Loading...

Small is Multilingual

Language and Identity in Micro-Territories

by Juan Jiménez-Salcedo (Volume editor) Christine Helot (Volume editor) Antoinette Camilleri Grima (Volume editor)
©2020 Edited Collection 250 Pages

Summary

This book provides innovative research on the meaning and dynamics of multilingualism in the specific contexts of "micro-territories". Through the case studies of 10 micro-territories, the book offers a sociolinguistic analysis of two main types of smallness: islands such as Malta, Grenada, Sardinia, the Balearic islands and Taiwan, on the one hand, and small landlocked territories or countries such as Andorra, Aosta, Aran and Luxembourg, as well as the fragmented territory of Catalan-speaking Aragon, on the other hand. Taking into account the notion of micro-territory as a variable, language policies, language use and practices are analysed so as to offer new insights into the way multilingualism is conditioned by demographic and geographical factors. The book contains 5 chapters written in French, 5 in English, and an introduction in French.

Table Of Contents

  • Couverture
  • Titre
  • Copyright
  • À propos de l’auteur
  • À propos du livre
  • Pour référencer cet eBook
  • Table des matières
  • Auteur.e.s des contributions
  • Introduction Les micro-territoires : des espaces multilingues encore peu explorés (Juan Jiménez-Salcedo et Christine Hélot)
  • Première partie : Multilinguisme et espaces insulaires
  • Global or Local? Languages and Colonialism in Small Island States (Anna Baldacchino)
  • A Five-Language Island: (Un)sustainable Multilingualism in Sardinia (Guillem Belmar Viernes)
  • Langue et identité nationale aux Îles Baléares : la catalanité contestée (Jean-Rémi Carbonneau)
  • Social Bonding and Bridging through Languages in Gozo (Malta) (Antoinette Camilleri Grima)
  • Le plurilinguisme à Taïwan: enjeux politiques et politiques linguistiques (Yan-Zhen Chen)
  • Deuxième Partie : Multilinguisme et micro-territoires enclavés
  • Education in Andorra: Three Language Regimes in a Multilingual European Microstate (Juan Jiménez-Salcedo)
  • Un micro-territoire au carrefour de l’Europe : le cas du Val d’Aoste (Gianmario Raimondi)
  • La situation sociolinguistique d’un micro-territoire au milieu des Pyrénées : le cas du Val d’Aran (Aitor Carrera)
  • Culturally and Linguistically Diverse Students at Europe’s Crossroads: The Case of Luxembourg (Roberto Gómez Fernández and Angélique Quintus)
  • L’Aragon catalanophone : aux confins des périphéries linguistiques et nationales (Michel Martínez Pérez)
  • Index
  • Titres de la collection

←6 | 7→

Auteur.e.s des contributions

Anna Baldacchino

University of Malta

Guillem Belmar Viernes

University of California, Santa Barbara

Antoinette Camilleri Grima

University of Malta

Aitor Carrera

Universitat de Lleida

Yan-Zhen Chen

Université de Bordeaux Montaigne

Roberto Gómez Fernández

Ministère de l’Éducation nationale, de l’Enfance et de la Jeunesse – Grand-Duché de Luxembourg

Christine Hélot

Université de Strasbourg

Juan Jiménez-Salcedo

Universidad Pablo de Olavide

Michel Martínez Pérez

Université Toulouse 1 Capitole

Angélique Quintus

Ministère de l’Éducation nationale, de l’Enfance et de la Jeunesse – Grand-Duché de Luxembourg

