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Le groupe Empain en France

Une saga industrielle et familiale

de Caroline Suzor (Auteur)
©2016 Monographies 510 Pages

Résumé

Le Belge Édouard Empain obtient en 1898 la concession du Métro de Paris, qu’il construit et exploite. Pour alimenter son Métro en énergie, Empain devient producteur d’électricité et fonde la Société d’électricité de Paris. Déjà présent en France depuis les années 1880, le groupe Empain ne cesse dès lors plus de croître dans ce pays. Fleurons d’un empire industriel de dimension mondiale, ses entreprises comptent parmi les plus importantes du paysage économique français.
La croissance du groupe Empain en France relève d’une saga à la fois industrielle et familiale. Trois générations se succèdent : un grand industriel européen, visionnaire et innovateur ; son frère ; ses fils. Des personnages hauts en couleur, très différents, reliés pour le meilleur et pour le pire par le sang et l’argent.
Cette histoire, dévoilée de l’intérieur et jusqu’alors mal connue, a été enfouie dans la mémoire nationale sous les décombres de la Troisième République et éclipsée après Seconde Guerre mondiale par la nationalisation de l’électricité et la municipalisation du Métro.

Table des matières

  • Couverture
  • Titre
  • Copyright
  • À propos de l’auteur
  • À propos du livre
  • Pour référencer cet eBook
  • Table des matières
  • Table des graphiques, tableaux et cartes
  • Remerciements
  • Introduction
  • Chapitre Préliminaire. Une famille, un groupe
  • I Une famille
  • II Un groupe
  • Chapitre 1. Présence belge en France, une étude particulière
  • I La Belgique exportatrice de capitaux
  • II La Belgique exportatrice de main d’œuvre
  • III La Belgique exportatrice d’entrepreneurs
  • IV Le contexte en France
  • 1 Le cadre historique
  • 2 Le cadre juridique
  • Chapitre 2. Une entreprise de transport
  • I La mise en place du réseau de chemins de fer secondaires et tramways par le groupe Empain
  • 1 Création ou prise de contrôle des sociétés par le groupe Empain
  • 2 Qui détient le capital de ces sociétés ?
  • II Les réseaux
  • 1 L’implantation géographique des sociétés
  • 2 La consistance et l’étendue des réseaux
  • 3 La place du réseau Empain au sein du réseau français de chemins de fer
  • III État des lieux à la veille de la Première Guerre mondiale
  • 1 Des réseaux aux modes de traction divers
  • 2 Des réseaux qui ont déjà été remaniés
  • IV La Première Guerre mondiale
  • 1 Dans le nord et l’est, à proximité du front
  • 2 Dans les autres régions
  • V L’entre deux guerres
  • 1 Les progrès de l’électrification
  • 2 L’abandon de certains réseaux
  • 3 – La création de la SNCF
  • Conclusion
  • VI – L’entreprise de transport, après la Seconde Guerre mondiale
  • 1 Le Métro de Paris
  • 2 – Les autres entreprises
  • VII – Conclusion
  • Chapitre 3. Une entreprise d’électricité
  • I La production d’électricité à Paris
  • 1 Une situation originale
  • 2 La plus ancienne usine d’électricité du groupe Empain : Bercy
  • 3 Les débuts de la Société d’électricité de Paris et l’usine de Saint-Denis
  • 4 La Première Guerre mondiale
  • 5 L’après-guerre
  • 6 Les débuts d’un concurrent : l’Union d’électricité
  • 7 Ivry et l’Électricité de la Seine
  • 8 Saint-Denis 2
  • II La production d’électricité dans le Nord
  • 1 Électricité et gaz du Nord
  • 2 La Société d’électricité de la région de Valenciennes Anzin
  • 3 La Première Guerre mondiale vécue par EGN et la SERVA
  • 4 L’après-guerre
  • III La production d’électricité dans la région de Nantes
  • 1 La Première Guerre mondiale
  • 2 L’après-guerre
  • IV Un producteur d’électricité face à ses concurrents
  • V Conclusion
  • Chapitre 4. 1929 : premier bilan
  • I L’état du groupe au décès d’Édouard Empain
  • 1 Les différentes sociétés
  • 2 Comment classer ces sociétés ?
  • II Bilan humain : qui dirige le groupe ?
  • 1 Le cadre de l’étude
  • 2 Les effectifs
  • 3 La nationalité des dirigeants
  • 4 La place de la famille Empain
  • 5 Les autres familles
  • 6 La formation des dirigeants
  • 7 La présence d’hommes politiques
  • 8 Les liens avec le monde bancaire
  • 9 La présence de représentants d’autres entreprises et organismes
  • 10 L’entrée, la sortie, la durée des fonctions dans le groupe
  • 11 Quels dirigeants occupent les postes les plus importants ?
  • 12 Le sort des fondateurs des sociétés non créées par Empain
  • 13 Les promotions internes
  • III Bilan financier
  • 1 La répartition des risques au sein du groupe
  • 2 La répartition du capital des sociétés
  • 3 L’évolution du capital des différentes sociétés
  • 4 Les différents types d’actions
  • 5 Le recours aux emprunts obligataires
  • 6 Des sociétés rentables
  • 7 La répartition des bénéfices
  • IV Bilan pratique
  • 1 La centralisation à Paris
  • 2 Les services entre sociétés du groupe
  • V Bilan technique
  • VI Un groupe belge à Paris, une exception française ?
  • VII Conclusion
  • Chapitre 5. 1930-1945 : restructuration et continuité
  • I Restructuration : La recomposition par les fils
  • 1 Des changements dans l’organigramme
  • 2 Bilan humain : les dirigeants
  • 3 Les auxiliaires du conseil d’administration
  • II Continuité : La poursuite de l’activité
  • 1 L’évolution interne au groupe
  • 2 La participation à l’équipement électrique du pays
  • III Bilan financier de la période 1930-1945
  • 1 L’évolution du capital
  • 2 Le recours aux emprunts obligataires
  • 3 Les bénéfices
  • 4 La répartition des bénéfices : les dividendes
  • IV Les grandes réformes sociales de 1936 et 1937
  • V La Seconde Guerre mondiale
  • 1 Le héros : Aristide Antoine
  • 2 La vie de la CMP
  • 3 La vie des entreprises d’électricité
  • VI Conclusion
  • Chapitre 6. 1945 et après
  • I L’épuration et ses conséquences
  • 1 Jean Empain
  • 2 Les tramways de Nantes
  • 3 Le Métro de Paris
  • II La nationalisation des entreprises d’électricité
  • 1 Les raisons de la nationalisation et le vote de la loi
  • 2 L’attitude du groupe Empain face à la nationalisation
  • 3 La mise en œuvre pratique
  • 4 Le sort des actionnaires
  • 5 Le sort des salariés
  • III Un nouveau départ pour le groupe, après la nationalisation
  • 1 Un autre Édouard Empain aux commandes
  • 2 De nouvelles sociétés pour de nouvelles activités
  • 3 Des sociétés anciennes, qui demeurent performantes
  • IV La fin de l’histoire
  • Pour conclure
  • Sources
  • Indications bibliographiques
  • Index des noms de personnes et de sociétés
  • Titres de la collection

