Femmes et négoce dans les ports européens
Fin du Moyen Âge - XIXe siècle
Résumé
L’ouvrage regroupe douze textes, portant sur des périodes et des espaces géographiques différents, répartis en deux grands axes. Le premier cherche à mettre en évidence la diversité du travail féminin dans les milieux portuaires européens sur la longue durée, de la marchande à la négociante. Le second s’intéresse aux structures commerciales (sociétés et maisons de commerce) et aux rôles des femmes dans les entreprises familiales, au regard du modèle économique des sociétés préindustrielles.
La finalité de ce livre est de montrer des femmes en capacité d’agir à partir de l’exemple des milieux portuaires, en faisant émerger des figures oubliées de « femmes fortes » qui participent à l’économie française et européenne de la fin du Moyen Âge au xixe siècle.
Extrait
Table des matières
- Couverture
- Titre
- Copyright
- Sur l’auteur
- À propos du livre
- Pour référencer cet eBook
- Table des matières
- Remerciements
- Introduction scientifique (Bernard Michon / Nicole Dufournaud)
- Partie 1. De la marchande à la négociante : la diversité du travail Féminin dans les ports
- Les femmes dans le commerce dieppois à la fin du Moyen Âge (Philippe Lardin)
- Les femmes et l’expansion maritime portugaise. Femmes entrepreneuses au Portugal et outre-mer au xvie siècle (Amélia Polónia)
- Comment rendre visible le rôle économique des femmes sous l’Ancien Régime ? Étude méthodologique sur les marchandes à Nantes aux xvie et xviie siècles (Nicole Dufournaud)
- Le rôle des femmes dans le commerce antillais du port de Nantes dans la seconde moitié du xviie siècle (Marion Tanguy)
- Les affaires, la mode et la mer : ports et entrepreneuriat au féminin en Méditerranée occidentale dans les dernières décennies de l’Ancien Régime (Anne Montenach)
- Les activités de négoce des femmes dans les ports atlantiques de l’Espagne au xixe siècle (Luisa Muñoz Abeledo)
- Partie 2. De l’association familiale à la maison de commerce : les rôles des femmes dans les entreprises familiales
- Marguerite Urbane Deurbroucq, née Sengstack, et son esclave (Krystel Gualdé)
- Des suppléantes aux négociantes : la place des femmes dans le grand commerce rochelais du xviiie siècle (Brice Martinetti)
- Femmes et négoce outre-mer : Marseille et la Martinique au xviiie siècle (Gilbert Buti)
- Femmes de commerçants, femmes commerçantes à Bordeaux de la fin de l’Ancien Régime à la Restauration (Philippe Gardey)
- Négociantes à Lorient sous la Révolution et l’Empire : entre émancipation et réalité complexe des pratiques commerciales (Karine Audran)
- Rôles des femmes à la direction des entreprises familiales. Va-et-vient entre le visible et l’invisible (Paulette Robic)
- Conclusions (Martine Cocaud)
- Bibliographie générale
- Liste des contributeurs
- Titres de la collection
Nous tenons à remercier sincèrement les institutions pour leur concours à la réalisation de cet ouvrage.
– Le Labex « Écrire une histoire nouvelle de l’Europe » (EHNE), particulièrement son axe 4 intitulé « L’Europe, les Européens et le monde », dirigé par Michel Catala, professeur d’histoire contemporaine à l’Université de Nantes ; Virginie Chaillou-Atrous, post-doctorante en charge de la coordination de l’axe 4.
– Le Centre de recherches en histoire internationale et atlantique (CRHIA) et son directeur, Éric Schnakenbourg, professeur d’histoire moderne à l’Université de Nantes ; Thomas Burel, chargé de la valorisation et de la communication, et Aurélie Cloarec, gestionnaire financière.
– Les Archives départementales de Loire-Atlantique et du Rhône qui ont permis la publication de documents conservés dans leurs fonds.
– Les Musées qui ont autorisé la reproduction des illustrations présentes dans ce volume : Musée d’histoire de Nantes, château des ducs de Bretagne ; Musée d’Aquitaine, Bordeaux ; Musée du Louvre, Paris ; Metropolitan Museum, New-York.
Cette publication a été finalisée grâce à l’aide de Barbara Chiron, salariée de l’association Les Anneaux de la Mémoire, pour les illustrations, et de Dorothea Nolde, professeure d’histoire à l’Université de Vienne (Autriche), pour les références bibliographiques allemandes. Qu’elles en soient ici remerciées.
