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Le Sens en mouvement

Études de sémantique interprétative

de Christophe Gérard L. Cusimano (Auteur)
©2015 Monographies 137 Pages

Résumé

La sémantique contemporaine est traversée par un paradoxe rarement posé en l’état : si une majorité des linguistes ont admis avec Saussure (au moins depuis la publication des Écrits de linguistique générale) que toute appréhension du langage est tributaire d’un point de vue, ces mêmes linguistes considèrent comme une évidence l’existence de propriétés intrinsèques des lexèmes et des textes. Or ceux-ci ne nous sont jamais accessibles qu’à travers une lecture. Dans ce bref ouvrage, à travers des études sur les adjectifs dérivés de noms d’auteur, sur l’usage des expressions figées dans la bande-dessinée et sur leur devenir, mais encore sur des poèmes médiévaux relevant du non-sens, nous voudrions justement nous interroger sur cette tension entre propriétés des lexèmes et des textes d’une part et, d’autre part, parcours interprétatifs.

Table des matières

  • Cover
  • Titel
  • Copyright
  • Autorenangaben
  • Über das Buch
  • Zitierfähigkeit des eBooks
  • Table des matières
  • En guise de préface, une question : quelle sémantique pour le projet saussurien ?
  • Réflexions préliminaires sur l’activité interprétative en sémantique
  • 1. Les notions de sémiosis et de passage en sémantique
  • 2. Lecture et parcours interprétatifs
  • Partie I – Les lexèmes au plus près
  • I. Kafka-like et kafkaïen : que signifient les dérivés du nom d’auteur Kafka ?
  • 1. Quelques remarques morphologiques
  • a. Kafkaïen, kafkaen, kafkaesque et kafkaïste : un banal cas d’échangisme suffixal
  • b. Kafka-like
  • 2. Analyse sémantique : les corrélats pour indice(s)
  • a. L’imaginaire lié à la signature Kafka : Kafka-like pour commencer
  • b. Kafka–[suff.] en français : des corrélats différents ?
  • c. Les concurrents conceptuels de kafka-like, kafkaïen, etc
  • 3. Iconisation et saisie partielle de l’univers des oeuvres de Kafka
  • II. L’équité au carré
  • 1. Le démon de l’incertitude et l’inéquitable partage du mécontentement : hommage à Sławomir Mrozek
  • 2. Une « vraie » réforme du ballon rond pour l’équité : le fair-play financier
  • 3. Les corrélats de ‘équité’ dans les textes traitant du fair-play financier
  • a. Une équité aux contours vagues
  • b. Le paradis perdu de l’équité footbalistique
  • c. L’iniquité actuelle au superlatif
  • d. Une lutte des classes dichotomique
  • 4. Interpréter les corrélats de l’impossible équité
  • Synthèse
  • Partie II – Valeurs textuelles des figements et défigements
  • I. Défigements et cadre narratif fictionnel : pour un usage raisonné du silex dans la cité
  • 1. Le défigement : un silex à tout faire
  • 2. Valeur textuelle des défigements en série
  • II. Des défigements au futur
  • 1. Vers une déprogrammation de l’obsolescence ?
  • 2. Autres défigements par ajout segmental
  • 3. Facteurs de re-figement
  • 4. Perspectives
  • Partie III – L’ombre d’un doute : l’absurde en sémantique
  • I. Observations générales sur le thème de l’absurde
  • 1. Texte absurde vs. lecture « absurdiste »
  • 2. La microsémantique au secours des énoncés absurdes
  • 3. Non-sens et interprétabilité
  • II. Au commencement (de l’absurde) étaient les fatrasies
  • 1. Les fatrasies en questions
  • a. Etymologie : un problème insoluble
  • b. Datation, localisation et nombre de textes
  • c. Propriétés formelles et nombre de textes
  • d. Grammaticalité et cohérence
  • 2. L’image fatrasique : fausse ou absurde ?
  • 3. Évolution du genre : le fatras
  • Conclusion : herméneutique et perspective interprétative
  • Bibliographie
  • Annexes

En guise de préface, une question : quelle sémantique pour le projet saussurien ?