Table des graphiques, tableaux et cartes

Figure 1.    Ascendance et descendance de François Julien Empain et Catherine Lolivier

Figure 2.    Répartition géographique de l’ensemble des sociétés du Groupe Empain

Figure 3.    Chronologie de la création (ou de la reprise) des sociétés du Groupe Empain

Figure 4.    Étude quantitative des créations ou prises de contrôle d’entreprises par le Groupe Empain, en France et en Belgique, dans les secteurs des transports et de l’électricité

Figure 5.    Classement par activité des sociétés du Groupe Empain (sociétés françaises et holdings)

Figure 6.    Les Ateliers de construction électrique du Nord et de l’Est, plan de situation

Figure 7.    « Généalogie » des sociétés de portefeuille du Groupe Empain

Figure 8.    Présence belge en France, entre 1881 et 1886

Figure 9.    Les entreprises de transport du Groupe Empain

Figure 10.  Implantation géographique des entreprises de transport

Figure 11.  Étendue maximale en km des réseaux ferrés exploités par le Groupe Empain en France, de 1890 à 1944

Figure 12.  1914-1918 : les lieux de combat

Figure 13.  Les secteurs parisiens

Figure 14.  Implantation des centrales électriques

Figure 15.  Production d’électricité dans les différentes régions françaises (en millions de kWh) en 1940

Figure 16.  Évolution de la puissance des centrales du groupe (entre 1900 et 1945)

Figure 17.  Nombre et puissance des centrales thermiques françaises en 1924 et 1936

