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La Réconciliation comme volonté de vie

Une Proposition socio-anthropologique et éthique pour la reconstruction du vivre ensemble en République Démocratique du Congo

de Frédéric Fungula Kwilu (Auteur)
©2019 Thèses postdoctorales 270 Pages

Résumé

La scène de la vie quotidienne qu’offre la République Démocratique du Congo (RDC) depuis quelques décennies est marquée par une crise d’identité due à de multiples mouvements de rébellions armées et de guerres. Suivant une herméneutique dite contextuelle qui prend au sérieux la singularité de tout contexte particulier, la présente réflexion analyse ce contexte socioculturel congolais. L’auteur propose quelques pistes pour relever ces défis. La réponse sociologique, anthropologique et éthique passe par une herméneutique adéquate de la diversité humaine. La réalité humaine se définit par les figures plurielles d’être et d’action, la diversité de visions du monde et la variété des modes d’approches de ce monde. La réconciliation comme proposition dans la construction du vivre-ensemble a, en effet, son Sitz-im-Leben dans la multiplicité des visions du monde qu’implique la diversité humaine. Cette approche de la Réconciliation est centrée sur une dynamique identitaire qui insiste sur le sens de la relation. Ce que nous appelons la mise en valeur de l’Altérité, autrement dit la Reconnaissance mutuelle. À l’horizon de cette démarche, il y a une volonté profonde et réelle d’ouvrir la RDC à des devenirs possibles en pensant les diverses modalités de vivre-ensemble.

