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Le Phenix Poëte et les Alouëtes

Traduire les Rerum vulgarium fragmenta de Pétrarque en langue française (XVIe-XXIe siècle) : histoires, traditions et imaginaires

de Riccardo Raimondo (Auteur)
©2022 Monographies 504 Pages
Open Access

Résumé

La poésie de Pétrarque et le pétrarquisme qui en est dérivé constituent une matière inestimable et un champ fertile pour comprendre les sources des identités et des cultures européennes. Il est donc crucial d’examiner les études pétrarquiennes au regard de nouvelles notions critiques telles que la transculturalité ou la transnationalité. L’exemple emblématique français constitue un champ d’enquête privilégié pour décrire ce que l’auteur définit comme le « mouvement migrant » du pétrarquisme européen. Grâce à l’application de nouvelles théories et méthodologies transdisciplinaires, cet ouvrage offre au public la possibilité de découvrir la richesse des traductions françaises des Rerum vulgarium fragmenta sur une période très vaste qui court du XVIe au XXIe siècle. Au-delà de l’ambition d’un travail d’érudition, ce livre est surtout le fruit d’une enquête intime sur des formes archétypales qui s’incarnent dans l’histoire des idées et des littératures. L’histoire de la traduction et des traductions n’est pas seulement une histoire des textes, mais aussi un récit des imaginaires qui les ont traversés.

