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Usages et stratégies polémiques en Europe

(XIVe-premier XVIIe siècles)

de Marie Bouhaïk-Gironès (Éditeur de volume) Tatiana Debbagi Baranova (Éditeur de volume) Nathalie Szczech (Éditeur de volume)
©2016 Collections 398 Pages

Résumé

Réflexion collective sur les usages et stratégies polémiques, cet ouvrage souhaite contribuer au développement d’une réflexion historique sur les discours de combat. Envisageant la polémique comme un dispositif discursif socialisé, inscrit dans le temps et mobilisé dans l’action, les études de ce recueil abordent des sources polémiques variées et intègrent les enseignements de l’analyse du discours comme de l’histoire sociale et culturelle. Leurs auteurs, historiens et littéraires, s’intéressent à l’affirmation de la polémique, à une période où, entre Moyen Âge et Renaissance, le développement de l’imprimé et la diversification des régimes de publicisation ouvrent de nouvelles perspectives polémiques. La guerre de mots se révèle alors comme consubstantielle des remous suscités par la progression des innovations humanistes dans les milieux lettrés. De la guerre entre Armagnacs et Bourguignons à la Fronde, l’affirmation des princes suscite autant de prises de plume que de prise d’armes, tandis que les bouleversements religieux multiplient les occasions d’affrontements par les mots. Inscrit dans une démarche historique et conçu comme un dialogue entre médiévistes et modernistes, cet ouvrage cherche à peser le poids respectif des héritages et des transformations des conditions de l’action polémique et analyse, sur le temps long, les formes, les types d’acteurs et les modalités de l’affrontement verbal, aussi bien que les réflexions tactiques sur l’efficacité de la parole polémique.

Table des matières

  • Couverture
  • Titre
  • Copyright
  • Sur l’auteur
  • À propos du livre
  • Pour référencer cet eBook
  • Table des matières
  • Introduction
  • Première partie. Choix des armes polémiques
  • Entre polémique et réforme. Une traduction versifiée du De re militari, Knyghthod and Bataile (1459-1460)
  • Les formes de la polémique dans les manifestes des partis réformateurs au temps des guerres civiles (France et Angleterre, XVe siècle)
  • Campagnes d’affichage des Articles Veritables et du Petit traicté d’Antoine Marcourt (1534-1535)
  • Le Diable à ses suppôts. Le mandement joyeux réinvesti par la polémique religieuse pendant la Réforme
  • Punir le pape. Honte, satire et action performative dans la polémique anticatholique anglaise au temps de la Réforme
  • Les confessions d’outre-tombe du marquis d’Ancre
  • Hay Du Châtelet et Matthieu de Morgues : deux stratèges de l’odieux pour une entrée en guerre polémique (1635)
  • Disséquer le corps politique. La Couronne et le Parlement dans les dialogues politiques anglais du début du XVIIe siècle
  • Forger ses arguments. Science, religion et métaphore au service de Marie
  • Deuxième partie. Postures et images du polémiste
  • Jean de Montreuil, humaniste et polémiste. Scénographie du discours de combat pendant la guerre de Cent Ans
  • Stratégies d’autolégitimation de la parole féminine en contexte polémique (XVe-XVIIe siècles français)
  • La construction d’une persona polémique. Les femmes comme interlocutrices et/ou témoins des controverses en France à l’époque confessionnelle
  • Les stratégies polémiques vues par Pierre de l’Estoile
  • Rapports de forces et stratégies de positionnement dans la polémique religieuse anglaise de la première modernité
  • Troisième partie. Configurations polémiques
  • La polémique sur l’astrologie à Paris à la fin du XVe siècle
  • Une polémique savante au service de la distinction religieuse : la dispute de Berne en janvier 1528
  • La dispute aura-t-elle lieu ? Les conférences théologiques en France au sortir des guerres de Religion
  • Le rôle du public dans les stratégies persuasives des conférences théologiques sous Henri IV
  • The schoole of abuse. Mobiliser les Pères de l’Église dans la polémique anti-théâtrale à Londres (1560-1600)
  • Intérêts privés et débats publics. Causes et contextes de la controverse imprimée au temps de la Révolution anglaise
  • Savoir et savoir-faire du libelle de la Fronde. Le travail de l’événement
  • Présentation des auteurs
  • Index des noms de personnes
  • Index des noms de lieux
  • Titres de la collection