Table des matières

  • Cover
  • Titel
  • Copyright
  • Autorenangaben
  • Über das Buch
  • Zitierfähigkeit des eBooks
  • Remerciements
  • Vorwort
  • Table des matières
  • Sigles et abréviations
  • Introduction générale
  • Première Partie : Penser les phénomènes de destructivité : Un regard spécifique sur les conflits armés en République Démocratique du Congo
  • I. Causes et facteurs des conflits armés en RDC : analyse des différentes forces vives de la société congolaise.
  • I.1 Rapport du groupe d’organisations de promotion et de protection des droits humains
  • I.1.1 Genèse de la guerre
  • I.1.2 Causes et facteurs de la guerre
  • I.1.2.1 La volonté de balkanisation de la RDC par certaines puissances étrangères et la convoitise de ses richesses
  • I.1.2.2 La mauvaise gestion de la question de la nationalité et du problème de la nationalité transfrontalière : Cas des réfugiés Tutsi et Hutu à l’Est de la RDC
  • I.1.3 Propositions de pistes de solutions
  • I.2 Associations savantes, scientifiques et culturelles
  • I.2.1 Réflexions au sujet de la cohésion nationale et des causes de la guerre
  • I.2.2 Propositions et recommandations
  • I.3 Groupe des Organisations féminines
  • I.3.1 Réflexions autour de la cohésion nationale
  • I.3.2 Les analyses autour des causes réelles de la guerre
  • I.3.3 Propositions de pistes de solutions
  • I.4 Associations de jeunes
  • I.4.1 Obstacles à la cohésion nationale
  • I.4.2 Les obstacles à la paix
  • I.4.3 Les causes réelles de la guerre
  • I.4.4 Pistes de solutions
  • I.5 Les Institutions Publiques
  • I.5.1 Les causes externes de la crise et de la guerre
  • I.5.1.1 Cause idéologique et culturelle
  • I.5.1.2 Causes politiques
  • I.5.1.3 Cause socio-économique
  • I.5.1.4 Causes géostratégiques
  • I.5.1.5 Sur le plan idéologique et culturel
  • I.5.1.6 Sur le plan politique
  • I.5.1.7 Sur le plan socio-économique
  • I.5.1.8 Sur le plan de la défense et de la sécurité
  • I.5.2 Les obstacles à la cohésion sociale et à la paix
  • I.5.3 Différentes Pistes des solutions
  • I.5.3.1 Au niveau régional et international
  • I.5.3.2 Au niveau national
  • I.6 Confessions religieuses
  • I.6.1 Obstacles à la cohésion, à la paix et à la concorde nationale
  • I.6.2 Causes réelles de la guerre
  • I.6.3 Quelques Pistes des solutions
  • I.7 Partis politiques, Groupes d’opinions et personnalités politiques
  • I.7.1 Obstacles à la cohésion nationale
  • I.7.2 Des obstacles à la paix
  • I.7.3 Des causes de la guerre
  • I.7.4 Des pistes de solutions
  • I.8 Diaspora Congolaise
  • I.8.1 Causes de conflits
  • I.8.2 Propositions de Pistes de solutions
  • I.9 Associations d’intérêts économiques, corporatifs et artisanaux
  • I.9.1 Freins à la paix, à la concorde, au dialogue et au développement économique
  • I.9.2 Pistes de solutions
  • I.10 Chefs coutumiers et autorités traditionnelles en RDC
  • I.10.1 Obstacles à la cohésion
  • I.10.2 Causes réelles de la guerre
  • I.10.3 Pistes de solutions
  • I.11 ONG de développement communautaire
  • I.11.1 Les causes réelles de la guerre
  • I.11.2 Les obstacles à la paix, à la cohésion et à la concorde ^nationale
  • I.11.3 Pistes de solutions
  • I.12 Organisations syndicales
  • I.12.1 Les obstacles à la cohésion, à la concorde nationale et à la paix
  • I.12.2 Causes de la guerre
  • I.12.3 Pistes de solutions
  • I.13 Commission éthique et réconciliation
  • I.13.1 Volet éthique
  • I.13.2 Volet réconciliation nationale
  • II. Brève Récapitulation de la première partie
  • Deuxième Partie : La pensée sociale des évêques catholiques de la République Démocratique du Congo sur l’état actuel du pays
  • I. Analyse de la pensée socio-politique de l’Épiscopat de la République Démocratique du Congo à partir de quelques documents de la Conférence Épiscopale Congolaise
  • I.1 Non à la guerre, oui pour la paix et la justice. Déclaration (du Président de la Conférence Episcopale du Zaïre appelé aujourd’hui RDC, et du Président de la Commission épiscopale Justice et Paix) aux fidèles catholiques et aux hommes de bonne volonté. 29 octobre 1996162
  • I.2 Bienheureux les artisans de paix (Mt 5, 9). Les événements actuels et l’avenir du Zaïre. Message des évêques du Zaïre aux Catholiques et aux hommes de bonne volonté. 31 janvier 1997166.
  • I.3 « Lève-toi et marche » (Ac 3,6). Message des Evêques Catholiques de la République Démocratique du Congo aux fidèles et aux hommes de bonne volonté. 28 juin 1997169.
  • I.4 « Conduis nos pas, Seigneur, sur le chemin de la paix » (Lc 1, 79). Message des Évêques Catholiques de la République Démocratique du Congo aux fidèles et aux hommes de bonne volonté. 7 novembre 1998.
  • I.5 « Sois sans crainte… » (Lc 12, 32). La situation dramatique actuelle et l’avenir de la République Démocratique du Congo. 19 novembre 1999. Message des Evêques de la République Démocratique du Congo aux Catholiques et à tous les hommes de bonne volonté175.
  • I.6 Courage ! « Le Seigneur ton Dieu est au milieu de toi » (So 3, 17). Message des Evêques catholiques de la République Démocratique du Congo aux catholiques et à tous les hommes de bonne volonté. 15 juillet 2000180.
  • I.7 Tous, pour les intérêts supérieurs de la Nation. Messages des évêques de la CENC (Membres du comité permanent) aux fidèles catholiques et aux hommes de bonne volonté. 2 mars 2001182.
  • I.8 « L’espérance ne déçoit jamais » (Rm 5,5). Le dialogue du peuple congolais, dans la liberté, la justice et la vérité. Message des évêques de la CENC aux fidèles catholiques et aux hommes de bonne volonté. 7 juillet 2001186.
  • I.9 « J’ai vu la misère de mon peuple » (Ex 3, 7). Trop, c’est trop ! Message des Evêques de la Conférence Episcopale nationale du Congo, membres du Comité Permanent, aux fidèles catholiques et aux hommes de bonne volonté. 15 février 2003189
  • I.10 Pour l’amour du Congo, je ne me tairai point (Cf. Is 62, 1). Message du Comité Permanent des Evêques de la République Démocratique du Congo aux fidèles catholiques et aux hommes de bonne volonté. 14 février 2004196.
  • I.11 Mémorandum du comité permanent des évêques de la République Démocratique du Congo au Secrétaire général des nations unies. 14 février 2004199.
  • I.12 « Frères, que devons-nous faire ? » (Ac 2, 37). L’heure des responsabilités a sonné. Message des Evêques du Congo aux fidèles catholiques et aux hommes de bonne volonté. 3 juillet 2004202.