Table des matières

  • Couverture
  • Titre
  • Copyright
  • À propos de l’auteur
  • À propos du livre
  • Pour référencer cet eBook
  • Sommaire
  • Avant-propos. Tour de guet
  • Notes préalables. Onomastique, abréviations et typographie
  • Canzoniere, « titre humiliant »
  • Abréviations pour les œuvres de Pétrarque
  • Terminologie et solutions typographiques pour l’analyse des traductions
  • Introduction. Pétrarque : un livre, un modèle, un mythe
  • Peregrinus ubique, poète « européen »
  • Traditions traductionnelles
  • Une démarche transtextuelle
  • PREMIÈRE PARTIE OBJETS ET MÉTHODES
  • Chapitre I La traductologie à l’épreuve de l’histoire
  • Histoire de la traduction et histoire des savoirs
  • Entre érudition et imagination
  • Chapitre II Repenser la diachronie à la lumière des traductions ?
  • Traductions et histoire littéraire : la périodisation
  • Chapitre III Le choix des traducteurs·trices
  • Questions épistémologiques
  • La matière sémantique
  • La lettre et l’esprit : sourcier et/ou cibliste ?
  • Traduction ou réécriture ?
  • Chapitre IV Corpus
  • Introduction aux corpus en langue italienne et française1
  • Présentation du corpus en langue française
  • Chapitre V Le choix des poèmes
  • La tradition anthologique
  • Statistiques et procédés de sélection : une herméneutique de la continuité
  • Enjeux épistémologiques des humanités numériques
  • Chapitre VI La théorie des zones traductionnelles
  • Les zones signifiantes
  • Des zones signifiantes aux zones traductionnelles
  • Chapitre VII Traductologie et herméneutique
  • La traduction comme modèle herméneutique
  • « Interpréter pendant qu’on traduit, traduire pendant qu’on interprète »
  • Chapitre VIII Traductologie, histoire et imaginaires
  • Les imaginaires de la traduction
  • Imaginaire et imagination des traducteurs·trices
  • Physionomie de l’ouvrage : une histoire des imaginaires
  • DEUXIÈME PARTIE LES ORIGINES Les premiers traducteurs françoys (XVIe–XVIIe siècles)
  • Chapitre I Les primeurs du pétrarquisme français
  • Pétrarque, philosophus moralis
  • Pétrarque, poète
  • Outils lexicographiques
  • Le Canzoniere, livre-modèle
  • Chapitre II Clément Marot, premier traducteur françoys
  • Des Triumphi aux Fragmenta
  • Le Chant des Visions
  • Les Six sonnetz
  • Chapitre III Jacques Peletier, traducteur et poète-médecin
  • « Langues non reduictes encores en art »
  • Les Douze sonnets
  • Un professionnalisme de la traduction
  • Chapitre IV La première traduction complète de Vasquin Philieul
  • Le projet de traduction
  • Le rôle culturel et poétique
  • Le traducteur et la cour
  • Schémas rimiques
  • Les « arguments »
  • Le geste traductif
  • Pétrarque est un désir
  • Chapitre V Jean-Antoine de Baïf, translateur caché
  • Traductions, imitations, innutritions
  • Un corpus de traductions cachées
  • Un traducteur imaginatif
  • De l’imitation à la traduction
  • Chapitre VI Étienne du Tronchet, jongleur de la traduction
  • Traducteur et épistolier
  • Un projet complexe et ludique
  • Les Septante sonnets
  • Chapitre VII Jérôme d’Avost, premier traducteur « comparatiste »
  • Voyageur et humaniste polyglotte
  • Les Essais
  • Une posture pédagogique
  • Mythonaute et comparatiste
  • Chapitre VIII Philippe de Maldeghem : traduire en « philologue »
  • Un Pétrarque flamand
  • Un projet transnational
  • Les sonnets et les chansons
  • L’amour, la voix, la résonance
  • La dernière traduction en vers avant l’oubli
  • Chapitre IX Placide Catanusi, premier traducteur en prose
  • « La muse italienne habillée à la Françoise »
  • Pétrarque « tourné en prose »
  • Les Sonetti di Petrarca
  • Chapitre X Les imaginaires fondateurs (XVIe–XVIIe siècles)
  • Imaginaires et traditions traductionnelles
  • Universels et imaginaires de la traduction
  • TROISIÈME PARTIE OUVERTURES Traditions et imaginaires de la Renaissance à nos jours
  • Chapitre I Translational Literature : vers une Littérature traductionnelle
  • Traduire les Fragmenta à travers les époques
  • Traduction versus Littérature ?
  • Chapitre II Traduire le sens
  • Transpositions sémantiques
  • Placide Catanusi et les chansonniers en prose
  • Gérard Genot et René de Ceccatty : traduire en plein sens
  • Imaginaires en regard : lecture et traduction
  • Chapitre III Traduire la forme
  • Contraste et familiarisation
  • Yves Bonnefoy entre traduction et réécriture
  • Jean-Yves Masson et la langue séparée de Pétrarque
  • Chapitre IV Traduire le génie
  • Le génie du texte
  • Louis Aragon : « Laura was somebody ELSE »
  • Chapitre V Traduire le corps
  • Débordements de sens
  • Jean-Yves Masson : traduction et corps mystique
  • Yves Bonnefoy : traduction et pulsion érotique
  • Pierre Blanc et la « jouissance du discours poétique »
  • Identités et manipulations des premières traductrices
  • La passion d’Emma Mahul, la transparence de Marie-Anne Glomeau
  • Vers une histoire du corps traduit
  • Chapitre VI Images et textes, imaginaires et paratextes
  • Paratextes et imaginaires
  • Parcours comparés d’artistes et traducteurs·trices
  • Yves Bonnefoy et Gérard Titus-Carmel : la recherche de la Beauté
  • Basculements, allers et retours
  • Chapitre VII Vers une mythocritique des traductions
  • Le tissu symbolique de la traduction
  • Le Pétrarque de Vasquin Philieul entre clarté et obscurité
  • Jérôme d’Avost : mythologiser et démythologiser
  • Daphné et la consolidation du mythe
  • La nature et le sacré : vers une géographie mythique des larmes
  • La « règle » de la chambre noire
  • Chapitre VIII Vagues d’imaginaires (XVIe–XXIe s.)
  • Diagrammes et tableaux récapitulatifs
  • Conclusion(s)
  • Enjeux de la recherche
  • Voyages à travers les traductions des Fragmenta
  • Dépasser l’imaginaire logico-grammatical
  • Vers le même port
  • ANNEXES
  • Annexe 1. Note de méthodologie statistique
  • Annexe 2. Table statistique
  • Bibliographie
  • 1. Corpus
  • 2. Autres traductions de Pétrarque citées
  • 3. Imitations et réécritures de Pétrarque citées
  • 4. Les plus importantes éditions des œuvres de Pétrarque
  • 5. Éditions des Rerum vulgarium fragmenta, des Triumphi et des Rime disperse mentionnées
  • 6. Autres traductions et imitations citées
  • 7. Autres éditions citées
  • 8. Études et ouvrages critiques
  • 9. Dictionnaires, grammaires et outils lexicographiques
  • 10. Études sur les dictionnaires, sur les grammaires et sur d’autres outils lexicographiques
  • 11. Catalogues et bibliographies
  • Remerciements
  • Index
  • Titres de la collection

