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Principes d’économie de l’innovation

de Sophie Boutillier (Éditeur de volume) Joëlle Forest (Éditeur de volume) Delphine Gallaud (Éditeur de volume) Blandine Laperche (Éditeur de volume) Réseau de Recherche sur l'innovation (Éditeur de volume) Corinne Tanguy (Éditeur de volume) Leïla Temri (Éditeur de volume)
©2014 Comptes-rendus de conférences 520 Pages
Série: Business and Innovation, Volume 8

Résumé

L’innovation ou l’introduction de toutes sortes de nouveautés dans l’économie, devient un réel sujet d’étude dans la seconde partie du 20e siècle et, à partir des années 1970, s’immisce dans les cursus universitaires d’économie, de management, de sociologie, d’ingénierie, etc. L’innovation constitue l’intersection de trois thématiques clés : la croissance, le changement technique, l’évolution du comportement et des performances des entreprises et des organismes publics.
Ce livre présente les derniers travaux en économie et en management de l’innovation et combine l’analyse théorique avec la description de différentes réalités saillantes extraites du monde des affaires, de la science, de la technologie et des institutions. Il présente une vision élargie de l’innovation fondée sur l’étude des acteurs de l’innovation (entrepreneurs, entreprises, État, institutions financières, laboratoires de recherche, etc.), sur l’analyse des mésosystèmes d’innovation (réseaux, secteurs, territoires) et sur les fondements des politiques publiques de l’innovation.
Les auteurs traitent de manière didactique, sous un regard historique et prospectiviste, les problématiques liées aux enjeux (risques et opportunités) de la mutation des modes actuels de production, de consommation et d’organisation de l’activité économique et sociale.

Table des matières

  • Couverture
  • Titre
  • Copyright
  • Sur l’auteur
  • À propos du livre
  • Pour référencer cet eBook
  • Table des matières
  • Avant-propos (Dimitri Uzunidis)
  • Introduction générale (Sophie Boutillier, Joëlle Forest, Delphine Gallaud, Blandine Laperche, Corinne Tanguy, Leïla Temri)
  • Partie 1: Science, technologie et innovation
  • Chapitre 1. Une histoire intellectuelle de l’innovation. De l’interdit politique à la politique publique (Benoît Godin)
  • Chapitre 2. Petite histoire des modèles d’innovation (Joëlle Forest)
  • Chapitre 3. La valorisation économique de la recherche scientifique (Olivier Brette)
  • Chapitre 4. Politiques nationales d’innovation : défis et limites (Bernadette Madeuf, Gilliane Lefebvre)
  • Chapitre 5. L’innovation par delà la science : quand l’émergence est multiple (Vincent Boly, Laure Morel, Mauricio Camargo)
  • Partie 2: Entrepreneur et innovation
  • Chapitre 6. Théories économiques de l’entrepreneur innovant (Sophie Boutillier)
  • Chapitre 7. Entrepreneur innovant et cycles économiques (Francis Munier)
  • Chapitre 8. L’entrepreneur, source d’innovations technologiques (Michel Marchesnay)
  • Chapitre 9. L’entrepreneur social : vivier d’innovations ? (Nadine Richez-Battesti)
  • Chapitre 10. Politiques publiques en faveur de l’entrepreneuriat innovant (Nadine Levratto)
  • Partie 3: Firme et innovation
  • Chapitre 11. Théories de la firme et innovation dans l’économie contemporaine (Blandine Laperche)
  • Chapitre 12. Firmes, capacités et modèles d’innovation (Pierre Barbaroux)
  • Chapitre 13. Innovation ouverte et propriété intellectuelle (Fabienne Picard)
  • Chapitre 14. Mondialisation des stratégies d’innovation et globalisation de la R&D (Dimitri Uzunidis)
  • Chapitre 15. Financiarisation, gouvernance et impacts sur le management de l’innovation (Yvon Pesqueux)
  • Partie 4: Systeme Sectoriel d’innovation
  • Chapitre 16. Les approches sectorielles de l’innovation (Jean-Marc Touzard)
  • Chapitre 17. Les évolutions des systèmes sectoriels d’innovation (Estelle Garnier, Martino Nieddu)
  • Chapitre 18. Stratégies d’entreprises et systèmes sectoriels d’innovation (Leïla Temri)
  • Chapitre 19. Des « industries motrices » au système sectoriel d’innovation. Le « secteur » au cœur de la dynamique de croissance (Catherine Figuiére, Michel Rocca, Charles Benezra)
  • Chapitre 20. Les systèmes sectoriels de l’innovation-produit. Une approche comparative des cinq grands secteurs de l’industrie française (Danielle Galliano, Simon Nadel)
  • Partie 5: Territoire et innovation
  • Chapitre 21. Les systèmes territoriaux d’innovation : fondements et prolongements actuels (André Torre, Corinne Tanguy)
  • Chapitre 22. Développement territorial, innovation et performance des territoires (Denis Carré)
  • Chapitre 23. Les échelles territoriales pertinentes d’intervention des politiques d’innovation (Marc-Hubert Depret, Abdelillah Hamdouch, Christian Poncet)
  • Chapitre 24. Problématiques de l’innovation socio-territoriale (Delphine Vallade)
  • Chapitre 25. Le développement durable : une approche innovante pour les territoires (Jean-Marie Cardebat, Laurence Harribey)
  • Partie 6: Systeme national d’innovation
  • Chapitre 26. Les systèmes nationaux d’innovation : approches théoriques (Delphine Gallaud)
  • Chapitre 27. Les grands principes des politiques de R&D et d’innovation (Émilie-Pauline Gallié)
  • Chapitre 28. Le rôle de la recherche et de la formation dans le SNI français (Pascal Corbel)
  • Chapitre 29. Le soutien apporté aux petites entreprises innovantes. Le poids du contexte institutionnel (Christian Poncet)
  • Chapitre 30. Système national d’innovation, capacités d’apprentissage et développement (Vanessa Casadella, Sofiane Tahi)
  • Bibliographie
  • Notices biographiques
  • Index
  • Titres de la collection