  • I.13 « Voici le temps favorable, voici maintenant le jour du salut » (2 Cor 6, 2). Le Congo nous appartient. Déclaration du Comité permanent des Evêques de la RDC sur la situation politique actuelle aux fidèles catholiques et aux hommes de bonne volonté. 5 février 2005207.
  • I.14 « Pourquoi avoir peur ? » (Mc 4, 40). L’avenir du Congo dépend de son peuple. Message des Evêques aux fidèles catholiques et aux hommes de bonne volonté à l’occasion du 45° anniversaire de l’indépendance de la République Démocratique du Congo. 22 juin 2005209.
  • I.15 « Levons-nous et bâtissons ! » (Ne 2, 18). Pour un Congo nouveau. Déclaration du Comité Permanent des Evêques de la RDC adressée aux fidèles catholiques et aux hommes de bonne volonté. 3 mars 2006212.
  • I.16 « La vérité vous rendra libres » (Jn 8, 32). Le verdict des urnes dans la transparence. Messages des Evêques de la conférence épiscopale nationale du Congo aux fidèles catholiques et aux hommes de bonne volonté. 5 octobre 2006216.
  • I.17 « Avance en eau profonde » (Lc 5, 4). La foi dans l’avenir du Congo. Déclaration de la CENCO à l’aube de la III° République. 5 décembre 2006218.
  • I.18 « A vin nouveau, outres neuves » (Mc 2, 22). Ne pas décevoir les attentes de la Nation. Messages de la Conférence Episcopale Nationale du Congo aux fidèles catholiques et aux hommes de bonne volonté à l’occasion du 47° anniversaire de l’indépendance. 7 juillet 2007224.
  • I.18.1 Comment sortir d’une telle situation de crise?
  • I.19 Changeons nos cœurs (Cf. Jl 2, 13). Appel à un engagement réel pour la reconstruction. Message du Comité permanent des Evêques de la République Démocratique du Congo aux fidèles catholiques et aux hommes de bonne volonté. 9 février 2008235.
  • I.20 Soyez vigilants (cf. 1P 5, 8). La paix dans la justice et la vérité. Message du Comité permanent de la Conférence Episcopale Nationale du Congo (CENCO) aux fidèles catholiques, aux hommes et aux femmes de bonne volonté. 12 février 2009242.
  • I.21 « La justice grandit une nation » (Pr 14, 34). La restauration de la Nation par la lutte contre la corruption. Message de la Conférence Episcopale nationale du Congo (CENCO) aux fidèles catholiques, aux hommes et aux femmes de bonne volonté à l’occasion du 49° Anniversaire de l’indépendance de la RDC. 10 juillet 2009253.
  • I.22 Notre rêve d’un Congo plus beau qu’avant. Message de la Conférence Episcopale Nationale du Congo au peuple congolais à l’occasion du Cinquantième anniversaire de l’indépendance de la RDC. 24 juin 2010265.
  • I.23 Année électorale : Que devons-nous faire ? (Ac 2, 37). Exhortation du Comité permanent de la Conférence Épiscopale Nationale du Congo (CENCO) aux fidèles catholiques, aux hommes de bonne volonté et aux femmes de bonne volonté. 25 février 2010279.
  • I.24 Le peuple Congolais a faim et soif de justice et de paix. Le courage de la vérité (cf. 2Cor 7, 14). Message de l’assemblée plénière extraordinaire de la CENCO aux fidèles catholiques et à l’ensemble du peuple congolais290.
  • II. Résumé succinct de la pensée socio-politique de l’Episcopat congolais
  • Troisième Partie : La réconciliation comme volonté de vie. Plaidoyer pour une éthique de convivialité en République Démocratique du Congo
  • I. Quelques repères philosophiques sur la réconciliation
  • I.1 La réconciliation selon Jacques Derrida : Le cas de l’Afrique du Sud
  • I.1.1 L’Afrique du Sud à partir du 11 février 1990
  • I.1.1.1 La parole donnée à tous
  • I.1.1.1.1 La parole donnée aux victimes
  • I.1.1.1.2 La parole donnée aux bourreaux
  • I.1.1.2 La promesse de pardon contre la vérité
  • I.1.1.3 La Commission Vérité et Réconciliation : Un processus de dialogue et de négociation. Analyse de Jacques Derrida.
  • I.1.2 La réconciliation comme liberté et libération
  • I.1.3 La réconciliation comme élévation à la loi et au droit
  • I.2 La réconciliation selon Paul Ricœur
  • I.2.1 Le pardon d’après Paul Ricœur
  • I.2.1.1 La Faute comme occasion du pardon
  • I.2.1.2 La dimension du pardon
  • 1.2.2 L’économie du don chez Paul Ricœur
  • I.2.2.1 Le pardon comme don
  • I.2.2.2 Don, pardon et réconciliation
  • I.3 La culture africaine porteuse d’une dynamique de réconciliation
  • I.3.1 La culture africaine. Une culture de communautarisme
  • I.3.2 La culture africaine : une culture de solidarité
  • I.3.3 La culture africaine : une culture d’hospitalité
  • I.3.4 La culture africaine : une culture d’humanisme
  • I.3.5 La culture africaine : une culture de consensualisme
  • II. Fondement théologique de démarche de réconciliation
  • II.1 La foi trinitaire chrétienne : Dieu comme Communion – Dieu en relation
  • II.2 Universalité de la grâce filiale par la croix du Christ : Prolégomènes à la réconciliation
  • II.3 La dimension eschatologique chrétienne
  • II.4 L’espérance chrétienne
  • III. Notre point de vue éthique sur la Réconciliation. La réconciliation comme volonté de vie : éthique de créativité dans la construction et l’invention du vivre-ensemble.
  • III.1 Introduction
  • III.2 Herméneutique de la diversité humaine : altérité et réconciliation
  • III.3 Singularité des situations
  • III.4 La réconciliation comme prudence innovatrice
  • III.5 La réconciliation comme volonté de vie : comme un oui originaire à la vie
  • III.6 La réconciliation comme Parole efficace
  • III.6.1 La réconciliation comme langage de ré-humanisation
  • III.6.2 La réconciliation comme langage performatif
  • III.6.3 La réconciliation comme langage thérapeutique
  • III.6.3.1. La formulation du tort subi
  • III.6.3.2. La prise sur soi et le partage de la responsabilité
  • III.7 La réconciliation comme geste concret
  • III.7.1 La valeur d’un geste
  • III.7.2 La réconciliation comme un acte gestuel
  • III.8 La réconciliation sous l’égide de la tolérance structurelle
  • III.9 La réconciliation comme invitation à l’hybridité de cultures
  • III.10 Quelle vérité un acte de réconciliation prône-t-il ?
  • III.11 La réconciliation : un mode d’exister comme union dans la diversité
  • III.12 Pour une éducation à la réconciliation
  • III.12.1 Pourquoi l’éducation ?
  • III.12.2 La musique comme instrument au service de la réconciliation
  • Conclusion générale
  • Bibliographie