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Avant-propos
Tour de guet

La conjecture – cette perle rare de l’intellect, qui aiguise l’esprit et stimule l’imagination – est peut-être l’opération intellectuelle la plus apte à introduire une étude sur François Pétrarque, sur les irradiations mythiques qui émanent de ses œuvres et sur les traductions françaises qui ont contribué à sa réception. L’une des conjectures les plus stimulantes à ce sujet est sûrement celle de Jean-Christophe Saladin, fin connaisseur de la Renaissance française et italienne. Dans la première partie de sa Bibliothèque humaniste idéale (2008), il imagine de faire commencer l’humanisme le 3 décembre 1315, avec le « couronnement » du notaire padouan Albertino Mussato (Saladin, 2008 ; Witt, 2010) qui reçoit la lauream poeticam (Terlizzi, 2010) grâce à sa tragédie en vers latins, intitulée Ecerinis, flèche littéraire dardée contre l’impérialisme de Cangrande della Scala, seigneur de Vérone. Mais si ce courageux notaire, poète et précurseur n’est que l’expression italienne d’un humanisme néo-latin, il existe une autre plume romane qui a su interpréter l’humanisme italien au sens large (Garin, 1993), c’est-à-dire au sens d’un humanisme « européen ».

La poésie de Pétrarque et le pétrarquisme qui en est dérivé constituent une matière inestimable et un champ fertile pour comprendre les sources de l’identité et de la culture européennes. Presque trente ans après le « couronnement » d’Albertino Mussato, une autre conjecture et un commencement imaginaire différent sont envisageables à la frontière de la France et de l’Italie. Symboliquement, on pourrait ainsi faire commencer l’humanisme européen le 1er septembre 1340. Selon un récit à la véridicité douteuse, ce jour-là, à quelques heures de distance, deux cavaliers se seraient fait annoncer dans la maison de Pétrarque, à Vaucluse (Fam. IV.7, 3 ; Marx, 2009, p. 162–168) au titre de messagers, chargés de deux lettres officielles portant une même invitation à recevoir la lauream poeticam dans la Ville éternelle et dans la plus puissante université de la chrétienté occidentale, l’université de Paris. Que ce soit une coïncidence, un prodige ou mieux un récit conçu et nourri par Pétrarque lui-même, on pourrait le considérer comme le début mythique de « l’ère pétrarquienne » : ce sont « les prémices du triomphe » de la littérature européenne, comme le décrit admirablement un autre maître de la conjecture, William Marx (2009, p. 168).

Le titre de ce livre souhaite mettre l’accent sur l’aura du mythe pétrarquien dans l’imaginaire de ses traducteurs·trices. Le titre est ainsi une allusion à la première version complète des Rerum vulgarium fragmenta en langue française : Toutes les euvres vulgaires de François Pétrarque (1555) dont l’auteur, Vasquin Philieul, se ←17 | 18→comparant à une « rurale alouete » entendait célébrer Pétrarque comme « Phenix Poëte ». L’histoire de la traduction et des traductions n’est pas seulement une histoire des textes, mais aussi un récit des imaginaires qui les ont traversés.

Dans une perspective heuristique, nous voulons rester fidèles à ces inspirations humanistes qui sont celles de l’interdisciplinarité et de la perméabilité des savoirs. Au-delà de l’ambition d’un travail d’érudition, ce livre est surtout le fruit d’une enquête intime sur des formes archétypales qui se réverbèrent et s’incarnent dans l’histoire des idées et des littératures. Tout en demeurant méfiants, tant vis-à-vis de la sécheresse didactique que du vaneggiar intellectuel, nous souhaitons nourrir l’idée d’une recherche au service de la formation et d’une formation au service de la recherche.

Riccardo Raimondo

Λεοντίνων Oὐτοπία

Saturnalia, 2015

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Notes préalables
Onomastique, abréviations et typographie

Canzoniere, « titre humiliant »

Une étude sur les traductions des Rerum vulgarium fragmenta ne pouvait débuter que par une brève réflexion sur le titre du recueil. L’usage du titre en italique (Canzoniere) est une invention relativement récente (Feo, 1998 ; Galli, 2005). Si l’on méditait sur la distinction entre titulus et nomen proposée par Michele Feo (1989), on s’apercevrait vite que le nom (canzoniere) est devenu impunément un titre (le Canzoniere), qui n’est guère représentatif de la volonté de l’auteur ni de la première réception de l’œuvre, et ne devient courant qu’à partir de l’Ottocento. C’est pour cette raison que Feo parle de « titre humiliant » (Feo, 1998) dont le défaut majeur est d’avoir effacé de la mémoire des lecteurs·trices commun·e·s le titre originel des Rerum vulgarium fragmenta. C’est pour cette raison que nous avons parfois gardé le mot en majuscule tout en refusant l’usage de l’italique (le Canzoniere). Ce choix souhaite exprimer à la fois l’idée d’une forme archétypale (le chansonnier) et le caractère mouvant de ce recueil (de son titre comme de son macrotexte) qui s’est métamorphosé tout au long de l’histoire, en dépit de la volonté de l’auteur.

