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Histoires de dire 2

Petit glossaire des marqueurs formés sur le verbe «dire»

de Jean-Claude Anscombre (Éditeur de volume) Laurence Rouanne (Éditeur de volume)
©2020 Collections 286 Pages
Série: Sciences pour la communication, Volume 127

Résumé

Ce livre s’inscrit dans l’important courant d’études linguistiques qui s’attache actuellement à décrire le fonctionnement des marqueurs discursifs. Il fait suite à un premier volume paru en 2016 sous le même titre (= volume 119 de la Collection SC). L’ouvrage poursuit le recensement et l’étude des locutions du français formées à l’aide du verbe dire, comme par exemple c’est pour dire, qu’on se le tienne pour dit, aux dires de, que tu dis, est-ce à dire, on a beau dire, etc. Ces marqueurs discursifs se caractérisent par une fonction épilinguistique : ils ont pour fonction commune d’indiquer une attitude du locuteur vis-à-vis d’une représentation de la réalité. Au total, ils sont plus de cent trente. Ce second volume en étudie vingt-trois.
Les lecteurs trouveront ici à la fois un dictionnaire comportant une présentation des différentes valeurs identifiées pour chaque marqueur, au travers d’exemples tirés de corpus oraux et écrits, et un ouvrage théorique abordant les propriétés syntaxiques, sémantiques et pragmatiques de chacun des marqueurs.

Table des matières

  • Couverture
  • Titre
  • Copyright
  • À propos de l’auteur
  • À propos du livre
  • Pour référencer cet eBook
  • Table des Matières
  • Liste des Contributeurs
  • Jean-Claude Anscombre & Laurence Rouanne: Introduction
  • Patrick Dendale: Au(x) dire(s) de : évidentialité, représentation du discours autre, non-prise en charge et fiabilité du message
  • Jean-Claude Anscombre: Ça ne me dit rien, ça dit bien ce que ça veut dire, ça en dit long : ce que les mots veulent dire. Enonciation préalable et interprétation sémantique.
  • Laurence Rouanne: Atténuation, démonstration, affermissement du dire : le cas de c’est pour dire et c’est pas pour dire
  • Florence Lefeuvre : Le marqueur c’est tout dire
  • Didier Tejedor de Felipe: Le cas de j’aimerais dire, je veux pas dire et de je dois dire : double modalisation pour un ethos ?
  • Maria Luisa Donaire: Ne pas dire tout en disant : j’allais dire, j’ai envie de dire
  • Evelyne Oppermann-Marsaux: Les emplois de on a beau dire et de ses variantes du français préclassique au français moderne
  • Adelaida Hermoso Mellado-Damas: Deux manières de dire les choses : pour ainsi dire et pour dire les choses (comme elles sont)
  • Sonia Gomez-Jordana: Une matrice lexicale, que je dis ! Étude sémantico-pragmatique des constructions que tu dis, que je dis
  • Hélène Vassiliadou: Qu’est-ce à dire, est-ce à dire que et (W) revient à dire (que) : étonnement et allusion
  • Christiane Marque-Pucheu & Takuya Nakamura: Tenez-le-vous pour dit, tiens-le-toi pour dit, qu’on se le tienne pour dit : le dit mis en scène
  • Les marqueurs en dire : liste