Gianmario Raimondi

Université de la Vallée d’Aoste/Università della Valle d’Aosta

Jean-Rémi Carbonneau

Université du Québec à Montréal

←8 | 9→

Juan Jiménez-Salcedo et Christine Hélot

Introduction

Les micro-territoires : des espaces multilingues
encore peu explorés

Résumé : Les micro-territoires sont des entités politiques et administratives – souveraines ou autonomes – caractérisées par une population relativement réduite résidant dans un espace géographique restreint. Les sciences sociales ont essayé de délimiter les dimensions micro d’un territoire par le biais de critères plutôt arbitraires. Elles ont également proposé une myriade de termes qui renvoient à autant de façons de percevoir la micro-territorialité. Malgré l’abondante littérature autour de ces entités, les recherches en sociolinguistique et dans le domaine des politiques linguistiques n’ont pas assez tenu compte de la variable micro-territoriale, autrement dit elles se sont peu intéressées à la façon dont les phénomènes de multilinguisme peuvent être conditionnés par des limites géographiques et démographiques, par la fragmentation, l’exiguïté et l’isolement dans l’espace.

Abstract: Micro-territories are political and administrative entities that are either autonomous or sovereign, and their population is usually small and living in a restricted geographical space. Research in the social sciences has used rather arbitrary criteria to define the dimensions of micro-territories. It had also proposed a plethora of terms expressing different ways of understanding micro-territories. Despite substantial scientific literature on these entities, sociolinguistic and language policy research has not sufficiently addressed the micro variable, in other words it has not shown much interest for the way multilingualism can be conditioned by geographic and demographic factors, by fragmentation, small size, and isolation.

Mots-clés : Autonomie, fragmentation, micro-territoire, micro-État, population, souveraineté, superficie.

1. La micro-territorialité normalisée

Si le XIXe siècle fut celui des grands États-nation, la chute des derniers empires, la décolonisation et la fragmentation de l’URSS et de la Yougoslavie ont favorisé la prolifération d’un grand nombre d’États de petite taille (Sharman, 2017, p. 560). Soixante-dix pays ont une population comptant entre un et dix millions d’habitants, et une quarantaine d’États souverains ont moins d’un million ←9 | 10→d’habitants (Bartmann, 2014, p. 10 ; Colomer, 2007, pp. 19–20). Ces nouveaux pays sont apparus alors que les vieux micro-États de l’Europe ont réussi à clarifier leur situation internationale et ont accédé à une souveraineté effective. En effet, Andorre, Monaco, Liechtenstein et Saint-Marin, par exemple, se sont vu refuser l’entrée dans la Société des nations en 1920 et ce n’est que dans les années 90 qu’ils ont été accueillis au sein des Nations unies (Snyder, 2010). Depuis 2015, Andorre, Saint-Marin et Monaco négocient un accord d’association1 avec l’Union européenne.

En même temps, des États traditionnellement unitaires, comme l’Espagne ou l’Italie, ont accordé une plus grande autonomie à des entités supra-étatiques devenues des petits territoires non souverains mais avec une capacité non négligeable de gestion de leurs affaires internes (Veenendaal, 2015 , pp. 583–584). De ce fait, des entités telles que les Baléares ou le Val d’Aoste pourraient être comparées à certains micro-États souverains (Armstrong et Read, 1995 ; Dumienski, 2014). Et dans le cas de l’île de Man, seuls les accidents de l’histoire et de la géographie peuvent expliquer qu’elle soit un État presque souverain, seulement reliée à la Grande-Bretagne en tant que dépendance de la Couronne2, alors que l’île de Wight, bien plus peuplée, n’est administrativement qu’un comté de l’Angleterre (Taylor, 1969, p. 101).

Les micro-États doivent en général déléguer certaines prérogatives, qui devraient justement constituer des attributs de leur souveraineté, à d’autres États plus grands, que ce soit pour leur représentation diplomatique, la frappe de leur monnaie ou leur défense extérieure (Adler-Nissen et Gad, 2013 ; Dumienski, 2014) ; ou encore, ils doivent s’associer à d’autres micro-États, comme le font, par exemple, les pays insulaires de la Caraïbe (Andriamananjara et Schiff, 2001). L’indépendance de ces territoires – États souverains en droit international ou non – constitue en réalité un continuum qui dépend de leur capacité à prendre des décisions majeures au niveau gouvernemental (Taylor, 1969, p. 117) et, pour ce qui est des anciennes colonies, de leur volonté de devenir ou non des États politiquement indépendants dans un monde plein d’incertitudes ←10 | 11→(Connell, 2003). Ces stratégies de délégation de pouvoirs de la part des micro-États, ainsi que la capacité nouvellement acquise de se gouverner de la part de territoires décentralisés ou fédérés, ne font que remettre en question de manière générale l’idée de souveraineté, que d’aucuns considèrent dépassée à l’ère de la mondialisation et des institutions transnationales (Bickerton, Cunliffe et Gourevitch, 2006).

