Résumé
En grammaire, où se croisent acceptions héréditaires et empruntées, la notion renvoie à une opération de spécification dont les agents sont les déterminants. La tradition chaotique du terme les verse tantôt parmi les classes de mots (adjectifs déterminatifs, non qualificatifs, pour la grammaire scolaire, puis déterminants depuis Wagner et Pinchon (1962), à partir du determiner de Bloomfield (1933)), tantôt parmi les fonctions, tantôt un peu dans les deux. Les différentes théories redessinent les territoires et font voyager les items au gré de la place qui leur est réservée dans leur système.
Les contributions de ce volume visent à approcher et à éclairer davantage, parfois d’une lumière nouvelle, la notion de détermination, qui est encore loin d’être parfaitement circonscrite.
Extrait
Table des matières
- Couverture
- Titre
- Copyright
- Sur l’auteur/l’éditeur
- À propos du livre
- Pour référencer cet eBook
- Table des matières
- Un classement hiérarchisé des déterminants en « de »
- Co-prédications adjectivantes : Le degré de détermination du lien nominal entre les prédications
- Ni…ni : des corrélatifs déterminant ?
- Une analyse de la coordination des noms nus en français en termes de TOUT COORDONNÉ
- Étude d’expressions référentielles nominales étendues (ERNE) au sein de narrations de séquences imagées
- Pour une extension du domaine de la lutte. La détermination hors du syntagme nominal
- Déterminants et noms de propriétés
- « J’ai rencontré une vraie femme, c’est une femme qui nourrit, qui prend soin, qui réconforte, qui écoute, qui accompagne et qui honore son homme ». Les fonctions sémantico-pragmatiques du déterminant nominal vrai
- Individuation référentielle de la construction infinitive V-TESSA en finnois : Entre détermination nominale et complémentation verbale
- Le déterminant et la détermination au cours de français, aujourd’hui. Bilan critique et proposition
- Acquisition de la détermination nominale en français L3 et en anglais L3 chez des apprenants libanais
- Pour ø N : absence de déterminant dans la construction N avoir pour N X
- Les zones grises de la détermination
- Titres de la collection
Un classement hiérarchisé des déterminants en « de »
Université Montaigne Bordeaux-III
1. Les déterminants en de
Il y a quatre catégories principales à considérer :
1. de dans les articles : l’indéfini des, les partitifs du/de la
2. de relateur, entre déterminant de quantité et NP : beaucoup d’étudiants, nombre d’étudiants
3. de en dislocation : j’en ai vu plusieurs, d’étudiants
4. de partitif isolé : il a goûté de ton gâteau
5. de partitif dans : J’ai vu plusieurs des étudiants de 1er année.
Il est souvent admis depuis les années 1970 que tous ces de, ou plusieurs d’entre eux (3 chez Milner (1978), sur 4, peut-être 4 chez Kupferman (2004)), sont les mêmes, distincts du de génitif, celui des compléments de nom de divers types qui ne sont pas introduits par des noms ou pronoms de quantité. Une propriété basique du de des constructions de quantité est dans Milner (1978) : le terme qui répond aux contraintes de sélection est le NP, pas le terme tête :
J’ai acheté un tablier de soubrette (Milner 1978 : 41) / *J’ai acheté une soubrette
J’ai mangé un kilo de pain / J’ai mangé du pain
Une autre propriété est à prendre en considération pour distinguer parmi les couples liés par de entre ceux qui sont analysables comme des déterminants complexes et ceux qui sont du type « génitif 1 » : la relation sémantique partie-tout construit des ensembles comme : ← 9 | 10 →
Les roues d’une voiture / la poignée de la porte / les aiguilles de l’horloge
Il est indéniable que le premier nom réalise une partie de l’ensemble signifié par le second. Pourtant, on doit distinguer entre ces constructions et les quantitatives, également intégrables dans une relation partie-tout :
Un kilo de ces poires / une poignée de confettis / une charretée de ton foin
Cette seconde relation n’est jamais attributive, si on compare :
La voiture a des roues / l’horloge a des aiguilles…
*Ces poires ont un kilo / *des confettis ont une poignée / *ton foin a une charretée
On n’inclura donc pas les constructions nominales du premier type dans la catégorie des déterminants. D’autres propriétés sont exposées par Milner (déjà chez Kayne 1977) :
– l’emploi possible dans certains cas de en avec un génitif préverbal, pas avec un quantifiant :
Le pied en est cassé (de la table) / *Plusieurs en sont fatigués (des élèves)
– l’extraction d’un complément prépositionnel des constructions à l’exception du partitif, moins aisée avec un complément prépositionnel :
??Un livre dont je me souviens du titre (de « génitif »)
La fontaine dans laquelle j’ai bu de l’eau (de article)
Cet auteur dont j’ai lu peu de livres (de complément du déterminant)
*Cet auteur dont j’ai lu peu des livres2
L’analyse de Milner (1978) est reprise et rendue encore plus unitaire par Kupferman (2004).