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Introduction générale

La scène de vie quotidienne qu’offre la République Démocratique du Congo (RDC) depuis quelques deux décennies est marquée par une crise d’identité due à des multiples mouvements de rébellions armées et de guerres. Un regard lucide et sans complaisance posé sur ce pays rend compte de l’indescriptible désarroi de sa situation : la grande majorité de la population congolaise vit aujourd’hui dans un état de paupérisation multisectorielle effroyable. C’est la lutte pour la survie que l’on observe et vit dans les rues de grandes villes. Que dire alors de la situation dans la campagne ? Un triste paysage est offert : L’on ne peut s’empêcher d’observer l’état de déstructuration totale de l’homme congolais. L’espace géophysique du pays est désintégré. L’on vit quotidiennement la décomposition et l’effritement des mentalités, des valeurs, des principes, des institutions, des infrastructures de transport, des systèmes de santé et d’éducation.

Ceux qui observent, avec intérêt, l’évolution de ce pays, la RDC, voient que l’échiquier politique semble aussi sombre. Rare et même très difficile se profile un véritable esprit d’initiatives et démarches crédibles, conçues et bien pensées pour construire un nouveau pays. Il semble quasi impossible de dégager une classe politique responsable qui assume le leadership stratégique capable de changer les conditions de vie des populations, d’offrir de précieux horizons et d’ouvrir de nouveaux chemins. Il manque des leaders clairvoyants, déterminés, ambitieux, volontaristes et visionnaires. Bref, le pays donne l’aspect de dépérissement existentiel total. Nous dirons même que le pays est en profonde souffrance et semble se trouver dans un état d’étourderie, de paralysie totale. La RDC, un des pays les plus riches de la planète, donne l’image d’un pays de désespérance et de désolation, un champs de désespoir et une contrée en ruine, « par la faute d’une classe politique incompétente, insignifiante et futile ; par la faute d’une classe de criminels économiques, de vampires et de requins qui ruinent (son) économie ; et par la faute de … mentalités sociales d’aliénation, de désorganisation, d’imbécilité, d’immoralité, de mensonges et d’esprit de jouissances matérielles égoïstes (de ses citoyens) »1.

La profonde crise a causé un vrai déboussolement de l’être congolais et l’a vidé de sa substance physique et intellectuelle. Le ventre est devenu son cerveau. Ceci se vit concrètement chez l’élite intellectuelle : c’est l’effondrement de cette classe. ←27 | 28→Certains esprits la désignent même comme l’élite du ventre. En effet, d’année en année, cette intelligentsia congolaise ne fait que s’effondrer trahissant la raison par ses multiples liens soit avec le pouvoir politique (cédant aux sirènes du ventre et à l’extraversion de leurs désirs propres au détriment du peuple, ils deviennent, par ce fait, des intellectuels de cour, des intellectuels de service, des zombies et des marionnettes au service du pouvoir), soit avec les forces de l’opposition ou avec d’autres forces de la société civile. Cette situation les prive de la capacité de transcender les clivages établis et d’assumer sa vraie fonction de vision, d’orientation, de critique et d’engagement, notamment comme aiguillon de la créativité, c’est-à-dire productrice d’œuvres puissantes et d’idées novatrices, d’inventions d’utopies mobilisatrices et d’ardentes espérances pour la transformation sociale concrète.