Figure 18.  Puissance des centrales du Groupe Empain (en kWh) par rapport à la puissance totale des centrales françaises en 1925, 1930 et 1935

Figure 19.  Les sociétés françaises du Groupe Empain en 1929 ← 13 | 14

Figure 20.  Portefeuille détenu par les trois sociétés holdings laissées par Édouard Empain

Figure 21.  Implantation des différentes entreprises

Figure 22.  Les membres des conseils d’administration

Figure 23.  Classement des dirigeants selon le nombre de mandats détenus par chacun d’eux au sein des entreprises du groupe

Figure 24.  Les membres de la famille Empain, aux commandes du groupe

Figure 25.  Les membres de la famille Empain, au sein des différentes entreprises

Figure 26.  Les autres banquiers, titulaires d’un mandat au sein du groupe

Figure 27.  Les représentants des associés du Groupe Empain, au conseil d’administration de la SNE

Figure 28.  Les représentants des associés du Groupe Empain, au conseil d’administration de la SERVA

Figure 29.  Les causes de fin de carrière des principaux dirigeants

Figure 30.  Durée de la carrière des principaux dirigeants

Figure 31.  Les administrateurs, anciens commissaires

Figure 32.  Les directeurs, exerçant également des fonctions d’administrateur ou commissaire

Figure 33.  Évolution du capital des entreprises du Groupe Empain

Figure 34.  Les parts de fondateur dans les sociétés d’électricité

Figure 35.  Les emprunts obligataires émis par les entreprises de transport du groupe, entre leur fondation (ou la prise de contrôle par le groupe) et 1929

Figure 36.  Les emprunts obligataires émis par les entreprises d’électricité du groupe, entre leur fondation (ou la prise de contrôle par le groupe) et 1929

Figure 37.  Répartition de la distribution du bénéfice, entre actions et parts de fondateur, dans les sociétés d’électricité, au titre de l’exercice 1928

Figure 38.  Crédits consentis à la SEP, à ses débuts, par la Parisienne électrique et la Compagnie générale de railways et d’électricité

Figure 39.  Les holdings belges d’électricité et de transport (hors groupe Empain) en France, à la veille de la Première Guerre mondiale ← 14 | 15

Figure 40.  Poids économique des différents holdings belges d’électricité et de transport, en France, en 1914

Figure 41.  Répartition du capital d’Electrorail, à sa création

Figure 42.  Les administrateurs

Figure 43.  Les administrateurs des trois anciennes sociétés de portefeuille et les premiers administrateurs d’Electrorail

Figure 44.  Nombre de mandats détenus par les nouveaux dirigeants

Figure 45.  Les représentants des associés du Groupe Empain, au conseil d’administration de la SNE

Figure 46.  Les représentants des associés du Groupe Empain, au conseil d’administration de la SERVA

Figure 47.  Autres dirigeants d’autres groupes, titulaires de quelques mandats au Groupe Empain

Figure 48.  Les dirigeants bénéficiaires de promotions internes

Figure 49   Nombre de commissaires et nombre de sociétés contrôlées par chacun d’eux

Figure 50.  Étendue du Métro, en 1937

Figure 51.  Accords conclus entre les sociétés d’électricité du Groupe Empain et les sociétés productrices d’hydroélectricité

Figure 52.  Participation des sociétés du Groupe Empain aux premières sociétés de transport d’électricité

Figure 53.  Participation des sociétés du Groupe Empain aux sociétés d’études prévues par la loi de 1941

Figure 54.  Participation des sociétés du Groupe Empain aux sociétés de transport d’énergie à très haute tension

Figure 55.  Augmentations de capital réalisées pendant la période 1930-1945

Figure 56.  Fonctions confiées à Aristide Antoine, au sein du groupe, en 1940

Figure 57.  Actions de sociétés nationalisées, restituées à la SEP

Figure 58.  Actions de sociétés non nationalisées, restituées à la SEP

Figure 59.  Actions non restituées à la SEP

Figure 60.  Actions de sociétés nationalisées, restituées à la SNE

Figure 61.  Actions de sociétés non nationalisées, restituées à la SNE

Figure 62.  Les bénéfices de la SGTE et leur affectation ← 15 | 16 ← 16 | 17 →

Remerciements

Cet ouvrage était initialement une thèse de doctorat, soutenue à l’Université Catholique de Louvain en 2009. L’auteur avait alors remercié ceux et celles qui lui avaient apporté de l’aide pour la réalisation de ce travail. Il s’agissait de :

      Messieurs les professeurs Michel Dumoulin (UCL) et Éric Bussière (Paris IV).