←8 | 9→

Jean-Claude Anscombre
Laurence Rouanne

Introduction

1. Le but du projet

Ce projet s’inscrit dans un courant linguistique important aujourd’hui, et qui concerne l’étude des marqueurs discursifs, dénomination sur laquelle nous reviendrons en détail un peu plus loin. Ces objets linguistiques sont habituellement classés dans les mots non lexicaux, et opposés à des mots comme par exemple table, écrire ou superbe. Il est habituel d’y distinguer – de façon plus intuitive qu’opératoire – de nombreuses sous-classes, dont les plus célèbres sont les connecteurs, les particules (pragmatiques), les adverbes d’énonciation, certaines interjections, etc. Nous n’entrerons pas dans le débat qu’ouvre un foisonnement terminologique dont le bien-fondé n’apparaît pas à première vue. Même si nous sommes encore loin de pouvoir associer à chacun de ces termes une catégorie linguistique stable, ils n’en possèdent pas moins le mérite d’avoir permis d’ouvrir de nouveaux chapitres dans les études linguistiques, face à une tradition grammaticale qui les avait relégués au rang d’épiphénomènes. Il ne leur est donc généralement consacré que quelques pages, voire quelques lignes, quand ils ne sont pas carrément ignorés1.

L’idée de départ est de fournir une étude linguistique de la sous-classe des marqueurs discursifs (du français) formés sur le verbe dire. Citons à titre d’exemples : c’est pour dire, qu’on se le tienne pour dit, aux dires de, que tu dis, est-ce à dire, avoir beau dire, etc. Nous en avons recensé plus de cent trente. Le présent ouvrage fait suite à un premier volume de ces Histoires de dire et s’inscrit dans la même lignée. Y sont traités vingt-trois nouveaux marqueurs. On y trouvera, à la fin, la liste des marqueurs établie par nos soins, chaque marqueur étant accompagné du nom de l’auteur lui ayant consacré une étude dans ce volume ou dans le précédent.

Cet ouvrage a en fait été conçu pour un double usage.

Un tel volume peut donc à la fois être utilisé par des étudiants de langue de niveau supérieur (écoles d’interprétariat et/ou de langues) – qui trouveront d’utiles renseignements dans la partie descriptive – et par des linguistes confirmés qui pourront se pencher sur la partie proprement théorique. L’ensemble est complété par la liste alphabétique des marqueurs formés sur le verbe dire.