Dans ce volume, il sera question de territoires qui soit jouissent d’une autonomie plus ou moins large dans le cadre d’un État plus grand ou qui peuvent être considérés comme des États souverains selon les critères du droit international. Pour éviter l’écueil de la souveraineté, nous avons opté pour le terme micro-territoire, qui englobe – nous semble-t-il – toutes les formes de gouvernement. Les auteurs des chapitres de ce volume l’emploient en combinaison avec d’autres termes afin de rendre concrète la notion de micro-territoire. Un fil conducteur relie ces entités : dans tous les cas, il s’agit de sociétés multilingues avec une population relativement réduite et résidant dans un espace géographique que l’on peut qualifier de petit et restreint car enclavé, fragmenté et/ou isolé.

2. Le débat théorique autour de la (petite) taille des territoires

La description de la notion de petitesse appliquée aux entités politiques soulève des questions théoriques, parmi lesquelles celle des termes à employer et de la taxonomie qui en découle. Nombreux sont les mots proposés par la littérature scientifique : États enclavés, micro-États, micro-États insulaires3 (Jules, 1994, p. 416), petits États, mini-États, très petits États, sous-micro-États (Murray, 1981, p. 246), États liliputiens (Dumienski, 2014, p. 3), petits territoires ou encore petits territoires insulaires4 (Baldacchino, 2002). Le terme petite nation, quant à lui, est employé en science politique comme synonyme de nation minoritaire5 au ←11 | 12→sein d’un État souverain plus large, comme c’est le cas de la Catalogne ou de l’Écosse (Cardinal et Papillon, 2011). Par contre, il est employé en géographie pour désigner des pays insulaires comme ceux du Pacifique, caractérisés par l’isolement et la fragmentation et par une population en général en dessous de deux millions et demi d’habitants (Overton, 1993). Certains de ces pays insulaires constituent des États, alors que d’autres, les dénommées micro-juridictions non souveraines (Bartmann, 2014, p. 23), telles que, par exemple les Bermudes ou les îles Féroé, peuvent avoir des liens politiques avec une métropole ou avec des voisins plus puissants (Anckar, 2003 ; Tisdell, 2016). La frontière entre micro-État ou petit pays souverain et entité supra-étatique s’avère de ce fait assez floue (Armstrong, et al, 1998, p. 639) et peu productive.

Il faut également noter la variété des critères à prendre en compte pour définir la petitesse ou le caractère micro d’une entité politique, et surtout leur caractère arbitraire (Dumienski, 2014 ; Maass, 2009 ; Sutton, 2011 ; Taylor, 1969, pp. 101–102 ; Warrington, 1994). Les auteurs signalent la population (Crowards, 2002) ou sa densité – généralement assez élevée –, ou encore la superficie, mais aussi les caractéristiques de l’économie nationale – avec des avantages et des inconvénients liés à leur petite taille ou à leur situation géographique (Armstrong, et al, 1998 ; Armstrong et Read, 1995) –, voire le contexte géopolitique, l’histoire (Fergus, 1991, p. 562), la diversité sociale (Catudal, 1975, p. 192) ou le pouvoir militaire (Sharman, 2017, p. 564).