      Madame Isabelle Ambroise Bonnefoy et l’équipe des archives d’EDF.

      Madame Sophie Coeuré et Monsieur Yves Bouvier, alors à la Fondation EDF.

      Monsieur Roger Nougaret et l’équipe des archives du Crédit Lyonnais.

      Monsieur Claude Berton, archiviste de la RATP.

      Messieurs P. van der Beken et F. Desclée, à la société Tractebel.

      Monsieur Dominique Bonnaud, archiviste du Conseil d’État.

      Messieurs Pascal Deloge, Yves Conrad, Jean Lys et Bruno Maurel.

      Enfin, l’auteur avait remercié ses parents et sa sœur, pour leur soutien inconditionnel.

L’auteur ajoute des remerciements à Messieurs Léonard Laborie (Comité d’histoire de l’électricité et de l’énergie) et Thierry Waser (Peter Lang), pour leur aide à la publication. ← 17 | 18 ← 18 | 19 →

Introduction

À la fin du 19e siècle, la Belgique, pays jeune, est l’un des plus développés d’Europe occidentale. Le royaume est prospère. Le capitalisme moderne s’est imposé. Certaines grandes entreprises, qui deviendront au 20e siècle les fleurons du capitalisme européen, ont été fondées par des entrepreneurs audacieux, qui ont fait fortune. Cette richesse est la conséquence de la révolution industrielle, basée sur le charbon et la sidérurgie, qui est apparue très tôt en Belgique. Le Chant des Wallons, composé en 1899 par Théophile Bovy met justement à l’honneur ces industriels, que « le monde entier admire » et grâce auxquels la Wallonie «surpasse (…) de plus grandes nations. »1

Un siècle plus tard, en 1995, l’Institut Jules Destrée fait choisir, par des représentants du monde de la culture, de l’art, de la science, du sport, de l’économie et du secteur social, les cent personnalités représentatives des succès de la Wallonie au 20e siècle. Parmi les cent Wallons du siècle, logiquement, un certain nombre de ces industriels qui ont fait la richesse du pays. Parmi eux, un autodidacte, ami de deux rois, bâtisseur de projets immenses en Belgique, en France, au Congo, en Égypte, en Chine, en Russie, un de ceux qui ont fait la grandeur et la richesse de la Belgique bien au-delà de ses frontières, un de ceux qui constituent la bourgeoisie triomphante du 20e siècle : Édouard Empain2.

Reconnu par les Belges, Édouard Empain l’est aussi par les historiens. En des termes toujours très élogieux. Dans l’ouvrage intitulé « Cent grands patrons du vingtième siècle en Belgique »3, la notice biographique concernant Édouard Empain commence ainsi : « Bâtisseur d’un vaste empire industriel et financier multinational, Édouard Empain est issu d’un milieu qui ne le prédestinait en rien à une brillante carrière dans les affaires » et se poursuit comme suit : « Ce fils d’instituteur hennuyer, qui a fait carrière sur le tas, se démarque de ses contemporains par son dynamisme, son goût du risque et une aspiration à la grandeur… » Ceci n’est qu’un exemple : nombreuses sont les notices biographiques4 concer ← 19 | 20 nant Édouard Empain, dans les différents ouvrages consacrés aux Belges célèbres, aux grands patrons de Belgique, aux Belges ayant participé à la colonisation du Congo… Toutes sont à sa gloire. Les auteurs font état de son génie, ses qualités de travailleur infatigable, son dynamisme, son ingéniosité, sa puissance, son imagination hardie, son attrait pour les réalisations de grande envergure. Écrites à des époques différentes, ces notes biographiques peuvent changer sur la forme (on était presque dans l’hagiographie au milieu du 20e siècle, on emploie un vocabulaire plus mesuré aujourd’hui) mais pas sur le fond. Pour tous les auteurs de ces textes, Édouard Empain est un grand homme.

Des travaux historiques plus ciblés lui ont été consacrés, notamment par Albert Duchesne5 qui, dès les années 1950, s’y est intéressé de fort près. Le conservateur du Musée royal de l’armée et d’histoire militaire a consacré une grande partie de son activité, pendant plus de trente ans, à des recherches sur Édouard Empain et le groupe éponyme. Il a rédigé de très nombreux articles dans lesquels il abordait tel ou tel épisode de la vie et de la carrière du personnage, caressant l’ambition de lui consacrer une biographie complète. Il n’en a pas eu le temps et nous laisse donc un ← 20 | 21 travail inachevé et non expurgé de ces anecdotes qui n’auraient pas été conservées dans le travail final.