De plus, la décomposition du tissu social, suite aux guerres, met en lumière la question de « l’être-ensemble ». Un regard de lucidité et de vérité révèle, en fait, que la question épineuse de la reconstruction du « vivre-ensemble » se pose avec acuité. Le Message récent de l’archevêque et des évêques catholiques, membres de l’Assemblée épiscopale provinciale de Bukavu, réunis à Butembo en session ordinaire du 16 au 23 mai 2015, en dit déjà long. Nous donnons ici en intégralité ce message2, dans le seul but d’avoir une vue plus vivante et plus concrète sur le drame que vit la RDC.

„Mon âme est rassasiée de malheur ;
et ma vie est au bord de l’abîme
(Ps 88,4)
NOTRE CRI POUR LE RESPECT ABSOLU DE LA VIE HUMAINE
Message de l’ASSEPB aux fidèles chrétiens et aux hommes de bonne volonté
PRÉAMBULE
1. Nous, Archevêque et Évêques, membres de l’Assemblée Épiscopale Provinciale de Bukavu, réunis à Butembo en session ordinaire du 16 au 23 mai 2015, avons fait le tour des situations socio-pastorales de notre Province Ecclésiastique. Nous avons particulièrement touché du doigt la profonde détresse des populations meurtries par les violences qui sévissent en territoire et ville de Béni depuis bientôt deux ans et qui vont s’intensifiant.
2. Déjà à notre descente de l’avion à Butembo, le 16 mai dernier, les jeunes nous ont exprimé tout leur désarroi : en effet depuis cinq ans, ils avaient programmé d’organiser leur congrès interdiocésain qui n’a jamais eu lieu à cause de l’insécurité. En outre, ils nous ont demandé d’être leurs porte-paroles auprès des instances de décision tant nationales qu’internationales. Nous communions aux souffrances de tant de frères et sœurs sacrifiés. Voilà pourquoi, après avoir écouté, prié et réfléchi, nous parlons. Je crois et je parlerai, moi qui ai beaucoup souffert, moi qui ai dit dans mon trouble : l’homme n’est que mensonge (Ps 115,10–11).←28 | 29→
A. QU’AVONS-NOUS VU ET ENTENDU ? Faits et réalités
Si je sors dans la campagne, voici les victimes de l’épée.
Si je rentre dans la ville voici des torturés de la faim (Jr 14,18ab).
3. Depuis plus de vingt ans, les populations de l’Est de la R.D. Congo, spécialement celles des Provinces du Nord et Sud Kivu, sont victimes de guerres et d’insécurité. En 2010, le bilan des victimes était chiffré à 6 millions de morts sur l’ensemble du territoire national. Et la série continue, spécialement dans les territoires de l’Est.
4. Pour rappel, les coupeurs de route entre Walungu et Kamituga, entre Bukavu et Uvira, entre Uvira et Fizi, entre Butembo et Goma, entre Butembo et Kasindi étranglent la population sur le plan économique. Nous déplorons les enlèvements contre rançon, la tentative de kidnapping à Lulingu-Shabunda de Mgr Placide Lubamba, évêque de Kasongo, le 12.05.2015. Nous sommes indignés par le silence autour des trois pères assomptionnistes enlevés le 19.10.2012 à la paroisse N.D. des Pauvres de Mbau, les pères Edmond Bamtupe Kisughu, Jean-Pierre Mumbere Ndulani et Anselme Kakule Wasukundi : sont-ils encore vivants ou déjà morts ? Pareillement, plus de 837 personnes ont été enlevées en territoire et ville de Beni depuis 2010.
5. Nous dénonçons les massacres de Mutarule-Uvira, survenus le 06.06.2014 avec 34 morts ; de Mukungwe-Bukavu, le 08.03.15 avec 8 tués dans le carré minier ; de Mweso-Goma, le 25.02.2015, où l’abbé Jean-Paul Kakule a été assassiné ; de Ngadi-Beni, le 15 et le 16.10.2014 avec 32 morts ; de Tepiomba, Kinyamusege et Vemba-Beni, le 21.11.2014 avec 82 personnes tuées par machettes et haches, sans parler d’autres carnages survenus récemment dans la zone de Beni à Oicha, Ahili, Manzanzaba, Apetina, Maisha Jembe, Mulolya, Musuku, Mabatutu, Mongomongo etc. Les organisations de la Société Civile ont enregistré des massacres de plus de 419 personnes à Beni ville et territoire, entre octobre 2014 et mai 2015.
6. Ces derniers temps, les violences y ont atteint une intensité intenable, proche de la rupture. Chaque jour les tueurs imaginent et mettent en œuvre des pratiques de plus en plus cruelles. Les innombrables groupes armés sont autant de prédateurs qui continuent à se comporter en redoutables ennemis d’un peuple laissé-pour-compte. Comme dans une jungle, ces malfaiteurs incendient des villages en toute impunité, provoquant le déplacement massif de la population vers les cités où elle est vouée à la famine et à la misère. Les criminels tuent brutalement avec des machettes, des couteaux ou des haches : certaines de leurs victimes ont la gorge tranchée, les bras de nombreux enfants sont mutilés, des femmes enceintes éventrées et des familles entières sont décimées. Ce sont des véritables actes génocidaires, des crimes de guerre et des crimes contre l’humanité.
B. QU’EN PENSONS-NOUS ? Enjeux et portée de la situation
Nous espérions la paix et rien de bon !
le temps de la guérison : voici l’épouvante (Jr 8,15)
7. Nous essayons d’interpréter l’analyse de la population face à cette crise, en considérant l’agir des bourreaux et celui du pouvoir politique comme celui de la Communauté Internationale.←29 | 30→