Abréviations pour les œuvres de Pétrarque

On signale ci-dessous les abréviations pour les œuvres de Pétrarque, conformément aux normes des principales éditions italiennes :

Afr.

Africa

Ar. Med.

Arringa facta Mediolani 1354

Ar. Nov.

Arenga facta in civitate Novarie

Ar. Ven.

Arenga facta Venetis 1353

BC

Bucolicum carmen

CLV

Carmina latina varia

Coll. Ioh.

Collatio coram illustri domino Iohanne Francorum rege

Coll. Laur.

Collatio laureationis

Coll. Scip.

Collatio inter Scipionem Alexandrum Hanibalem et Pyrrum

Disp.

Poesie disperse

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Epistole disperse

Var.

Epistole varie

Misc.

Epistole miscellanee

Epyst.

Epystole

Fam.

Rerum familiarium libri

Gest. Ces.

De gestis Cesaris

Ign.

De sui ipsius et multorum ignorantia

Inv. magn.

Invectiva contra quendam magni status hominem sed nullius scientie aut virtutis

Inv. mal.

Contra eum qui maledixit Italie

Inv. med.

Invective contra medicum

It.

Itinerarium breve de Ianua usque ad Ierusalem et Terram Sanctam

Ot.

De otio religioso

Post.

Posteritati

Priv.

Privilegium laureationis

Ps. pen.

Psalmi penitentiales

Rem.

De remediis utriusque fortune

Rer. mem.

Rerum memorandarum libri

Rvf

Rerum vulgarium fragmenta

Secr.

Secretum meum

Sen.

Rerum senilium libri

SN

Liber sine nomine

Test.

Testamentum

Triumphi

Tr. Cup.

Triumphus Cupidinis

Tr. Pud.

Triumphus Pudicitie

Tr. Mor.

Triumphus Mortis

Tr. Fam.

Triumphus Fame

Tr. Temp.

Triumphus Temporis

Tr. Et.

Triumphus Eternitatis

Vir. ill.

De viris illustribus

Vit. sol.

De vita solitaria

Vit. Terr.

Vita Terrentii

Terminologie et solutions typographiques pour l’analyse des traductions

La terminologie utilisée dans les analyses des traductions suit les solutions proposées par Anthony Pym (Method in Translation History, 1998) : l’adjectif traductif (on le traduit de l’anglais « translative ») pour faire référence à la traduction considérée en tant que processus (ex. « geste traductif ») ; l’adjectif traductionnel (on le traduit de l’anglais « translational ») pour indiquer les aspects de la traduction en tant que texte ou en tant que corpus de textes (ex. « littérature traductionnelle »). ←20 | 21→L’adjectif traductologique fait uniquement référence au champ scientifique de la traductologie.

Qu’il s’agisse de traductions en poésie ou en prose, nous avons adopté les mêmes solutions typographiques pour souligner certains passages des textes traduits. On garde le texte sans mise en forme quand le passage ne fait pas l’objet de notre analyse ; on le signale en gras quand on veut attirer l’attention sur lui ; on le barre quand le passage a été négligé par les traducteurs·trices, ou bien quand on peut émettre l’hypothèse que la traduction est erronée. Un cas particulier est représenté par des passages qui, tout en s’inscrivant à l’intérieur d’une véritable traduction, s’éloignent radicalement du texte source par une réécriture qui rend impossible la comparaison avec le modèle : dans ce cas, les passages sont marqués en gris. Il peut arriver aussi que l’on utilise la couleur grise afin d’attirer l’attention des lecteurs·trices sur un seul mot ou sur un seul passage, en écartant tous les autres passages du poème et de sa traduction. Ainsi :

Texte-source

Texte-cible

Aucun passage à signaler dans ce quatrain.

Aucun passage à signaler dans ce quatrain.

Aucun passage à signaler dans ce quatrain.

Ce mot a été négligé ou peut-être mal traduit.

Aucun passage à signaler dans ce quatrain.

Aucun passage à signaler dans ce quatrain.

Aucun passage à signaler dans ce quatrain.

Ce mot a été négligé ou peut-être mal traduit.