Enfin, nous avons demandé un effort particulier aux contributrices et contributeurs qui ont accepté nos directives. Nous leur en savons gré et les remercions chaleureusement pour leur concours. ← 9 | 10 →
Maître de conférences en histoire moderne Centre de recherches en histoire internationale et atlantique (CRHIA-EA 1163) Université de Nantes
Nicole DUFOURNAUD
Docteure en histoire moderne Laboratoire de démographie et d’histoire sociale (LaDéHiS) et « Histoire du genre » École des hautes études en sciences sociales (EHESS), Paris
« Interrogez un historien : avant Mme Francine Gomez [qui dirigea l’entreprise Waterman de 1972 à 1986], combien de femmes d’affaires pourrait-il citer ? ». Telle est l’apostrophe que Serge Chassagne, dans un ouvrage de 1981, lançait en présentant la publication de la correspondance commerciale et financière de Marie-Catherine-Renée Darcel (1737-1822), épouse de Sarrasin de Maraise, entretenue entre 1767 et 1789 avec le célèbre Christophe-Philippe Oberkampf (1738-1815), fondateur de la manufacture royale de toiles imprimées de Jouy-en-Josas. Il poursuivait en écrivant que « notamment à la période moderne, l’homme n’a pas toujours dominé sans partage la sphère de production1 » et signalait également la place occupée par des femmes, généralement des veuves, dans les sociétés d’armement ou de négoce portuaires.
Zones de contacts entre des espaces différents, les grands havres de commerce ont joué, au seuil de l’époque moderne, un rôle décisif dans le processus de désenclavement des grandes parties du monde et sont ← 11 | 12 → devenus des espaces majeurs de la mondialisation2. Le départ des hommes pour des périodes plus ou moins longues, dans le cas des gens de mer ou dans celui des négociants et des planteurs, oblige à laisser la responsabilité de la gestion de la maison et du négoce à une autre personne, souvent à l’épouse. Au-delà de la prééminence du noyau familial, ce choix témoigne de la confiance dont elle jouit de la part de son mari et apporte également la preuve de ses compétences et de sa connaissance des affaires maritimes. Au croisement de l’histoire atlantique et de l’histoire du genre, un ouvrage dirigé par les historiens Douglas Catterall et Jodi Campbell, a justement cherché à mettre l’accent sur la place des femmes dans les sociétés portuaires, en élargissant la focale au-delà des seuls milieux négociants3.
De fait, des études historiques consacrées aux milieux négociants des grands ports de commerce ont relevé la présence de femmes dans ce secteur traditionnellement très masculin, posant en creux la question d’une éventuelle spécificité des milieux maritimes. Parmi ces femmes, les veuves ont retenu l’attention. Dès 1969 par exemple, Jean Meyer mentionnait pour Nantes au XVIIIe siècle, les cas de Françoise Despinoze, veuve de Gabriel Michel, ou d’Anne O’Schiell, veuve de Guillaume Grou, et insistait sur le caractère profondément familial du capitalisme marchand4. André Lespagnol a également constaté dans son étude sur le négoce malouin cette « réalité à première vue surprenante et même problématique, au sens premier de l’expression », au point que son article est devenu une référence historiographique sur ce sujet5. L’auteur a recensé 15 femmes « négociantes » en 1701 sur un total de 148 négociants, « soit un taux de “féminité” de plus de 10 % qui n’a rien de dérisoire6 ». Ce ← 12 | 13 → rôle des veuves de négociants peut également être mesuré pour des sites de moindre envergure : ainsi dans la première moitié du XVIIIe siècle, sur plus de 1 000 retours de morutiers des Sables-d’Olonne en provenance des bancs de Terre-Neuve effectués à Nantes, environ 18 % des navires étaient armés par des femmes7. De tels chiffres interrogent : sont-ils exceptionnels ou susceptibles de se retrouver dans d’autres lieux ?
Ce constat n’est évidemment pas une spécificité française et se rencontre à l’échelle européenne : pour le nord du continent, Pierre Jeannin a mis en évidence les situations de nombreuses veuves, de Katharina, veuve de Wilhem Bresser à Lübeck, à la veuve d’Andreas Berenberg à Hambourg8. S’intéressant aux femmes d’affaires et plus précisément aux marchandes, l’historien Daniel Rabuzzi a relevé plusieurs noms de femmes dans le commerce de gros à Stralsund, au bord de la mer Baltique : elles représentent 11 % du total des marchands entre 1750 et 1815, 50 sont veuves et 4 autres célibataires. Passé le milieu du XVIIIe siècle, il constate toutefois une diminution de leur nombre9. En Europe du Sud, où la situation des femmes est traditionnellement considérée comme plus défavorable, les cas ne manquent pas non plus. À Marseille par exemple, Perrine Baux, épouse Rabaud (1759-1840), est rendue visible par son veuvage, perpétuant le négoce de son défunt mari pendant vingt ans avant de le transmettre à son fils10. En Italie, « Dès les XIVe-XVesiècles, l’instruction élémentaire, au moins la connaissance de l’écriture et du calcul, devient une nécessité pour les femmes […] de la bourgeoisie ← 13 | 14 → commerçante qui remplacent leur mari quand celui-ci s’absente pour ses affaires11 ».
