Résumé
Les travaux du groupe s’organisent à partir de plusieurs approches (didactique, historique et comparatiste) dont l’intérêt est de dé-naturaliser la relation qui existe entre la littérature et l’école et d’interroger l’enseignement d’une discipline qui semble souvent aller de soi.
Après la fable et la lettre, le groupe Helice s’attache maintenant à étudier l’extrait appréhendé comme un objet susceptible de rendre compte des processus de scolarisation de la littérature.
Dans cet ouvrage, les chercheurs d’Helice ont étudié la façon dont l’œuvre littéraire est scolarisée sous la forme particulière de l’extrait, qui en retour fabrique la littérature de l’école. Le premier chapitre étudie l’émergence de l’extrait au fil du temps et son usage, indissociable de sa relation avec l’œuvre dont il provient. Le deuxième chapitre envisage de manière comparatiste les usages de l’extrait dans la formation du lecteur et du scripteur, dans différents pays et segments scolaires, à différents moments, voire dans différents contextes disciplinaires. Le troisième chapitre analyse comment les œuvres de plusieurs grands auteurs patrimoniaux sont lues à l’école.
Extrait
Table des matières
- Cover
- Title Page
- Copyright
- Autorenangaben
- Über das Buch
- Zitierfähigkeit des eBooks
- Contenu
- Anissa Belhadjin, Marie-France Bishop, Laetitia Perret: Introduction
- 1. Pourquoi l’extrait ?
- 2. Éléments de contextualisation
- Chapitre I – De l’œuvre littéraire à l’extrait scolaire : concurrences et continuité
- Nathalie Denizot: Introduction
- Nathalie Denizot: Qu’est-ce qu’un « extrait » ?
- 1. Enquête lexicographique dans le Dictionnaire de l’Académie française
- 2. « Extrait », « texte » et « morceau » dans la sphère scolaire
- 3. Extrait et citation
- 4. L’extrait comme « modèle »
- Julie Babin: La « dispute » des extraits et la mise en circulation de l’œuvre intégrale en classe de français : le discours des principaux acteurs (1969–1984)
- 1. Contexte et repères historiques
- 2. Extrait vs œuvre complète
- 3. Méthodologie
- 4. Résultats
- 5. Que retenir du débat ?
- Brigitte Louichon, Maïté Eugène: L’envers de l’extrait : relations didactiques entre extraits et œuvres en France de 1880 à nos jours du primaire au secondaire
- 1. L’extrait sans l’œuvre
- 2. L’extrait de l’œuvre
- 3. L’œuvre par extraits
- Chapitre 2 – Ce que l’école fait de l’extrait
- Maryse Lopez: Introduction
- Magali Brunel, Marie Barthélemy, Jean-Louis Dufays, Judith Émery-Bruneau: D’un siècle l’autre (1900–2000) : que nous révèlent les avatars de l’extrait ? Une comparaison France – Belgique – Québec
- 1. Les manuels du début du XXe siècle en France et en Belgique
- 2. Les manuels du début du XXIe siècle en France, en Belgique et au Québec
- 3. D’un siècle l’autre : ce qui a bougé en cent ans
- Christophe Ronveaux, Luísa Álvares Pereira, Marie-Manuelle Da Silva, Ana Soares Ferreira: Enseigner la langue première par l’extrait. Comparaison des pratiques d’enseignement contemporaines en Suisse et au Portugal64
- 1. Des « textes-supports » entre textes intégraux et extraits
- 2. Des contextes curriculaires proches et deux plans d’études contrastés
- 3. La place de l’extrait dans les pratiques d’enseignement contemporaines
- 4. Quelques remarques conclusives
- Pascal Lenoir, Nadja Maillard-De La Corte Gómez: Place et fonction de l’extrait littéraire en classe de langue : regards croisés sur le FLE et l’ELE
- 1. Le texte littéraire : FLE/ELE, regards croisés
- 2. Méthodologie de recherche
- 3. Analyse du corpus
- Chapitre 3 – Comment l’extrait fabrique la littérature scolaire
- Laetitia Perret: Introduction
- Anissa Belhadjin, Marie-France Bishop, Maryse Lopez: Lire Les Misérables de Victor Hugo dans l’enseignement primaire et l’enseignement professionnel en France depuis 1945
- 1. Cadre et méthode pour l’analyse
- 2. Analyse des procédés d’extraction
- 3. Accompagnements didactiques
- Laetitia Perret, Marie-Manuelle Da Silva: Les extraits de Voltaire au lycée en France et au Portugal, 1880–1970
- 1. Une méthodologie comparatiste difficile à élaborer
- 2. Finalités des exercices en France et au Portugal
- 3. La délégitimation des genres étudiés sous l’enseignement rhétorique
- 4. La progressive légitimation des genres associés au combat philosophique
- Sylviane Ahr, Beata Klebeko: Deux modèles de la poésie romantique dans les manuels français et polonais des années 1980 à nos jours : quels usages de l’extrait pour quels enjeux ?
