Texte, Fragmentation, Créativité II / Text, Fragmentation, Creativity II
Penser le fragment littéraire / Studies on a fragment in literature
Résumé
A literary work can be considered as a place under the influence of opposing forces. On the one hand, there are deconstructing forces which, by affecting the structure, interfere with its continuity; on the other hand, there are counteracting forces that seek to connect separated parts to create a new unity. The contributions in this book examine the formal and semantic functioning of a fragment in French and Francophone literature. They prove that the decomposition of form does not cause the destruction of the work, but releases all its creative potential.
Extrait
Table des matières
- COUVERTURE / COVER
- TITRE / TITLE
- COPYRIGHT
- SUR L’AUTEUR/L’ÉDITEUR / ABOUT THE AUTHOR(S)/EDITOR(S)
- À PROPOS DU LIVRE / ABOUT THE BOOK
- POUR RÉFÉRENCER CET EBOOK / THIS EBOOK CAN BE CITED
- TABLE DES MATIERES
- AVANT-PROPOS
- PROBLEMATIQUES ET PERSPECTIVES
- La fragmentation, stratégie énonciative et liberté textuelle (Bernard-Marie Garreau)
- TENSIONS : CONTINUITES ET DISCONTINUITES
- Les Silves de Stace : aux sources d’un mode d’écriture (Fernand Delarue)
- Diderot critique d’art : une poétique de la fragmentation (Nadège Langbour)
- Le caractère fragmentaire de l’univers romanesque de Robert Pinget et de son personnage-écrivain (Czesław Grzesiak)
- Fragmentation de l’écriture et continuité narrative : une tension créatrice dans Tous les matins du monde de Pascal Quignard (Abdoulaye Diouf)
- Flux et flash. Les (dis)continuités temporelles dans Les Années d’Annie Ernaux (Jolanta Rachwalska von Rejchwald)
- RE/CONFIGURATIONS STRUCTURELLES ET VISUELLES : SEUILS, MARGES ET BLANCS
- Voyage fragmenté, poésie et avant-gardes. Autour de Prose du Transsibérien et de la petite Jehanne de France (Blaise Cendrars – Sonia Delaunay, 1913) (Carlota Vicens-Pujol)
- Le livre de « paroles peintes » : une expérience littéraire. Paul Claudel face à l’Extrȇme-Orient (Agnieszka Kukuryk)
- Le blanc dans la poésie de Paul Éluard : fragment ou / et unité ? (Fatma Bouattour)
- La fragmentation dans l’écriture durassienne : marges textuelles (Anna Ledwina)
- La passion de l’épigraphe de Thomas Owen fantastiqueur (Renata Bizek-Tatara)
- DISSOCIATIONS ASSOCIATIVES : HYBRIDITES, MOSAIQUES ET PUZZLES
- La fragmentation du corps du texte dans The Master of Ballantrae de Robert Louis Stevenson (Flora Benkhodja)
- Paraphrénie, fragmentation par calembours, littérature et avant-gardes : le cas des grenouilles de Jean-Pierre Brisset (Marc Décimo)
- La mise à mort de Louis Aragon, ou la Vérité reconstruite (Syrine Jemour)
- Le jeu de puzzle dans le théâtre de Jean Anouilh (Sylwia Kucharuk)
- La voix autobiographique de l’auteur et la forme hybride de La Noire de Jean Cayrol (Elżbieta Porada)
- Fragments de vie dans le roman choral de François Blais. La classe de madame Valérie comme le reflet des enjeux de la société québécoise (Ewelina Berek)
- « Marcher sur la tȇte » : du fragment savant comme changement de démarche (Ninon Chavoz)
- L’Optique des fragments. Le texte entre transparence et opacité : à propos de Mallarmé, Benjamin et Barthes (Olivier Aïm)
- TITRES DE LA COLLECTION / SERIES INDEX
Le présent volume Texte, Fragmentation, Créativité II. Penser le fragment littéraire rassemble dix-huit contributions inédites portant sur les rapports entre la fragmentation et la créativité dans les littératures française et francophone. De nombreuses approches théoriques, génériques et esthétiques s’y croisent et s’entrecroisent à la faveur de l’esprit de transdisciplinarité.
Le fragment en tant qu’un moyen d’expression artistique n’est pas un bel « objet » littéraire (Barthes) qui vise la surenchère formelle. Le fait qu’à l’œuvre achevée et close, on préfère l’œuvre en morceaux ne relève pas seulement d’un choix artistique, mais aussi d’une prise de position qui dépasse largement la création littéraire sensu stricto. Il s’avère que cette forme – disruptive, nerveuse, « haillonneuse » (Quignard) – semble une réponse adéquate donnée par le monde en crise, traversant une profonde mutation. Claude Allègre en parle dans La Défaite de Platon ou la science du XXe siècle : « nous sortons d’une vision du monde […] où l’ordre, la symétrie parfaite, l’équilibre étaient les maîtres-mots, les références, les modèles. Nous entrons dans ce monde où l’on réalise que c’est le désordre qui est créateur, où la symétrie est brisée, où les défauts sont fertiles, où les déséquilibres sont permanents […] » (1995 : 364).
