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Écrivaines camerounaises de langue française

Voix / voies de transmission

de María Carmen Molina Romero (Éditeur de volume)
©2023 Collections 188 Pages

Résumé

A travers les œuvres d’auteures francophones camerounaises – Lydie Dooh Bunya, Delphine Zanga-Tsogo, Calixthe Beyala, Léonora Miano, Hemley Boum et Djaïli Amadou Amal – ce volume explore une littérature riche et diverse qui ouvre des voies et appelle des voix nouvelles. Ces silhouettes féminines affirment un espace littéraire, linguistique et intime propre, dans une langue enrichie de métissages et de libertés.
Au travers de multiples approches critiques – stratégies d’écriture, liens méta- et intertextuels, affirmations identitaires, rapport aux origines, à la maternité ou à la sexualité, ce livre montre que ces récits d’hier, d’aujourd’hui ou d’un lendemain fantasmé transgressent les frontières de l’indicible et sont poussés par des recherches identitaires personnelles aussi bien que collectives. Ainsi lectrices et lecteurs se trouvent-ils plongés dans des récits engagés entre traditions, transitions et transmissions.

Table des matières

  • Couverture
  • Titre
  • Copyright
  • À propos de l’auteur
  • À propos du livre
  • Pour référencer cet eBook
  • Table des Matières
  • Présentation
  • La brise du jour et autres récits de Lydie Dooh Bunya, « entre tradition et modernisme »
  • L’oiseau en cage de Delphine Zanga-Tsogo : histoire d’une délivrance
  • Calixthe Beyala, romancière hétérodoxe
  • Du politique au poétique : Afropea et Écrits pour la parole de Léonora Miano
  • Voix éclatées, voix éclatantes dans Crépuscule du tourment de Léonora Miano
  • Décolonialisme et héritage glissantien dans Rouge impératrice de Léonora Miano
  • Regards féminins de l’espace-temps chez Hemley Boum : Le clan des femmes et Les jours viennent et passent
  • Le clan des femmes d’Hemley Boum : l’apprentissage de la vie au sein d’une concession polygame
  • L’expérience de la polygamie dans Walaande, l’art de partager un mari de la camerounaise Djaïli Amadou Amal
  • Écrire l’indicible dans Les impatientes de Djaïli Amadou Amal

Présentation

María Carmen Molina Romero1

Le présent ouvrage regroupe les contributions de chercheurs et chercheuses des universités andalouses de Granada, Almería et Huelva, partageant un intérêt commun pour l’émergente écriture féminine en langue française au Cameroun. L’accès des femmes à l’écriture littéraire devient, au tournant du millénaire et à échelle du continent africain, un fait majeur de la mutation littéraire. En quête d’écriture et de liberté, elles deviennent les porte-paroles d’une Afrique qui a beaucoup à apporter à la condition humaine. La force de ce mouvement, comparable à une nouvelle vague de « décolonisation » cette fois-ci axée sur le clivage des sexes, déferle sur une Afrique essayant de conjuguer tradition et modernité, mondialisation et culture autochtone, progrès et écologie, conflits féminins aussi bien identitaires que sociétaux. Des écritures qui vont du postcolonial au postracial mais surtout au postpatriarcal avec une large thématique : enfance, famille, scolarisation, mariage, maternité, polygamie, rapports entre sexes, hybridité.

Depuis la parution en 1958 du roman de Marie-Claire Matip, Ngonda, ou de celui de Thérèse Kuok Moukoury –Les rencontres essentielles, écrit en 1956 mais publié en 1969–, le Cameroun offre une longue liste d’écrivaines dont le nombre ne cesse de croître2. Six d’entre elles ont retenu notre attention: Lydie Dooh Bunya (Douala, 1933), Delphine Zanga-Tsogo (Lomié, 1935 – Yaoundé, 2020), Calixthe Beyala (Douala, 1961) et les romancières nées dans les années 70, Léonora Miano (Douala, 1973), Hemley Boum (Douala, 1973) et Djaïli Amadou Amal (Maroua, 1975). Plus de 40 ans se sont écoulés entre la naissance de la journaliste et féministe Lydie Dooh Bunya et celle de la lauréate du prix Goncourt des lycéens 2020, Djaïli Amadou Amal, ainsi qu’entre les parutions des œuvres choisies: La brise du jour et autres récits de L. Dooh Bunya (1977), L’oiseau en cage de D. Zanga-Tsogo (1983) ; de 1987 à 2010 s’étale l’œuvre charnière de Calixthe Beyala reliant les romans des aînées à ceux publiés par D. Amadou Amal (Walaande, l’art de partager un mari et Les impatientes) et H. Boum (Le clan des femmes) en 2010 et aux titres de L. Miano entre 2016 et 2021 (Crépuscule du tourment 1 et 2, Rouge impératrice et Afropea. Utopie post-occidentale et post-raciste).