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Introduction

Tatiana DEBBAGI BARANOVA

Université de Paris-Sorbonne

Nathalie SZCZECH

Université Bordeaux Montaigne

Une peinture hollandaise anonyme, datant du premier quart du XVIIe siècle, conservée au Museum Catharijneconvent d’Utrecht et reproduite sur la couverture de ce volume, synthétise un siècle de controverses théologiques et de guerres de Religion qui déchirent la Chrétienté depuis la Réforme luthérienne1. L’œuvre met en scène Calvin, Luther et le pape, personnifications des Églises entrées en rivalités avec la confessionnalisation, assis autour d’une table, dans une confrontation dont plusieurs cartels donnent le sens. Les plats que dégustent les convives et leurs attitudes sont autant de rébus, dont la solution est donnée dans les inscriptions. Calvin s’apprête ainsi à manger un bon veau (« calf fijn », en néerlandais, jeu de mots sur le nom de Calvin). De sa main droite, le réformateur arrose ce veau rôti, qui rappelle les persécutions qu’ont subies les calvinistes des Provinces-Unies sous la domination espagnole, du jus d’une orange, allusion aux princes Guillaume Ier et Maurice d’Orange-Nassau, stathouders des Provinces-Unies et meneurs de la rébellion ← 13 | 14 → néerlandaise contre l’Espagne catholique. Le pape se sert une bouillie (« pap », en ancien néerlandais, désignant la bouillie que l’on servait aux enfants, aux malades ou aux personnes âgées), que les deux chats qu’il tient sur ses genoux refusent de lécher (« catten licken », jouant sur le mot « catholiques »). Exprimant, dans l’inscription qui le surplombe, son opposition aux protestants des Provinces-Unies, le pape explique que la bouillie est amère à cause des peaux d’oranges qui se trouvent dans le bol, raison pour laquelle ses chats n’en veulent pas. Les controverses et affrontements entre calvinistes et catholiques sont symbolisés par l’orange que Calvin tend au pape et que ce dernier refuse d’un geste de la main. Luther, lui, joue du luth (« luyt teer », en néerlandais). Il se plaint de ce que personne n’écoute sa musique, allusion à la rivalité qui oppose le réformateur de Wittenberg à celui de Genève et au fait que les idées luthériennes ont eu moins d’écho, aux Pays-Bas, que les idées calviniennes. À la gauche de Luther, près d’un poêle, se trouve un anabaptiste, qui plonge son pain dans une coupe d’eau, allusion au rebaptême défendu par ces réformateurs radicaux. Il jette un regard attentif derrière lui, craignant qu’on ne le pousse dans le feu, faisant ainsi mémoire des persécutions que les catholiques comme les réformateurs ont conduites contre les réformateurs radicaux2. Dans cette salle à manger, c’est un rapport de force qui se noue entre les convives, dont le langage des images rappelle les violentes rivalités.

Défendant au contraire la charité évangélique, le peintre appelle au dialogue entre les confessions. À gauche de l’image, la Paix, un rameau d’olivier à la main, déplore les querelles et exhorte les rivaux à coexister pacifiquement. Deux tableaux décorent la salle à manger et confirment le message irénique de l’œuvre : au-dessus de la commode, la Charité abreuve ses enfants ; derrière les convives, la Justice, dont un putti porte la balance, aide la Paix, dont un autre putti brandit le rameau d’olivier, à monter sur un piédestal, tandis que la Colère est expulsée, à l’arrière-plan. Refusant les controverses nouées entre les convives et les violences qu’elles entraînent, l’œuvre met la polémique à distance, refuse de prendre parti et de faire le jeu des confessions. Alors que l’Europe plonge dans la guerre de Trente Ans, qui amplifie les affrontements religieux nés de la ← 14 | 15 → Réforme, ce motif de la « Cucina opiniorum » entend montrer la vanité des controverses.

En mettant en scène une controverse imaginaire, qui se veut la mémoire plus d’un siècle de polémiques interconfessionnelles, le peintre hollandais entre lui-même dans la bataille, prend le parti de courants iréniques qui s’affirment alors et recherche l’adhésion d’un public, en reproduisant une image dont le potentiel argumentatif est important et qui a, de fait, circulé dans l’Europe de la fin du XVIe siècle et du début du XVIIe siècle3. Le régime d’adversité et de publicité au sein duquel se construit la polémique constitue une situation de mise à l’épreuve du discours, des pratiques et des statuts qui peut se révéler riche de sens pour l’analyse historique et que cet ouvrage se propose d’interroger.