2. Quelques aperçus théoriques

Si le terme de marqueur ne semble pas a priori dénué de sens ou d’intérêt, mettre en place un concept opératoire ne va pas de soi, et mobilise bien d’autres choses que la structure de surface et/ou l’intuition que nous pouvons avoir de son fonctionnement. Les deux sont en effet fortement suspectes d’être redevables à une grammaire dont l’enseignement précoce fait passer certaines notions pour le reflet de la nature des choses. Or une des caractéristiques et de la grammaire traditionnelle, et de certaines approches linguistiques, est l’opposition mot plein (ou mot lexical)/mot vide (ou mot grammatical)2, laquelle repose à son tour sur l’opposition paradigmatique/syntagmatique. En effet, les mots lexicaux ont une fonction notionnelle, outre une possible fonction référentielle, et sont habituellement vus comme situés sur un axe paradigmatique : dans Aujourd’hui, j’ai aperçu (une mésange + une hirondelle), mésange s’oppose à hirondelle en ce que les deux sont susceptibles de permuter dans la chaîne envisagée. Notons que cette opposition est virtuelle : non seulement seul l’un des deux figure effectivement dans l’énoncé, mais le sens d’un terme ne fait pas directement intervenir le sens des autres termes. La définition de chaise ne fait pas intervenir celle de fauteuil, même si ces définitions s’opposent paradigmatiquement parlant. Les mots grammaticaux en revanche fonctionnent sur l’axe syntagmatique, et servent à combiner des termes en principe réellement présents (et non virtuellement présents, comme dans le cas précédent), ou, en tout cas dont l’existence ne peut être mise en doute. Répondre parce que, sans plus, ne signifie pas que ←10 | 11→le membre de droite n’existe pas, mais simplement qu’il n’est pas explicité. La grammaire traditionnelle (et scolaire) nous ayant familiarisés avec la notion de conjonction, c’est cette notion qui a servi de modèle en linguistique à la notion de connecteur, l’influence de la logique formelle n’étant sans doute pas étrangère à ce choix terminologique. C’est fondamentalement donc l’idée de relateur, qui devait, dès les années soixante-dix, et dans le cadre de l’argumentation dans la langue, voir certaines unités comme instruisant des opérations sémantiques et/ou pragmatiques en vue de construire le sens de l’énoncé ou du texte, ainsi que son insertion dans le discours. L’étude de mais de Anscombre & Ducrot (1977) est la parfaite illustration de cette optique. Cette idée de relateur a rapidement été étendue aux cas où le lien est fait non entre deux énoncés mais entre par exemple un énoncé et son contexte, comme le font alors et donc en français parlé, selon Hansen (1997). Le développement des études consacrées à ce type de phénomènes a vite obscurci l’idée de départ, et on en est venu à y inclure toutes sortes d’unités disparates, à commencer par toutes celles ayant un rôle de commentaire (au sens large) à propos d’un énoncé particulier, ainsi les incises modales comme je pense ou encore des ‘mots d’ouverture’ comme dis donc. L’idée de base d’un lien entre deux ou plus de deux énoncés n’est alors plus centrale, les connecteurs devenant de ce fait une simple sous-classe d’une classe plus générale, classe dont la définition est loin d’être claire au vu de l’hétérogénéité des divers éléments qu’on y met3. C’est ce que reflète d’ailleurs une terminologie particulièrement foisonnante : particules pragmatiques /discursives/conversationnelles, marqueurs, marqueurs linguistiques/ discursifs/ pragmatiques, connecteurs, opérateurs discursifs, etc., pour ne citer que les plus courants4. Voici quelques exemples d’utilisation de cette terminologie : marqueurs (Anscombre 1977 ; hélas, heureusement, malheureusement), connecteur (Anscombre & Ducrot 1977 ; mais), connecteurs pragmatiques (Gülich & Kotschi 1983, c’est-à-dire, autrement dit, je veux dire), discourse particles (Schourup 1985), discourse markers (Schiffrin 1987, Fraser 1988), opérateurs syntaxiques (Nølke 1988), marcadores del discurso (Portolés 1993), etc., pour ne citer qu’une toute petite partie de la liste complète. L’ensemble des unités concernées comprend en ←11 | 12→particulier les modalités, au sens de l’“ expression de l’attitude du locuteur par rapport au contenu propositionnel de son énoncé […]” (Le Querler 2004 : 646), dont les adverbes d’énonciation5. L’examen des recherches récentes sur ces sujets montre une nette tendance à réserver le terme de marqueur discursif aux modalités au sens spécifié ci-dessus. Il convient cependant d’ajouter un bémol à cette affirmation : en effet, le rôle de modalité joué par une unité peut n’être qu’une des fonctions qu’elle assume. Ainsi bien sûr que, tout en marquant une attitude du locuteur, possède également une fonction dialogale (Anscombre 2013), qui relie un co-texte gauche et un co-texte droit, et l’apparente donc à un type de relateur. Parmi les adverbes d’énonciation comme sincèrement, certains, tout en assumant une fonction de modalité, agissent aussi comme des sortes de connecteurs/relateurs : ainsi décidément (Nølke 1993), franchement (Donaire 2006) ou encore carrément (Rouanne 2013). Il serait sans doute plus juste d’établir le classement des opérateurs selon les agencements particuliers – les stratégies discursives – que chaque unité instaure dans le discours où elle apparaît. On pourrait ainsi d’établir des similitudes et des différences, fournissant la base de regroupements possibles, bien éloignés de ceux que propose la tradition, qui ne se fonde que sur une seule fonction, dans l’ignorance donc du caractère polyfonctionnel de nombreux opérateurs.