Un passage à signaler dans ce quatrain.

Un passage à signaler dans ce quatrain.

Un passage à signaler dans ce quatrain.

Un passage à signaler dans ce quatrain.

Un passage à signaler dans ce quatrain.

Un passage à signaler dans ce quatrain.

Un passage à signaler dans ce quatrain.

Un passage à signaler dans ce quatrain.

Ce tercet a été réécrit par le traducteur.

Ce passage a été réécrit par la traductrice.

Ce tercet a été réécrit par le traducteur.

Ce tercet a été réécrit par la traductrice.

Ce passage a été réécrit par le traducteur.

Ce tercet a été réécrit par la traductrice.

Différents passages à signaler dans ce tercet

Différents passages à signaler dans ce tercet

Différents passages à signaler dans ce tercet

Différents passages à signaler dans ce tercet

Différents passages à signaler dans ce tercet

Différents passages à signaler dans ce tercet

[Paratextes :] Il peut s’agir de commentaires, de gloses ou d’autres types d’éléments accompagnant le texte comme des anecdotes ou des jeux de mots. Il peut se trouver en introduction ou en conclusion du poème.

Schéma des rimes (ex ABBA ABBA CDE CDE)

Solution métrique (ex. hendécasyllabe)

Schéma des rimes (ex. ABBA ABBA CCD EED)

Solution métrique (ex. alexandrins)

[Poème, l’édition utilisée, date de publication de l’édition]

[Nom du traducteur ou de la traductrice, Titre de l’édition utilisée (date de publication), Poème choisi]

On signale enfin les solutions typographiques utilisées pour faire référence à un poème du texte-source (ex. Rvf 1) et du texte-cible (ex. Sonnet 1) :

Sonnets : – [rien]

Imitations : Xi

Chansons : Xc

Traduction partielle du poème : X*

Sextines : Xs

Ballades : Xb

Madrigaux : Xm

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Introduction
Pétrarque : un livre, un modèle, un mythe

Peregrinus ubique, poète « européen »

Grâce au réseau tracé par sa riche correspondance, Pétrarque devient le premier « inventeur » d’une « République des Lettres » à l’intérieur de la « République chrétienne » d’Occident1 : sa vie incarne le premier modèle d’homme de lettres de la modernité. Il trace également les contours d’un autre type d’auteur moderne, qu’on pourrait définir comme « auteur transnational », un auteur toujours en transit. Il s’agit notamment d’un transit à la fois géographique et linguistique : le poète laureato aimait représenter sa vie comme un voyage et lui-même comme un voyageur, viator ou encore peregrinus ubique2, deux définitions rendant bien l’ambivalence de l’errance dont Pétrarque – comme l’a fait remarquer Theodore J. Cachey3 – repère l’archétype dans le mythe d’Ulysse. D’autre part, la notion de partage rend compte d’une poétique et d’une inspiration toujours situées à un « croisement »4 : croisement entre une culture ancienne et une époque moderne, entre une tradition païenne (notamment à travers la philosophie classique5) et les sources du christianisme occidental, ou encore entre un sentiment d’ἀγάπη chrétienne et une divinisation platonicienne de l’Éros. Dans le continent qu’on nomme aujourd’hui « européen », selon Pierre Blanc, s’instaure ainsi un échange nouveau « qui n’est plus celui de la guerre […] ni celui du commerce […], mais celui de la culture », échange qui sera au fondement de la complexité et de la splendeur de l’Europe, cette « forgerie translinguistique »6. À cet égard, il est intéressant ←23 | 24→d’examiner les études pétrarquiennes au regard de nouvelles notions critiques telles que la transculturalité7 ou la transnationalité8, auxquelles on aura recours de façon ponctuelle. De ce point de vue, l’exemple emblématique français constitue un champ d’enquête privilégié pour décrire ce que nous souhaitons définir le « mouvement migrant » du pétrarquisme européen.

Comme le suggère Jean Balsamo, le nom de Pétrarque représente en Europe à la fois « un livre, un modèle, un mythe »9. S’il représente un livre, c’est le Canzoniere, véritable prototype littéraire. Mais il incarne aussi un modèle humaniste dans son écriture morale et épistolaire, ainsi qu’un modèle poétique par son travail linguistique et rhétorique, devenu la signature et le verbe d’un style : pétrarquiser10. Enfin, il est un créateur de mythes et, certainement, représente lui-même un mythe. C’est ce fonds, étendu et complexe, que recouvre le vocable de pétrarquisme.