La population a été l’un des principaux critères pris en compte. Le Commonwealth – l’organisation internationale qui compte probablement le plus grand nombre de micro-États associés6 – fixe à deux millions la population maximale pour qu’un État puisse être considéré petit (Jules, 1994, p. 417). Certains auteurs établissent un seuil de trois millions (Armstrong et Read, 2003). D’autres distinguent entre mini-États et micro-États sur la base d’une limite de population établie à un demi-million ou un million d’habitants, sans que cette limite soit appuyée sur des principes théoriques clairs (Armstrong et Read, 1995, p. 1231). On peut même baisser la barre jusqu’aux 100 000 habitants (Clague, Gleason et Knack, 2001), forçant ainsi une distinction entre micro-État et petit État. Quoi qu’il en soit, depuis le rapport de Rapaport, Muteba et Therattil (1971), la limite généralement acceptée et largement reprise pour les micro-États est celle d’un million d’habitants (Anckar, 1998 ; 2003 ; 2004 ; 2007 ; 2008 ; Bartmann, 2014).

←12 | 13→

Le critère de la superficie de ces États ne nous permet pas non plus de dégager une taxonomie précise. Comme le souligne Catudal (1975, p. 192), même en se tenant aux seuls micro-États de l’Europe occidentale (l’Andorre, Monaco, Liechtenstein, Saint-Marin et la Cité du Vatican), les différences de taille sont remarquables entre le 0,44 km2 du Vatican et les 465 km2 de la Principauté d’Andorre. Il pourrait être utile de comparer la superficie avec la population : cette méthode pourrait s’appliquer à l’Europe ou aux îles du Pacifique, mais pas à d’autres territoires, petits en termes de taille mais avec des populations se comptant par millions d’habitants7 (Anckar, 2012, p. 14 ; Bartmann, 2014, p. 19 ; Taylor, 1969, p. 105) ou, au contraire, à des territoires comme le Groenland, avec une population d’environ 50 000 habitants sur l’une des plus grosses surfaces géographiques de la planète (Nielsen, 2001).

En définitive, la question de la taille (géographique, économique, démographique, etc.) est trop souple pour permettre de fixer des limites taxonomiques (Bartmann, 2014, p. 25). Dumienski (2014) indique à ce sujet que, au-delà des discussions quelque peu stériles sur la considération des territoires comme micro sur la base de leur population ou de leur surface, il convient de les considérer plutôt comme des États modernes sous protection, autrement dit des États souverains qui, de façon unilatérale, décident d’accorder une partie de leur souveraineté à d’autres pays plus puissants en échange de protection politique et économique. Ces relations de dépendance sont permises par des États qui se savent petits et nécessitent de l’aide. C’est là où se trouverait la spécificité des micro-États en tant qu’entités politiques. Cette catégorie ne serait pas applicable aux territoires autonomes car ils ont par définition une relation de dépendance – volontaire ou non – avec l’État dont ils font partie.

3. Les micro-territoires comme objet d’étude

En sciences sociales, les analyses transversales des micro-territoires ont donné une image commune de faiblesse ou de moindre force (Jules, 1994, p. 417), de vulnérabilité (Bray et Packer, 1993 ; Briguglio, 1995), d’influence limitée sur la scène internationale (Stringer, 2013, p. 8 ; Thorhallsson, 2012), de dépendance par rapport à un puissant voisin (Catudal, 1975) qui fournit des visiteurs, des marchandises, des capitaux, voire une monnaie nationale. Dans le domaine de la géographie et de l’économie, les chercheurs se sont interrogés sur la viabilité et la capacité de survie des micro-États. En sciences politiques, ce sont les limites de la ←13 | 14→démocratie qui ont été analysées : si une entité politique de petite taille implique forcément une plus grande efficacité et transparence (Anckar, 2008 ; Ott, 2000 ; Shrebrnik, 2004), une population réduite sur une superficie restreinte est susceptible d’impliquer davantage de clientélisme et de corruption (Baldacchino, 2012 ; Erk et Veenendaal, 2014 ; Veenendaal, 2015). Quoi qu’il en soit, la présence des micro-territoires est parallèle aux processus de décentralisation des États dans des unités administratives plus proches des communautés et des individus : la gouvernance se développe, elle aussi, à petite échelle (Congdom Fors, 2014) et devient une autre façon de normaliser la micro-territorialité.