Quoi qu’il en soit, c’est à partir de la notion de modalité telle que définie ci-dessus que se dégage progressivement celle de marqueur discursif. On s’entend en effet à considérer qu’un marqueur discursif : a) est une entité non notionnelle dans son fonctionnement comme tel ; b) que sa valeur sémantico-pragmatique inclut l’attitude du locuteur au moment où il utilise le marqueur. Cette attitude est présente sur le mode de la monstration : utiliser le marqueur revient à ‘prendre’ cette attitude ; c) bénéficie d’une autonomie syntaxique par rapport au texte dans lequel il apparaît. Il est donc souvent déplaçable, même si les possibilités de déplacement peuvent varier selon la nature et la fonction des marqueurs. Alors que tu sais est relativement libre, et peut entre autres figurer en position frontale (Tu sais, p), le tu penses interrogatif ne le peut et figure essentiellement en position finale (Il viendra, tu penses ? / *Tu penses, il viendra ?). C’est le problème de la parenthétisation et/ou de la mise en incise d’un marqueur ; d) possède une large autonomie prosodique par rapport au texte à son environnement textuel, ce qui est un phénomène général dans le cas des incises et des parenthétiques ; e) se caractérise par la perte du caractère ←12 | 13→référentiel de certains de ses composants, très généralement les pronoms personnels, les marques de personne et les anaphoriques – voire même la perte de ces composants lors de la parenthétisation ou la mise en incise. Cette perte du caractère pronominal fait de je sais une modalité épistémique dans Il viendra, je sais, face à une simple lecture anaphorique et médiative dans Il viendra, je le sais. Et dans Vas-y, tire, le pronom y a perdu la quasi-totalité de son caractère déictique ; f) acquiert une autonomie sémantique plus ou moins complète par rapport aux emplois non parenthétiques, très souvent une complétive en que. Il y a par exemple une nette différence de sens entre tu sais que c’est difficile et c’est difficile, tu sais ; g) est très généralement non-compositionnel, au moins partiellement. Ainsi, même une excellente connaissance du lexique français de base ne suffit pas à comprendre le sens d’une expression comme tu m’en diras tant ou comme va-t’en savoir. Il convient cependant d’être prudent à l’heure de conclure ipso facto à un figement sous une forme ou une autre, l’hypothèse inverse d’un emploi parfaitement régulier n’étant la plupart du temps guère plus soutenable, au vu en particulier des données diachroniques.

3. Les contributions : organisation et contenu

C’est dans la perspective de ces quelques précisions théoriques qu’il faut envisager la lecture des onze contributions qui forment ce volume. Nous l’avons dit plus haut, le lecteur intéressé n’y trouvera pas que des considérations théoriques. Nous avons en effet demandé aux auteurs que la première partie de chaque contribution concerne les données recueillies dans divers corpus et la mise en évidence des principales propriétés distributionnelles des marqueurs qui y figurent. Cet ouvrage pourra donc être utilisé par les professeurs et étudiants en langue. Chaque auteur a eu le libre choix de l’angle théorique d’attaque pour les unités qu’il a choisi d’étudier, et le lecteur aura ainsi un panorama de diverses approches.

Les différentes contributions, classées selon l’ordre alphabétique des marqueurs étudiés, sont les suivantes :

La locution prépositionnelle au(x) dire(s) de fait l’objet du travail de Patrick DENDALE (Université d’Anvers, GaP). À partir d’une description des propriétés distributionnelles, morphosyntaxiques, et sémantiques des éléments constitutifs de la locution (la préposition à (au/aux), le nom dire et le GN le dire) et de ceux de son schéma de construction (X et y), il montre que au(x) dire(s) de X fonctionne comme un adverbial de phrase qui commente énonciativement le contenu y sur lequel il porte, le commentaire consistant à attribuer, de façon directe ou indirecte, ce contenu à un être doué de parole, en général différent ←13 | 14→du locuteur. Au(x) dire(s) de peut donc selon lui être rangé parmi les marqueurs évidentiels de reprise à autrui et/ou les marqueurs de modalisation en discours second, et amène, en tant que marqueur de reprise, la non-prise en charge par le locuteur du contenu y.

