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Imagination Textes choisis

Avec des commentaires et des essais sur l’imagination dans l’œuvre de Vygotskij

de Bernard Schneuwly (Éditeur de volume) Irina Leopoldoff Martin (Éditeur de volume) Daniele* Nunes Henrique Silva (Éditeur de volume) L.S. Vygotskij (Auteur) Lev Semionovitch Vygotskij (Auteur)
©2022 Autres 604 Pages
Série: Exploration, Volume 197

Résumé

L’imagination joue un rôle central dans l’œuvre de Vygotskij : c’est la thèse qu’explore ce livre. La totalité des textes vygotskiens sur l’imagination y est réunie à cet effet : dans la partie I, la traduction d’Imagination et activité créatrice publiée en 1930, dans la partie II, l’ensemble des textes et notes de l’auteur sur l’imagination rédigés entre 1922 et 1934, tous traduits directement du russe. Il s’agit d’un recueil inédit au niveau mondial.
Ces traductions sont discutées sous trois formes par le groupe de chercheurs international qui les édite : brefs commentaires en marge du texte ; encarts en fin d’ouvrage, auxquels réfèrent des QR en marge, qui précisent des concepts ou signalent des liens intertextuels ; et études réunies dans la troisième partie qui font écho aux textes de Vygotskij, analysant sa conception du développement, le rôle du jeu comme précurseur de l’imagination ou encore le contexte historique de l’œuvre vygotskienne.
Un index des matières et des auteurs cités par Vygotskij permet de parcourir autrement encore l’ouvrage.
Entrer par le biais de l’imagination dans l’œuvre de Vygotskij ouvre de nouvelles et fascinantes perspectives de compréhension.

Table des matières

  • Couverture
  • Titre
  • Copyright
  • À propos de l’auteur
  • À propos du livre
  • Pour référencer cet eBook
  • Sommaire
  • Avant-propos
  • Introduction « Imagination » : un fil rouge pour lire nouvellement l’œuvre de Vygotskij
  • Traduire Vygotskij : une aventure
  • Particularités de la mise en texte
  • Partie I Imagination et activité créatrice à l’âge de l’enfant
  • Introduction à la partie I
  • Chapitre I Activité créatrice et imagination
  • Chapitre II Imagination et réalité
  • Chapitre III Le mécanisme de l’imagination créatrice
  • Chapitre IV L’imagination chez l’enfant et l’adolescent
  • Chapitre V « Les tourments de la création »
  • Chapitre VI L’activité littéraire à l’âge scolaire
  • Chapitre VII L’activité théâtrale à l’âge scolaire
  • Chapitre VIII Le dessin chez l’enfant
  • Références bibliographiques
  • Partie II Autres textes de Vygotskij sur l’imagination
  • Introduction Partie II
  • 1. Fantaisie – imagination – éducation du comportement imaginatif
  • 2. L’éducation esthétique
  • 3. Imagination et activité créatrice de l’adolescent
  • 4. L’imagination et son développement chez l’enfant
  • 5. Le jeu et son rôle dans le développement psychologique de l’enfant
  • 6. Brefs textes et notes concernant l’imagination
  • Partie III Essais sur l’imagination dans l’œuvre de Vygotskij
  • Introduction à la partie III
  • 1. Une archéologie du concept d’imagination dans l’œuvre de Vygotskij : une voie originale dans l’esthétique des années révolutionnaires en URSS (Bruno Védrines & Bernard Schneuwly)
  • 2. Cycle de l’imagination et production de la culture. Vygotskij/Ribot sous la loupe (Christiane Moro & Irene Zampieron)
  • 3. « Tout ce qui peut être imaginé est réel. » L’évolution de la conception du rapport entre imagination et réel chez Vygotskij (Bernard Schneuwly)
  • 4. L’imagination en développement (Irina Leopoldoff Martin, Glaís Sales Cordeiro & Thérèse Thévenaz)
  • 5. Changements à l’âge préscolaire : rôle du jeu et de l’imagination (Anne Clerc-Georgy & Daniel Martin)
  • 6. L’imagination, le jeu et le théâtre : une approche analytique et empirique (Lavínia Lopes Salomão Magiolino, Daniele Nunes Henrique Silva, Ana Luiza Bustamante Smolka & Luciane Maria Schlindwein)
  • 7. Imagination et déficience intellectuelle : un regard sur la situation imaginaire dans le jeu de faire semblant (Daniele Nunes Henrique Silva, Fabricio Santos Dias de Abreu & Marina Teixeira Mendes de Souza Costa)
  • 8. Jeu et développement psychologique dans l’essai de 1933 – La signification comme ruse de la raison (Christiane Moro)
  • 9. Imagination et émotion dans la puissance créatrice de la subjectivité révolutionnaire : une rencontre entre Spinoza, Marx et Vygotskij (Bader Burihan Sawaia, Daniele Nunes Henrique Silva & Lavínia Lopes Salomão Magiolino)
  • Annexes
  • Encarts
  • La production imaginaire chez Vygotskij Angel Pino
  • Bibliographies
  • Index des noms et biographies
  • Index des matières
  • Tables des matières
  • Titres de la collection