Après la disparition d’Albert Duchesne, le journaliste et écrivain Yvon Toussaint6 a publié, au sujet de la famille Empain, un ouvrage qui tient à la fois de la biographie collective, du reportage et du roman historique. Il y dresse le portrait collectif du fondateur, de son frère et de ses sœurs, ses fils, ses beaux-frères, ses neveux et son petit-fils. L’histoire du groupe y est donc présentée à travers la vie des membres de la famille. L’ouvrage commence à la naissance d’Édouard Empain et s’achève au jour où l’écrivain pose la plume (1996). Cet auteur a eu l’avantage de rencontrer et pouvoir interroger le seul témoin encore vivant qui avait connu Édouard Empain : son ancien collaborateur René Destrée (tout comme avant lui Albert Duchesne avait pu parler avec Louise Empain, la jeune sœur d’Édouard Empain). Cet ouvrage présente l’intérêt de dresser un portrait collectif de la famille Empain et de raconter avec talent l’histoire du groupe. L’auteur a pu utiliser le travail d’Albert Duchesne, qu’il a complété par une importante documentation, la consultation d’archives et des conversations avec des témoins. L’historien regrettera cependant de ne pas y trouver systématiquement l’indication des sources utilisées, mais surtout de constater que l’auteur n’a pas hésité à rechercher dans son imagination la réponse aux questions non résolues malgré la consultation des archives. Yvon Toussaint s’en explique lui-même, dans un avertissement en début d’ouvrage : « L’auteur, n’étant pas historien, ne s’est à aucun moment laissé étouffer par les scrupules. Il a considéré que lorsque les faits avérés faisaient défaut, il lui était loisible de recourir à l’intuition sans perdre de sa pertinence. »7 Utilisons donc cet ouvrage pour ce qu’il est : un récit aux multiples rebondissements et dont l’intrigue ne faiblit jamais, puisque son auteur bénéficie d’un indéniable don de conteur.

D’autres travaux scientifiques que ceux d’Albert Duchesne ont également été consacrés à Édouard Empain et au groupe Empain. La pionnière en la matière a été Ginette Kurgan-van Hentenrijk, à l’occasion de sa thèse intitulée « Léopold II et les groupes financiers belges en Chine, la politique royale et ses prolongements »8. Elle y présente la participation belge à la ruée coloniale en Chine, entre la fin de la guerre sino-japonaise et le début de la Première Guerre mondiale. Le roi Léopold II, depuis longtemps intéressé par la Chine, s’entoure d’hommes d’affaires, pour essayer de participer à la mise en valeur de ce pays et à l’exploitation de ses richesses. Édouard Empain est l’un des acteurs de cette histoire, ← 21 | 22 à travers notamment la Compagnie générale de chemins de fer et tramways en Chine, qui obtient la concession d’une ligne de chemin de fer de 1 800 km, reliant l’est à l’ouest du pays.

Robert Ilbert9, a consacré sa thèse aux débuts d’Héliopolis, ville égyptienne bâtie par Empain aux portes du Caire. Ce travail a été publié dans un ouvrage intitulé Héliopolis, Le Caire 1905-1922, Genèse d’une ville10. L’auteur y analyse l’opération économique de construction de cette ville et présente la ville elle-même. Il expose la création puis l’activité de la Cairo Electric Railways and Heliopolis Oases company aux différentes étapes du projet Héliopolis. Il s’intéresse également à l’urbanisme et à l’architecture. À cet effet, il présente de nombreux plans ainsi que des photos. Enfin, Robert Ilbert s’intéresse aux diverses populations et aux différents modes de vie pratiqués à Héliopolis. Ce travail met en évidence l’originalité d’Héliopolis, mais aussi certaines ambiguïtés (une banlieue qui est néanmoins une ville à part entière, une ville où coexistent logements ouvriers et quartiers de grand luxe, une ville coloniale où Européens et Égyptiens vivent côte à côte, une ville dont la construction a démarré comme une affaire financière, mais dont le promoteur a accepté d’attendre longtemps le profit).