Ça dit bien ce que ça veut dire, ça, en dit long sur et Ça ne me dit rien sont étudiés par Jean-Claude ANSCOMBRE, (Université de Cergy-Pontoise), qui se propose d’analyser et de comparer le fonctionnement de ces trois opérateurs de discours, qui partagent plusieurs caractéristiques. Tout d’abord, ils sont rares à l’écrit et relèvent plus que majoritairement d’un registre courant, essentiellement oral. Tous trois sont également formés sur le verbe dire avec pour sujet principal de ce verbe le pronom déictique ça, donnant lieu à quelques variantes en cela. Ce pronom renvoie à une énonciation antérieure dont ils commentent l’aspect sémantique : chaque marqueur le faisant à sa façon. En outre, les trois marqueurs fournissent un commentaire sur cette énonciation présentée comme antérieure, et un commentaire visant fréquemment un destinataire, ainsi ça ne me dit rien au sens de ‘ça n’évoque rien pour moi’, qui est dans ses usages les plus courants une réponse à une question réelle ou virtuelle. Ils se caractérisent donc par la présence d’une fonction méta-linguistique par rapport au(x) discours où s’insère le marqueur, avec intervention d’une certaine attitude du locuteur, une certaine prise en charge.

C’est pour dire et C’est pas pour dire sont étudiés par Laurence ROUANNE (Universidad Complutense de Madrid). Les critères distinctifs d’ordre morphologique et surtout distributionnel qui sont mis à jour sont mis en parallèle avec le fait que l’on distingue deux variantes du marqueur c’est pour dire, dont les valeurs sémantico-pragmatiques sont opposées : le premier, c’est pour dire1, joue un rôle de démonstration d’une séquence P(x) antérieure, par rapport à une conclusion P(y), alors que c’est pour dire2 est dénué de ce rôle de connexion, ne modalise qu’un seul segment du discours et au contraire véhicule une valeur d’atténuation. Quant à ce n’est pas pour dire et quoi que les apparences puissent laisser supposer, il ne s’agit pas de la négation d’une des variantes précédentes, mais d’un marqueur à part entière, avec des caractéristiques distributionnelles et sémantique qui lui sont propres.

C’est tout dire fait l’objet d’une étude de Florence LEFEUVRE (Université de la Sorbonne Nouvelle – Paris 3, Clesthia) qui montre que la configuration syntaxique P, c’est tout dire (avec les variantes c’est tout dire, P ou encore c’est tout dire inséré en P) comporte deux unités prédicatives, dont l’une, résomptive (c’est tout dire), subit une perte d’autonomie. Ces deux unités forment un ensemble solidaire sur le plan sémantique et sur le plan discursif (grâce à leur juxtaposition et au démonstratif c’ dont la valeur anaphorique ←14 | 15→est problématique) : l’ensemble formé par ces deux unités est appelé “période discursive” (Pi). C’est tout dire permet de renvoyer à un événement ou un état perçus comme prototypique d’une catégorie induite et présentés comme un argument phare chargé de valider un segment précédent. Cet événement ou cet état peuvent en outre connaître une focalisation explicitée par différents procédés grammaticaux, avec la présence d’une gradation ou d’une hyperbole, ainsi que par la position de c’est tout dire par rapport à l’unité prédicative reprise, en ciblant un groupe de mots en particulier.

J’aimerais dire, Je veux pas dire et Je dois dire sont traités par Didier TEJEDOR DE FELIPE (Universidad Autónoma de Madrid). Pour aborder les différentes valeurs sémantiques de ces unités lexicales, l’auteur a recours à la notion de modalisation, la question centrale étant de savoir si ces marqueurs permettent de modaliser la représentation d’un objet du monde ou bien si, d’une manière ou d’une autre, c’est dire qui ferait l’objet d’une modalisation. Ces marqueurs jouent un double rôle. À l’intérieur de chacune des structures : j’aimerais dire, je veux pas dire et je dois dire, les semi-auxiliaires ont évidemment une incidence sur le verbe dire ; d’autre part, l’ensemble semi-auxiliaire + dire permet au locuteur-auteur de se représenter comme prenant en charge ou rejetant X. Ces deux aspects analysés contribuent à révéler un ethos positif du locuteur.