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Avant-propos

Le présent ouvrage est le résultat d’un atelier de travail international qui s’est tenu conjointement à Genève et à Campinas (Brésil), à partir de 2018, autour et à propos de textes de Vygotskij sur l’imagination. Ce séminaire faisait suite au 7e Séminaire international Vygotskij intitulé « Vygotskij en débat » et qui était, entre autres, consacré à la discussion de l’édition française des textes pédologiques de Vygotskij (1931–1934/2018). Dans l’intention de continuer à rendre accessibles au public francophone des traductions originales des textes vygotskiens1, le choix s’est porté sur la petite brochure Imagination et activité créatrice à l’âge de l’enfant que Vygotskij a publiée en 1930.

Un groupe s’est constitué autour de ce projet (voir la liste des collaborateurs en fin du présent avant-propos). Il comprenait des chercheur·e·s ←9 | 10→qui, pour la plupart, ont de longue date orienté leurs travaux vers le paradigme vygotskien, rattaché·e·s à plusieurs institutions et groupes de recherche, à savoir : 1) au Groupe de recherche pour l’analyse du français enseigné (GRAFE) en didactique des langues de l’Université de Genève qui a rendu accessibles des textes vygotskiens en français depuis 1985, s’y référant en tant que base théorique dans les travaux d’ingénierie didactique et d’analyse des pratiques en classe ou encore pour développer un point de vue plus général sur l’activité humaine ; 2) à une équipe de l’Institut de psychologie de l’Université de Lausanne qui se dédie à l’étude du développement des fonctions psychiques avant l’avènement du langage articulé et lors de son émergence, en lien avec l’appropriation des usages culturels des objets. 3) au Groupe Intervention et Recherche sur les Apprentissages Fondamentaux (GIRAF), ancré à la Haute école pédagogique de Vaud, se consacrant à explorer l’importance du jeu pour des apprentissages fondamentaux dans le cadre scolaire ; 4) enfin, de l’autre côté de l’Atlantique, au Grupo de Pesquisa Pensamento e Linguagem (GPPL) constitué il y a 35 ans, dans les années 1980, à l’Université d’État de Campinas pour investiguer et divulguer l’œuvre de Vygotskij au Brésil et au niveau international et pour mener des recherches dans une perspective historico-culturelle, notamment sur l’imagination.

Notre atelier de travail international provenant de différentes institutions et disciplines – didactique, sciences de l’éducation, psychologie, philosophie, littérature – s’est régulièrement réuni par visioconférence avec le Brésil, puis, Covid oblige, virtuellement avec tous les membres de l’atelier. Les participants se sont rapidement rendus compte que, pour comprendre l’ouvrage Imagination et activité créatrice à l’âge de l’enfant, énigmatique, hétérogène, peu convaincant à première lecture, il était nécessaire d’aller bien au-delà. Le projet de sa traduction s’est transformé en projet de déterminer la place de l’imagination pour Vygotskij dans l’ensemble de son œuvre. C’est le résultat de ce travail que le lecteur a entre ses mains : œuvre collective de longue haleine, sa forme s’est imposée par la démarche du groupe. Les textes de Vygotskij traduits représentent évidemment le cœur de l’ouvrage ; mais la constitution même du corpus faisait déjà partie de la recherche collective et a permis des découvertes inattendues. La réflexion sur ces textes et le projet lui-même se transformaient et s’enrichissaient au fur et à mesure de l’avancement des travaux durant l’atelier. Une forme de travail souple, multimodale, s’est donc imposée aux participants pour permettre à la fois la lecture des textes de Vygotskij en tant que tels, tout en les articulant avec les ←10 | 11→réflexions apparues dans le cours même des discussions à des niveaux multiples : rapports entre les textes, passages énigmatiques, contextes scientifiques et culturels, limites de l’approche, signification plus générale dans la quête vygotskienne.

