Jean Bruller-Vercors: penser l’homme au XXe siècle
Résumé
Extrait
Table des matières
- couverture
- Page de faux-titre
- Page de titre
- Page de droits d'auteur
- Page de dédicace
- Table des matières
- Introduction
- Chapitre I : Tracer les contours de l’homme
- 1.1 Traits d’humour : de la caricature à l’éveil humaniste
- 1.2 Dessiner le moi, révéler l’autre
- 1.3 La comédie humaine de Jean Bruller
- Chapitre II : Résister, survivre, se libérer. La condition humaine face à la violence
- 2.1 L’homme dans le règne des fins
- 2.2 Préserver la dignité par la résistance, comment affronter la violence
- 2.3 Être homme dans les camps
- 2.4 La découverte de la qualité d’homme : Les armes de la nuit
- Chapitre III : Entre « être homme » et « agir en homme »
- 3.1 L’essence humaine, la quête philosophique de Vercors
- 3.2 La rébellion, la volonté éthique de l’homme
- 3.3 Se (ré)approprier la qualité d’homme
- Chapitre IV : L’énigme de la limite : quand l’homme et l’animal se confondent
- 4.1 L’homme comme animal singulier
- 4.2 De l’arbitraire des frontières : Les animaux dénaturés (1952) et Zoo ou l’assassin philanthrope (1964)
- 4.3 Débordement des frontières : Sylva (1961)
- Chapitre V : Entre chair et mots, l’homme à l’épreuve de la biologie
- 5.1 Anabiosis, les limites de la vie humaine
- 5.2 L’être organique, une exploration entravée
- 5.3 La sensation comme communication
- Chapitre VI : Le récit de vie à la manière de Vercors
- 6.1 Rétrospective : de la vie à la plume
- 6.2 Mémoires d’un écrivain dans la cité
- 6.3 De l’écriture de soi dans la pensée de l’homme
- 6.4 Chroniques intimes, les pages d’une vie
- Conclusion
- Œuvres citées
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Image de couverture: Copyright © María de los Ángeles Hernández Gómez
Édition 1945 de Le Silence de la mer de Vercors. Tous droits réservés.
La publication de cet ouvrage a été rendue possible grâce au soutien financier du Centre de Recherches sur les Littératures et la Sociopoétique (CELIS) de l’Université Clermont Auvergne et du Département de Philologie Française de l’Université de Grenade, que nous tenons à remercier.
ISSN 2511-9753
ISBN 978-3-631-91436-6 (Print)
ISBN 978-3-631-91437-3 (E-PDF)
ISBN 978-3-631-91438-0 (E-PUB)
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À la mémoire de ma mère (†) et de ma flibustière (†)
Introduction
« La plus grande chose du monde, c’est de savoir être à soi »1, écrivait Michel de Montaigne dans son essai De la solitude ; l’homme serait habité par un besoin universel de connaissance de soi qui le pousserait, presque inexorablement, à s’interroger sur son être. Nous ne pouvons qu’imaginer multiples les questionnements qui dérivent de cette nécessité. Les réponses envisagées sont irrémédiablement insatisfaisantes, contradictoires, décevantes ; elles nourrissent un vaste réservoir de possibilités révélant le caractère complexe et incommensurable de l’individu. Les doutes étant certes nombreux dans cette quête ontologique, l’homme se trouve à l’origine et à la fin de ces questionnements, il est à la fois l’enquêteur et l’enquêté. En d’autres termes, partant d’une notion anticipée de son identité et d’un sentiment d’appartenance à un groupe dont il se sent membre, l’humain manifeste son idiosyncrasie individuelle par le dialogue entretenu « entre moi et moi » (Poulet, 1977). Et c’est précisément dans ce tiraillement entre le « je » et « l’autre » qu’il évolue.