J’allais dire et J’ai envie de dire sont analysés par María Luisa DONAIRE (Université d’Oviedo – groupe OPÉRAS). Les deux marqueurs analysés présentent bien des points communs mais aussi et surtout des différences qui permettent de les caractériser, tant du point de vue formel, que du point de vue sémantico-pragmatique. Pour commencer, ils ont en commun qu’ils font intervenir un dire qui est présenté comme n’étant pas vraiment dit, bien que dit tout de même. Cette forme d’énonciation « indirecte » assure l’acceptabilité de la part de l’allocutaire ou des éventuels interlocuteurs : on ne peut rien reprocher au locuteur, même si ce qu’il dit peut être jugé comme excessif ou comme non conforme du point de vue énonciatif ou pragmatique, car il ne « dit » pas strictement q, il allait le dire ou il n’a fait qu’exprimer son envie de dire q, l’envie faisant référence à quelque chose de plus virtuel que l’intention.

On a beau dire et ses variantes sont analysées par Evelyne OPPERMANN-MARSAUX, (Université de Paris III). L’auteur s’intéresse aux différentes variantes de on a beau + dire attestées en français depuis le 16e siècle. Elle prend comme point de départ les occurrences relevées dans la base textuelle Frantext et propose une description de leurs contextes d’emploi ainsi que des différentes interprétations sémantiques et pragmatiques qu’il est possible de leur attribuer. En s’appuyant sur les théories de la grammaticalisation et de la pragmaticalisation, l’étude permet de distinguer trois catégories d’emplois de ←15 | 16→avoir beau + dire : un premier emploi préservant la valeur lexicale de l’adjectif beau, qui qualifie alors les paroles sur lesquelles porte l’infinitif dire d’inutiles ; un emploi plus grammatical, dans lequel avoir beau peut être rapproché de la locution conjonctive bien que et un emploi pragmatique, où avoir beau dire devient un marqueur discursif à valeur assertive portant sur une portion du discours qui le suit ou qui le précède. L’article s’interroge enfin, dans une perspective diachronique, sur le développement de ces différents emplois entre le 16e et le 20e siècle.

Pour ainsi dire et Pour dire les choses (comme elles sont) sont les deux marqueurs objets de l’analyse de Adelaida HERMOSO MELLADO-DAMAS (Universidad de Sevilla). Ces deux unités ont en commun le fait qu’elles concernent la manière de dire, soit au travers de la forme de ce dire, soit au travers des contenus qu’elles accompagnent, mais se différencient par leurs fonctions discursives respectives. Pour ainsi dire aurait une fonction connective dans ce sens qu´il oppose deux points de vue et sert une dynamique argumentative particulière. Pour dire les choses, de son côté, remplirait une fonction médiative-évaluative en positionnant le locuteur par rapport à la source des points de vue convoqués et en ajoutant un commentaire subjectif sur la manière de les formuler.

Que je dis et Que tu dis sont étudiés par Sonia GOMEZ-JORDANA (Universidad Complutense de Madrid). L’auteur défend l’existence de deux marqueurs médiatifs relevant de deux matrices lexicales différentes, selon les termes d’Anscombre (2016, 2017). Elle effectue également une approche diachronique qui permet d’éclairer le statut contemporain de ces marqueurs, tout en sachant qu’il s’agit de deux marqueurs peu fréquents en dehors du langage dit populaire. Le point commun entre les deux structures est le que médiatif, au sens d’Anscombre (2016, 2017) : il ne s’agit pas d’une conjonction de subordination ou d’un pronom relatif mais d’un que d’antériorité énonciative qui présente p comme ayant fait l’objet d’une assertion préalable. Les deux marqueurs, que je dis2 et que tu dis3 font partie de deux matrices lexicales différentes où que est l’élément linguistique commun. Il sera démontré qu’en français contemporain que tu dis3 est un marqueur de réfutation alors que que je dis2 est un intensifieur.