Cet auteur range en effet également les partitifs dans l’ensemble des constructions « de quantité » et fait de de l’élément quantitatif de base dont le spécifieur donne le contenu prédicatif.
La grammaire n’assimile pas forcément tous ces de. Ainsi Wilmet (2003) distingue-t-il entre article (le partitif, certaines formes disloquées) et préposition (§ 199 en remarque) pour certains de rattachés à des déterminants adverbiaux. ← 10 | 11 →
Une alternative aux thèses concurrentes de l’unicité ou de catégories distinctes est proposée dans Carlier et Melis (2006). Ils expliquent que l’analyse de Foulet (1928) sur laquelle se base Milner (1978) ;
Peu d’invités = quantifieur + de +N
Des invités = Ø + de + article défini +N
n’est valide ni historiquement, ni en termes de propriétés, mais ils voient dans les différents de des déterminants une famille de formes apparentées.
Dans ce qui suit, on va s’intéresser aux constructions de déterminants en de, qui partagent quand même toutes une autre propriété fondamentale : le de n’affecte pas la valence verbale3, et s’il est régi, c’est pour se rattacher de près ou de loin à un élément nominal ou pronominal introducteur, analysable comme déterminant. À défaut, il peut se construire seul, de préférence dans la complémentation directe du verbe, comme le partitif défini :
Ce peintre, j’ai pu admirer de ses oeuvres à la biennale d’automne
Notre but est de montrer : 1) que ces constructions diffèrent entre elles et ne sont pas toutes quantitatives ; 2) qu’elles obéissent à un classement hiérarchisé qui fait émerger de façon régulière une valeur du de qu’elles contiennent. Cela admis, on peut ensuite essayer de comprendre comment l’ensemble de propriétés diverses de ces différents de sont à mettre en relation.
2. Les différents de des déterminants
2.1 DES /DU articles
L’article est à distinguer du partitif défini, qui signifie une quantité partielle d’un ensemble. Même dans les conditions les plus favorables, comme ci-dessous : verbe « fragmentatif » (Englebert), position objet direct, spécification par un complément, le sens partitif défini n’est pas évident ni unique :
J’ai mangé des gâteaux qu’on m’a apportés hier
Le sens partitif serait « quelques-uns parmi », mais on remarque que la phrase peut aussi bien signifier : tous les gâteaux apportés hier. Dans ce cas, c’est avec l’article indéfini. L’analyse classique de celui-ci fait du les incorporé dans l’article un « article générique » sur lequel de opère ← 11 | 12 → une partition, ce qui est plutôt absurde ici : l’ensemble générique serait « gâteaux qu’on m’a apportés hier ». La valeur de base de des est plutôt, indépendante de toute idée de partition ensembliste, celle de l’introduction d’objets nombrables. On soutiendra que ce n’est qu’indirectement, par le contexte, que des peut alors être interprété comme une variante de quantifieur comme quelques.