Les colonies européennes, situées outre-mer, n’échappent pas non plus à ce schéma : par exemple, Laëtitia Béchet a retracé l’itinéraire de vie de Catherine Macary, veuve de Pierre Wandas, négociante à Saint-Pierre de la Martinique dans le dernier quart du XVIIIe siècle et dans les premières années du XIXe siècle12.
Un autre travail, mené sur le commerce maritime nantais a, par ailleurs, montré qu’au-delà des veuves, des femmes mariées et des « filles seules » participaient aussi au négoce13 ; Marie-Catherine-Renée Darcel, femme mariée étudiée par Serge Chassagne, occupait les fonctions de « directeur commercial et financier » de la société fondée entre son mari et Oberkampf. Mariée à presque 30 ans, elle était auparavant la commissionnaire d’Oberkampf dans le port de Rouen. Le veuvage n’est donc pas obligatoire pour être une femme d’affaires reconnue : parmi les nombreux exemples possibles, citons celui de Magdeleine Lartessuti (1478-1546), « armatrice » à Marseille sous François Ier14. La « fille seule » devient moins visible en se mariant et en passant sous la tutelle de son époux mais par des voies détournées, elle peut réapparaître quand la société patriarcale, mais pragmatique, l’autorise à exercer des activités économiques et financières. Comme l’a souligné l’historienne Scarlett Beauvalet-Boutourye : « De nombreuses descriptions nous montrent les femmes s’affairant dans la finance ou le commerce, tenant boutique, traitant avec des marchands étrangers, en leur nom ou pour le compte de leur époux, achetant, vendant. […] Certes, on ne saurait généraliser la participation des femmes aux affaires, le degré de collaboration avec leur mari dépendant de la personnalité de chacune15 ». ← 14 | 15 →
Dès son origine, cette étude a souhaité s’inscrire dans le courant de l’histoire des femmes et du genre. Si la sociologue anglaise Ann Oakley16 a introduit dans les années 1970 le terme de gender pour théoriser la distinction entre le sexe – donnée biologique – et le genre – une construction sociale –, l’historienne américaine, Joan Scott, quant à elle, a vu dans ce concept une façon de signifier des rapports de pouvoir qui génèrent une domination masculine17. En France, il a fallu attendre les années 1990, pour que le concept gender – en français « genre » – s’impose en histoire grâce au mouvement militant des années 1970 en histoire des femmes qui a trouvé depuis un ancrage académique18. Il a d’abord fallu écrire l’histoire des femmes pour faire émerger 50 % de la population, rendre visible l’invisible, faire apparaître des femmes comme actrices sociales et économiques avant d’étudier les relations et les rapports entre les hommes et les femmes. « Pas d’histoire sans elles ! » écrivait l’historienne Françoise Thébaud en 200419. Les formes récentes d’institutionnalisation comme l’ampleur des productions scientifiques montrent une légitimité nouvelle de ce champ de recherche20.