Nous espérons par le présent ouvrage faire découvrir au lecteur une autre image encore de Vygotskij et enrichir ainsi le débat francophone.

Éditeurs responsables ayant invité les membres de l’atelier

Irina Leopoldoff Martin, traductrice, collaboratrice scientifique, Université de Genève

Daniele Nunes Henrique Silva, professeure associée Université de Brasilia, professeure collaboratrice Université de Campinas, professeure invitée Université de Genève

Bernard Schneuwly, professeur honoraire, Université de Genève

Membres de l’atelier

Anne Clerc-Georgy, professeure, HEP Vaud

Glaís Sales Cordeiro, chargée de cours, Université de Genève

Lavinia Lopes Salomão Magiolino, professeure, Universidade Estadual de Campinas

Daniel Martin, professeur, HEP Vaud

Christiane Moro, professeure honoraire, Université de Lausanne

Bruno Védrines, chargé d’enseignement, Université de Genève

Luciane Maria Schlindwein, professeure, Universidade Federal de Santa Catarina

Ana Luiza Bustamante Smolka, professeure, Universidade Estadual de Campinas

Thérèse Thévenaz, maitresse d’enseignement et de recherche retraitée, Université de Genève

Irene Zampieron †, assistante doctorante (thème : l’imagination dans l’ontogenèse), Université de Lausanne et HEP Vaud

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Introduction
« Imagination » : un fil rouge pour lire nouvellement l’œuvre de Vygotskij
1

« Maitresse fourbe » (Pascal) ou « précurseur de la raison » (Goethe) ? (I.4, p. 87)2 : Vygotskij cite ces deux auteurs et leur conception de l’imagination pour en montrer l’étendue dans la pensée philosophique. Mais quelle place à l’imagination accorde-t-il dans son œuvre ? À en croire l’ouvrage sur Vygotskij qui reste parmi les plus cités, Understanding Vygotsky (Van der Veer & Valsiner, 1991), une place mineure : « imagination » ne fait pas partie des mots de l’index des sujets, et le seul ouvrage que Vygotskij y a consacré n’y est pas discuté de manière systématique.3 Imagination et activité créatrice4, une brochure de 80 pages sans couverture cartonnée, de 22x14cm, ←13 | 14→publiée en 1930 en 4 000 exemplaires5 n’appartient pas, selon l’opinion des interprètes les plus influents de Vygotskij, aux œuvres significatives de l’auteur. Imagination et activité créatrice à l’âge de l’enfant n’est d’ailleurs même pas publiée dans les Œuvres choisies parues en russe en 1982–84 et traduites dans de nombreuses langues. Pourquoi alors consacrer un livre entier à la question de l’imagination dans son œuvre ?

Le présent ouvrage, par sa composition et sa forme, défend une thèse : le concept d’imagination est, en filigrane, essentiel dans la pensée de Vygotskij. Le suivre à la trace, observer ses apparitions et disparitions dans son œuvre, essayer de reconstituer et de comprendre son développement est une manière de saisir le travail de Vygotskij comme la quête d’une vie dans le contexte d’une transformation sociale révolutionnaire. Cela implique de répondre à un grand nombre de questions, parmi lesquelles : les raisons pour lesquelles Vygotskij aborde ce concept à divers moments de l’œuvre ; l’évolution de sa signification au cours des années ; le rapport entre imagination et d’autres fonctions psychiques supérieures ; les raisons d’un traitement hiératique du concept, marginal et central à la fois ; les sources scientifiques et culturelles mobilisées et les différences marquées par rapport à elles ; et, last but not least, la conception visionnaire esquissée pour une approche contemporaine de l’imagination.

