies de narration.
L’adaptation persiste dans une grande partie de la culture populaire, mais elle est aussi et toujours à la base de projets plus audacieux, les manières d’adapter une œuvre évoluant également sur le plan du cinéma d’« art et essai », à dimension plus auteuriste.
Certains classiques de la littérature, comme Le Double de Dostoïevski (1846) ou Les Hauts de Hurlevent d’Emily Brontë (1847) font l’objet d’adaptations (celles de Richard Ayoade [2012] et d’Andrea Arnold [2011]) primées dans des festivals de films indépendants. Les séries télévisées peuvent aussi faire œuvre d’adaptation de la littérature avec Le Jeu de la Dame (Netflix, 2020), ayant ressuscité auprès du grand public l’œuvre de l’écrivain Walter Trevis, ou La Servante écarlate (The Handmaid’s Tale, Hulu, 2017-), adapté du roman de Margaret Atwood (1985).
En-dehors de la question du rapport entre littérature et images animées, nombreuses sont les pratiques qui se rapportent à l’adaptation si l’on pense aux domaines de la bande dessinée, et plus spécifiquement, des mangas et manhwas : les jeux Pokemon donnent naissance à des mangas, et de plus en plus de séries télévisées coréennes sont tirées de webtoons11. Les passerelles entre cultures bédéiques asiatiques et logiques de franchises et de produits dérivés sont certes tout à fait établies avec l’existence du « médiamix12 », mais elles trouvent néanmoins de nouvelles modalités commerciales et artistiques, notamment avec l’hégémonie du smartphone dans les pratiques culturelles.
Adapter la théorie de l’adaptation
Et si c’était justement cette diversité de pratiques et de supports qui posait des problèmes à l’appréhension théorique de l’adaptation ? Il semble presque que la notion ait parfois du mal à s’ajuster à ses propres objets. Règne encore une perception a priori conventionnelle de la pratique d’adaptation, que l’on peut percevoir comme une entreprise de réduction, univoque et intransitive. En réalité, elle est captive de certaines conceptions théoriques au sujet des équivalences sémiotiques entre les arts, ce qui rend la notion inapte à appréhender ce que l’on sait être plus riche, plus divers, plus évolutif.
Le premier chapitre présente et déconstruit certains de ces présupposés, puis expose les propositions opérées au cours de cet ouvrage concernant la prise en compte de la multiplicité des formes, des sens et des interprétations à donner à l’adaptation. L’adaptation doit ainsi toujours accommoder ses outils critiques à la culture contemporaine et à la philosophie de l’art qui l’accompagne. Or, avec le numérique, les séries télévisées, les franchises, les univers qui se déploient en même temps sur de multiples médiums – ce que Marie Laure Ryan et Jan-Noël Thon appellent des « storyworlds13 », mais que l’on peut aussi envisager sous les angles des « multivers » ou de la culture de la « post- production14 » – nos horizons culturels sont imprégnés de métaphores de la constellation et placés sous le signe de l’infini.
Résumé des informations
- Pages
- VIII, 192
- Année de publication
- 2025
- ISBN (PDF)
- 9783034353311
- ISBN (ePUB)
- 9783034353328
- ISBN (Relié)
- 9783034353304
- DOI
- 10.3726/b22274
- Langue
- français
- Date de parution
- 2024 (Décembre)
- Publié
- New York, Berlin, Bruxelles, Chennai, Lausanne, Oxford, 2025. VIII, 192 pp.
- Sécurité des produits
- Peter Lang Group AG