L’écriture fragmentaire, symptôme d’une crise de la conscience et signe de la littérature « moderne », va à l’encontre de la littérature « classique », vouée à l’unité, la complétude et le continu. Renonçant à ces vertus « traditionnelles », l’œuvre en fragments invente un nouvel espace d’écriture et de lecture, régi par la logique qui s’ouvre sur les possibles du sens. Rejetant la prétendue perfection, résultant de l’ordre rectilinéaire et unique, l’œuvre fragmentaire se révèle comme une structure dynamique, voire « dissipative », comme dirait I. Prigogine ; elle apparaît aussi comme un lieu de tensions qui ne s’épuisent pas dans des frictions stériles (malgré l’étymologie belliqueuse du « fragment » : frangere, « briser, rompre, fracasser »), mais qui se résolvent en un champ de forces d’invention et de (re)création.
L’article de Bernard-Marie Garreau, « La fragmentation, stratégie énonciative et liberté textuelle », qui ouvre le présent volume, se donne pour ambition de faire un tour d’horizon de la problématique de la fragmentation dont la complexité interpelle les chercheurs de sens. Il déploie une panoplie d’angles d’approche et fait entrevoir des pistes de recherche, tout en proposant un appareil notionnel indispensable à tout un chacun qui veut se lancer dans l’étude du fragment littéraire. ← 9 | 10 →
La première section de ce volume, TENSIONS : CONTINUITES ET DISCONTINUITES, propose des travaux qui appréhendent la fragmentation par le biais d’une oscillation entre continuité et discontinuité. Roland Barthes, dans son article devenu désormais classique, Littérature et discontinu, parle de l’affrontement entre l’ordre du discontinu avec celui du continu en termes de choc des paradigmes. Il explique que le discontinu remet en question la structure du Grand Livre traditionnel qui « est un objet qui enchaîne, développe, file et coule, bref, a la plus profonde horreur du vide » (1964 : 183). Les articles de cette partie soumettent à l’analyse tous les cas de rupture avec la discursivité argumentative qui bouleversent le continuum traditionnel de l’œuvre, fondée sur le socle tripartite de totalité, de continuité et d’achèvement. Les contributeurs démontrent dans leurs analyses combien la matière textuelle s’avère inquiétée d’interruptions, de superposition d’intrigues et de niveaux temporels.
En interrogeant le sens des blancs, en circumnaviguant les lieux liminaires de l’œuvre, la deuxième partie, RE/CONFIGURATIONS STRUCTURELLES ET VISUELLES : SEUILS, MARGES ET BLANCS, aborde les procédés non sémantiques de la production du sens, celles qui concernent la mise en page et la spatialité de l’œuvre toute entière. Les blancs créent entre les fragments un espace interstitiel, à la fois fédérateur et conflictuel, qui ne disjoint ni ne réunit. Partout est décelable une tension entre la volonté de briser un ancien ordre et la volonté d’en instaurer un nouveau. Les contributeurs concluent à l’unanimité que celui qui veut aborder l’œuvre fragmentaire doit changer le point d’optique afin de voir dans cette apparente non-structure fragmentaire source de créativité et une ouverture à la potentialité de la création.
La troisième section de l’ouvrage, DISSOCIATIONS ASSOCIATIVES : HYBRIDITES, MOSAIQUES ET PUZZLES, regroupe les contributions qui, tout en problématisant les rapports entre le tout et la partie, en interrogeant les jeux (dé)constructionnistes dressent un champ notionnel de la poétique de la rupture. Les travaux réunis démontrent que la fragmentation ne doit pas ȇtre associée au désordre et déboucher sur un ensemble chaotique, dépourvu d’attaches structurelles. Chaque désordre a son ordre et la fragmentation a aussi le sien. Chaque fragment peut être abordé, à la fois, comme une entité autonome et comme une partie de l’ensemble. Cette bifacialité du fragment permet de parler de « co-présence » comme du mode de fonctionnement textuel du fragment.
Les études réunies dans cet ouvrage mettent en avant les vertus (re)créatrices de la fragmentation et expliquent, à grand renfort d’exemples, par quelles voies toutes ces brisures, « hachures du discontinu » (Bachelard) et « blocs erratiques » (Lacoue-Labarthe) parviennent à créer un nouvel ensemble capable de faire ← 10 | 11 → advenir le sens. À travers les textes, que nous soumettons à la lecture studieuse et critique, se reflète l’idée que la fragmentation n’a rien d’un geste négatif de la destruction, mais qu’elle est sous-tendue par une tentation du neuf qui fait révéler tout son potentiel de création.