La situation polémique et son dispositif

Les sources polémiques ont pourtant longtemps été négligées par l’histoire intellectuelle car soupçonnées de fournir une vision déformée des arguments : Pierre Chaunu n’y voyait ainsi, dans un article de 1986, qu’une littérature de « langue de bois »4. En 2002, Bernard Dompnier déplorait que les milliers de volumes qui relèvent de la controverse n’aient pas été plus exploités dans les recherches du second XXe siècle5. De tels regrets ne seraient plus aussi pertinents aujourd’hui, dans la mesure où, dans le domaine religieux mais aussi politique, littéraire ou scientifique, on observe, depuis une vingtaine d’années environ, un intérêt grandissant des chercheurs pour les sources polémiques. Querelles, controverses et disputes ont acquis aujourd’hui une réelle visibilité, dont témoigne la multiplication des colloques et publications collectives qui leur ont été consacrés6, et les projets qui les prennent pour objet de réflexion, tels le ← 15 | 16 → programme ANR « Agôn » qui s’est consacré à l’étude de la dispute dans son rapport à la création à l’époque moderne7.

Les études polémiques ont pu trouver leur place dans divers champs de la recherche récente grâce à la transformation du regard porté sur les confrontations intellectuelles. Comme l’écrit Christian Jouhaud, les sources polémiques « sont éventuellement les traces laissées par un affrontement, mais sont aussi, en tant qu’[elles] sont conçu[e]s, fabriqué[e]s, diffusé[e]s, les actions mêmes de ces affrontements »8. En envisageant la parole polémique comme un discours en situation et non plus comme un réceptacle d’idées, on a pu glisser de l’analyse de contenus à l’examen de pratiques discursives socialisées, inscrites dans le temps et mobilisées dans l’action et intégrer ainsi à l’étude les enseignements de l’analyse du discours, de l’histoire sociale et culturelle ou de la sociologie9. La polémique apparaît ainsi comme un dispositif complexe, transgénérique et actualisé selon des chronologies et des contextes irréductibles. Il agrège non seulement des discours mais intègre aussi des positions institutionnelles, des normes, des valeurs, des attentes, qui se combinent de manière toujours inédite, dans un but stratégique10. Les sources polémiques ne sont plus seulement ← 16 | 17 → des traces laissées par d’anciens conflits, mais en sont les actions même. L’affrontement par les mots se donne alors comme un moment où des rapports de forces entrent en jeu, où des imaginaires se trouvent mobilisés, des stratégies individuelles et des tactiques sociales et politiques mises en œuvre. C’est cet objet englobant, dont il convient de prendre en compte toutes les dimensions pour donner sens aux sources, qui est à l’étude dans les différentes contributions de ce volume.

Cette position méthodologique explique le choix, par les contributeurs de cet ouvrage, d’une définition volontairement extensive de la polémique, que nous entendons dans son sens étymologique et premier le plus large, « relatif à la guerre », pour désigner, sans isoler un genre, une forme ni un style spécifiques, toute situation discursive conflictuelle organisée et rendue publique. Le flou dans les sources françaises de la période que nous avons choisi d’étudier invite à envisager les divers types de guerres de mots comme autant de modalités possibles de la parole conflictuelle au tournant du Moyen Âge et de l’époque moderne. Le mot « polémique » vient en effet enrichir, à la fin du XVIe siècle, un ensemble de termes utilisés pour désigner les guerres de mots, tels « dispute », « querelle » ou « débats », qui s’utilisent de façon pratiquement indifférenciée à l’époque moderne11. Le mot « controverse » et ses dérivés restent, eux aussi, au XVIe siècle, de simples synonymes de « débat »12, et ne se spécialisent qu’au cours du siècle suivant, pour évoquer, mais jamais exclusivement néanmoins, l’affrontement interconfessionnel13. Si de nombreuses études se sont essayées à une typologie des discours agôniques, isolant, par exemple, le genre du pamphlet ou différenciant la controverse savante de la polémique, ← 17 | 18 → qui s’en détacherait par sa publication élargie et le débordement des règles du débat auquel elle consentirait14, les contributeurs de ce volume ont préféré valoriser la fonction polémique et les liens existant entre diverses modalités de la guerre de mots, privilégiant l’étude de situations variées de conflits intellectuels, comme le proposent également Christian Jouhaud15, Alain Viala16 ou Cyril Lemieux17.

La valeur heuristique des sources polémiques

Si l’histoire des idées ou l’histoire religieuse considéraient autrefois la polémique comme l’expression de contenus et d’arguments préalablement fixés, les recherches ont montré que la confrontation intellectuelle contribue au contraire à construire et à faire évoluer les concepts et participe pleinement à la constitution des savoirs. L’histoire et la sociologie des sciences ont été les premières à s’interroger sur le rôle des controverses savantes dans l’élaboration de la pensée scientifique18. Pour notre période, les historiens de la Réformation ont également souligné ce caractère performatif de la polémique, en montrant que les controverses interconfessionnelles avaient contribué à façonner les positions catholiques et protestantes. Thierry Wanegffelen, qui étudie le développement doctrinal du tridentisme, parle ainsi d’un « effet d’entraînement de la controverse antiprotestante », en ce que les nombreuses controverses entre théologiens catholiques et protestants ont permis une véritable « “invention” du sacrifice de la messe au XVIe siècle »19.