Dès 1967, Tzvetan Todorov (1967 : 265) notait avec amertume que l’« on pourrait présenter schématiquement l’histoire de la linguistique depuis Saussure comme un rétrécissement et une homogénéisation de son objet. A l’exception de quelques chercheurs, les linguistes se sont préoccupés de ce que Saussure appela la langue, c’est-à-dire un code abstrait, composé de règles, qui nous permet d’émettre et de comprendre les phrases d’une langue ». Si l’on ne peut que lui donner raison au regard de l’année de publication de ces mots, il faut toutefois reconnaître que, depuis, de nombreux linguistes se sont interrogés sur le cadre énonciatif et pragmatique de production de la parole et, plus près du sujet qui nous intéresse ici, sur ce qui fait qu’un texte est texte. Mais le plus incommodant dans cette citation est l’idée que Saussure lui-même aurait intimé l’ordre discret de se focaliser sur la langue, ce qui, on le sait désormais, est plus que douteux. A la décharge de Todorov, les derniers manuscrits de Saussure publiés permettent d’éclairer d’un jour nouveau le projet saussurien, ce que celui-ci ne pouvait alors qu’ignorer.

Ces derniers manuscrits justement n’ont pas livré tous leurs secrets, soit parce que ceux-ci se trouvent par endroits encore trop lacunaires, soit à cause de la difficulté des textes eux-mêmes, qui plus est souvent teintés par les doutes de l’auteur ; à ce titre, il n’est pas étonnant que l’on se dispute encore aujourd’hui cet héritage de part et d’autre, dans un sempiternel mouvement de retour à ces textes fondateurs que d’aucuns trouvent lassant, d’autres encourageant : pour ces derniers, il semble que revisiter la pensée saussurienne que l’on sait aujourd’hui en partie altérée par Charles Bally et Charles Séchehaye est essentiel1. Dans cette optique, comme a pris la peine de le souligner Antoine Culioli (2002 : 74), il est bien clair que « pour Saussure, ce n’est quand même pas la même époque ! Et il est très difficile de faire comme si c’était un contemporain ». D’ailleurs, si l’on suit Jean-Louis Chiss et Christian Puech (1997 : 16), « lire Saussure aujourd’hui [et donc avant la découverte des nouveaux manuscrits], c’est d’abord lire des ← 11 | 12 → lectures ». La nécessité de replacer la pensée saussurienne dans les conditions de sa genèse ne fait aucun doute.

A cela et pour cela, tant François Rastier (2013) d’une part que Jean-Louis Chiss et Christian Puech de l’autre (1997 : 13) ajoutent des mises en garde comme autant d’écueils épistémologiques à contourner. Pour commencer par les seconds, ceux-ci conseillent d’éviter de tomber dans « les facilités de la genèse » en cherchant à reconstituer le réseau des précurseurs d’idées : on comprend bien que cela permettrait de ne pas plaquer nos représentations contemporaines sur un contexte disparu ; il convient aussi d’éviter les formulations globalisantes qui feraient de la pensée de Saussure un tout, donnant lieu à un structuralisme, etc. ; enfin, de la même manière qu’on s’enjoint de ne pas chercher de précurseurs, on doit s’épargner la détermination d’une liste de suiveurs afin de distinguer notamment thèmes théoriques et théories : en effet, d’une théorie à l’autre, une notion théorique peut changer de statut, nuançant telle prétendue continuité. François Rastier, de son côté, estime qu’il faudrait commencer par refuser de faire de Saussure une icône, ce qui présente l’avantage de ne pas classer le dossier, et pose la question des moyens herméneutiques à mettre en œuvre : à ce titre, l’auteur fait la proposition d’apprendre ou de réapprendre à lire Saussure en regardant comment ce dernier lui-même a lu et interprété les textes sur lesquels il a travaillé, comme le poème des Nibelungen.

Si nous approuvons dans une large mesure le sens de ces précautions, il faut toutefois admettre que ces approches sont symptomatiques d’une attitude adoptée dans la plupart des études sur Saussure : en effet, les auteurs y perçoivent souvent le corpus saussurien sous l’angle de ses lacunes, c’est-à-dire à la fois ce qui est encore incompris et/ou inédit. Si tant d’auteurs ont pu déceler dans le Cours des principes théoriques divers, on comprend bien que la tentation peut être de lire Saussure avec ce qu’on voudrait qu’il soit ou qu’il eût été.