Nous espérons que la lecture attentive des études rassemblées dans ce volume sera une invitation à penser l’œuvre littéraire en termes dynamiques de processus et de mouvement, garants de sa perpétuelle recréation.
Jolanta Rachwalska von Rejchwald
Anna Krzyżanowska
PROBLEMATIQUES ET PERSPECTIVES
Université de Bretagne occidentale, Brest
La fragmentation, stratégie énonciative et liberté textuelle
Abstract: Fragmentation is a fruitful epistemological rupture which breaks with the classical myth of harmony and of mimesis. If it can be seen in an interplay between the part and the whole, it functions on all levels, including the least expected, from the infinitely large to the infinitely small. The correspondence of Marguerite Audoux will serve, finally, as an example of this poetics of a disorder which produces both structure and signification.
Keywords: Fragmentation, antifragmentation, hyperfragmentation, fragment, enunciative strategies
À l’examen, la fragmentation, terme apparemment anodin, recèle une dimension inattendue, et peut conduire dans de multiples directions les pas, la réflexion, voire les croyances – nous allions presque dire la rêverie – du chercheur… En conséquence, pour évoquer un tel feu d’artifice, il est permis d’hésiter entre plusieurs voies, y compris celle du roman policier puisqu’il s’agit bien de traquer, selon le regard qu’on lui accorde, cet heureux intrus, ou ce suspect, sinon ce coupable, que serait la fragmentation. Cela ne serait d’ailleurs pas hors de saison, tant il est vrai que le mélange des genres, l’intergénéricité, ou la multigénéricité – nous le verrons – est un des aspects de notre sujet. Mais pour des raisons à la fois didactiques et heuristiques, conservons plus sagement les sentiers universitaires en allant du simple au complexe.
Si l’on commence ainsi par la définition et l’histoire du mot, on notera déjà cette constatation intéressante qu’un dictionnaire de base destiné au grand public comme le Petit Larousse, dès la deuxième définition du mot fragment (puisque c’est de ce mot qu’il faut partir), nous fait pénétrer de façon insistante, à travers ses exemples, dans le champ artistique et littéraire à propos des « fragments d’une statue » ou d’un « fragment de l’Odyssée ». La fragmentation appliquée à la littérature serait ainsi devenue une catachrèse, c’est-à-dire que le mot aurait oublié depuis longtemps son stade métaphorique.
L’histoire de ce vocable n’est pas moins riche d’enseignements. La racine indo-européenne BHREG- nous fait commencer ce voyage. Le latin frangere qui en constitue l’une des premières étapes postérieures renvoie au sens de brisure, ← 15 | 16 → de cassure, lié à celui de fragilité – mot issu de la même racine. Certains autres dérivés nous surprennent, comme le suffrage, car le suffragium était ce tesson, provenant d’une marmite en terre brisée, et au moyen duquel on votait. Le choix des élus, originellement, reposait donc sur un fragment, une brisure, et cet aspect partiel en annonçait peut-être le caractère partial. On sait que du suffrage au naufrage – autre mot de la même racine –, il n’y a parfois qu’un mauvais pas, qu’on n’envisage pas sans… frayeur – nouveau vocable de la même famille.
Bref, on pourrait continuer à s’amuser ainsi en considérant l’histoire sémantique du mot, assortie de tous ses dérivés. Mais ce qui nous importe, dans une optique davantage synchronique, c’est de comprendre que, sous ce terme de fragmentation, émergent deux significations à la fois voisines et distinctes, complémentaires pourrait-on dire : tout d’abord une idée de rupture, c’est-à-dire l’acte même de briser – autrement dit, l’activité du créateur, qui ressemble souvent à celle d’un enfant imaginatif et capricieux – ; et d’autre part le résultat de cet acte iconoclaste (on pourrait dire logoclaste ici), c’est-à-dire – et c’est un sens particulier dans le domaine de la géomorphologie, ou même de l’informatique – la dissémination d’un tout ou d’un fragment en fragments plus petits. D’où l’idée de hiérarchie et d’arborescence.
Résumé des informations
- Pages
- 234
- Année de publication
- 2018
- ISBN (PDF)
- 9783631766705
- ISBN (ePUB)
- 9783631766712
- ISBN (MOBI)
- 9783631766729
- ISBN (Relié)
- 9783631766699
- DOI
- 10.3726/b14614
- Langue
- français
- Date de parution
- 2018 (Décembre)
- Mots clés
- Fragmentation / fragmentation French literature Francophone literature discontinuity / discontinuité continuity / continuité Fragment / fragment
- Page::Commons::BibliographicRemarkPublished
- Berlin, Bern, Bruxelles, New York, Oxford, Warszawa, Wien, 2018. 231 p., 3 tabl.