Qu’est-ce à dire, Est-ce à dire que et (Cela / Ça / Ceci / X) revient à dire (que) sont analysés par Hélène VASSILIADOU (Université de Strasbourg, EA 1339 LiLPa / Scolia). Ces trois marqueurs interviennent aussi bien au niveau de l’énonciation qu’au niveau du contenu propositionnel des segments qu’ils mettent en relation. Malgré cette dimension énonciative, ils n’apparaissent pas à l’oral en discours spontané et leur fréquence en français actuel ne semble pas significative comparativement à d’autres marqueurs formés sur dire. Afin de fournir un début d’explication à cette observation, l’auteur mène une analyse ←16 | 17→distributionnelle et pragmasémantique de ces trois locutions et montre comment leurs emplois se sont spécialisés dans des contextes les empêchant en quelque sorte de s’imposer dans le langage courant.

Tenez-le vous pour dit, Tiens-le toi pour dit et Qu’on se le tienne pour dit sont traités par Christane MARQUE-PUCHEU (Lettres Sorbonne Université – STIH, EA 4509) et Takuya NAKAMURA (Université Paris-Est, LIGM (UMR 8049) UPEM, CNRS, ESIEE, NPC). Les auteurs soulignent le fait qu’outre leur statut de marqueur polyphonique et celui de marqueur médiatif, ces marqueurs possèdent fondamentalement une valeur pragmatique qui consiste à imposer à l’allocutaire une argumentation du locuteur. Malgré le fait que X ne représente souvent qu’une partie de l’argumentation (argument ou conclusion), le locuteur est incité à reconstituer la totalité de l’argumentation et à agir en conséquence. Quel que soit le locuteur source du message contenu dans X, c’est le locuteur produisant le marqueur qui le prend en charge.

Indications bibliographiques

Anscombre, J.C. & Ducrot, O. (1977), “Deux mais en français”, Lingua, 43, pp 23–40.

Anscombre, J.C. & Ducrot, O. (1983), Largumentation dans la langue, Ed. Mardaga, Bruxelles.

Anscombre, J.C. (1977), “La problématique de l’illocutoire dérivé”, Langage et société, 2, pp. l7–41.

Anscombre, J.C. (2013), “A coup sûr et bien sûr et les fondements de la certitude”, Revue de sémantique et pragmatique, n.°33–34, p. 67–98.

Anscombre, J.C. (2016), “Les constructions en adverbe que p en français: essai de caractérisation sémantique d’une matrice lexicale productive”, Cahiers de lexicologie: Revue internationale de lexicologie et lexicographie, 108, p. 199–223.

Résumé des informations

Pages
286
Année
2020
ISBN (PDF)
9783034339513
ISBN (ePUB)
9783034339520
ISBN (MOBI)
9783034339537
ISBN (Broché)
9783034337519
DOI
10.3726/b16388
Langue
français
Date de parution
2020 (Mars)
Mots clés
Linguistique Sémantique Pragmatisme Syntaxe Marqueurs de discussion
Published
Bern, Berlin, Bruxelles, New York, Oxford, Warszawa, Wien, 2020. 286 p., 2 tabl.

Notes biographiques

Jean-Claude Anscombre (Éditeur de volume) Laurence Rouanne (Éditeur de volume)

Jean-Claude Anscombre, Directeur de recherche émérite à l’Université de Cergy-Pontoise, œuvre dans le champ de la sémantique et de son interaction avec la morphologie. Il s’intéresse aux marqueurs discursifs, aux stéréotypes et au rôle de la parole communautaire dans la structuration discursive. Laurence Rouanne est Maître de conférences à l’Université Complutense de Madrid. Ses travaux s’inscrivent dans l’interface entre sémantique et syntaxe. Elle s’intéresse spécialement aux adverbes en -ment et aux marqueurs discursifs. Elle a également travaillé dans le domaine de la linguistique appliquée à la victimologie.

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