La tendance actuelle est délicate à cerner. On peut certes souscrire à cette audacieuse formulation de Rastier selon laquelle « post-structuraliste à sa manière, Saussure élabore le projet rationnel de la linguistique, mais le fonde ainsi dans une herméneutique de la complexité », ce qui ne permet bien sûr pas de neutraliser par avance toute objection post-structuraliste mais rappelle que certaines critiques pourraient bien s’adresser au Saussure de Bally et Sechehaye. Toutefois, nous ne voulons pas inscrire cet ouvrage dans ce que Claire Forel (2013) qualifiait dans son compte-rendu du numéro de Langages sur la question d’« insupportable querelle entre le vrai et le faux Saussure ». D’ailleurs, dans le dernier ouvrage discutant exclusivement du corpus saussurien, Anne-Gaëlle Toutain (2014 : 10) tente aussi de balayer d’emblée ce débat, mettant alors ← 12 | 13 → dans le même sac des auteurs aux ambitions diverses : « La position de Bouquet, Rastier et Kyheng est cependant une position extrême, que ne partagent pas tous les exégètes saussuriens, même ceux qui étudient principalement les manuscrits ». Pour notre part, sans nous vouloir ni nous prétendre au dessus de la mêlée, nous souhaitons contourner le débat par la pratique, l’application, d’où notre titre « études de sémantique interprétative ». En effet, nous sommes d’avis que la querelle dont parle Forel, qu’elle soit perçue comme pertinente ou non, n’aboutit pas à l’élaboration d’une mise en pratique de ces principes saussuriens, plus classiques ou renouvelés selon les positions2. C’est pourquoi ce bref ouvrage se donne à lire comme une série d’applications de l’outillage théorique de la sémantique interprétative qui, à notre sens, compte parmi les rares courants en sémantique à jauger son applicabilité sur les textes et les corpus. Quelle que soit l’interprétation du corpus saussurien qui l’anime, son programme, développé par François Rastier depuis l’ouvrage fondateur de 1987, est un projet concret qui accumule des résultats dont on peut apprécier la synthèse dans La Mesure et le Grain. Cela dit, malgré cette orientation théorique nette, les études qui suivent se caractérisent par leur liberté thématique : l’on trouvera ici des réflexions sémantiques sur la manière de caractériser, suivant une contrainte générique, des lexèmes donnés (I.), en l’occurrence d’une part les dérivés du nom d’auteur « Kafka » (I.1.) et « équité » (I.2); nous avons aussi souhaité revenir sur la question des défigements (II.) à travers deux études, l’une portant sur l’effet narratif de leur accumulation dans la bande-dessinée (II.1.) et l’autre sur leur devenir, plus exactement sur la possibilité qu’eux-mêmes se figent (II.2.) ; enfin, nous voulions traiter à nouveau un thème qui nous est cher, celui de l’absurde déployé dans les textes (III.), ici la poésie absurde à travers le cas des fatrasies. Toutes ces études participent donc de cette ambition de conforter la sémantique interprétative dans le projet saussurien et, d’un point de vue pratique, visent à motiver l’efficacité de ses outils d’analyse.

Nous ne saurions terminer ces propos préliminaires sans remercier ceux qui ont participé directement ou non à l’élaboration de cet ouvrage : nous estimons avoir une lourde dette envers François Rastier pour ses précieux conseils, Guy Achard-Bayle, Driss Ablali, Vincent Nyckees, Catherine Schnedecker, Tomáš Hoskovec et Ondřej Pešek qui, en acceptant d’évaluer notre dossier d’habilitation à diriger les recherches dont cet ouvrage est partiellement issu, nous ont fait bénéficier de leurs judicieuses observations. Nous tenons aussi à remercier ← 13 | 14 → Marc Plénat pour sa lecture éclairante de nos propos morphologiques. Enfin, cette introduction est l’occasion d’exprimer notre gratitude envers les étudiants de l’université Masaryk de Brno et ceux de l’université Sophia-Antipolis de Nice : leur enthousiasme et leurs remarques sur ces études sémantiques nous ont permis de mieux en apprécier la portée didactique. Parmi eux, nous adressons particulièrement nos remerciements à Lucia Ručková pour ses illustrations qui ne manqueront de rendre la lecture de ce travail plus agréable.

Résumé des informations

Pages
137
Année de publication
2015
ISBN (PDF)
9783653052398
ISBN (MOBI)
9783653972016
ISBN (ePUB)
9783653972023
ISBN (Broché)
9783631660140
DOI
10.3726/978-3-653-05239-8
Langue
français
Date de parution
2015 (Août)
Mots clés
literature of Absurd Equity in football Saussure
Publié
Frankfurt am Main, Berlin, Bern, Bruxelles, New York, Oxford, Wien, 2015. 137 p.
Sécurité des produits
Peter Lang Group AG

Notes biographiques

Christophe Gérard L. Cusimano (Auteur)

Christophe Cusimano est Maître de conférences HDR à l’Université Masaryk de Brno (République tchèque) au département des Langues Romanes. Ses recherches se focalisent sur la sémantique, la syntaxe et la morphologie du français.

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Titre: Le Sens en mouvement