- 1. Corpus et méthodologie
- 2. Les programmes : quelle(s) incidence(s) sur le bornage des extraits et la lecture qui en est proposée ?
- 3. S’agit-il bien d’extraits ?
- 4. De l’extrait à l’œuvre : quelles conceptions de l’objet littéraire ?
- Marie-France Bishop, Laetitia Perret: Conclusion
- 1. Une approche comparatiste de l’extrait
- 2. Une approche historico-didactique des finalités de l’enseignement de la littérature
- Bibliographie
- À propos des auteur.e.s
Introduction
Anissa Belhadjin, Marie-France Bishop,
Université de Cergy-Pontoise (France)
Laetitia Perret,
Université de Poitiers (France)
1. Pourquoi l’extrait ?
L’enseignement de la littérature constitue un objet d’interrogation et de recherche inépuisable pour les didacticiens tant la nécessité de déterminer ce qui s’enseigne, d’en comprendre le pourquoi et le comment demeure un problème d’actualité. Dans les programmes successifs, aux différents niveaux de la scolarité et dans les espaces nationaux, cette question trouve une pluralité de réponses et de mises en œuvre. Mais, parfois, le lien entre la littérature et son enseignement semble si consubstantiel que la question disparait dans la transparence de cette corrélation. Ainsi Barthes déclarait-il au colloque de Cerisy de 1969 : « L’enseignement de la littérature est pour moi presque une tautologie. La littérature c’est ce qui s’enseigne, un point c’est tout » (1971/2002 : 945). Cette affirmation, souvent reprise, a comme effet second de naturaliser le processus de scolarisation de la littérature. Au-delà de l’évidence d’une relation tautologique, il semble nécessaire de s’interroger sur la manière dont se constitue cette littérature scolaire. Comme l’ont montré de nombreux travaux (en bibliographie de cet ouvrage), l’école peut être considérée comme l’une des instances de fabrication du littéraire, l’un des lieux où s’instituent les corpus, où les œuvres se patrimonialisent. C’est pour tenter de comprendre comment la littérature s’est constituée comme objet scolaire, voire disciplinaire, qu’a été créé en 2010, à Genève, le réseau Helice (Histoire de l’Enseignement de la Littérature, Comparaison Européenne) composé d’une vingtaine de chercheurs de pays européens ou du Québec. Pour répondre à cette problématique, les travaux s’organisent à partir de plusieurs approches qui se croisent et se complètent. La première est une démarche d’investigation historico-didactique (Bishop, 2013) qui consiste à interroger la ←11 | 12→manière dont l’école transforme des objets littéraires pour en faire de « l’enseignable » (Chervel, 1988/1998 : 33). Cette double approche permet d’observer les conditions et les supports à travers lesquels la littérature s’est instituée comme discipline au fil du temps et d’analyser didactiquement ce qui est étudié pour déterminer les finalités de cet enseignement. Mais par-delà les analyses didactiques et historiques, il est apparu que la perspective comparatiste permettait de mettre à distance les constats nationaux et de dépasser le cadre des évidences locales pour interroger des mouvements plus larges. L’ensemble des questions comparatistes porte sur les objets enseignés et les méthodes d’enseignement qui peuvent présenter des différences ou être au contraire similaires. De même, il s’agit de savoir si les finalités dévolues à l’enseignement de la littérature sont identiques ou si elles dépendent des contextes nationaux ou régionaux. Enfin, on peut se demander s’il existe des périodisations communes liées aux objets observés ou si ces périodisations diffèrent selon ces cadres éducatifs. L’une des interrogations du groupe Helice est de déterminer si l’espace européen présente des caractéristiques communes dans l’enseignement de la littérature, d’en comprendre les différents moments et de rechercher des éléments constituants. L’intérêt de cette approche, didactique, historique et comparatiste est de dé-naturaliser la relation qui existe entre la littérature et l’école et d’interroger une discipline qui semble souvent aller de soi.