Certes, des éléments de réponse se trouvent dans la littérature scientifique consacrée à l’imagination dans une perspective vygotskienne (nous les présentons dans un premier volet), mais une approche plus exhaustive et approfondie nous semblait nécessaire. Nous expliciterons sa thèse fondatrice (volet 2) et décrirons la méthode de travail et le mode de présentation des résultats (volet 3 et 4).

Brève excursion dans la littérature scientifique consacrée à l’imagination dans une perspective vygotskienne

La première traduction de Voobraženie i tvorčestvo v detskom vozraste (1930) parait en 1972 en italien sous le titre Immaginazione e creatività ←14 | 15→nell’età infantile. L’ ambition militante de cette traduction est mise en évidence dans la préface (Alberti, 1972) qui souligne (i) la visée démocratique (il s’agit de créer les conditions pour que chacun puisse accéder à une imagination développée qui n’est pas l’apanage du génie) et (ii) l’ampleur du concept – imagination scientifique, technique aussi bien qu’esthétique ; visée à laquelle se réfère Rodari (1973) dans sa Grammaire de l’imagination, qui était largement répandue dans les milieux de l’Éducation nouvelle6.

Le travail scientifique lui-même sur le concept commence plus tard, on peut le résumer en quelques constats synthétiques.

Pour Vygotskij, l’imagination est le résultat d’un long processus de construction d’une fonction psychique supérieure, voire d’un système psychique. C’est ce que montre d’emblée le travail précurseur, sur la base de la lecture des travaux vygotskiens en russe, de Smolucha et Smolucha (1986) : origine dans le jeu comme imagination en action ; fonction psychologique supérieure par son intériorisation ; articulation entre pensée et imagination aux concepts (pour d’autres vues d’ensemble sur le développement de l’imagination vers une fonction psychique voir Archambault & Venet, 2007 ; Clerc-Georgy, 2016 ; Eckhoff & Urbach, 2008 ; Gajdamaschko, 2005 ; Maheirie & Zanella, 2017). Certains auteurs interprètent les textes de Vygotskij sur l’imagination et son développement comme une théorie de la créativité (Moran & John-Steiner, 2003; Smolucha & Smolucha, 2012).

Se situant dans une discussion séculaire controversée du rapport entre imagination et pensée que décrit par exemple Tateo (2016), Vygotskij contribue de manière significative à donner à l’imagination une place importante. La définition précise de cette place n’est cependant pas théorisée de manière homogène dans la littérature. Elle oscille entre différentes visions : elle comblerait des lacunes (le plus clairement Pelaprat et Cole, 2011), explorerait des alternatives en pensée (Harris, 2000), étendrait la pensée à certains moments cruciaux (Zittoun & Cerchia, 2013).

Pour Vygotskij, c’est dans le jeu que s’origine l’imagination ; cette thèse fait l’objet de nombreux développements. Sa fonction est de permettre aux enfants de se détacher de l’ici et maintenant et de se centrer ←15 | 16→sur la signification des objets et actions, à travers les mots et concepts (De Oliveira & Valsiner, 1997). L’imitation dans le jeu est en général explorée du point de vue de sa valeur éducative et développementale (Clerc-Georgy, 2017 ; Fleer, 2011, 2013 ; Van Oers, 2005). L’émotion y joue un rôle capital, notamment à travers la création de situations imaginaires dans des jeux de faire semblant ou des activités théâtrales (Hedegaard, 2016 ; Lindqvist, 2003; Magiolino, 2015 ; Nilsson & Ferholt, 2014 ; Silva, 2011).

Par ailleurs, l’imagination joue un rôle essentiel dans la régulation de l’émotion : une idée qui apparait déjà dans Psychologie de l’art et constitue un fil rouge dans la conception vygotskienne (Da Cruz, 2002 ; Rey, 2016 ; voir également Pino, en annexe du présent ouvrage)

La vision subtile et approfondie de la théorie de l’imagination de Vygotskij qui ressort de cet ensemble de travaux peut et doit être enrichie en creusant les questions et problématiques esquissées plus haut, et notamment en tenant plus compte du développement de sa théorie et en essayant de comprendre la place accordée à l’imagination dans l’ensemble de son œuvre. C’est l’objet du présent livre.