En dépit de cette richesse, les études sur la réception de Pétrarque et du pétrarquisme en France, bien que nombreuses, souffrent de la dispersion et de la désorganisation des sources, du manque d’une tradition critique cohérente et continue couvrant d’une façon égale différentes époques, et enfin, du nombre relativement restreint d’études portant sur les enjeux de la traduction en tant que ←24 | 25→telle. Certes, plusieurs entreprises remarquables ont été menées sur ce sujet11, à partir des travaux de Marius Pieri (1895) et de Joseph Vianey (1895). Parmi les études les plus importantes, outre le travail d’Ève Duperray (1997), de Jean-Luc Nardone (1998) et celui de Pierre Blanc (2001), on rappellera le volume dirigé par Luigi Collarile et Daniel Maira (2004), ainsi que le célèbre volume orchestré par Jean Balsamo (2004). On citera aussi les récentes recherches sur la réception et la traduction de Pétrarque : la monographie de Jennifer Rushworth (2017), qui met en lumière plusieurs aspects du pétrarquisme français au XIXe siècle ; la thèse d’Alessandro Turbil (2018), qui étudie le rôle des versions françaises des Triumphi (1470–1550) dans le développement du pétrarquisme français ; le volume dirigé par Carole Birkan-Berz, Guillaume Coatalen et Thomas Vuong (2020), qui traite le pétrarquisme européen sans se limiter à un empan chronologique précisément délimité.

Toutes ces études ne négligent pas « la durée, […] le code, et la dynamique »12 – selon la formule de Balsamo. Toutefois, bien qu’elles nous offrent une approche diachronique et culturelle sur des époques très variées, elles relèvent d’une conception du pétrarquisme au sens large qui n’établit pas de distinction entre réception et traduction. De plus, à l’exception des études de Rushworth (2017), de Balsamo (2004), de Birkan-Berz, Coatalen et Vuong (2020), et d’Alessandro Turbil (2018), ces travaux ne consacrent que très peu d’attention à la spécificité des traductions.

Le pétrarquisme, en tant que vaste pluralité d’approches, de lectures, d’inspirations, reste ainsi un domaine fragmenté qui demanderait une étude générale et unificatrice : cette pluralité d’approches, de lectures, d’inspirations mérite une tentative d’harmonisation. Selon notre hypothèse de travail, avant de se concentrer sur l’étude du pétrarquisme, il est nécessaire de mener une analyse méthodique et diachronique de ses traductions, c’est-à-dire de ces textes qui, avec les éditions italiennes, sont à la base de sa réception étrangère.

Traditions traductionnelles

Ce volume souhaite combler quelques lacunes dans la tradition des études pétrarquistes, tout au moins en ce qui concerne la traduction de Pétrarque en langue française. Notre recherche s’étend ici sur six siècles, c’est-à-dire à partir de la première traduction française imprimée que nous avons repérée, celle des Triumphi (Verard, 1514, attribuée à Georges de La Forge)13, jusqu’à aujourd’hui. Nous nous ←25 | 26→concentrerons ainsi sur les seules œuvres italiennes, celles qui sont au fondement de la création du courant pétrarquiste14 et qui ont largement influencé les traditions lyriques modernes et contemporaines. Il faut néanmoins préciser que l’absence d’une véritable édition critique des Triumphi15 et la fluctuation de son histoire philologique rendent très ardue une analyse ponctuelle de leurs traductions, à cause de la multiplication des éditions et des variantes. En effet, la seule édition critique dont on dispose à présent (dirigée par Carl Appel16 en 1901) ne suffit pas à donner une vision satisfaisante de l’univers des variantes présentes dans les manuscrits et les éditions, comme l’a montré Paola Cifarelli17. On se limitera donc ici aux traductions des seuls Fragmenta, sans pour autant négliger l’examen d’éventuelles concordances et liens avec les traductions des Triumphi.

On se propose ainsi de compléter et d’approfondir un certain nombre de recherches sur les traductions des Fragmenta en langue française. Plusieurs articles y sont consacrés, plus ou moins en lien avec le pétrarquisme. Si les études ponctuelles sur les traductions françaises des Triumphi et des Fragmenta sont nombreuses, elles relèvent d’approches diverses et ne concernent pas toutes les époques, laissant de nombreuses zones d’ombre dans l’histoire des traductions.