Cette triple approche nécessite d’élaborer une méthode d’analyse solide reposant sur une définition précise des éléments. En effet, plutôt que de mener des comparaisons sur l’histoire de l’enseignement de la littérature dans les différents lieux, le groupe a choisi l’approche comparatiste par étude de cas (Vigour, 2005). C’est-à-dire qu’à partir d’un même objet les chercheurs définissent des critères communs d’étude.
Le groupe Helice s’est tout d’abord penché sur la fable, en organisant notamment un colloque et en publiant deux ouvrages (Denizot, Dufays & Ulma, 2016 ; Louichon, Bishop & Ronveaux, 2016). Le choix des fables comme thématique commune a permis de s’interroger sur les liens que la littérature patrimoniale entretient avec les valeurs et les apprentissages scolaires, sur l’existence ou non de ces liens dans des pays divers, et d’observer les processus de patrimonialisation par l’école. Cette étude sur la fable a permis de constater qu’un même objet textuel peut être vu comme un apologue, une argumentation ou encore un texte narratif, en fonction de son exploitation en classe. Ce sont les finalités scolaires et/ou disciplinaires qui reconfigurent les objets de la discipline.
←12 | 13→Helice s’est ensuite intéressé à la lettre comme objet scolaire (Denizot & Ronveaux, 2018), à travers deux workshops et un ouvrage. Cette étude montre que la lettre, texte hybride par excellence, est introduite à l’école comme un objet littéraire ou comme un genre social, conçu comme fonctionnel ; elle peut être un texte à lire ou à produire, elle s’enseigne différemment en fonction des filières, des niveaux, des pays, des configurations disciplinaires.
À travers l’étude de ces « petites formes » (ibid. : 9) il a donc été possible de comparer la manière dont les objets littéraires sont scolarisés dans différents pays ou à différents niveaux scolaires. Pour aller plus loin et comprendre comment l’école fabrique une littérature scolaire, le groupe Helice s’est ensuite attaché à étudier l’extrait appréhendé comme un objet susceptible de rendre compte des processus de scolarisation de la littérature. C’est en effet à travers l’extrait que les œuvres et les auteurs deviennent des « enseignables » (Chervel, 1988/1998 : 33).
En effet, l’extrait, bien que constamment critiqué depuis la fin du XIXe siècle en ce qu’il dénaturerait la lecture et la littérature, possède un intérêt majeur d’un point de vue historico-didactique.
Tout d’abord, sa longue existence souligne son efficacité, quel que soit le contexte disciplinaire. L’utilisation, la permanence, les reconfigurations de cet objet spécifiquement scolaire nous disent quelque chose de l’évolution historique de l’enseignement de la littérature.
Ensuite, l’extrait est l’aboutissement d’un processus d’extraction selon des opérations que Kuentz (1972), fréquemment cité dans cet ouvrage, jalonne ainsi : sélection, traduction, extraction, canonisation. Sélectionner un extrait plutôt qu’un autre revient à valoriser un passage au détriment d’un autre et souligne les relations didactiques entre extrait et œuvre. On peut alors déterminer les critères de sélection mis en place selon les filières, les niveaux, les périodes, les pays.