La polémique met également en jeu la position des acteurs en conflit dans le champ du savoir, peut leur permettre de se faire valoir et produire des changements de rapports de force. Cette capacité a été mise en évidence par la sociologie des épreuves20 – qui souligne le « caractère ← 18 | 19 → instituant » de la dispute et considère que le processus conflictuel fournit « des occasions pour les acteurs sociaux de remettre en question certains rapports de force et certaines croyances jusqu’à alors institués, de redistribuer entre eux “grandeurs” et positions de pouvoir, et d’inventer de nouveaux dispositifs organisationnels et techniques »21. Dans cette perspective, les travaux d’Olivier Christin ont initié la réflexion sur l’évolution des dispositifs de la dispute religieuse suite à l’affirmation du protestantisme. L’historien a avancé l’hypothèse de l’autonomisation de l’espace savant sous la protection étatique à la fin du XVIe siècle22. Alain Viala et Christian Jouhaud ont également montré que les controverses ont joué un rôle important dans la professionnalisation des prises de parole et dans la spécialisation des domaines de savoir à l’époque moderne, la multiplication des querelles aux XVIIe et XVIIIe siècles signalant « les conflits de frontière entre les disciplines ou spécialités d’une part, et d’autre part les conflits à l’intérieur de chacun de ces champs, pour s’en assurer le contrôle ou du moins des positions hégémoniques »23.

Ces changements de rapports de force ne sont possibles que parce que le combat polémique se déroule devant un public. Une fois le mythe du « lecteur unique » abandonné, les historiens ont souligné la diversité des destinations sociales, ainsi que des statuts que les polémistes accordent au public : il peut s’agir de simples témoins, dont la présence valide les compétences des spécialistes en lice ou d’arbitres possédant un pouvoir de décision, à l’image des magistrats suisses qui choisissent la confession de leur ville, de savants ou tout simplement de curieux, d’un public raisonnant, opinant ou manipulé. Les publics réels étant difficiles à cerner, beaucoup d’historiens travaillent plutôt sur les destinations postulées des discours polémiques24. Mais force est de reconnaître la capacité générale du discours polémique à créer, à mobiliser et à valoriser son ou ses public(s), à produire un discours sur ce qu’est un public légitime25. Si l’idéal (ou le fantasme) de l’opinion publique éclairée comme instance de jugement légitime émerge en Europe à partir de la fin du XVIIe siècle, une longue période d’expérimentation d’appels au jugement ou à l’engagement des ← 19 | 20 → lecteurs et des spectateurs s’ouvre dès le Moyen Âge26. La question des publics visés par les polémistes a également suscité un questionnement relatif au processus même de publication des débats, ses modalités et ses effets, posé par le Groupe de Recherches Interdisciplinaires sur l’Histoire du Littéraire, au début des années 200027. Sa pertinence se vérifie pour des périodes antérieures au XVIIe siècle : dans le volume Le Théâtre polémique français (1450-1550), Marie Bouhaïk-Gironès, Jelle Koopmans et Katell Lavéant ont ainsi souligné qu’à la charnière du Moyen Âge et de l’époque moderne, les représentations théâtrales s’inscrivaient dans une suite d’actions et de productions polémiques et constituaient de véritables « événements » qui, en publiant une mise en accusation, cristallisaient des rapports de forces28. Ainsi la Farce de Pattes-Ouaintes que les étudiants et les jeunes maîtres de l’Université de Caen ont jouée devant la maison du précepteur pendant le Carnaval de 1492, pour dénoncer ceux qui acceptaient les impôts exigés de l’Université par le roi Charles VII, en dépit des privilèges octroyés par le roi d’Angleterre, son fondateur. Ce spectacle qui mêle enjeux locaux et politiques provoque une série d’actions d’ordre variées – procès, campagnes de protestations, manifestations polémiques, affichage des placards –, qui amplifient le conflit. En désignant publiquement un responsable des malheurs de la communauté, les pièces de théâtre, tout comme un libelle ou un discours, provoquent et renforcent la constitution de groupes antagonistes29.