Afin de mieux cerner les caractéristiques de la littérature camerounaise, une brève contextualisation s’impose. Poreuse et perméable aux influences les plus diverses, elle n’atteint son éclosion qu’au XXe siècle. En douala, en boulou, en allemand, en anglais ou en français3, ses textes témoignent d’une diversité linguistique forgée à coup de colonisation4. Les spécialistes s’accordent à distinguer trois générations littéraires ; les deux premières pivotent autour de la date incontournable de l’Indépendance et de deux axes thématiques : la prise de position contre la colonisation puis l’opposition à un régime corrompu qui, par la suite, se montre incapable d’enrayer la crise socio-économique du pays après 1960. Il s’agit d’une production littéraire politiquement engagée et déclinée au masculin5. La troisième génération6, à partir des années 90, suppose le renouvellement et l’enrichissement quant aux techniques et thématiques littéraires mais aussi quant à la « gent littéraire », puisque c’est l’émergence de l’écriture-femme.

Il semble toutefois problématique d’adopter le concept proposé de « génération » – emprunté aux littératures européennes, monolithiques, monolingues et de longues traditions littéraires – pour l’appliquer tel quel à la littérature camerounaise. D’abord parce que les aspects retenus ci-dessus pour les différencier sont principalement d’ordre thématique. La jeunesse, elle-même, de la littérature de ce pays subsaharien est un handicap vu que les mêmes auteurs se trouvent, successivement, classés dans l’une et l’autre de deux des générations signalées – par exemple Mongo Beti ou René Philombe – ; ayant, pour la plupart d’entre eux, vécu le tournant de l’indépendance. Ensuite parce que les femmes sont les grandes absentes des deux premières générations7, intégrant d’emblée la troisième génération à partir de la démocratisation et de leur accès au marché éditorial.

L’écriture des Camerounaises ne prend vraiment son essor qu’à partir des années 70 et s’éloigne des ornières de leurs homologues masculins. Ces dernières venues disent la condition de la femme en vue de leur émancipation, prouvant que leurs revendications de leurs droits ne sont ni nouvelles ni occidentales. Leurs vécus personnels8 donnent naissance à une parole littéraire qui s’étoffe de plus en plus et prend un caractère transgressif, capable de semer le trouble et de dire les malaises postcolonial et post-patriarcal. Conquérir la parole littéraire passe par une surexposition de leur corps-écriture dans la sphère publique où elles donnent à lire les mutations sociales, identitaires et de genres.

Une deuxième caractéristique fondamentale de la littérature camerounaise mentionnée plus haut c’est son plurilinguisme. Écrite majoritairement dans les deux langues occidentales officielles – français, anglais –, elle porte aussi l’empreinte des langues locales et jongle volontiers avec les codes linguistiques dont elle fait de vrais marqueurs d’appartenance ethnique : langues véhiculaires – fulfude, camfranglais, pidgin english – ou vernaculaires – douala, boulou, koló, bassa, tikar… Le contact de langues et de parlers régit aujourd’hui largement les rapports de communication à tous les niveaux, économiques, culturels et sociaux. Dans le littéraire, le français est devenu la langue d’expression9 par excellence et les publications se font majoritairement dans des maisons d’édition françaises ou franco-camerounaises. Le français qui « pousse à l’intérieur des baobabs », selon les mots de Léonora Miano, est à réinterpréter comme « un trésor de guerre » permettant aux écrivains de s’inscrire dans une perspective d’hygiène de la francophonie (Chaulet Achour 2017).

Enfin, le dernier trait à souligner de la littérature camerounaise est sa perfusion permanente avec d’autres espaces culturels et géographiques. De plus en plus extraterritoriale (Steiner 2002), elle se nourrit largement de la diaspora de nombreux écrivains habitant en France ou à l’étranger. Ainsi dans notre corpus d’écrivaines, seules Djaïli Amadou Amal et Delphine Zanga Tsogo, – celle-ci est rentrée au pays après avoir fait des études à Toulouse –, habitent actuellement ou ont habité au Cameroun ; Calixthe Beyala, Léonora Miano, Hemley Boum et Lydie Dooh Bunya résident depuis longtemps en France et y publient10. Ce phénomène ne touche pas que le Cameroun et doit être contextualisé dans un mouvement plus large : celui de toute une génération de romanciers africains de langue française, vivant et écrivant en France depuis les années 80–90, ce qu’Odile Cazenave appelle « Afrique sur Seine » (2003).

