Approches philosophiques du structuralisme linguistique russe
Résumé
Extrait
Table des matières
- Couverture
- Titre
- Copyright
- Sur l’auteur
- À propos du livre
- Pour référencer cet eBook
- Table des matières
- Avant-propos
- Une archéologie de l’épistémè de l’union (Oleg Bernaz)
- Introduction
- 1. Savoir et épistémè. Définitions et clarifications préliminaires
- 2. Travailler, vivre, parler à l’âge moderne
- 3. L’épistémè de l’union
- Conclusions : Esquisse d’une « histoire sérielle »
- Pour une lecture philosophique du jeune Jakobson (Marc Maesschalck)
- De l’union eurasienne de langues ( Roman O. Jakobson)
- Chapitre 1. La notion d’union de langues
- Chapitre 2. Le problème de l’union eurasienne de langues dans la science moderne
- Chapitre 3. Les principes de la phonologie et la géographie phonologique
- Chapitre 4. Le caractère monotonique des langues de l’Eurasie et les unions adjacentes des langues polytoniques
- Chapitre 5. La différence de timbre consonantique dans les langues de l’Eurasie et des régions adjacentes
- Chapitre 6. Caractéristique phonologique récapitulative de l’union eurasienne de langues
- Chapitre 7. De l’histoire de l’union eurasienne de langues
- Chapitre 8. La mouillure des consonnes observée dans la science et l’écriture européennes
- Chapitre 9. Les nouveaux défis de la linguistique eurasienne
- Les problèmes de la géographie linguistique du point de vue du géographe (Petr N. Savickij)
- La Tour de Babel et la confusion des langues (Nicolas S. Troubetzkoy)
- Titres de la collection
Oleg BERNAZ et Marc MAESSCHALCK
Durant les trois premières décennies du XXe siècle, dans l’Empire russe puis en Union soviétique, la production des savoirs linguistiques s’est caractérisée par la tentative de créer un nouvel ordre épistémique nécessaire à l’invention d’un discours émancipateur enfin détaché de son passé idéologique. Cette période d’une prodigieuse créativité est interrompue par le triomphe du projet politique stalinien, qui compromet ce qui au départ se voulait être un discours éminemment scientifique. Cette éclipse stalinienne du savoir aura des conséquences néfastes majeures non seulement dans le développement ultérieur de la linguistique structurale – et plus largement des sciences humaines – mais aussi dans la perception de leur rôle épistémique avant la dictature.
De fait, la linguistique russe de cette période a joué un rôle central dans le champ des sciences humaines dès le milieu des années 1950 et jusqu’au milieu des années 1970, non seulement autour de Lévi-Strauss et de Lacan, mais aussi chez Althusser et son école, ainsi que par l’entremise des Foucault, Barthes, Greimas et Todorov1. Cependant, ce mouvement n’est plus connu aujourd’hui qu’indirectement, par une certaine affiliation poststructuraliste rassemblant des figures aussi diverses que Deleuze, Baudrillard et Derrida, ainsi qu’en philosophie sociale Laclau ou Butler, voire les théoriciens de la modernité réflexive comme Giddens, Lacks et Beck. La recherche actuelle s’intéresse peu au mouvement proprement conceptuel dans lequel s’inscrit le structuralisme russe et qui s’est développé dans la jeune Union soviétique, en débat avec ← 11 | 12 → les thèses de la philosophie idéaliste du langage et du formalisme russe, mais également avec celles du matérialisme linguistique et historique2.
En effet, dans leurs histoires du structuralisme, ni François Dosse ni Jean-Claude Milner3 ne mentionnent les recherches menées par la linguistique structurale russe naissante à laquelle Roman Jakobson, Nicolas Troubetzkoy et Petr Savickij ont pourtant puissamment contribué. Il a fallu attendre les travaux de Patrick Sériot, qui a participé à l’effort pour redécouvrir les écrits russes du jeune Jakobson4, datant des années 1920-1930 et non encore traduits en français. Mais la démarche de P. Sériot reste encore insuffisamment connue et étudiée dans les débats philosophiques contemporains.
Même si Jean-Jacques Lecercle5, comme Gilles Deleuze et Félix Guattari6 ou Julia Kristeva avant lui7, ont consacré des études importantes à la philosophie russe du langage, il manque actuellement un réinvestissement conceptuel du rapport que la philosophie entretient avec le mode d’être du savoir de la linguistique structurale soviétique proprement dite. Un tel travail est cependant important dans la mesure où il représente une condition indispensable pour comprendre les présupposés fondamentaux qui sous-tendent la construction des concepts centraux de la linguistique structurale russe des années 1920-1930. Sans doute faut-il mentionner les recherches récentes en phénoménologie qui mettent en évidence le rôle que celle-ci a joué dans l’élaboration de la méthode et des concepts propres à la linguistique structurale russe8. Pourtant le panorama intellectuel de ces recherches doit être complété avec d’autres ← 12 | 13 → perspectives philosophiques cherchant à explorer les nouvelles pistes de travail ouvertes par le structuralisme linguistique russe.