Certaines recherches, telles celles d’Isabelle Pantin sur les querelles savantes en Europe, de Tatiana Debbagi Baranova sur les libelles diffamatoires ou de Nathalie Szczech sur l’œuvre polémique de Jean Calvin30, s’intéressent à l’aménagement, par les polémistes, de l’adhésion d’un ← 20 | 21 → public à leur cause, en interrogeant la manière dont ils s’accommodent, contournent ou transgressent des règles explicites et implicites, des lieux communs, des représentations ou des habitudes communes à un groupe (humanistes, protestants, clercs, etc.), qui, présentés comme stables mais en constante recomposition, constituent un réseau de normes discursives communément admises, avec lesquelles les polémistes peuvent jouer, mais dont le dépassement doit toujours être justifié. L’idéal consensuel des sociétés chrétiennes ou celui de la mise à l’épreuve, caractéristique des communautés savantes, le rapport plus ou moins tolérant à l’attaque personnelle, à l’injure et la violence verbale, la définition du droit à la prise de parole ou la perception de l’honneur, par exemple, constituent un ensemble de contraintes instrumentalisées par les acteurs polémiques lors de la construction de leur èthos ou de leur posture, élément indispensable à la crédibilité du discours publié. Jérémy Foa montre ainsi que les violences intellectuelles, qui scandent les disputes religieuses des guerres de Religion et constituent autant de transgressions des règles de l’échange, participent de la construction d’une légitimité et sont un moyen, pour les polémistes, de se poser comme des élus emplis de la grâce divine, qui n’est pas contrainte par les normes mondaines31. Ces travaux s’intéressent, dans la même perspective, à l’analyse des récurrences dans la construction de l’argumentation, dans le choix des preuves tenues pour valides ou dans la mise en place de moyens rhétoriques et discursifs qui visent à emporter l’assentiment des lecteurs.

Mise en valeur dans les recherches récentes, la situation polémique s’est montrée d’un grand intérêt heuristique. Elle peut tout autant intéresser l’historien des idées que le spécialiste du discours et de l’argumentation. Elle permet l’étude d’actions individuelles ou collectives et de leurs modalités mais permet aussi de mettre en avant l’organisation générale de la communauté au sein de laquelle surgit cette parole hors-norme. Soulignant la richesse de l’objet polémique, Antoine Lilti se demande ainsi : « La “controverse” est-elle en passe de devenir, aujourd’hui, une sorte de sésame de l’histoire intellectuelle ? Parée de nombreuses vertus heuristiques, comme celle de dépasser l’opposition entre analyse internaliste (l’histoire des idées) et externaliste (la sociologie de l’activité intellectuelle), la méthode de l’analyse de controverses permettrait de répudier les mythes enchantés de la production des savoirs sans abandonner l’étude de leurs contenus »32. ← 21 | 22 →

Mettre en regard des usages et stratégies polémiques

Dans le vaste champ des études polémiques, au sein duquel les travaux sont souvent atomisés, difficiles à valoriser et où l’échange entre chercheurs peut être freiné par la grande spécialisation des débats considérés, c’est à une mise en regard des situations et dispositifs polémiques, des héritages historiographiques et des approches, des résultats mais aussi des difficultés rencontrées que ce volume s’essaie. En allant au-delà de contenus qui peuvent être très techniques et en valorisant la recherche sur les usages et les stratégies polémiques, un dialogue est possible et pourrait susciter des avancées dans les domaines de l’histoire intellectuelle, politique, sociale et culturelle. En inscrivant nos échanges dans le temps long et à l’échelle européenne, nous avons souhaité contribuer au développement d’une réflexion historique sur les guerres de mots. Cette interrogation ne va pas de soi et des doutes s’expriment quant à savoir si la polémique peut constituer un objet historique, comme le souligne la contribution de Dinah Ribard dans ce volume. Christian Jouhaud a remarqué que « la structure triadique de la configuration polémique (agonique) échappe au temps : le public est une instance stable, les adversaires sont des individus qui s’affrontent pour les idées, par des arguments et en usant des preuves »33. Pourtant, selon lui, l’étude historique des modes de conflictualité est possible, si l’on aborde « la question de l’historicité des moyens de la publication du conflit », ainsi que, ajouterions-nous, des modes d’affrontement et des types d’arguments et de preuves. Nourri de ces réflexions, ce volume s’interroge ainsi sur la possibilité d’une historicisation du dispositif polémique. En sondant la séquence qui s’écoule de la fin du Moyen Âge au début des Temps modernes, ses contributeurs ont souhaité peser le poids respectif des héritages, des glissements et des transformations des conditions de l’action polémique et encourager la réflexion sur les modifications des représentations et des pratiques provoquées par l’accumulation progressive des ressources et des expériences.