La thèse fondatrice de l’ouvrage

Le livre que nous proposons, réunissant des textes de Vygotskij sur l’imagination, est particulier : il est construit autour d’un concept présent tout au long de son parcours scientifique, à savoir celui d’« imagination ». Ce choix s’est imposé à nous7 à partir de la traduction et d’une première étude de la brochure Imagination et activité créatrice à l’âge de l’enfant : un écrit dont au départ nous avions de la peine à comprendre le statut, le sens, la place dans l’œuvre. Nous avons donc décidé d’élargir notre recherche et de rassembler tout ce que Vygotskij a écrit à propos de l’imagination depuis sa première publication Psychologie pédagogique (1926/2005) jusqu’à ses derniers textes, conférences et notes. Ce parcours nous a amenés progressivement à une conviction : si le concept d’imagination apparait comme étant marginal dans l’œuvre vygotskienne, il est pourtant de fait central.

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C’est un concept qui apparait comme marginal. Si l’on considère, comme il est commun de le faire, La signification historique de la crise en psychologie (1927), Histoire du développement des fonctions psychiques supérieures (1928–1930) et surtout Pensée et langage (1934) comme ses œuvres majeures, on n’y trouve guère de trace de l’imagination. L’imagination ne fait notamment pas partie des fonctions psychiques supérieures étudiées dans Histoire du développement des fonctions psychiques supérieures ; et elle ne joue aucun rôle théorique central dans Pensée et langage. En parcourant la liste des écrits de Vygotskij, par exemple dans Vygodskaja et Lifanova (1996)8, le nombre de textes consacrés à l’imagination est négligeable. De fait, Vygotskij aborde la question, et ce n’est à notre avis pas un hasard, surtout dans des ouvrages et textes pédagogiques et pédologiques, largement négligés dans leur réception9 ; et bien sûr dans son doctorat Psychologie de l’art (1925/2005), où elle est largement commentée.

Et pourtant, « imagination » est de fait un concept central : telle est la thèse à la base du présent recueil de textes de Vygotskij et des commentaires de ces textes élaborés suite aux discussions intenses dans le groupe de travail. Elle permet de relier d’une manière nouvelle des thématiques très différentes de l’œuvre très variée et si fortement évolutive de Vygotskij et de procéder à une relecture de l’ensemble de ses textes d’un point de vue nouveau, certes déjà esquissé dans la littérature scientifique, mais jamais en regard à l’ensemble de l’œuvre. En effet, dans les textes abordant l’imagination, plus que dans d’autres, Vygotskij met en rapport l’émotion avec la pensée, la réception d’œuvres artistiques avec le sentiment, la création artistique avec le développement de l’enfant et de l’adolescent, la formation des concepts avec les émotions et la pensée, le jeu avec la signification et la parole, la pensée avec le réel, l’action humaine avec la société, la pathologie psychique avec les limites de l’action humaine, et plus généralement le développement de l’être humain avec la liberté. Au plus profond en effet, l’imagination est la condition ←17 | 18→de la liberté comme possibilité d’une attitude consciente vis-à-vis de la réalité, conception certainement inspirée de la vision spinoziste de l’être humain qui peut être libre s’il vit selon le commandement de la raison.

Cette conception de la fonction de l’imagination traverse la réflexion de Vygotskij depuis les premiers jusqu’aux derniers de ses textes : c’est un fil rouge qui n’apparait cependant pas d’emblée. Il faut donc lire les textes en écho les uns des autres, en ayant aussi une claire conscience de leur moment de production – car le concept d’imagination chez Vygotskij se transforme fondamentalement au cours du temps, tout en gardant certaines caractéristiques, notamment celle d’être « réelle » dans tous les sens du terme. Et le concept est toujours développé en lien avec la quête globale qui le porte tout au long de sa vie et dont il donne une description générale10.