← 10 | 11 → Avant-propos

Dimitri UZUNIDIS

Innovation : introduire des nouveautés, des changements, plus spécialement dans l’industrie et, plus généralement, dans les affaires. Aussi, faire du neuf à partir de l’existant accumulé, c’est-à-dire à partir de celui qui sert ou qui n’a pas encore servi... Déranger pour ranger autrement. Mais, réaliser des nouvelles combinaisons productives pour créer ou alimenter le marché est un processus résiliaire, collectif. L’entrepreneur, l’entreprise, les institutions publiques... le sens de l’innovation est perceptible par les nouveaux projets économiquement rentables et par les moyens que les acteurs économiques et politiques consacrent et déploient pour parvenir à organiser l’acte élémentaire de production.

Cet ouvrage encyclopédique est dédié à l’étude de l’innovation. Les rappels théoriques et la discussion des concepts sont associés à un large éventail d’exemples issus de la vie courante de l’entreprise, des consommateurs et des instances de régulation de l’activité économique. Ecrit de façon didactique, le lecteur pourra aisément situer les débats actuels sur le besoin d’innovation technologique et sociale et sur l’impératif de la création d’un climat propice au lancement de processus d’innovation de grande échelle parce que les enjeux socio-économiques actuels sont aussi importants que globaux.

Le processus d’innovation entretient, en effet, une relation causale avec un problème – technologique, économique, social – posé à l’économie de marché et identifié consciemment ou inconsciemment par ses acteurs. L’innovation est ainsi liée à la recherche de la solution optimale à ce problème. Ceci suppose l’usage de connaissances et d’informations provenant de la pratique, de l’expérience et de l’activité scientifique. L’innovation est elle-même un processus cumulatif et historique défini par six caractéristiques majeures soulignées dans ce livre : a) les impacts de l’innovation sont difficilement prévisibles ; b) l’échelle de diffusion de l’innovation est difficilement calculable ; c) les activités innovantes sont asymétriques et décalées dans le temps ; d) le temps d’apprentissage, d’exécution et de diffusion joue un rôle capital dans l’acte d’innover ; e) le climat des affaires conditionne le temps, l’échelle, la ← 11 | 12 → nature et les impacts de l’innovation ; f) les innovations sont interdépendantes.