8. Du côté des bourreaux, nous observons la mise en place d’une terreur d’épuration systématique des personnes, d’une stratégie de déplacement forcé des populations en vue d’occuper progressivement leurs terres et de l’installation des foyers d’intégrisme religieux et des bases d’entraînement terroriste. Tout cela se passe dans un contexte d’une mafia économique et d’un affairisme politico-militaire alimenté par les pillages à grande échelle d’abondantes ressources naturelles : minières, forestières, animales et pétrolières.
9. Du côté du pouvoir politique et de la Communauté Internationale, nous ne pouvons certes pas dire que ces deux n’ont rien fait pour résoudre ce genre de problème. Nous reconnaissons en effet les mérites des initiatives et opérations telles que : la Conférence de Goma, Amanileo, les prouesses des FARDC pour défaire les forces des M23 avec l’aide de la MONUSCO en novembre 2013, l’énergie déployée par l’État congolais pour mettre fin au désordre dans d’autres Provinces du Pays. Nous rendons hommage aux officiers et soldats congolais ou onusiens qui se sont dévoués ou qui ont versé leur sang pour cette cause.
10. Mais curieusement la sécurité, la paix et l’intégrité territoriale ne semblent pas avoir été prioritaires dans la stratégie des autorités publiques ; elles constituent pourtant des conditions préalables à tout effort de construction, de reconstruction et de modernisation. En tout cas, de manière générale, l’État laisse pourrir la situation à l’Est du Pays. Nous avons des difficultés à comprendre les ambigüités, les tergiversations et les paradoxes de notre gouvernement. Après chaque crise, les missions se succèdent en cascade et en vain car les autorités écoutent mais aucune action concrète ne suit, en réponse aux attentes pourtant clairement exprimées par la population. Dès lors, nous nous demandons : face à cette insécurité, le gouvernement serait-il incapable, démissionnaire ou complice ?
11. Incapable ? Peut-être ! Et pourtant il a démontré son savoir-faire dans d’autres cas. Par contre, ici il installe des officiers au passé chargé qui ont causé bien des torts à la population. Ceux-ci sont positionnés à des frontières sensibles, en face de leurs anciens complices. En outre, ils sont soutenus au centre du pouvoir congolais par leurs collègues bien connus, placés à des postes stratégiques. Alors on assiste à un enlisement récurent des conflits aux frontières. Quand sont ruinées les fondations, que peut faire le juste ? (Ps 10,3).
12. L’État serait-il démissionnaire et complice ? C’est possible ! Mais alors pour quelle raison et quel intérêt ? Toujours est-il qu’en situation de crise, on entend des délégués du pouvoir chercher à accuser des particuliers, notamment la population locale, les commerçants et certains politiciens qui sont aux affaires. À supposer que leurs allégations soient avérées, que fait l’État de l’Armée, de la Police nationale, des Services de Renseignement et de la Justice qui sont mis à sa disposition pour assurer sa souveraineté ? En laissant à des individus et des groupes perturber impunément la paix, l’ordre et la sécurité, cet État, pourtant détenteur du monopole de la force, s’acquitte-t-il encore de ses obligations régaliennes ? Ne serait-il pas en train de démissionner tout en restant sur place ? Cela ne risque-t-il pas d’être vu comme une complicité ? Dans ce contexte, comment les élections transparentes, libres, démocratiques et apaisées pourront-elles avoir lieu dans cette partie de la République ? Et si une partie de la population venait ainsi à être privée de ses droits politiques fondamentaux, ne se trouvera-t-elle pas de facto en situation d’exclusion, ce qui est un pas vers la balkanisation que nous avons déjà décriée1 ?←30 | 31→
13. Il y a pire. Dans ce contexte, les jeunes désœuvrés sans avenir deviennent la proie facile pour le recrutement des groupes armés y compris ceux gagnés au fondamentalisme religieux. En effet, dans le massif du Ruwenzori des groupuscules inoculent l’esprit djihadiste à leurs recrues qu’ils entraînent ensuite au terrorisme international. Leur base est constituée de ressortissants de toute sorte de nationalité qui s’établissent dans des camps d’entraînement appelés Médina, Canada et Parking Kaza Roho. Des jeunes congolais y sont fraîchement associés, trompés par des recruteurs sans scrupules qui leur promettent des bourses d’études pour le Moyen Orient, l’Europe ou le Canada. Pendant ce temps, la Communauté internationale observe avec ses drones ! Faudra-t-il attendre que cet esprit se généralise pour que demain cette même Communauté Internationale fasse pleuvoir un déluge de feu sur la région sous prétexte de combattre le djihadisme ?
14. Nous sommes donc en face de trois périls majeurs qu’un pouvoir responsable ne peut ignorer : un climat de génocide, un foyer d’intégrisme djihadiste et un processus de balkanisation. Les jeunes de Butembo-Beni, en nous accueillant, ont judicieusement cité une phrase d’Abraham Lincoln, ancien président des États-Unis : « On peut tromper une partie du peuple tout le temps ; tout le peuple, une partie du temps. Mais pas tout le peuple, tout le temps ». Comme nous l’avons déjà dit en 2013, en des circonstances semblables, la population de l’Est a la nette impression de n’être pas protégée par son État et d’être abandonnée par la Communauté Internationale malgré la présence renforcée mais nullement rassurante des troupes de la MONUSCO dans le Nord et le Sud Kivu.
1 cf. CENCO, Non à la balkanisation de la RD Congo, Kinshasa le 06 juillet 2012. 5”.