Par ailleurs, loin d’être un texte isolé, l’extrait est en réalité toujours pris dans un ensemble (thématique, auctorial, générique, séculaire, etc.) et ne prend sens que dans un accompagnement (titres, consignes, chapeaux, illustrations, etc.) qui en révèlent les finalités scolaires.
Enfin, l’extrait est malléable. Contrairement à l’œuvre littéraire qui est prise dans le champ de l’économie des biens culturels, l’extrait est libre de droits, gratuit, aisément diffusable ; son existence est donc étroitement liée à son utilisation dans le cadre de l’école.
←13 | 14→Cette malléabilité lui confère une puissance qui lui donne une place de choix par rapport à l’œuvre intégrale, et, paradoxalement, si l’extrait n’est qu’une partie de l’œuvre, cette dernière est souvent connue par les extraits étudiés. Les extraits s’agrègent dès lors au vaste ensemble de la culture commune.
Ces différents points justifient l’intérêt de l’extrait, objet scolaire congruent pour analyser comment la littérature s’enseigne. Les chercheurs d’Helice ont étudié la façon dont l’œuvre littéraire est scolarisée sous la forme particulière de l’extrait, qui en retour fabrique la littérature de l’école. Car c’est bien d’une espèce de circulation qu’il s’agit ici, l’œuvre littéraire se scolarisant dans les manuels et les pratiques de classe sous la forme de l’extrait. Les trois parties qui organisent les contributions correspondent aux trois façons dont l’extrait scolarise la littérature. Le premier chapitre de cet ouvrage réunit trois contributions qui analysent son émergence au fil du temps et son usage, indissociable de sa relation avec l’œuvre dont il provient, et donc avec d’autres modes de lecture de cette œuvre. Les deux chapitres suivants confrontent les différents segments scolaires (primaire, secondaire, enseignement général et professionnel) et les différentes aires géographiques et culturelles (Pologne et Portugal, et pour l’espace francophone : France, Belgique, Suisse, Québec). Le deuxième chapitre regroupe trois études qui envisagent de manière comparatiste les usages de l’extrait dans la formation du lecteur et du scripteur, dans différents pays et segments scolaires, à différents moments, voire dans différents contextes disciplinaires. Enfin, en retour, l’extrait fabrique à son tour la littérature scolaire – qui n’est peut-être autre que la littérature (cf. la citation de Barthes au début de cette introduction) – comme le développe le troisième chapitre où trois contributions analysent comment les œuvres de plusieurs grands auteurs patrimoniaux sont lues à l’école.
2. Éléments de contextualisation
2.1 Les configurations disciplinaires
Définition, périodisation
L’étude de l’extrait est indissociable des configurations disciplinaires, qui, dans l’approche comparatiste qui est la nôtre, diffèrent selon les périodes, les pays et les segments scolaires.
←14 | 15→Des périodisations fines peuvent être faites au regard d’un pays, d’un enseignement spécifique, d’un niveau particulier, et selon qu’on observe les extraits dans les manuels ou dans les pratiques de classe. Il existe en effet des différences longtemps considérables (et qui pour certaines perdurent) entre enseignement primaire, secondaire, professionnel, enseignement FLE et FLM, mais aussi entre enseignement masculin et féminin, enseignement laïque et confessionnel.
Résumé des informations
- Pages
- 230
- Année de publication
- 2020
- ISBN (PDF)
- 9782807610149
- ISBN (ePUB)
- 9782807610156
- ISBN (MOBI)
- 9782807610163
- ISBN (Broché)
- 9782807610132
- DOI
- 10.3726/b15968
- Langue
- français
- Date de parution
- 2019 (Novembre)
- Published
- Berlin, Bern, Bruxelles, New York, Oxford, Warszawa, Wien, 2020. 230 p., 5 ill. n/b.