Dans cette perspective, la période qui va du XIVe au milieu du XVIIe siècle nous a semblé constituer un terrain d’observation privilégié. Les conflits politiques, religieux, sociaux ou culturels se multiplient alors et donnent lieu à de nombreux affrontements verbaux, offrant à l’historien une grande variété de cas. De la guerre entre Armagnacs et Bourguignons à la guerre de Trente Ans, l’affirmation des princes et leur concurrence internationale suscitent autant de prises de plume que de prises d’armes, la polémique politique prenant une place de plus en plus importante. Le Grand Schisme, les mouvements pré-réformateurs et bien sûr la Réforme multiplient les occasions de polémique et font de la période un temps de tensions ← 22 | 23 → religieuses renouvelées, entretenues par la coexistence confessionnelle dans les décennies suivantes. La Réforme – notamment parce qu’elle suscite l’orchestration d’une large mobilisation des populations – apparaît comme une expérience fondatrice, en laquelle les polémistes du XVIIe siècle, qui s’engagent, par la plume, dans la guerre civile anglaise ou la Fronde, peuvent puiser des ressources qu’ils retravaillent au service de leur cause. De récents travaux sur l’humanisme italien montrent aussi que la polémique est, dans le champ intellectuel, consubstantielle des remous suscités par le désir de renouveau et par la progression des innovations dans les milieux lettrés : elle apparaît comme une arme de prédilection dans les affrontements entre les novateurs et leurs rivaux, mais devient rapidement aussi le moyen d’expression privilégié des conflits internes au mouvement34. En dépit de ses rêves d’unité et d’harmonie, le mouvement humaniste s’enracine dans la conflictualité. L’expérience humaniste n’a-t-elle pas constitué une impulsion pour la transformation des conditions de la prise de parole, des possibilités de sa justification, ainsi que du positionnement et de la promotion du polémiste dans la société ? En liant ces questions aux problèmes de la circulation, de la réception de la polémique et des pratiques de lecture qu’elle a pu susciter, il serait possible d’ouvrir de nouvelles perspectives de recherche.

La réflexion sur les régimes de publicisation de la polémique et sur leur évolution nous semble en effet centrale. La naissance puis la généralisation de l’imprimé à la fin du XVe siècle constitue une dynamique majeure, en ce qu’il facilite l’accès des auteurs à la publication, élargit le cercle des lecteurs et introduit de nouvelles logiques d’action, commerciales et éditoriales. La querelle du Roman de la Rose, récemment étudiée par Marie Bouaïk-Gironès, illustre néanmoins l’enjeu que devient la publicisation de la polémique avant même la diffusion du support imprimé. Alors que cette polémique entre humanistes tournait au dialogue de sourds, Christine de Pisan et son soutien Jean Gerson, en déplaçant le débat, en en changeant les termes et en le rendant public – en chaire et à la ← 23 | 24 → cour –, ont écrasé leurs adversaires et les ont réduits au silence35. Initiant une pratique que Luther élèvera au rang d’arme de diffusion massive de son idéal de Réforme, l’habitude est vite prise par les humanistes liés au monde de l’édition d’en appeler aux lecteurs, latinisants dans un premier temps, par le biais de publications imprimées et ce, en passant outre les autorités, hiérarchies et arbitrages universitaires traditionnels. En 1507, le juriste Pierre de Ravenne diffuse ainsi publiquement ses critiques au sujet du refus de sépulture chrétienne que les autorités de Cologne ont opposé aux condamnés à mort par pendaison, quand bien même ces derniers se seraient repentis et auraient été absous. Il affirme sa désapprobation de ce qu’il considère comme une atteinte locale au droit canon et comme un péché mortel et relaie, par l’imprimé, le conflit qui l’oppose à ses collègues de l’Université, alors même que la communauté régule de coutume ses querelles en interne. Ce geste compromet son avenir professionnel à l’Université de Cologne et l’oblige à quitter la ville en avril 1508, mais établit sa réputation d’humaniste36. La campagne organisée pour la défense de Reuchlin par la publication des Lettres des hommes obscurs en 151537 ou encore la maîtrise dont Érasme fait montre dans la mise en œuvre de stratégies éditoriales38, invitent à souligner l’apport des humanistes dans l’évolution des régimes de publicisation de la polémique. Mais si l’imprimé se fait le principal support de l’action humaniste, les formes orales et manuscrites de la polémique n’en sont pas pour autant abandonnées. En réalité, plusieurs logiques de publication coexistent et se complètent durant les siècles suivants : souvent, la publication imprimée est précédée par la publication dans des cercles étroits de lecteurs qui doivent accréditer le discours. L’accès à l’imprimerie reste aussi soumis à de nombreuses contraintes, dont la sécurité de l’imprimeur : ainsi, pendant les guerres de Religion les écrits manuscrits demeurent-ils une arme polémique privilégiée de la contestation « interne » aux grands partis constitués39. ← 24 | 25 →