« Qu’est-ce que le genre ? Comment le penser en histoire ? », s’interrogeait Michèle Riot-Sarcey. Le concept du genre sert à poser des questions21. Il constitue une catégorie d’analyses, une véritable boîte à outils pour les chercheuses et les chercheurs en histoire. Il s’agit alors de déconstruire les stéréotypes, d’étudier la construction sociale des rapports de sexe et des rapports de pouvoir et de domination ; en d’autres termes penser différemment. Si les études sur le rôle économique des femmes sont nombreuses pour la période contemporaine, elles le sont beaucoup moins pour les siècles précédents. De nombreux obstacles ← 15 | 16 → de compréhension de la condition féminine sont à l’origine de cette situation : par exemple le système de représentation sociale autour de la famille nucléaire ne fonctionne pas pour le début de l’époque moderne22 ; la « mère au foyer » entourée de nombreux enfants est une invention du XVIIIe siècle dont la pratique ne se développe qu’au XIXe siècle, surtout dans les couches moyennes de la population23. Pour le médiéviste Didier Lett, les questions en histoire des femmes et du genre sont biaisées car trop souvent des catégories contemporaines non pertinentes sont plaquées pour les époques anciennes24. Enfin, comme l’a indiqué Éliane Richard : « les historiens, victimes du discours normatif de l’époque qui cantonne les femmes dans le champ du privé, n’ont pas toujours tenté de vérifier la pertinence de ces idées reçues25 ». Quant à l’éducation, que ce soit dans les secteurs de l’industrie ou du commerce, dans le monde rural ou urbain, les enfants ne sont pas seulement instruits par les mères, mais par les femmes pour les plus jeunes enfants et par les hommes à partir d’un certain âge, environ sept ans26. L’instruction hors de l’école et la formation aux métiers sont assurées par les familles avec les domestiques ou chez les artisans27. Ces deux sujets – femmes au sein des familles et éducation des filles – méritent d’être approfondis au prisme du genre. ← 16 | 17 →
Fort des acquis de l’historiographie, l’ambition du présent volume est de faire dialoguer des chercheuses et chercheurs en histoire portuaire et maritime avec celles et ceux qui travaillent sur l’histoire des femmes et du genre28. Une telle entreprise se justifie en effet par l’éclatement de la recherche en grands champs thématiques : aussi l’un des objectifs de ce livre est-il de dresser un bilan historiographique sur la question, généralement peu mise en avant, de la place des femmes dans le négoce des ports européens de la fin de l’époque médiévale au début de la période contemporaine. La période étudiée permet d’interroger l’éventuel impact de la dilatation des horizons commerciaux des Européens et de l’essor du trafic colonial sur le rôle des femmes dans les places portuaires29.
L’ouvrage regroupe douze textes, portant sur des espaces géographiques et des périodes différents, répartis en deux grands axes30.
Le premier cherche à mettre en évidence la diversité du travail féminin dans les milieux portuaires européens sur la longue durée, grâce aux études de Philippe Lardin sur Dieppe à la fin de l’époque médiévale, d’Amélia Polónia sur le Portugal (Vila do Conde) et ses colonies en Afrique et en Asie au XVIe siècle, de Marion Tanguy sur le commerce vers les Antilles à partir du port de Nantes au XVIIe siècle, d’Anne Montenach sur le monde de la Méditerranée occidentale dans la deuxième moitié au XVIIIe siècle et de Luisa Muñoz Abeledo sur les ports atlantiques de l’Espagne (La Corogne) au XIXe siècle. S’y ajoute un texte méthodologique de Nicole ← 17 | 18 → Dufournaud sur une démarche pour appréhender les archives et rendre visibles les traces des femmes dans les sources masculines.
La réalité et la diversité du travail des femmes dans les milieux portuaires européens – qu’il serait inexact de cantonner uniquement à la prostitution et à la tenue de cabarets –, ont été observées par plusieurs contemporains. En son temps, Turgot écrivait : « Depuis la revendeuse qui étale des herbes au marché, jusqu’à l’armateur de Nantes ou de Cadix, qui étend ses ventes et ses achats dans l’Inde et dans l’Amérique, la profession de marchand, ou le commerce proprement dit, se divise en une infinité de branches, et pour ainsi dire de degrés31 ». Il convient de souligner au passage la répartition sexuée des tâches : aux femmes les activités subalternes et aux hommes les fonctions les plus importantes. L’ouvrage souhaite au contraire mettre en lumière l’accès de certaines femmes au titre de « négociante ». En France en effet, si le terme de « négoce » est utilisé dans les sources pratiquement dès le début de l’époque moderne, le mot « négociant » apparaît à la fin du XVIIe siècle pour désigner la frange supérieure des marchands.
Se pose d’ailleurs la question des facteurs favorables ou non à l’activité des femmes en général et dans le commerce en particulier. Malgré l’existence de corporations excluant les femmes, il semble que le statut juridique parfois favorable aux femmes ait autorisé une capacité d’agir dans certaines régions comme dans le pays nantais et en Bretagne32 mais ← 18 | 19 → aussi dans la Hanse33 et en Flandres. L’incapacité juridique des femmes, caractéristique du XIXe siècle et clairement affirmée dans le Code civil napoléonien, s’est étendue alors à l’Europe. Daniel Rabuzzi a également constaté que le système politique prussien a empêché les femmes de Starlsund d’exercer leurs activités quelques années après l’annexion de la ville par la Prusse. En combinant les systèmes politique et juridique excluant les femmes du domaine public, nous pouvons trouver une bonne explication de la disparition progressive des marchandes dans le négoce à partir du XIXe siècle.