Commençons par l’innovation technologique souvent associée au progrès technique. Faisons l’hypothèse de la tautologie entre ces deux termes. Le progrès technique est alors le résultat des avancées scientifiques. Mais, si la recherche de l’essence des choses est communément admise comme étant le but de l’activité scientifique, le contexte historique détermine en grande partie l’ordre des priorités des choses et des phénomènes à étudier, à comprendre et à connaître, les techniques (méthodes et outils) à utiliser pour pénétrer l’essentiel, ainsi que l’usage économique et social qui sera fait de l’essence extraite. Mais, à partir du moment où l’industrie a déjà atteint un niveau très élevé de concentration (développement de la grande entreprise), l’invention est devenue une branche des affaires, et l’application de la science à la production immédiate détermine les inventions, en même temps qu’elle les sollicite.

Avec l’essor de la recherche industrielle sur une grande échelle, science, technique et innovation se sont trouvées intégrées en un seul système. Le modèle de la libre entreprise a fourni le cadre de l’application systématique de la science à la production qui à son tour a donné l’impulsion au développement des connaissances scientifiques portant sur les « lois » de la nature et de la société. Les relations de marché réorientent, selon une fin productive, les connaissances scientifiques et techniques accumulées faisant de la science une force de production au service de l’entreprise. La science devient ainsi le fondement de l’industrie. Une relation organique se tisse alors entre la science, la technique et l’économie pour que l’innovation technologique naisse de la transformation du savoir en savoir de production. Le transfert du savoir vers l’industrie est mis régulièrement en débat : quelle est la nature du travail du chercheur ? Par quels mécanismes son savoir se transforme-t-il en savoir industriel ? Il est ainsi important de connaître la logique du fonctionnement de l’économie et de l’entreprise. Mais, le fait de connaitre les mécanismes économiques conduisant à l’innovation n’est pas non plus exempt de débats contradictoires et, souvent, inconciliables. Ces débats font débat dans cet ouvrage situant la technologie dans son contexte entrepreneurial.

Dans les nouvelles approches de l’innovation, l’entrepreneur et l’entreprise sont appréhendés à travers leurs compétences et leur fonction de création de ressources. Graduelle ou radicale, l’innovation devient ainsi endogène et elle est intégrée dans un processus complexe caractérisé par de nombreuses rétroactions et interactions dans des réseaux mésosystémiques : secteurs, filières, systèmes territoriaux ou nationaux d’innovation. L’organisation innovante est présentée, ellemême, ← 12 | 13 → comme un système dynamique composé de compétences particulières et diversifiées. Par l’acquisition, la combinaison et la mobilisation de ces compétences, l’innovateur (entrepreneur ou organisation) peut créer des ressources technologiques et faire évoluer les relations qu’il entretient avec son environnement. C’est ce qui explique l’importance du management de la conception, de l’application et du développement dans la mise en œuvre d’un processus d’innovation. Un système (sectoriel, territorial ou national) d’innovation mobilise un ensemble de connaissances et de compétences issues des processus d’apprentissage et intégrées dans sa mémoire. Ces connaissances doivent être enrichies pour être valorisées par l’innovation technologique, organisationnelle et commerciale. La survie du système dépend de sa capacité à innover qui lui permet d’affronter les agressions externes, de se transformer et de perdurer. Les stimuli externes (concurrence, substituabilité des produits, politiques d’innovation, etc.) sont générés par le contexte économique et ils agissent sur les entrepreneurs et les entreprises comme des moyens de sélection. Les procédures de sélection sont formées par le climat des affaires : nature du marché des produits, disponibilité du capital et du travail, rythme de l’innovation, effets des politiques publiques, etc. Elles peuvent, par conséquent, créer des alternatives au mode de fonctionnement, de gestion et de production d’une entreprise donnée (d’une organisation ou, plus généralement, d’un système d’innovation particulier).