Les travaux suivants concernent l’histoire de l’électricité et traitent du groupe Empain en tant qu’acteur de cette aventure. Pierre Lanthier11, dans sa thèse sur « Les constructions électriques en France : financement et stratégie de six groupes industriels internationaux », étudie notamment le groupe Empain, sur la période 1880-1940, pour le comparer à ses concurrents. Alain Beltran12, dans sa thèse sur « L’énergie électrique en région parisienne entre 1878 et 1946 », s’intéresse au groupe Empain, à travers deux de ses entreprises, la Société d’électricité de Paris et l’Électricité de la Seine.

Les deux premiers tomes de « L’histoire de l’électricité en France »13 mentionnent également le groupe Empain. On y place le groupe dans le contexte du développement de l’électricité au 20e siècle. On présente également au lecteur l’état du groupe à certaines dates de son histoire. Mais il s’agit chaque fois d’un survol rapide, le groupe fondé par Édouard Empain n’étant qu’un des acteurs de l’histoire de l’électricité. Ces ouvrages peuvent être rapprochés de la littérature suscitée par la publication de « Networks of Power : Electrification in Western Society, ← 22 | 23 1880-1930 »14, de Thomas P. Hughes. Dans cette étude, qui a ouvert la voie aux recherches sur l’histoire de l’électricité, l’auteur compare l’histoire de l’électrification aux États-Unis, en Allemagne et en Grande-Bretagne et propose un schéma unique, pour expliquer le démarrage et le développement de l’électricité dans les différents pays étudiés. Selon Thomas P. Hughes, le petit monde de l’électricité, encore débutant, évolue par plusieurs étapes au cours desquelles il surmonte divers obstacles liés à l’obligation de se développer dans un cadre où différents réseaux (techniques, sociaux, économiques et politiques) préexistent. Le système électrique se développe néanmoins. Plusieurs phases se succèdent (celle des inventeurs entrepreneurs de 1880 à 1900, celle des managers entrepreneurs de 1900 à 1920 et enfin celle des financiers entrepreneurs de 1920 à 1930). À l’issue de ces phases successives, on arrive au « momentum » : moment où le monde de l’électricité passe un seuil qui assure son autonomie et lui donne une capacité d’intervention dans la société.

De même, des travaux sur les relations économiques entre la France et la Belgique, comme ceux de Marie-Thérèse Bitsch15 ou d’Éric Bussière16 évoquent le groupe Empain, comme l’un des acteurs de ces relations. Mais ici aussi, le groupe fondé par Édouard Empain n’est qu’un des éléments de l’étude, parmi de nombreux autres. Enfin, ces travaux ne concernent pas toute la période d’existence du groupe Empain, mais seulement les années 1905-1914, pour le premier, puis les années 1918-1935, pour le deuxième.

Ces nombreux et différents travaux ne rendent donc pas totalement compte de l’ampleur du groupe Empain, groupe qui peut être appréhendé selon plusieurs critères, déjà intéressants en eux-mêmes et dont le cumul renforce encore l’intérêt.

C’est tout d’abord un groupe multinational par les lieux d’exercice de ses activités (en Europe, en Chine, en Afrique, en Russie, dans l’Empire Ottoman). Mais peut-être devrait-on plutôt parler d’un groupe belgo-français. Ceci pour deux raisons. Tout d’abord, les dirigeants du groupe, sont principalement belges et français. Ensuite, la Belgique (et sa colonie du Congo) et la France sont les premiers pays d’investissement d’un groupe qui demeure, durant toute son histoire, marqué par ce caractère franco-belge.

C’est encore un groupe industriel, basé sur deux activités complémentaires, les transports et l’électricité. Un groupe qui démarre dans une activité nouvelle (l’électricité) en même temps que celle-ci devient une ← 23 | 24 activité industrielle. Activité industrielle qui devient essentielle, puisque l’électricité est le moteur de la deuxième révolution industrielle. L’histoire du groupe s’inscrit dans l’histoire de l’électricité (à moins que l’histoire de l’électricité ne s’inscrive dans celle du groupe Empain).

C’est ensuite un groupe familial, qui le demeure sur le long terme, à travers la détention des titres et par le maintien aux commandes, même si très vite la famille s’entoure de managers salariés de très haut niveau.