S’agissant de ces différentes études occasionnelles, on remarque que les premiers traducteurs des Triumphi (Moyen Âge et Renaissance) sont les plus étudiés, notamment par Giovanna Bellati (1996), Elina Suomela-Härmä (2000–2010), Gabriella Parussa (2005–2010), Paola Cifarelli (2001–2010) et Alessandro Turbil (2015–2018). Il en va de même pour les premières traductions des Fragmenta au XVIe siècle ayant fait l’objet d’étude par Michel Françon (1963–1950), Eneas Balmas (1975), Giovanna Bellati (1985–2004), Yvonne Bellenger (1998), Ian R. Morrison (1998), Jean Balsamo (2004), Romana Brovia (2004), Jean Vignes (2004), Georges Barthouil (2005). Quelques commentateurs se concentrent parfois sur la traduction des Fragmenta aux époques subséquentes, comme Frank Merger (2008) et Michela Landi (2008) pour le XXe siècle. L’analyse comparative des traductions est pourtant presque absente et les questions historiographiques n’ont pas été au centre de réflexions ultérieures.

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Pour ce qui est des seules traductions des Fragmenta, trois volumes déjà cités s’imposent dans ce vaste panorama, du fait de leur ampleur et de leur ambition méthodologique : le volume collectif dirigé par Jean Balsamo (2004), la monographie de Jennifer Rushworth (2017) et la collection d’articles divers publiés par Carole Birkan-Berz, Guillaume Coatalen et Thomas Vuong (2020) – qui, comme l’on a déjà évoqué, réservent une place importante, mais non exclusive, aux traductions françaises de Pétrarque. La perspective historique et comparatiste de notre démarche s’inscrit dans la filiation de ces ouvrages, avec pour point de départ unique les textes traduits.

Une réflexion sur la nature et la définition de l’opération même de traduction aurait été profitable pour ces dernières études citées. Le volume coordonné par Balsamo (2004) traite parfois ensemble des traductions et des imitations, ou bien n’établit pas de véritable distinction entre celles-ci et toutes autres sortes de réécritures pétrarquisantes. L’approche méthodologique de Balsamo semble concevoir la réception pétrarquiste au sens large et peut courir le risque de considérer la traduction et la réception dans une perspective tellement inclusive qu’elles deviennent indiscernables et se diluent dans un même solvant nommé « pétrarquisme ». C’est aussi le risque de l’étude menée par Rushworth, qui a pourtant le mérite d’évoquer la question d’une distinction entre traduction, imitation et réécriture. La solution à ce questionnement réside, pour Rushworth, dans la notion de transformation, pierre de touche de son livre qui s’attache au gigantesque corpus des « transformations » françaises de Pétrarque au XIXe siècle. Le volume dirigé par Birkan-Berz, Coatalen et Vuong (2020) esquisse quant à lui une approche très large pour retracer l’« aura »18 de la poésie pétrarquienne à travers une confluence de divers modes littéraires incluant la traduction, l’adaptation, l’imitation et l’intertextualité. Ces modes n’ont pourtant pas été théoriquement modélisés et les aspects théoriques varient selon les choix critiques des contributeurs·trices. Nous considérons, pour notre part, que les approches transgénérique et historique, bien que nécessaires, doivent s’accompagner d’une enquête qui distingue les différentes modalités de transmission.

Ainsi, dans le contexte de cette étude, il s’agit de réaliser une analyse comparative des principales traductions françaises des Fragmenta dans l’objectif de tracer les contours d’une « tradition traductionnelle »19 de la Renaissance à nos jours. On entend ici par « tradition traductionnelle » cet ensemble d’usages, de référents culturels, de savoirs abstraits ou concrets, qui rend homogène un canon de textes traduits dans une perspective tant synchronique que diachronique20. ←27 | 28→Les composantes des traditions traductionnelles non seulement sont donc bien identifiables dans un corpus restreint, mais peuvent aussi être observées tout au long de l’histoire. Dans la mesure du possible ont été abordées les questions de la matérialité des textes et des paratextes, de l’identification et de l’interprétation des textes-sources, de l’enracinement des textes-sources et des textes-cibles dans la culture d’arrivée, ainsi que des diverses conceptions de la traduction ayant influencé les pratiques traductives. On a notamment identifié les moments cruciaux de l’histoire des traductions des Fragmenta, en se concentrant sur des figures et des processus majeurs qui ont pu jouer le rôle de « modèles de transmission »21. Ces modèles illustrent les mécanismes par lesquels les traducteurs·trices s’approprient des éléments du passé, et l’altérité des sources auxquelles ils ou elles se consacrent ; ils peuvent aussi révéler des pratiques prédominantes dans les processus traductifs, par exemple l’appropriation ou l’intériorisation22.