La stratégie d’une organisation innovante est donc guidée par le renforcement de sa capacité à générer et à acquérir des entrants sociotechniques de production étant donnés l’intensité des relations économiques internationales, le coût croissant des immobilisations de capitaux et la complexité des connaissances composant le « capital savoir » que l’innovateur doit constituer. La conception, le développement, la commercialisation et la diffusion/absorption des nouveaux biens, services, technologies, méthodes et modèles ne peuvent plus se réaliser dans la solitude d’un laboratoire. Depuis quatre décennies, les stratégies ont commencé à changer lorsque les entreprises se sont lancées dans l’acquisition de technologies externes pour affermir leurs stocks de connaissances internes (via les alliances stratégiques ou les accords de licences). De façon similaire, les entreprises se sont mises à commercialiser leurs connaissances technologiques offrant ainsi à des partenaires externes l’opportunité d’accéder aux technologies souhaitées. Cette évolution s’est traduite par des avantages financiers (royalties) et non financiers (accès à des technologies externes au moyen de cessions croisées de licences). Le terme open innovation (ou innovation ouverte) décrit les processus d’innovation dans lesquels les entreprises interagissent de façon extensive avec leur environnement (institutionnel, commercial et sociétal), ce qui a pour effet de stimuler ← 13 | 14 → l’exploration et l’exploitation intensives de la connaissance produite de façon collaborative. De plus, comme ces interactions inter-organisationnelles semblent croître de façon continue, il semblerait que la production de la connaissance à l’extérieur des frontières organisationnelles est en train de s’imposer comme une extension inéluctable de l’innovation interne.

Il en est de même avec le financement de l’innovation. L’open innovation est combinée avec l’open funding. Le raccourcissement des délais de mise sur le marché et l’incertitude du succès commercial font que la stratégie d’innovation et la stratégie financière des entreprises sont intimement liées : si la grande entreprise se présente comme un nœud de contrats technologiques et commerciaux, elle est aussi un nœud de possibilités financières allant de la mobilisation conventionnelle de capitaux (autofinancement, crédit bancaire, marchés financiers, subventions d’Etat et des collectivités territoriales) au capital-risque, aux fonds d’investissement ou encore au crowdfunding. Les auteurs montrent comment la fertilisation croisée des connaissances est conditionnée par le financement multi-source des réalisations technologiques et de la promotion de nouveaux modèles sociaux de production.

Il est ainsi évident que l’efficacité du management de l’innovation est fortement tributaire de la capacité interne à saisir les opportunités externes. Les auteurs du livre soulignent à plusieurs reprises que l’innovation est partie intégrante du modèle dynamique de croissance fondé sur l’incertitude, le risque et le profit. Les « failles » qui caractérisent un système économique constituent cependant d’importantes sources d’opportunités d’investissement, de production et de diffusion d’innovations. Mais pour y parvenir, il est nécessaire que les mécanismes économiques se trouvent, à un moment ou à un autre, en phase les uns par rapport aux autres. Le temps intervient dans la préparation, l’organisation et, tout simplement, dans la saisie des opportunités que le « marché » offre aux acteurs de l’innovation.

La synchronisation des processus socioéconomiques et techniques conduisant à l’innovation est à la base du succès des activités innovantes. La synchronisation dépend de l’efficacité de la coordination de plusieurs opérations qui ont (ou doivent avoir) lieu simultanément. Cette coordination peut se faire spontanément, opportunément ou inopportunément, mais le plus souvent les stratégies volontaristes des acteurs économiques et politiques mettent en application dans le même temps des décisions d’investir, de réorganiser les structures des secteurs de production, de créer de nouveaux marchés, de révéler de nouveaux besoins. La synchronisation des processus d’innovation est tributaire des normes, règles, traditions et institutions à travers lesquelles s’organisent les fonctions économiques (y compris les rapports de pouvoir) et grâce ← 14 | 15 → auxquelles les choix et les activités d’innovation s’avèrent compatibles les uns (unes) par rapport aux autres dans le temps et dans l’espace. En outre, la synchronisation de ces processus doit être considérée à travers les capacités et les stratégies d’interaction des entreprises, des consommateurs, des pouvoirs publics ainsi qu’à travers les formes de coordination des actions de ceux-ci dans le but de créer ou d’organiser un marché qui doit amortir les investissements, atténuer les risques et garantir, pour un certain temps, la vitalité des affaires.