Le glissement de controverses réglées dans un cadre corporatif à des polémiques offertes au jugement d’un public élargi soulève le problème des bénéfices d’une telle action pour le polémiste. Les travaux sur les controverses humanistes italiennes montrent que les novateurs ont utilisé l’outil polémique pour marquer leur position dans le champ savant et se sont constitués en tant que groupe en créant de leur plume un obscurantisme contre lequel un rassemblement était possible. En abandonnant la logique de corps, l’activité polémique participe donc activement au tissage des liens informels qui unissent les citoyens de la République des Lettres. Le champ polémique semble alors fonctionner comme un espace de promotion de soi au sein duquel l’adversaire devient un faire-valoir, qui permet la valorisation de la geste héroïque du polémiste et qui peut même conduire à la création d’adversaires de papiers. Mais l’engagement public comporte aussi des risques car, en valorisant l’action et la conscience individuelle, le polémiste met en jeu sa propre réputation. La question de la responsabilité que l’auteur engage par la publication de son œuvre est ainsi abordée bien avant « la naissance de l’écrivain », pour reprendre l’expression d’Alain Viala. Plus d’un siècle après la composition de l’ouvrage, la lecture du Roman de la Rose suscite une polémique d’ampleur, sous la forme d’un débat épistolaire lettré, dans les années 1401-1403. Les officiers royaux Jean de Montreuil et Gontier Col accompagnés du frère de ce dernier, le clerc Pierre Col, s’y opposent à la poétesse Christine de Pisan et au chancelier de l’Université de Paris Jean Gerson. Lieu où la loi est suspendue – car c’est le lieu du génie –, l’art peut tout dire, défendent les humanistes Jean de Montreuil, Gontier et Pierre Col. L’auteur ne peut échapper à la responsabilité de sa parole, même s’il la délègue à son personnage, répondent Christine de Pisan et Jean Gerson. De l’énième querelle d’humanistes qu’elle aurait pu rester à l’importante affaire politique qu’elle est devenue en raison de sa publicisation, cette polémique met en place les principaux cadres de pensée du pouvoir de la littérature, en jouant sur la ligne d’opposition entre la souveraine liberté de la fiction et la responsabilité et l’engagement du poète. En considérant la polémique sous l’angle de l’engagement et de la responsabilité, peut-être serait-il possible de déplacer de grandes scansions de l’histoire de la figure du polémiste, de réévaluer, à la lumière du temps long, les objectifs qu’il donne à son action par le discours et donc l’évolution de la place de l’écriture dans la société.

Ces enjeux se transforment au cours de notre période qui voit le passage de l’action individuelle et héroïque d’un homme de lettres à l’avalanche de polémiques publiées sous forme de libelles. Les conflits politiques ou religieux constituent des appels d’air pour les écrivains de circonstance qui cherchent reconnaissance ou promotion et pour les imprimeurs soucieux de vendre. Un incroyable élargissement du cercle d’auteurs se produit ← 25 | 26 → en temps de crise, comme en témoignent la période de domination de la Ligue parisienne, la minorité de Louis XIII et surtout la Fronde. La publication se révèle être alors un formidable moyen de publier son savoir-faire, sa fidélité, ses convictions et son zèle religieux, comme elle permet aussi de compléter ses revenus. Mais si l’engagement polémique peut se lire comme un service rendu aux grands en échange d’un bien symbolique ou matériel, quel est le degré d’autonomie du polémiste, exprime-t-il sa propre position, celle d’un grand, les deux ou bien aucune, en cherchant tout simplement à s’adapter au public qu’il veut influencer ? Christian Jouhaud cite le cas de Dubosc-Montandré, polémiste au service du prince de Condé qui, dans son libelle Le Point de l’Ovalle (1652), appelle le peuple à la fois à soutenir le prince de Condé et à se débarrasser des grands. Ce passage a provoqué un débat : Alain Viala y a vu le résultat d’une « contrainte de clientèle » qui marquerait, grâce à l’introduction d’équivoques, une limite de l’adhésion de l’auteur à cette contrainte. Selon Michel de Certeau, il s’agirait là d’une « confusion des lieux et des identités » sociales, une sorte de « brouillage », qui résulterait de l’usage intensif d’écrits manipulatoires au service de l’action politique. Sans rejeter ces interprétations, Christian Jouhaud propose de poser également la question du positionnement de l’auteur dans la controverse. En effet, on pourrait, selon lui, considérer les libelles eux-mêmes comme un espace particulier de réception des textes polémiques, dans la mesure où les hommes de lettres constituent un public restreint et averti de « praticiens de l’écrit », conscients des procédés manipulatoires de leurs confrères40. Les cas d’engagements multiples, de positions changeantes présentent en effet un terrain fructueux pour essayer de comprendre la hiérarchisation opérée par chaque acteur, pour réfléchir sur la construction d’une posture, sur les choix d’action et de positionnement dans une situation sociale et politique donnée.