Si la littérature scientifique des années 1960 et 70 du XXe siècle s’était posée la question de la viabilité des micro-États (Catudal, 1975 ; Vital, 1967 ; Vital, 1971), force est de constater que leurs économies, pour le moins en Europe occidentale, se portent plutôt bien (Bartmann, 2014, p. 22 ; Dumienski, 2014, p. 7) malgré leur dépendance à l’égard de leurs grands voisins. En effet, ils ont été capables d’établir des structures économiques leur permettant de développer le commerce et la finance (Dózsa, 2008, p. 95). Le caractère péjoratif qu’implique l’idée de petitesse doit forcément être nuancé par d’autres paramètres, comme par exemple la spécialisation dans différents domaines de l’ économie ou de la finance (Stringer, 2013, p. 6) ; c’est le cas de l’Islande dans le domaine de la pêche, de la Norvège dans celui de l’énergie ou du Luxembourg ou de l’Andorre dans le secteur bancaire. En tout état de cause, les sciences sociales ont démontré que le caractère micro d’un territoire ne relève pas seulement de sa taille – comprise dans le sens le plus large du terme – mais surtout des conséquences de sa petitesse sur son fonctionnement politique et institutionnel, ainsi que sur ses rapports avec d’autres États (Mohamed, 2002, p. 3).

Les micro-territoires remettent en question les idées reçues sur l’État-nation, notamment pour ce qui est des rapports entre souveraineté, identité (sociale et politique) et territoire. Même du point de vue de la géographie humaine, ils sont loin d’ être une exception, comme nous le rappelle la lecture menée par Baldacchino (2008, pp. 39–40) de l’édition 2006 du World Factbook de la CIA, qui soulevait que, des 237 territoires analysés, seulement 23 avaient une population au-dessus des 50 millions d’habitants, alors que 158 avaient moins de 10 millions et 41 moins de 100 000 habitants. Il est évident que, dans le monde d’aujourd’hui, le petit est presque devenu la norme.

4. Le multilinguisme des micro-territoires

Les exemples analysés dans ce volume constituent des micro-territoires dans les limites établies par la littérature évoquée, à l’exception probablement de Taïwan, ←14 | 15→sur lequel nous reviendrons plus loin. Mais ils le sont également parce que leur petite taille conditionne d’autres données de nature politique (Anckar, 2012, p. 14) ou sociologique et, pour ce qui nous occupe ici, de nature sociolinguistique.

Les micro-territoires ont été analysés du point de vue de l’économie, de la sociologie, des relations internationales, des structures institutionnelles ou des études sur l’administration publique. Les recherches centrées sur d’autres aspects comme l’éducation, la culture ou la littérature sont cependant moins nombreuses. Il existe également des enquêtes sur les langues dans les micro-territoires mais les auteur(e)s travaillant dans le domaine de la sociolinguistique et des politiques linguistiques n’ont pas assez tenu compte dans leurs analyses de la variable micro-territoriale, autrement dit ils/elles n’ont pas cherché à comprendre comment les phénomènes de multilinguisme peuvent être conditionnés par des limites géographiques et démographiques, par la fragmentation de l’espace, par son exiguïté ou son isolement.

Par conséquent, il sera question dans ce volume d’analyser le multilinguisme dans des micro-territoires autonomes ou souverains, des sociétés multilingues avec une population relativement réduite et résidant dans un espace géographique que l’on peut qualifier de petit et restreint car enclavé, fragmenté ou isolé. La configuration des langues dans ces sociétés micro-territoriales sera analysée notamment pour ce qui est des politiques linguistiques, et cela à plusieurs niveaux, tels que la famille, les groupes ethnoculturels majoritaires ou minoritaires, l’école, etc. Le fil conducteur de tous les chapitres réside dans tous les cas dans le repérage de la variable micro-territoriale, ou encore, dans l’existence d’un contexte qui façonne un environnement linguistique marqué par la présence constante d’une frontière terrestre ou maritime et, éventuellement, d’une dépendance plus ou moins importante par rapport aux États voisins ou à un État central exerçant une certaine forme de tutelle politique, économique ou d’influence culturelle. Les politiques linguistiques liées à l’existence d’une langue vernaculaire sont également analysées car elles font partie de la variable micro-territoriale d’un contexte sociolinguistique déterminé.