La richesse de cet ouvrage est consécutive aux réflexions développées au sein du Réseau de Recherche sur l’Innovation et minutieusement sélectionnées par les responsables de cette publication pour tenir compte des analyses actuelles et historiques, d’une part, des rapports entre les mutations technologiques et le changement social et, d’autre part, de la présentation et de la mise en perspective du management, des stratégies et des politiques d’innovation. ← 15 | 16 →

← 16 | 17 → Introduction générale

Sophie BOUTILLIER, Joëlle FOREST, Delphine GALLAUD, Blandine LAPERCHE, Corinne TANGUY, Leïla TEMRI

L’économie de l’innovation englobe l’étude de la génération des « nouvelles combinaisons productives » et l’analyse de leurs effets sur l’économie. Schumpeter (1911) est l’un des principaux auteurs de référence puisqu’il a, entre autres apports, fourni une définition des formes de l’innovation toujours utilisée aujourd’hui. Les nouvelles combinaisons productives, mises en œuvre par l’entrepreneur, prennent en effet pour lui différentes formes comme la mise sur le marché de biens nouveaux, l’utilisation de nouvelles méthodes de production, l’ouverture d’un nouveau débouché, l’utilisation de nouvelles matières premières et la réalisation d’une nouvelle organisation.

En tant que discipline, « l’économie de l’innovation » est récente (seconde moitié du 20e siècle) mais ses racines plongent profondément dans l’histoire de la pensée économique. Sans porter ce nom, l’innovation a été appréhendée par des économistes pionniers, dont nous retraçons ici à grands traits les principales figures et grands thèmes d’étude. Les prémisses d’une prise en compte du progrès technique et de l’innovation dans l’analyse économique remontent à la première révolution industrielle. Smith (1776) étudie la division du travail dans la manufacture et évalue ses effets sur la productivité, la créativité et sur les débouchés internationaux. Au cours du 19e siècle, les économistes sont fascinés par l’ampleur des progrès engendrés par cette puissance industrielle nouvelle, contribuant à l’augmentation de l’offre de biens. Ils sont aussi inquiets des conséquences sur l’emploi et l’économie en général (Say, 1803 ; Malthus, 1820 ; Ricardo, 1821). L’organisation institutionnelle de la société fait l’objet de critiques, plus ou moins radicales. Saint-Simon (1823) remet en cause le rôle des politiques, leur éloignement des affaires et propose de placer des industriels, des entrepreneurs, des savants et des artistes au cœur de l’Etat afin que le progrès généré par les machines profite à tous. Pour Marx (1865), la science est devenue une force productive au service du Capital et l’ouvrier un appendice de la machine. La révolution sociale et politique gronde… En opposition avec les thèses marxistes, l’école néoclassique se développe ← 17 | 18 → et évacue le progrès technique de l’analyse. Au sein de cette école pourtant, les économistes les plus proches des faits économiques, vont apporter des contributions majeures pour l’analyse de l’innovation. C’est en particulier le cas de Marshall (1919), qui met en avant les facteurs territoriaux créateurs d’une « atmosphère industrielle », propice au développement et à la circulation des savoirs et savoir-faire.

L’innovation « dérange » la perfection du modèle néoclassique, ce qui explique l’absence de cette thématique dans la première partie du 20e siècle, au moment de la formalisation de la pensée néoclassique. L’innovation est en effet à la fois le résultat et le symbole de l’imperfection du marché. Celui-ci perd sa caractéristique d’atomicité : par l’innovation, un producteur peut avoir un impact et un avantage sur ses concurrents en termes de productivité, de coût et de prix. Cet avantage obtenu par une entreprise est le résultat de l’imperfection de l’information et des asymétries qui suppriment l’homogénéité du produit et remettent en question la libre entrée et la libre sortie du marché. Tel un château de carte, lorsqu’une hypothèse tombe, c’est toute l’harmonie du modèle qui s’effondre.