Par ailleurs, Évelyne Berriot-Salvadore, reprenant les travaux d’Émile Coornaert sur Anvers au XVIe siècle, a rappelé que les contemporains observaient la singularité des femmes anversoises « qui ont appris les langues étrangères, la comptabilité et les règles de la correspondance dans ces écoles de filles dirigées par un Pierre Heyns ou un Gabriel Meurier34 ». Quoique peu étudiée, l’éducation des filles et l’éducation domestique est également un critère à prendre en compte. Marie-Catherine-Renée Darcel, fille de marchands-merciers, possède la technique comptable et les éléments de mathématiques qu’elle enseigne aux commis ; elle connaît et lit couramment l’anglais et aussi l’allemand ; elle révèle de grandes qualités commerciales « car, à son mariage, une partie des trente mille livres de ses propres vient “des épargnes de son commerce”35 ». Enfin, elle pratique l’équitation habillée en cavalier. Ce portrait esquissé montre une éducation soignée et des qualités certainement développées lors d’une éducation domestique auprès de parents eux-mêmes marchands.
Le deuxième grand axe de l’ouvrage, comportant six contributions, s’intéresse aux structures commerciales (sociétés et maisons de commerce) et aux rôles des femmes dans les entreprises familiales : Krystel Gualdé étudie les portraits d’un couple de négociants nantais ; le texte de Brice Martinetti sur la place de La Rochelle au XVIIIe siècle et celui de Gilbert Buti sur les liens entre Marseille et la Martinique par le prisme de la correspondance commerciale de la Maison Roux, font émerger des figures de femmes négociantes ; tandis que Philippe Gardey et Karine Audran, par leurs approches respectivement sur Bordeaux et Lorient, questionnent de possibles évolutions survenues dans le négoce ← 19 | 20 → avec la Révolution française. Comme pour la première partie, un texte méthodologique apporte un indispensable éclairage pour mieux étudier les fonctions occupées par des femmes dans le négoce : Paulette Robic, par son regard de gestionnaire, donne une grille de lecture pertinente aux historiens et historiennes pour analyser le va-et-vient entre le rôle visible et invisible des femmes.
Les négociants forment en effet des « firmes36 », des « maisons de commerce » ou des « entreprises commerciales ». La notion d’« entreprise » mérite d’être explicitée. Selon l’historienne Hélène Vérin, elle devient au début du XVIIIe siècle « un concept théorique lorsqu’elle est définie comme une forme d’intervention économique produite par/productrice de – un ordre ou une classe d’entrepreneurs37 », même si le mot désigne surtout pour les contemporains des constructeurs de bâtiments. De nos jours, pour les économistes et les gestionnaires, l’entrepreneuriat suppose la présence de salariés au sein de la structure.
Ces structures et leur fonctionnement doivent être interrogés au regard du modèle économique des sociétés préindustrielles. D’après l’historien Jean-Yves Grenier qui travaille sur la parenté, il faut attendre les années 1850 pour percevoir les transformations du ménage conduisant à une autre organisation, le modèle de l’homme comme unique source de revenu et la femme qui se consacre aux travaux domestiques38. Dès le XVIIIe siècle, le développement du capitalisme serait la cause de la séparation entre l’entreprise et le ménage, entre l’économie marchande et la vie quotidienne, cette dernière étant définie comme l’ensemble des activités nécessaires à l’entretien et au développement des individus39. La dimension familiale dans les activités économiques est au cœur de notre sujet. Jusqu’au XVIIIe siècle, les entreprises que nous qualifions de ← 20 | 21 → familiales par commodité, apparaissent comme des entreprises dont la structure est bien plus large que le couple et leurs enfants : elle comprend également les oncles et tantes, neveux et nièces, commis et domestiques. La structure parentale semble être un facteur d’autonomie pour les femmes qui ne sont pas enfermées au sein de la cellule familiale.
Résumé des informations
- Pages
- 300
- Année de publication
- 2018
- ISBN (PDF)
- 9782807607729
- ISBN (ePUB)
- 9782807607736
- ISBN (MOBI)
- 9782807607743
- ISBN (Broché)
- 9782807607712
- DOI
- 10.3726/b14887
- Langue
- français
- Date de parution
- 2018 (Décembre)
- Published
- Bruxelles, Bern, Berlin, New York, Oxford, Warsawa, Wien, 2018, 300 p., 9 ill. color, 16 ill. b/w, 11 tab. b/w