En effet, tout esprit soucieux de ce grand pays s’interroge sur la destinée de ce pays, notamment sur les vrais problèmes de son destin. Face aux sombres perspectives qui s’annoncent dans ce pays et à partir des inquiétudes grandissantes qui l’éteignent aujourd’hui, comment juguler la crise sous toutes ses formes ? Comment construire une spiritualité de sortie de crise ? Comment bâtir une manière d’être qui conduit au bien-vivre-ensemble ? Comment promouvoir une nouvelle éthique du lien national ? Comment construire un pays de grande responsabilité communautaire, c’est-à-dire un pays de l’humain, un pays de la prospérité partagée ? Comment moduler une éthique collective qui rendrait possible la transformation de tout congolais en vue d’une prospérité réellement communautaire ? Comment inventer de nouveau ce pays dans sa douloureuse crise et faire de lui, à la lumière de son hymne national, un pays beau et prospère ? Quel est le chemin d’espérance pragmatique à proposer ?

Plusieurs voix sont de l’avis que la scène de vie quotidienne qu’offre actuellement la RDC, notamment toute la misère, tout l’état de paupérisation sans nom sur le plan matériel que traverse ce pays n’a ses sources, mieux ses causes profondes que dans les crises intellectuelle, éthique et spirituelle. Kâ Mana, par exemple, dit à cet effet, que «Ces crises, détruisent notre force de vie et asphyxient notre volonté d’espérance… Nous sommes devenus une société sans ←31 | 32→intelligence »3. De là sa préoccupation fondamentale et justifiée – qui est aussi la nôtre –, celle notamment de savoir comment reconstruire l’avenir de ce pays ? Sur quelles bases rendre possible son éclosion ? Que peuvent être les forces qui rendent la reconstruction de ce pays réellement ? Comment se libérer de l’état actuel d’étourderie sociale pour l’émergence de l’énergie créatrice qui ouvre la voie à un futur meilleur ? Quelles sont les portes de sortie de la crise actuelle ? Quelle est la clé précieuse pour l’avènement et l’éclosion d’un nouveau destin, d’une société de bonheur ?