Chez Spinoza, il y a une théorie (je vais la modifier quelque peu) : l’âme peut réussir à ce que toutes les manifestations, toutes les situations se rapportent à un seul but ; un système avec un seul centre peut alors se développer avec une concentration maximale du comportement humain. Pour Spinoza, l’idée unique est l’idée de Dieu ou de la nature. Psychologiquement, ce n’est pas du tout indispensable. Mais l’être humain peut effectivement non seulement rassembler des fonctions séparées en un système, mais aussi créer un centre unique pour tout le système. Spinoza en a fait la démonstration sur le plan philosophique, il y a des gens dont la vie est un modèle d’obédience à un seul but qui ont démontré en pratique que cela était possible. La psychologie a la tâche de démontrer que l’émergence d’un tel système unifié est une vérité scientifique. (Vygotskij, 1930/1982, p. 131)

Le travail sur le concept d’imagination plus que sur tout autre, nous semble-t-il, permet de saisir cette quête dans toute sa profondeur :

La forme textuelle qui découle de la thèse

Pour démontrer la thèse qui constitue le fil rouge du livre et permettre cette lecture informée, à multiples couches, pluriréférencée que nous visons, nous avons composé un livre sous forme rhizomique, tissant des liens souterrains entre des textes de différents types sans les hiérarchiser, multipliant les approches et les lectures. Bien sûr, il y a un centre : ce ←18 | 19→sont les propres textes de Vygotskij, qui eux-mêmes se rapportent les uns aux autres de manière non explicite : presque aucun ne se réfère directement aux autres. Pourtant, tous sont portés par une même visée, celle de circonscrire l’imagination et sa place dans le système psychique. Cette visée elle-même se manifeste dans des continuités et des ruptures de la conception vygotskienne.

Les textes de Vygotskij, qui ne contiennent que des notes liées à la traduction et peuvent donc être lus de manière autonome, sont accompagnés d’une réflexion émanant du groupe de travail sous des formes diverses. Il y a d’abord de brefs commentaires de toutes sortes sous forme de bulles en marge du texte, qui ponctuent les textes traduits : explicitation d’un terme, référence à d’autres textes de Vygotskij dans le même ouvrage ou ailleurs ; allusion à d’autres auteurs. Des encarts ensuite, regroupés en fin du volume, approfondissent certains points dans les textes traduits : ils sont signalés, en marge de ces derniers, par des codes QR, des quick response codes à lire avec un smartphone ou une tablette, qui présentent brièvement le contenu de ces encarts et s’y réfèrent ; notons que le même QR peut apparaitre à plusieurs endroits du texte vygotskien pour référer à un encart. Ces encarts commentent plus en détail tel ou tel problème, créant ainsi d’autres liaisons encore entre les textes de Vygotskij – par exemple son usage des mots fantaisie et imagination –, précisant une terminologie en la référant à son œuvre – par exemple « phase de transition » –, situant l’auteur par rapport à d’autres – Piaget, Ribot, Kerschensteiner – ou encore questionnant le positionnement épistémologique ou pédagogique de Vygotskij – qu’est-ce que la littérature et comment l’enseigner. En troisième partie finalement, nous avons réuni des essais des membres du groupe sur la question de l’imagination dans l’œuvre de Vygotskij : en les situant dans le contexte artistique, en explorant les liens entre imagination et jeu ou émotion ou subjectivité, en retraçant l’imagination en développement ou encore en décrivant le rapport entre imagination et réalité. Nous avons par ailleurs ajouté, en annexe, un texte traduit du portugais d’Angel Pino qui a été l’un des fondateurs du Grupo de Pesquisa Pensamento e Linguagem (GPPL).

Résumé des informations

Pages
604
Année
2022
ISBN (PDF)
9782875744050
ISBN (ePUB)
9782875744067
ISBN (Broché)
9782875744043
DOI
10.3726/b18754
Langue
français
Date de parution
2022 (Mars)
Published
Bruxelles, Berlin, Bern, New York, Oxford, Warszawa, Wien, 2022. 604 p., 18 ill. n/b, 1 tabl.

Notes biographiques

Bernard Schneuwly (Éditeur de volume) Irina Leopoldoff Martin (Éditeur de volume) Daniele* Nunes Henrique Silva (Éditeur de volume) L.S. Vygotskij (Auteur) Lev Semionovitch Vygotskij (Auteur)

Lev S. Vygotskij est né en 1896 à Orcha (Biélorussie) et mort en 1934 à Moscou. Professeur de pédologie et de psychologie, il est connu pour ses recherches sur le développement de l’enfant, la psychologie de l’art et sa théorie de la construction du psychisme humain par l’appropriation d’instruments sémiotiques historiquement construits dans l’interaction sociale.

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Titre: Imagination Textes choisis