D’autres auteurs ont réalisé des projets semblables en langue française. Les travaux de Jean Vignes (2003, 2006) sur les traductions de l’Arioste et du Tasse en France ou l’article de Philippe Brunet sur quelques traductions françaises d’Homère (2010) figurent parmi les premières tentatives en vue d’adopter une démarche comparative et synchronique. L’étude pionnière d’Alexandre Cioranescu (1939) sur l’Arioste est peut-être le premier exemple d’approche historiographique couvrant plusieurs siècles. Dans le même sillon, la thèse de Claire Placial (2011) sur les traductions françaises du Cantique des Cantiques et celle de Marianne Reboul (2018) sur les traductions françaises de l’Odyssée d’Homère, témoignent d’une ambition visant à étendre le champ d’enquête du point de vue chronologique. On mentionnera aussi la remarquable monographie de Francesco Montorsi (2015) sur l’influence ←28 | 29→des traductions de l’italien dans le développement du récit de chevalerie français (1490–1550). L’histoire des traductions vit son printemps.

À cette extension des bornes temporelles et à cette ambition comparatiste ne correspond pourtant pas toujours une évolution des outils herméneutiques, linguistiques et méthodologiques, à l’exception des recherches de Reboul (2018) qui fonde sa démarche sur une étude comparative numérique. Cioranescu (1939), Vignes (2003, 2006) ou encore Brunet (2010) ne se posent pas de questions traductologiques. Placial (2011) et Reboul (2018), bien que plus averties à l’égard de la traductologie théorique, n’élaborent cependant pas des outils méthodologiques novateurs aptes à résoudre les problèmes spécifiques de la discipline, en se fiant principalement à leur expérience de chercheuses, à leur sensibilité et à leur mouvance critique ou bien, comme Reboul (2018), à une comparaison semi-automatique à l’aide d’un logiciel. On remarquera, dans ces deux derniers cas, qu’une réflexion sur les questions épistémologiques liée à l’histoire des traductions aurait sûrement renforcé et consolidé les hypothèses de travail préalables.

Dans ce contexte de recherche, nous avons tenté de proposer des outils méthodologiques, tout en fondant notre approche sur des bases épistémologiques. En effet, la nature de l’outil de travail influence profondément la perception de l’objet étudié : suivant ce simple principe d’Heisenberg, les outils méthodologiques ici décrits ont été conçus et adaptés selon notre hypothèse de travail. Nombre de chercheurs·ses semblent en fait avoir la volonté de conduire des études dites « pratiques » en négligeant les questions « théoriques », les études « pratiques » étant considérées comme plus « scientifiques ». Nous savons en revanche qu’il est impossible de conduire une quelconque enquête sans appliquer, plus ou moins consciemment, une approche théorique. Le refoulement de la théorie et de l’épistémologie ouvre les portes à une démarche naïve qui se veut « libre », mais qui, de fait, ne peut qu’appliquer des théories préalables, des « usages » communs, des méthodes reçues. Cette posture conservatrice ferme ainsi la porte au débat et au dialogue tout en nuisant au développement de la traductologie.

Résumé des informations

Pages
504
Année
2022
ISBN (PDF)
9782807613409
ISBN (ePUB)
9782807613416
ISBN (MOBI)
9782807613423
ISBN (Broché)
9782807613393
DOI
10.3726/b17671
Open Access
CC-BY-NC-ND
Langue
français
Date de parution
2022 (Février)
Published
Bruxelles, Berlin, Bern, New York, Oxford, Warszawa, Wien, 2022. 504 p., 21 ill. en couleurs, 15 ill. n/b, 3 tabl.

Notes biographiques

Riccardo Raimondo (Auteur)

Riccardo Raimondo est docteur de recherche en littérature française et littérature italienne à l’Université Sorbonne Paris Cité et lauréat de la bourse Marie Skłodowska-Curie Global Fellowship en collaboration avec l’Université d’Oslo et l’Université de Montréal. Il a été Assistant Postdoc à l’Université de Zurich ainsi que chercheur invité à l’Université d’Ottawa et à l’Université d’Oxford. Ses recherches portent notamment sur la réception et la traduction de la littérature italienne en Europe, sur l’histoire des idées ainsi que sur les rapports entre littérature et spiritualité. Dans le domaine des études traductologiques, transnationales et traductionnelles, il a conçu, modélisé et développé des théories novatrices comme la « théorie des imaginaires de la traduction ».

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Titre: Le Phenix Poëte et les Alouëtes
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