Face au présent de ce pays et face aux inquiétudes qui l’éteignent, la réflexion qui suit veut dégager l’horizon de nouvelles responsabilités et se situe dans ce cadre de recherche des voies qui ouvrent de nouveaux horizons. Elle se place dans l’ordre de recherche des forces de reconstruction réelle de la RDC. Elle se veut et se définit comme un levier non seulement pour la pensée, mais aussi et surtout pour l’action. Nous dirions mieux, en d’autres mots, que notre réflexion – comme le souligne aussi Kâ Mana – se veut une interpellation de l’intelligence et une invitation à tout Congolais dans le seul but de faire naître une nouvelle force de vision, de parole créative et d’espoir4 dans ce contexte de dépérissement existentiel, de déstructuration et de désintégration et de l’homme et de l’espace géophysique congolais.

Notre réflexion se veut aussi un regard de foi, de lucidité et d’espérance, un regard pour une nouvelle volonté de vie. Elle s’inscrit, disons-le autrement, comme un acte de foi et d’espérance, mieux encore comme une spiritualité de la confiance. Nous avons une immense foi en l’avenir de ce pays. Nous croyons, en effet, en l’avenir de ce pays et surtout au pouvoir de son peuple de refonder son destin, c’est-à-dire de le réimaginer soi-même, à la hauteur de ses forces de vie, pour changer, ici et maintenant, la situation qui est la sienne. Nous croyons en son génie inventif et créatif capable d’imaginer de nouvelles initiatives pour la transformation en profondeur de son espace de vie. Mieux dit, nous croyons fermement en sa capacité d’imaginer et de bâtir de nouvelles intelligences sociales et de nouvelles espérances vitales.

Toutes nos croyances ci-haut citées se basent non seulement sur les différentes tempêtes qui ont traversé ce pays, mieux dit sur les différents événements que ce ←32 | 33→peuple congolais a vécus, mais aussi et surtout sur les infinies facultés d’initiatives de survie, mieux sur ses capacités d’initiatives et ses stratégies de survie en situation de crise que ce peuple a montrées et développées. Ce peuple a, en effet, bu le calice de la crise jusqu’à la lie. Il est descendu dans le gouffre du désespoir jusqu’au fond, aux fins fonds. Il a subi les puissances des ténèbres jusqu’au-delà du supportable. Il a connu tout ce qu’un peuple peut connaître du pouvoir de la souffrance. Mais il a cru à l’énergie du désespoir et a eu foi en lui-même et en ses capacités vitales. Pour parler avec Kâ Mana, « ce peuple a non seulement survécu aux pires systèmes d’inhumanité, comme ceux de Léopold II et de Mobutu, mais il a aussi résisté avec vigueur aux forces de division et aux pouvoirs centrifuges qui ont voulu dépiécer (sa) nation pour s’en partager les richesses, comme des oiseaux de proie. Le génie de (ce) peuple, c’est sa foi étonnante en (son) idéal et en (son) utopie d’unité chaque fois que (le) pays est en danger de division. Malgré (les) folies du tribalisme et leurs idioties qui tuent et ruinent (le) pays, il y a en (lui) un énergique désir d’unité, une indestructible volonté d’être ensemble »5. Cette volonté de vie constitue, à notre avis, une étonnante force vitale, une grande force d’espérance pour un futur lumineux et limoneux, forcément lumineux et limoneux.

Quelques points essentiels seront au centre de notre travail. Il s’agit premièrement de cerner et de dégager, à la suite de la réflexion faite par différentes composantes du pays, ce que l’on peut désigner à la fois comme problèmes de la RDC et comme exigences de ruptures indispensables, non seulement pour rendre possible la sortie de la crise dans laquelle est plongée la société congolaise, mais aussi pour permettre l’éclosion d’une société porteuse d’espérance sur le plan interne et externe.

Résumé des informations

Pages
270
Année
2019
ISBN (PDF)
9783631792537
ISBN (ePUB)
9783631792544
ISBN (MOBI)
9783631792551
ISBN (Relié)
9783631792070
DOI
10.3726/b16082
Langue
français
Date de parution
2019 (Octobre)
Mots clés
Diversité humaine Herméneutique d’altérité Ontologie relationnelle Résolution de conflit Transformation sociale
Published
Berlin, Bern, Bruxelles, New York, Oxford, Warszawa, Wien, 2019. 270 p.

Notes biographiques

Frédéric Fungula Kwilu (Auteur)

Frédéric Fungula Kwilu est Docteur en théologie (Université de Würzburg/Allemagne) et Docteur Habil. en Sciences sociales (Ethique) de la même Université. Il est Privatdozent et enseigne au Département de Théologie dogmatique et au Département de Sciences sociales au sein de la même université. Il assure également des enseignements à l’Université Pédagogique Nationale de Kinshasa (UPN) en République Démocratique du Congo.

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Titre: La Réconciliation comme volonté de vie
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