Dans ce contexte, la littérature, en tant forme artistique d’expression, est sans doute l’un des domaines privilégiés par lesquels l’homme explore toute pensée et tout questionnement le concernant. Prenons comme exemple l’une des premières œuvres de la littérature occidentale : la tragédie de Sophocle, Antigone (442 av. J.-C.). Le premier chant du chœur des vieillards de Thèbes, connu sous le nom d’« éloge de l’homme » (vers 332), est l’un des passages les plus discutés et controversés de l’œuvre de Sophocle. La traduction problématique et les différentes interprétations littéraires de ce stasimon2, et plus précisément de l’adjectif δεινόν3, montrent le défi que représente la tentative de déchiffrer l’être humain. Ainsi, le δεινόν a successivement évoqué le meilleur de l’homme, étant une « merveille »4 selon la traduction en français de Paul Mazon, ou quelque chose de « formidable » selon l’interprétation de Jacques Lacan (Bollack et al., 2004, p. 23). En même temps, il a représenté le pire : « monstrueux »5 selon Friedrich Hördelin, mais différent du « monstrueux »6 de Bertolt Brecht, ou « inquiétant »7 d’après Martin Heidegger. Des attributs antagoniques se retrouvent ainsi réunis dans un même être au caractère insaisissable, élargissant à l’infini « l’énigme du δεινόν », dont a parlé Jacques Derrida (1987, p. 16). Cette énigme est une invitation éternelle au débat que des intellectuels, philosophes, peintres, musiciens et écrivains n’ont cessé d’enrichir tout au long de l’histoire jusqu’à l’époque contemporaine. Sous des perspectives différentes, avec des objectifs tout à fait divers et pour des causes plurielles, l’homme est d’une manière ou d’une autre au centre de toute réflexion, qu’elle soit philosophique ou artistique.
Le dessinateur et écrivain français Jean Bruller, dit Vercors (1902-1991), fait partie des artistes et penseurs qui se sont ouvertement et continûment interrogés sur l’existence de l’espèce humaine, sa nature, sa place dans le monde et la définition de l’homme – si une telle définition est possible. Nous postulons d’ailleurs comme principale hypothèse de notre recherche que Vercors aurait fait de ces questionnements le centre même de son projet intellectuel et créatif, notamment littéraire. Au cœur de sa production se trouverait l’élaboration d’une pensée de l’homme à forte portée éthique, en constante résonance avec le contexte sociohistorique contemporain et avec le parcours de vie de l’écrivain.
En effet, l’œuvre de Vercors s’inscrit foncièrement au cœur du XXe siècle, non seulement parce que ses publications sillonnent le siècle jusqu’à sa mort en 1991, mais aussi parce qu’il s’agit d’une œuvre qui naît, se développe, se construit et s’ancre dans les préoccupations sociales, politiques, historiques, et surtout éthiques et philosophiques de l’époque, en lien direct avec l’homme8. Les deux conflits mondiaux métamorphosent radicalement le monde contemporain, entraînant des révolutions majeures dans les domaines de l’art et de la philosophie. Bien que jeune garçon au moment de l’éclatement de la Première Guerre mondiale, Jean Bruller rend compte, dans ses dessins des années 1920 et 1930, de l’idée très répandue du déclin définitif de la civilisation et des valeurs occidentales, par une vision très personnelle (Bridet, 2009, p. 59). Comme tant d’autres, il débute sa carrière dans un contexte dominé par un sentiment de finitude, que Paul Valéry décrit de la sorte dans La crise de l’esprit (1919) :
Nous autres, civilisations, nous savons maintenant que nous sommes mortelles. […] Nous apercevions à travers l’épaisseur de l’histoire, les fantômes d’immenses navires qui furent chargés de richesse et d’esprit. Nous ne pouvions pas les compter. Mais ces naufrages, après tout, n’étaient pas notre affaire. […] Et nous voyons maintenant que l’abîme de l’histoire est assez grand pour tout le monde. Nous sentons qu’une civilisation a la même fragilité qu’une vie. (2023, p. 6)
Rares sont les pensées, dans cette première moitié de siècle, qui n’ont pas pris en compte cette situation de l’homme accablé par les conflits universels et la menace constante de la mort (Garaudy, 1969, p. 8). Dans une angoisse généralisée à la mesure des événements qui la provoquent, les thèmes négatifs et pessimistes s’installent dans une grande partie des manifestations artistiques de l’entre-deux-guerres, sous l’influence évidente de la première pensée existentialiste. Les albums les plus importants de Jean Bruller, notamment La danse des vivants, mettent en scène, tout comme le fera Jean-Paul Sartre dans La nausée (1938), le désespoir le plus profond produit par le non-sens de l’existence. Après cet ébranlement évident des valeurs vient l’heure des remises en question, qui se manifestent sous différentes formes, comme la récusation de toute idéologie politique au sein du groupe surréaliste.