Que faut-il dès lors entendre par littérature camerounaise ? La littérature « autochtone » écrite uniquement au Cameroun ou celle, « par procuration », qui provient des ressortissants camerounais à l’étranger ? Répondre à ces questions devient un vrai défi pour les étiquettes ancrées dans les sages relations entre langue, littérature et nation et met en évidence la spécificité des littératures africaines nourries de multiples rencontres et brassages.

Toutes ces raisons nous amènent à prendre conscience de l’extraordinaire nature de cette littérature et de sa capacité à faire rhizome, au sens deleuzo-guattarien (1976) du terme. Face à la littérature géographiquement « autochtone », elle devient volontiers littérature de la dispersion. La voilà capable de rompre les attaches avec l’axe vertical, à tout ce qui est racine en tant que renvoi au territorial comme au génétique, pour suivre la ligne de fuite et faire amalgame avec quelque chose d’autre dans son heureuse dérive.

Bref, la littérature camerounaise se montre riche et diverse grâce notamment à la fécondité et au renouveau apportés par les écrivaines. Une vraie littérature de la révolte qui peut se lire dans tous les sens et se révèle multiple. Et ces lignes d’encre féminine ne cessent de se renvoyer les unes aux autres, d’éclater comme autant des voies/voix vers la liberté, pour ré-inventer « de nouvelles modalités relationnelles » (Miano 2021 : 26) et nous inviter à emprunter les chemins de traverse.

En ouverture de notre parcours camerounais, nous trouvons les écrivaines Lydie Dooh Bunya et Delphine Zanga-Tsogo. Toutes les deux ont eu une carrière littéraire assez tardive et courte. Ce n’est qu’à l’âge de 44 et 48 ans respectivement qu’elles publient, à Yaoundé chez Clé, trois romans en tout. María Luisa Bernabé Gil nous propose de découvrir le roman « autobiographique » de Lydie Dooh Bunya, La brise du jour ainsi que les textes inédits Manoir de bambou, Une belle traversée et Les adieux de l’héritière. Le fil conducteur du récit est l’amour entre la femme protagoniste et son cousin qui peut se lire comme un chant d’amour tel qu’il se présente dans le Cantique des cantiques. La brise du jour, parsemé de références autobiographiques à l’enfance et à l’adolescence, construit une critique très subtile, parfois chargée d’ironie, de la condition de la femme et de certaines plaies de la société camerounaise.

Dans son étude, Dominique Bonnet s’intéresse au deuxième et dernier roman de Zanga-Tsogo, L’oiseau en cage, publié alors qu’elle était ministre des Affaires sociales du Cameroun. À travers la destinée d’une jeune fille camerounaise, Ekobo, l’écrivaine retrace en fait le cheminement de tout un pays vers son émancipation. Ekobo devient le personnage clef de la délivrance qui nous guide jusqu’à l’accomplissement de cette quête, devenant elle-même le symbole de l’affranchissement par la scolarisation. Ce roman, publié dans une édition de jeunesse, aspire à transmettre aux générations futures un ensemble de valeurs fondamentales, culturelles, éthiques et identitaires et prône l’instruction des filles.

Calixthe Beyala, figure majeure de l’actuel panorama littéraire camerounais, relie les deux aînées aux trois écrivaines suivantes nées dans les années 70. Sa longue et solide carrière littéraire réunissant une vingtaine de publications entre 1987 et 2014, des prix et des distinctions, est l’objet de la contribution d’Eduardo Aceituno Martínez. Il propose de dépasser certaines approches critiques de l’œuvre littéraire beyalienne trop axées sur les revendications idéologiques, au profit d’autres éléments de son œuvre qui semblent contredire le statut de romancière engagée : le refus du manichéisme et du dogmatisme étroit, la remise en cause ironique des idées reçues, la provocation sous-jacente au récit, la satire des doctrines simplistes ou l’absence de victimes stéréotypées dans des situations mélodramatiques.

Résumé des informations

Pages
188
Année
2023
ISBN (PDF)
9782875748126
ISBN (ePUB)
9782875748133
ISBN (Broché)
9782875748119
DOI
10.3726/b21128
Langue
français
Date de parution
2023 (Octobre)
Mots clés
Littérature féminine africaine Littérature postcoloniale Écrivaines camerounaises Romans francophones Quête identitaire Femme noire Multiculturalité et plurilinguisme
Published
Bruxelles, Berlin, Bern, New York, Oxford, Warszawa, Wien, 2023. 188 p.

Notes biographiques

María Carmen Molina Romero (Éditeur de volume)

María Carmen Molina Romero est maître de Conférences au sein du Département de Philologie Française de l’Université de Grenade. Ses axes de recherches portent sur l’analyse du discours et la littérature contemporaine, notamment sur les rapports littéraires franco-espagnols et l’écriture féminine francophone. Elle a participé à l’édition de La Langue qu’elles habitent. Écritures de femme, frontière, territoires (2020).

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