L’innovation ne devient donc un réel sujet d’étude que dans la seconde partie du 20e siècle, et ce, à la convergence de trois thématiques clés : la croissance, le changement technique, l’évolution du comportement et des performances des entreprises et des secteurs.

Concernant le premier thème, les économistes qui se sont intéressés à la croissance ont longtemps considéré le progrès technique et l’innovation comme des phénomènes extérieurs à l’économie, réservés au monde des ingénieurs et des techniciens. Le progrès technique est ainsi un « deus ex machina » ou encore un résidu de la fonction de production dans les modèles de croissance (Solow, 1956 ; 1957). Les tests empiriques réalisés dans la période de reconstruction de l’après Seconde Guerre Mondiale (Carré, Dubois, Malinvaud, 1972) ont pourtant montré que la croissance dans les pays industriels était largement expliquée par ce « résidu », rendant nécessaire l’analyse plus fine des mécanismes endogènes de développement de la connaissance, matière première de l’innovation (Romer, 1990 ; Lucas, 1988 ; Barro, 1990).

S’agissant de l’étude du changement technique, les travaux pionniers de J.A. Schumpeter (1911, 1942) ne seront véritablement mobilisés qu’après la Seconde Guerre mondiale aux Etats-Unis et en Europe occidentale. Par l’analyse de ses effets dans la sphère de l’économie – la « destruction créatrice » –, Schumpeter a en effet placé l’innovation au centre de l’explication de l’évolution sur le long terme du capitalisme par grappes technologiques générant de nouveaux cycles des affaires. Ses travaux ont ouvert la voie à une nouvelle génération d’économistes s’intéressant plus précisément au contenu de la « boîte noire » du ← 18 | 19 → progrès technique (Rosenberg, 1982) et aux modèles d’organisation de l’innovation, désirant rompre avec ce que l’on qualifie aujourd’hui de modèle linéaire, dans lequel l’innovation est seulement la résultante de l’investissement en Recherche & Développement (R&D). C’est précisément sur la base de cette conception, actuellement sujette à de nombreuses critiques, qu’ont initialement été élaborés des indicateurs de mesure de l’innovation centrés sur la R&D à l’instar du manuel de Frascati (principes directeurs de recueil des données de R&D) ou d’Oslo.

Enfin, l’économie industrielle, qui naît en tant que discipline dans les 1950 avec les travaux d’E. Mason (1939) puis de J. Bain (1956), s’est focalisée sur l’étude des structures, des comportements et des performances des entreprises et des secteurs. Dans le champ de l’économie industrielle, l’innovation va progressivement devenir un facteur explicatif central de l’avantage compétitif des entreprises, de leurs comportements stratégiques et de la mutation des structures économiques dans lesquelles elles agissent. En ouvrant la boîte noire, les économistes de l’innovation analysent la connaissance et l’information et s’attachent à en déchiffrer leurs caractéristiques économiques. Les approches évolutionnistes et systémiques (Nelson, Winter, 1982 ; Freeman, 1987) façonnent cette discipline. Le processus de l’innovation comporte alors de nombreuses étapes, relie de multiples acteurs (individus, organisations et institutions) et associe informations et connaissances par le biais d’apprentissages pour donner naissance, de manière à la fois cumulative et discontinue, à de nouveaux produits, procédés, services, marchés et organisations.

Une vision élargie de l’innovation s’est ainsi développée, fondée sur la prise en compte des niveaux micro/méso/macro et de leurs interactions.