Le volume rassemble différentes études de cas de divers types de micro-territoires, toutes analysées par des spécialistes des problématiques du multilinguisme dans ces espaces. Nous avons choisi de distinguer entre deux types de micro-territoires : les espaces insulaires sont ainsi présentés dans une première partie, et les espaces que nous avons choisi de qualifier d’enclavés dans une deuxième partie, enclavés dans le sens où ces micro-territoires sont soit circonscrits par plusieurs frontières, soit inscrits dans l’espace de façon discontinue, comme c’est le cas de l’Aragon catalanophone.

←15 | 16→

Les îles ont sans doute une place de choix : ainsi ont été analysés les cas de Malte et de la Grenade (Baldacchino), de Malte et de Gozo (Camilleri-Grima), de la Sardaigne (Belmar Viernes), des Baléares (Carbonneau) et de Taïwan (Chen). Dans la deuxième partie, une autre variable micro-territoriale est celle des espaces enclavés, enclavés dans des vallées, comme le montrent les travaux sur Aoste (Raimondi), Andorre (Jiménez-Salcedo) et Aran (Carrera), ou enclavé au cœur d’un espace trans-européen comme le Luxembourg (Gómez Fernández et Quintus), le plus grand micro-État en Europe, et celui de la Franja (Martínez Pérez), en Espagne, micro-territoire discontinu composé des municipalités catalanophones de la communauté autonome de l’Aragon.

L’un des traits essentiels du plurilinguisme de ces micro-territoires est celui de la cohabitation entre une langue vernaculaire ou des langues familiales et une ou plusieurs langues majoritaires. C’est dans le domaine éducatif où cette cohabitation se fait la plus évidente. Ainsi, Baldacchino analyse le rôle de l’anglais en tant que langue de scolarisation au détriment du créole local dans l’île de la Grenade. Ce contexte est comparé à celui de la République de Malte, où l’anglais est la principale langue d’instruction avec le maltais dans un équilibre difficile qui met en danger la place du maltais, langue historique et nationale. Dans son chapitre sur Gozo, la deuxième île de l’archipel de Malte, Camilleri Grima souligne cette dualité entre une langue maltaise – et ses variétés dialectales – devenue un vecteur culturel et identitaire et un plurilinguisme basé sur la dichotomie maltais/anglais devenu la porte d’accès à l’éducation, la diversité culturelle et l’activité économique.

Dans son chapitre sur la Principauté d’Andorre, Jiménez-Salcedo décrit lui aussi l’équilibre complexe entre les efforts d’aménagement de la langue catalane entrepris par l’école andorrane face à la présence accordée au castillan – véritable lingua franca de toute la région pyrénéenne – et au français – langue traditionnelle de l’éducation – dans un contexte frontalier où coexistent trois systèmes scolaires nationaux. Gómez Fernández et Quintus, quant à eux, analysent le cas des élèves issus de la migration au Luxembourg et comment leur réussite est mise à mal par un système d’immersion linguistique en luxembourgeois dès la maternelle suivi d’un apprentissage de la lecture et de l’écriture en allemand, puis finalement en français, alors que ces élèves sont pour la plupart des locuteurs de langues romanes. Les auteurs avancent à ce propos l’hypothèse d’une reconnaissance des langues familiales des élèves par le biais de cours complémentaires dont l’objectif serait de soutenir les apprentissages et d’avoir un impact positif sur leurs résultats scolaires.