Enfin, le groupe Empain présente l’avantage de pouvoir être étudié en tant qu’entité bien délimitée, à la fois dans l’espace et dans le temps. Délimitation spatiale tout d’abord, puisqu’on s’intéressera seulement aux activités menées par le groupe en France, à travers ses sociétés françaises et ses holdings. Délimitation temporelle ensuite, puisqu’on étudiera le groupe sur une période allant des débuts d’Empain en France, en 1883, à la nationalisation des entreprises d’électricité en 1946 et au retrait de la concession du Métro de Paris en 1948. Nous aurions pu pousser notre étude au-delà de 1948, puisque la nationalisation des entreprises d’électricité et le retrait de la concession du Métro ne font pas disparaître le groupe Empain. Néanmoins, après ces opérations, le groupe se réorganise, évolue dans ses activités. L’immédiat après-guerre est également la période où, après le décès de Jean Empain, le groupe n’est plus dirigé par un descendant direct du fondateur, mais par son neveu. Le groupe n’est donc plus, dans les années 1950 et au-delà, exactement le même que celui fondé par Édouard Empain. La période allant de 1883 à 1948 est donc celle à retenir, pour une étude cohérente du groupe fondé par Édouard Empain.

Compte tenu de ce qui précède, nous avons entrepris l’étude des activités du groupe Empain en France. Nous avions une triple ambition.

Nous voulions tout d’abord comprendre pourquoi le Belge Empain avait établi un lien aussi fort avec la France. Pourquoi Empain est-il venu travailler en France ? La France était-elle spécialement attractive à cette époque, ou bien l’a-t-il choisie simplement pour sa proximité géographique et linguistique ? Conservait-il un lien avec son pays d’origine ou l’avait-il abandonné ? S’est-il autant engagé dans d’autres pays ?

Nous voulions ensuite présenter l’histoire du groupe en France. Quelles en sont les activités ? Evoluent-elles dans le temps ? Comment Empain prend-il le contrôle de ces sociétés (en d’autres termes, en est-il le fondateur ?) Comment ces entreprises vivent-elles ? Quelle technologie utilisent-elles ? Sont-elles rentables ? Quelles sont les relations des entreprises entre elles : y a-t-il une synergie entre elles ? Les différentes affaires sont-elles liées entre elles uniquement par des liens de capital, ou bien également par leurs activités industrielles ? Y a-t-il de la concentra ← 24 | 25 → tion au sein du groupe ? Si oui, une concentration de type horizontal ou vertical ? Quel type d’organigramme peut-on dresser ? Les réponses à ces questions devraient nous permettre de savoir si Empain était un entrepreneur ou un spéculateur.

Enfin, notre dernier objectif était de mettre en avant les personnalités qui animaient le groupe. Le groupe Empain est toujours présenté comme un groupe familial. Qui sont les membres de la famille aux commandes du groupe ? Sont-ils seuls ou sont-ils assistés de dirigeants salariés ? Quel est leur profil ? D’autres personnes ont-elles joué un rôle ? On ne devient pas concessionnaire de services publics sans recommandation, surtout quand on est un jeune Belge encore inconnu. Il s’agit ici de découvrir qui a fait partie du réseau Empain et quel a été le rôle de chacun.

Méthodologie : Préalablement à cette étude du groupe Empain, il nous fallait identifier les entreprises qui le constituaient. Notre choix a été de nous concentrer sur les sociétés dont la famille Empain ou d’autres entreprises Empain détenaient au moins la majorité du capital. Cette règle posée, nous avons dressé la liste des affaires concernées. Notre méthode de travail nous a conduit à procéder en quatre étapes. Nous avons d’abord consulté la littérature, pour établir une première liste des entreprises du groupe et connaître leurs principaux dirigeants. Nous avons ensuite procédé à une étude de la composition des conseils d’administration des sociétés cotées en bourse, en consultant les Recueils financiers annuels. Chaque fois que l’on voyait, dans la fiche d’une société cotée, le nom Empain, ou le nom d’un dirigeant déjà connu dans une autre société, nous recherchions si un lien existait entre cette entreprise et les autres affaires du groupe. Nous avons ainsi établi une liste des sociétés dirigées par Édouard Empain et ses collaborateurs. Ensuite, cette liste a été retravaillée. Certaines entreprises en ont été exclues, pour différentes raisons :

      un ou quelques dirigeants du groupe y siègeait, mais en vertu d’une participation minoritaire, n’assurant pas le pouvoir de direction (par exemple les Tramways de Paris et du département de la Seine dans lesquels le groupe conservait une participation minoritaire suite à l’absorption de la société qu’il contrôlait17),

      un ou quelques dirigeants du groupe y siègait, mais pour y représenter un autre groupe (certains membres de la famille du Roy de Blicquy, siégeant dans leurs affaires familiales, certains représentants de la Compagnie mutuelle des tramways, siégeant dans les filiales de cette société),

      enfin, il pouvait s’agir d’une affaire personnelle appartenant à un dirigeant du groupe (par exemple les affaires d’André Berthelot). ← 25 | 26