← 19 | 20 → L’analyse de l’innovation au niveau micro-économique est centrée sur l’étude des acteurs (entreprises, Etat, acteurs du système financier, laboratoires de recherche…) et s’attache à apprécier leur rôle dans l’innovation. Ainsi, l’Etat doit-il se substituer aux entreprises dans la réalisation de grands programmes technologiques ou au contraire tendre vers un rôle plus incitatif envers les entreprises centrées sur des innovations moins radicales en termes de recherche mais plus valorisables sur les marchés ? La figure de l’entrepreneur se distingue-t-elle de celle de l’innovateur ? Ce dernier peut être incarné par l’entrepreneur, mais aussi par une « équipe de spécialistes ». A moins que les réseaux reliant notamment grandes et petites entreprises innovantes ne soient le réel berceau de l’innovation. Enfin, c’est aussi la place de l’Université et des centres de recherche qui fait débat : la citadelle du savoir doit s’ouvrir pour contribuer elle aussi à la création de valeur.

L’analyse de l’innovation au niveau méso-économique s’est, quant à elle, attachée à penser l’innovation comme système. A partir des années 1980, les évolutionnistes proposent un renouvellement théorique fondé sur des approches plus interactives de l’innovation. Ils modifient ainsi la représentation du processus d’innovation qui de linéaire devient interactif, faisant de la conception l’élément central du processus d’innovation (Kline, Rosenberg, 1986). Le modèle de S. Kline et N. Rosenberg et la prise de conscience de l’importance des interactions pour innover conduisent à souligner le rôle des réseaux d’innovation, à tel point que, pour certains auteurs comme Chesbrough (2003), les entreprises ne peuvent plus innover seules, en interne, mais doivent impérativement mettre en place des processus d’open innovation pour pouvoir affronter la concurrence actuelle. Les compétences nécessaires à la compétitivité des entreprises sont en effet aujourd’hui réparties au niveau mondial. Parallèlement, les théoriciens des systèmes proposent également un modèle d’analyse de la production de l’innovation décliné soit en termes spatiaux : approche des systèmes nationaux d’innovation (SNI) (Lundvall, 1985 ; Freeman, 1987) ou régionaux d’innovation (Cooke, 1998) ; soit en termes sectoriels : systèmes sectoriaux d’innovation (Malerba, 2002). Le point commun des différentes approches est de proposer une vision élargie et systémique de l’innovation qui permet de penser sous un jour nouveau les politiques publiques de l’innovation.

Ainsi, à un niveau macro-économique, ces politiques visent à mettre en place les modalités permettant de stimuler la capacité à innover. Il s’agit ici de penser et d’apprécier l’efficacité des instruments mis en œuvre et ce d’autant plus dans un contexte d’internationalisation croissante. C’est par exemple le cas des politiques territoriales de l’innovation, à l’instar de la politique des clusters ou des pôles de compétitivité (pour le cas de la France), qui s’intéressent au lien entre innovation et territoire. Après avoir fait de la proximité géographique un facteur clé de la diffusion des connaissances, ces recherches consacrées aux systèmes territoriaux d’innovation (districts, milieux innovateurs, clusters, etc.) ont progressivement mis en exergue l’importance d’autres formes de proximité (Gilly, Torre, 2000 ; Bouba-Olga et al., 2008; Boschma, 2004 ; Ter Wal, Boschma, 2011) ou de la dynamique de production des connaissances dans l’innovation. Dans le cas des politiques publiques de l’innovation, c’est au lien entre politique publique et instrument desdites politiques que s’intéressent plus spécifiquement les recherches.

Si Schumpeter distingue cinq formes d’innovation ou combinaisons de facteurs de production, il apparait que paradoxalement, l’analyse économique s’est longtemps essentiellement concentrée sur l’innovation technologique. Les politiques publiques sont d’ailleurs souvent très ← 20 | 21 → centrées sur l’innovation technologique. La prise en compte des formes d’innovations non technologiques – marketing, environnementale, sociale, innovation dans les services – progresse lentement, tant au niveau de la sphère académique que des institutions productrices d’indicateurs ou des politiques publiques. C’est pourquoi les chapitres de l’ouvrage aborderont ces différents types d’innovation. Le renouvellement théorique permet de prendre en compte ces multiples dimensions de l’activité d’innovation. Reste encore à le traduire véritablement en termes de politiques publiques, et en introduisant de l’innovation institutionnelle, pour passer d’un système centré sur la R&D à un véritable système d’innovation.