L’objectif de ce volume est de contribuer à la redécouverte de la signification et de l’impact des thèses majeures de la linguistique structurale russe en interrogeant les conditions épistémologiques sous lesquelles est possible l’analyse du savoir qui lui est propre. Nous publions ici trois textes majeurs du structuralisme russe des années 1920-1930 signés par Roman O. Jakobson, Petr N. Savickij et Nicolas S. Troubetzkoy. Nous en proposons deux interprétations pour situer les enjeux et les problèmes philosophiques de ce courant intellectuel. Notre intérêt est ainsi de rendre accessible un mouvement de pensée resté jusqu’à présent insuffisamment connu aux lecteurs philosophes francophones. ← 13 | 14 →
1 Cf. Corvez M., Les structuralistes. Les linguistes, Michel Foucault, Claude Lévi-Strauss, Jacques Lacan, Louis Althusser, Aubier-Montaigne, Paris, 1969 ; Dosse F., L’histoire du structuralisme, t. 1 : Le champ du signe, La Découverte, Paris, 1991 ; Dosse F., L’histoire du structuralisme, t. 2 : Le chant du cygne, La Découverte, Paris, 1992.
2 Cf. Vološinov V., Marxisme et philosophie du langage. Les problèmes fondamentaux de la méthode sociologique dans la science du langage, trad. par Sériot P. et Tylkowski-Ageeva I., Lambert-Lucas, Limoges, 2010 (1re édition 1929, Leningrad) ; Polivanov E., Pour une linguistique marxiste, trad. par Simonato E. et Sériot P., Lambert-Lucas, Limoges, 2014 (1re édition 1931, Moscou).
3 Milner J.-C., Le périple structural. Figures et paradigmes, Verdier, Paris, 2008 (nouvelle édition revue et augmentée).
4 Sériot P., Structure et totalité. Les origines intellectuelles du structuralisme en Europe centrale et orientale, Lambert-Lucas, Limoges, 2012.
5 Lecercle J.-J., Une philosophie marxiste du langage, PUF, Paris, 2004.
6 Deleuze G. et Guattari F., Mille Plateaux, Minuit, Paris, 1980.
7 Kristeva J., Semeïotikè. Recherches pour une sémanalyse, Seuil, Paris, 1969.
8 Dennes M. (dir.), Gustave Chpet et son héritage. Aux sources russes du structuralisme et de la sémiotique, Slavica Occitania, n° 26, 2008 ; Dennes M., « L’École russe de phénoménologie et son influence sur le Cercle linguistique de Prague », in Burda M. (dir.), Prague entre l’Est et l’Ouest. L’émigration russe en Tchécoslovaquie, 1920-1938, L’Harmattan, Paris, 2001, pp. 32-64.
Une archéologie de l’épistémè de l’union
CPDR/ISP/Université catholique de Louvain
L’un des objectifs des premiers travaux en linguistique structurale russe des années 1920-1930 est de construire sur un fondement théorique, différent de celui qui définissait le statut épistémologique de la philologie du XIXe siècle, les principes fondamentaux d’une nouvelle méthode d’aborder la langue. La polémique que Roman Jakobson (1896-1982), aux côtés de Nicolas Troubetzkoy (1890-1938) notamment, mena contre la philologie vise plus spécifiquement le concept de « langue-mère » qui ne peut pas rendre compte des nouveaux rapports que les langues de la jeune Union soviétique (URSS) entretiennent entre elles. Si la référence à une supposée langue-mère ne peut se faire qu’en posant une origine commune d’un groupe de langues-filles, les représentants russes de la linguistique structurale des années 1920-1930 cherchent à décrire des relations entre des langues provenant d’origines résolument hétérogènes. C’est à cette fin que Troubetzkoy forgea le concept d’« union de langues ». L’article de Jakobson intitulé « De l’union eurasienne de langues » doit être compris dans le cadre de cette polémique qui a marqué la naissance du structuralisme russe. Si la première partie de cet article est dédiée à une discussion des principaux acquis du structuralisme linguistique, la deuxième examine méticuleusement le statut des unions des langues provenant d’origines différentes, comme le russe, le moldave, le turc, le kazakh, etc. L’un des enjeux centraux de cette démarche jakobsonienne était ainsi de faire la cartographie d’un nouvel espace géographique et politique que les représentants russes du structuralisme linguistique ont appelé « Eurasie ».
Résumé des informations
- Pages
- 174
- Année de publication
- 2018
- ISBN (PDF)
- 9782807607767
- ISBN (ePUB)
- 9782807607774
- ISBN (MOBI)
- 9782807607781
- ISBN (Broché)
- 9782807607750
- DOI
- 10.3726/b13622
- Langue
- français
- Date de parution
- 2018 (Mai)
- Page::Commons::BibliographicRemarkPublished
- Bruxelles, Bern, Berlin, New York, Oxford, Wien, 2018. 172 p.