Cependant, un mouvement se dégage du reste, qui nous intéresse particulièrement : la quête de nouvelles valeurs pour l’homme. Le monde littéraire que le jeune Jean Bruller côtoie, mais qu’il n’a pas encore intégré de fait, s’imprègne de l’inquiétude des écrivains comme André Malraux et Roger Martin du Gard9, qui retracent dans leurs œuvres le tragique de l’existence. Leurs romans de la « condition humaine » manifestent la recherche d’un nouvel humanisme :
Les écrivains replongent donc l’homme dans son milieu social, mais s’efforcent visiblement de préserver le plus possible les droits de l’individu, tout en faisant aux exigences de la société les concessions nécessaires. « L’homme » reste le point d’optique essentiel ; un nouvel humanisme cherche à s’établir, qui se renforce souvent de considérations métaphysiques sur la valeur de la personnalité humaine. Il est évident que, dans le désordre des doctrines qui se heurtent et se combattent, l’humanité est à la recherche de croyances et d’idées qui refassent son unité, rompue par les révolutions et les guerres. (Gustave Lanson cité par Alves, 2015, p. 112)
L’ une des pistes de notre recherche identifie d’ailleurs ce contexte de renouveau humaniste comme celui de la genèse de la pensée vercorienne de l’homme, qui, dans un premier temps, aurait incité le jeune artiste, sinon à donner des solutions et des réponses concrètes, du moins à proposer un travail critique d’interrogation et de réflexion par le dessin. C’est dans cette mouvance que le dessinateur articule une satire aigüe des travers humains, certes imprégnée de pessimisme, mais empreinte d’une véritable lucidité et d’une profonde vision sociale. Cependant, il faut attendre l’éclatement de la Seconde Guerre mondiale pour voir se concrétiser de facto son engagement humaniste : en 1942, la métamorphose du dessinateur en écrivain marque à cet égard un moment clé dans le parcours personnel, intellectuel et artistique de Vercors. Cette transformation suppose à nos yeux le début de l’articulation effective de sa réflexion.
En étroite relation avec leur époque – espace social, politique, culturel, intellectuel – et fortement marquées par une portée éthique, les idées vercoriennes s’inscrivent dans une longue tradition philosophique, de Blaise Pascal à Emmanuel Kant et à bien d’autres encore, que l’écrivain n’hésitera pas à convoquer : nous rendrons compte de ces influences. Ces premières préoccupations sont aussi inévitablement contemporaines de celles d’autres écrivains, philosophes et intellectuels de l’après-guerre, également touchés par les conséquences du conflit armé. Cherchant à se différencier des propositions qui se développent au même moment, notamment celles de Jean-Paul Sartre et d’Albert Camus, Vercors ne peut éviter le dialogue avec ces autres penseurs qui, comme lui, s’aident de la littérature pour construire et faire évoluer leurs visions sur l’homme et sur son existence.
L’éveil de cette conscience humaniste, fortement marquée par la guerre, dépasse rapidement les méditations qui surgissent comme conséquence du conflit pour atteindre des dimensions plus universelles ou, du moins, plus générales. Ceci viendrait confirmer l’engagement de l’artiste dans ce projet, qui ne pourrait donc pas se réduire à une littérature de circonstance. L’évolution de sa pensée le mènera à réfléchir à des questions qui sont au cœur de la tradition philosophique, revisitant par exemple la frontière entre l’homme et l’animal, leurs différences et leurs similitudes, l’« animalité » de l’être humain. Il explore de même l’ambigüité de la notion d’homme, le besoin de le définir comme être biologique ou comme être historique. Ces différentes approches sont toujours corrélées avec des expériences multiformes qui poussent Vercors à constamment reconfigurer et élargir son champ d’étude.
Résumé des informations
- Pages
- 274
- Année de publication
- 2025
- ISBN (PDF)
- 9783631914373
- ISBN (ePUB)
- 9783631914380
- ISBN (Relié)
- 9783631914366
- DOI
- 10.3726/b21522
- Langue
- français
- Date de parution
- 2025 (Novembre)
- Mots clés
- Vercors Jean Bruller Littérature française XXe frontière homme mémoire
- Publié
- Berlin, Bruxelles, Chennai, Lausanne, New York, Oxford, 2025. 274 p.
- Sécurité des produits
- Peter Lang Group AG