Fort de ces controverses riches et variées, l’ambition de cet ouvrage est de présenter un état des avancées de l’économie de l’innovation, d’abord en revenant sur la définition des concepts clés tels que science, technologie et innovation (Partie 1), puis en focalisant l’attention sur l’analyse du rôle de l’entrepreneur (Partie 2) et de la firme (Partie 3). Les auteurs décortiquent par la suite le concept complexe de système sectoriel d’innovation (Partie 4), et évaluent l’importance du territoire dans la dynamique de l’innovation (Partie 5). Enfin, ils concluent avec l’analyse du système national d’innovation (Partie 6). Mais le tout est supérieur à la somme des parties : si ces dernières sont principalement organisées à partir des composants et des acteurs des systèmes d’innovation, ce sont bien les interactions, au sein et entre les parties qui sont au cœur de l’approche systémique qui fonde les Principes d’Economie de l’Innovation.

Partie 1 : Science, technologie et innovation

La première partie convie le lecteur à penser la relation de l’action aux modèles qui la sous-tendent. Comprendre ce qu’est l’innovation et comment elle advient est le prérequis de l’action, que cette dernière soit considérée au niveau du chef d’entreprise qui souhaite conserver ses parts de marché ou se développer, ou à l’échelle plus large d’un territoire ou d’une nation.

Pour ce faire, le chapitre de Benoît Godin invite, partant de l’histoire du concept innovation, à analyser sa signification et les usages qui en sont faits au cours du temps. Il montre que si l’innovation a aujourd’hui une valeur positive, pendant 2500 ans le concept d’innovation, et donc la fonction d’innovateur, appartenait au registre de l’interdit. Par ailleurs, si les écrits sur l’innovation se multiplient à partir du 20e siècle, ils sont essentiellement centrés sur l’innovation technologique, tendant à minorer les autres formes d’innovation que sont les innovations de service, organisationnelles, sociales et de modèle économique.

← 21 | 22 → Dans le deuxième chapitre, Joëlle Forest montre, empruntant une perspective historique, que l’analyse économique de l’innovation a opéré un double déplacement : d’une analyse de l’innovation en tant que résultat à celle de l’innovation comme processus puis, du modèle d’innovation linéaire et hiérarchique au modèle interactif de Kline et Rosenberg. Si ce chapitre permet de rendre compte de l’évolution des modèles, il rappelle aussi que ces modèles sont le support d’activités pratiques.

Résumé des informations

Pages
520
Année
2014
ISBN (PDF)
9783035264449
ISBN (ePUB)
9783035296433
ISBN (MOBI)
9783035296426
ISBN (Broché)
9782875741387
DOI
10.3726/978-3-0352-6444-9
Langue
français
Date de parution
2014 (Juillet)
Mots clés
Nouveauté Croissance Comportement Mésosystème d¿innovation Changement technique
Published
Bruxelles, Bern, Berlin, Frankfurt am Main, New York, Oxford, Wien, 2014. 520 p.

Notes biographiques

Sophie Boutillier (Éditeur de volume) Joëlle Forest (Éditeur de volume) Delphine Gallaud (Éditeur de volume) Blandine Laperche (Éditeur de volume) Réseau de Recherche sur l'innovation (Éditeur de volume) Corinne Tanguy (Éditeur de volume) Leïla Temri (Éditeur de volume)

Sophie Boutillier (Université du Littoral Côte d’Opale), Joëlle Forest (Institut National des Sciences Appliquées de Lyon), Delphine Gallaud (Institut National Supérieur des Sciences Agronomiques, de l’Alimentation et de l’Environnement – AgroSup Dijon), Blandine laperche (Université du Littoral Côte d’Opale), Corinne Tanguy (Institut National Supérieur des Sciences Agronomiques, de l’Alimentation et de l’Environnement – AgroSup Dijon), Leïla Temri (Centre International d’Études Supérieures en Sciences Agronomiques – Montpellier SupAgro).

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Titre: Principes d’économie de l’innovation
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