De nombreux cas illustrent l’absence d’intention quantifiante dans certains emplois de l’article des :
a) Luc a des cheveux blancs, Marie a des yeux bleus
Le des peut s’appliquer à la totalité des cheveux (et normalement aux deux yeux !). Dans le 1er cas, la phrase peut aussi quantifier : « quelques cheveux blancs ». L’emploi non quantitatif est le seul dans :
Il est venu me voir il y a maintenant huit ans ; il avait la figure ridée et des cheveux tout blancs. (Maupassant cité par Furukawa 2005)
Il faut distinguer ici entre un emploi non quantitatif de des, introducteur basique d’un nom de première mention, non défini donc, abordé comme nombrable non quantifié (donc pluriel), comme dans Il a de beaux cheveux qui n’implique nullement que quelques-uns ne le sont pas ! L’autre sens est quantitatif (pas partitif !), avec le sens de quelques et c’est le seul qui, semble-t-il, peut être repris naturellement par en :
Il en a, des cheveux blancs (= quelques-uns) / Il en a de blancs, des cheveux
??Il en a, des yeux bleus
b) On ne laisse entrer que des étudiants (Furukawa 1986)
C’est la qualification nominale qui compte ici, il n’y a pas de quantification. La phrase serait synonyme de on ne laisse entrer que les étudiants.
c) Les professeurs avaient mis des cravates (cf. Muller 2001)
Le des est l’accord de mettre (une) cravate avec un sujet pluriel. Il n’y a probablement pas de quantification, en tout cas pas de quantification indépendante, des n’est pas remplaçable par quelques, plusieurs, ou un cardinal.
d) Max a écrit des poèmes pendant deux heures ; Harvey a continué à tuer des lapins (Dobrovie-Sorin et Beyssade 2004 : 39)
L’emploi est distinct de celui des quantifieurs : on peut utiliser des pour décrire une activité et non un accomplissement. ← 12 | 13 →
Il y a donc divers emplois de des. On en distinguera trois :
– un partitif défini départageant l’ensemble de référence, avec des restrictions fortes d’emploi ;
– un quantitatif indéfini, qui peut signifier une quantité variable (quelques, un peu de) sur un ensemble ou une partie de la dénomination du NP (abordé par l’angle de l’élément ou de la partie) ;
– un non quantitatif indéfini (introduction d’un nom en première mention, avec sa spécification nombrable).
La distinction entre l’emploi quantitatif et l’emploi indéfini pourrait se prolonger dans les deux emplois génériques qui ont été proposés pour l’article des :
– le générique non quantitatif :
Des diplomates doivent être discrets (= tous les diplomates) (Attal 1976 : 128)
– l’emploi de « généricité partitive » :
Des chats aiment la musique religieuse (Kleiber 2005 : 228)
2.2 DE dans les dislocations
Les formes des/du peuvent apparaître en dislocation :
J’en ai eu huit, des chats (Vargas, Dans les bois éternels, p. 365)
C’est la forme préférentielle en début d’énoncé :
Des bateaux, j’en ai pris des tas (Brassens)
Mais on trouve aussi de antéposé :
De montre, il me reste celle-là (Wilmet 2003 : § 186)
La position postposée liée à un terme recteur favorise de :
J’en ai pris des tas, de bateaux
L’emploi de de seul n’est possible que dans la complémentation plus ou moins proche d’un terme recteur :
*J’en ai eu, de chats
On tiendra cette particularité comme définitoire du de disloqué. La contrainte d’ordre (qui n’exclut pas une antéposition du de N postposé dans quelques cas) traduit une relation syntaxique. Le recteur de de NP ← 13 | 14 → disloqué peut être un terme sans possibilité de complémentation avec de dans les formes liées :
Résumé des informations
- Pages
- 256
- Année de publication
- 2016
- ISBN (PDF)
- 9783035266030
- ISBN (MOBI)
- 9783035297423
- ISBN (ePUB)
- 9783035297430
- ISBN (Broché)
- 9782875743268
- DOI
- 10.3726/978-3-0352-6603-0
- Langue
- français
- Date de parution
- 2016 (Avril)
- Mots clés
- Semantic Bloomfield Wagner
- Page::Commons::BibliographicRemarkPublished
- Bruxelles, Bern, Berlin, Frankfurt am Main, New York, Oxford, Wien, 2016. 256 p., 43 ill., 1 tabl.