Le Val d’Aran et le Val d’Aoste constituent deux micro-territoires de montagne de nature frontalière disposant d’une autonomie relativement large ←16 | 17→par rapport à un palier administratif et politique supérieur. Les deux territoires déclarent un régime juridique multilingue avec des mécanismes de protection spécifique : Aran par rapport à l’occitan, seule langue vernaculaire du territoire qui partage son statut de langue officielle avec le catalan et le castillan ; Aoste par rapport au français, langue officielle avec l’italien. Occitan et français deviennent de ce fait des langues d’enseignement combinées avec les autres langues officielles dans des systèmes éducatifs multilingues qui sont analysés respectivement dans les chapitres d’Aitor Carrera et de Gianmario Raimondi. La différence essentielle entre ces deux territoires relève sans doute de la présence des deux langues dans les usages linguistiques de ses populations. Si le dispositif de protection de l’occitan a été activé pour contrer un processus de substitution linguistique avéré, la déclaration du français en tant que langue officielle à Aoste relève plutôt d’un ensemble de valeurs de nature identitaire et socio-politique qui sont à la base même du statut d’autonomie du micro-territoire par rapport à la République italienne. Ces valeurs ne renvoient pas à une quelconque réalité sociolinguistique, la substitution du français par l’italien à Aoste ayant eu lieu bien avant l’adoption du statut d’autonomie. La francophonie valdôtaine est probablement à comparer avec celle de la Principauté d’Andorre, pays officiellement catalanophone et majoritairement castillanophone, mais où le français joue toujours un rôle de marqueur culturel alors que sa présence sociale est de plus en plus réduite.

Les micro-territoires analysés dans ce volume constituent des espaces où se sont développées des idéologies linguistiques sur le contact et la standardisation des langues. Ainsi, Belmar Viernes analyse le contexte sociolinguistique de l’île de Sardaigne, notamment l’épineuse question de la standardisation d’une langue aussi dialectalisée que le sarde et sa coexistence avec d’autres formes linguistiques, telles que le catalan parlé dans la ville d’Alghero. Enfin, le cas de Taïwan – territoire auquel est consacré le chapitre de Yan-Zhen Chen – concerne également une île, bien que d’une tout autre taille et population que celles présentées plus haut. Certes, l’on peut considérer que, au vu de sa superficie et de sa population et en comparaison avec les autres espaces étudiés, Taïwan est un cas limite de micro-territoire. Nous pensons cependant qu’il présente d’autres caractéristiques qui nous permettent de l’inclure dans notre volume, notamment sa nature insulaire, sa relation concurrentielle avec la République de Chine – qui en fait un micro-territoire face à un pays-continent dont la dimension macro est incontestable – et une dimension multilingue sur laquelle se fondent des politiques linguistiques traversées par des enjeux politiques et identitaires.

Details

Pages
250
Publication Year
2020
ISBN (PDF)
9783631833421
ISBN (ePUB)
9783631833438
ISBN (MOBI)
9783631833445
ISBN (Hardcover)
9783631833414
DOI
10.3726/b17484
Language
English
Publication date
2020 (November)
Keywords
Luxembourg Aragon Maltese Gozitan Grenadian creole
Published
Berlin, Bern, Bruxelles, New York, Oxford, Warszawa, Wien, 2020. 250 pp., 10 fig. b/w, 15 tables.
Product Safety
Peter Lang Group AG

Biographical notes

Juan Jiménez-Salcedo (Volume editor) Christine Helot (Volume editor) Antoinette Camilleri Grima (Volume editor)

Juan Jiménez-Salcedo is a professor of Translation Studies at Pablo de Olavide University (Sevilla, Spain). His current research focuses on language policy in Canada and Catalan-speaking territories. Christine Hélot is an emerita professor of English at the University of Strasbourg (France). Her current research focuses on language in education policies in Europe and bi/multilingual education. Antoinette Camilleri Grima is a professor of Applied Linguistics at the University of Malta. She researches in the areas of language pedagogy, plurilingualism and educational sociolinguistics.

Previous

Title: Small is Multilingual