Une fois connues les entreprises dirigées par Empain et les siens, il a été nécessaire de vérifier les informations, en recherchant si Empain et ses sociétés en étaient bien les actionnaires majoritaires. Pour ce faire, le mieux aurait été de disposer des statuts des entreprises et/ou des feuilles de présence aux assemblées générales. Nous avons parfois retrouvé les statuts, mais avons très rarement pu consulter les feuilles de présence. Il a donc fallu vérifier l’actionnariat par d’autres biais :

      la présence au conseil d’administration : les administrateurs sont soit des actionnaires importants, soit, le plus souvent, les mandataires des personnes morales actionnaires,

      l’identité des scrutateurs aux assemblées générales : on appelle comme scrutateurs les plus gros actionnaires présents ou représentés à l’assemblée générale. Les scrutateurs sont donc théoriquement les deux plus gros actionnaires, à condition qu’ils acceptent cette fonction. On écarte l’idée que le plus gros titulaire d’actions pourrait choisir de ne pas participer à l’assemblée (notamment parce qu’en agissant ainsi, il prendrait le risque d’empêcher l’assemblée de délibérer, faute de quorum).

Le plan : Le plan choisi combine les approches thématique et chronologique. Il permet d’observer l’évolution du groupe sur le long terme (du temps d’Édouard Empain puis du temps de ses fils). Il permet de comprendre ses mutations (avec l’évolution des parts transport et électricité dans son activité, le passage d’une activité locale à la participation à un réseau régional voire même national lors de l’interconnexion des différentes usines productrices d’électricité), jusqu’au retrait du groupe de ses secteurs principaux après 1945. Il permet aussi de prendre conscience de l’évolution du contexte des chemins de fer et tramways (forte croissance des réseaux jusqu’à la Première Guerre mondiale, suivie de l’abandon de nombreuses lignes dans les années 1920 et 1930, pour différentes causes) et du contexte de la production d’électricité (quasi absence de l’État dans les débuts, puis accroissement de son rôle dans les années 1930 et enfin nationalisation). On commencera par une présentation succincte de l’histoire de la famille et du groupe (chapitre préliminaire) puis de la présence belge en France, à la fin du 19e siècle (chapitre 1). On présentera ensuite l’activité transport (chapitre 2), l’activité électricité (chapitre 3), avant de dresser le bilan de la carrière d’Édouard Empain (chapitre 4). On verra ensuite comment les fils du fondateur ont géré le groupe, après la mort de leur père et jusqu’à 1945 (chapitre 5). Enfin, on observera ce qui se passe après la guerre, notamment la nationalisation des entreprises productrices et distributrices d’électricité et le retrait de la concession du Métro (chapitre 6). ← 26 | 27

Les sources : Les sources utilisées pour réaliser cette étude sont presque toutes inédites. Elles ont été, en premier lieu, les archives des sociétés d’électricité, conservées par le service des archives d’EDF (à Blois). Les procès-verbaux des réunions des conseils d’administration et des assemblées générales des sociétés d’électricité du groupe ont été systématiquement dépouillés, sur une période allant de leur création par le groupe Empain18 à leur liquidation suite à la nationalisation.

Résumé des informations

Pages
510
Année de publication
2016
ISBN (PDF)
9782807600423
ISBN (ePUB)
9782807600430
ISBN (MOBI)
9782807600447
ISBN (Broché)
9782807600416
DOI
10.3726/978-2-8076-0042-3
Langue
français
Date de parution
2016 (Septembre)
Published
Bruxelles, Bern, Berlin, Frankfurt am Main, New York, Oxford, Wien, 2016. 510 p., nombr. ill. et tabl.

Notes biographiques

Caroline Suzor (Auteur)

Caroline Suzor est diplômée en droit et en histoire. Cet ouvrage est issu de sa thèse de doctorat, soutenue en 2009 à l’Université catholique de Louvain (UCL).

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Titre: Le groupe Empain en France