La multiplication vertigineuse des polémiques au XVIIe siècle, encouragée par l’expérience acquise dans les bouleversements culturels, politiques et religieux du siècle précédent, témoigne de l’affirmation du pouvoir de l’écriture. La polémique est reconnue comme étant affaire de spécialistes, mais ces derniers admettent la nécessité de publier leur savoir-faire devant un public plus large pour s’affirmer en tant que tels et pour l’éduquer. En interrogeant le sens que pouvait avoir l’appel à la forme épistolaire au cœur du débat religieux, Jean-Pascal Gay a montré comment, en mettant en scène l’idéal de la sociabilité humaniste, pourtant désuet en réalité, ce dispositif polémique témoignait d’une quête d’équilibre entre le secret professionnel et la publication, nécessaire à la reconnaissance ← 26 | 27 → sociale41. Cette capacité des auteurs à faire valoir les ressources du passé sous une forme réactualisée et avec un objectif nouveau rend précieux le dialogue entre Médiévistes et Modernistes que nous avons tenté d’établir. En effet, l’habitus du recours à la polémique que les différents acteurs sociaux manifestent au XVIIe siècle ne peut être expliqué que par l’accumulation d’expériences et la constitution d’un bagage de légitimité propre aux différents acteurs en débat. Mettre au jour des réemplois de formes, la persistance ou l’instrumentalisation de certaines modalités de l’affrontement verbal ou les héritages dans la construction de la légitimité, nous semble essentiel pour mettre en perspective les cas modernes, à l’exemple du travail réalisé par Béatrice Périgot, qui a réfléchi au legs de la disputatio universitaire dans la littérature de la Renaissance42 ou par Tatiana Debbagi Baranova qui a montré comment la polémique des guerres de Religion a pu investir les formes traditionnelles de la poésie urbaine, pratiquée notamment dans le cadre des sociétés joyeuses43.

Certes, il faut garder à l’esprit que différents champs d’action polémique s’organisent selon des catégories et logiques spécifiques. D’où l’impression d’un décalage entre, par exemple, les cas de polémique politique et religieuse, notamment autour des questions de recherche de la vérité, de ritualisation du combat polémique, d’engagement de l’auteur ou de rapport entre l’opinion et la volonté manipulatoire. Pour autant, la confrontation entre ces différentes configurations semble utile, car aucune querelle ne se déroule en vase clos ; l’identité multiple des polémistes, leur formation et leur expérience, leurs liens avec leurs pairs à l’étranger, élargissent les possibles de l’action. C’est la raison pour laquelle nous avons tenté de fournir matière à réflexion en confrontant des études de cas portant sur des champs et des espaces différents, à l’échelle européenne.

Plan du volume

Au cours de la rencontre qui est à l’origine de cet ouvrage collectif, trois thématiques se sont distinguées. La première partie de ce recueil est consacrée au choix des armes polémiques. Plusieurs contributions ont en effet confirmé que l’analyse des formes, des genres, des procédés rhétoriques, des mises en scène voire des types de preuves privilégiés par le polémiste permet à la fois pour mieux comprendre ses objectifs et sa perception de la situation dans laquelle il agit. Ce qui frappe avant tout, c’est la capacité des auteurs d’autrefois à investir des pratiques discursives préexistantes ← 27 | 28 → – des ressources disponibles – dans un objectif polémique. Aude Mairey et Katell Lavéant montrent ainsi comment les auteurs instrumentalisent les écrits et les genres destinés initialement à autres usages et à quel point la réécriture – souvent minimale – du texte permet de l’adapter à un contexte et à un besoin précis. Adam Morton met au jour des pratiques sociales de punition infamante et d’iconoclasme dans les imprimés polémiques anglais publiés contre le pape, tandis qu’Anton Serdeczny analyse quel intérêt les polémistes jésuites ont pu trouver à utiliser la métaphore scientifique dans la glorification discursive et iconographique de la Vierge. En effet, les libellistes s’emparent des ressources discursives et argumentatives disponibles, voire à la mode, tels Paul Hay du Chastelet et Matthieu de Morgues, étudiés par Yann Rodier, qui s’accusent mutuellement d’instrumentaliser les passions publiques et dévoilent les stratégies rhétoriques de l’adversaire à partir des représentations diffusées par les moralistes, les médecins et les philosophes qui s’intéressent à l’impact des passions sur l’individu et la société. D’autres contributeurs ont souligné l’existence de transfert d’arguments et de modèles polémiques entre différents espaces nationaux : ainsi l’étude comparative des manifestes des chefs des partis de Bourgogne et d’York pendant les guerres civiles françaises et anglaises, conduite par Gilles et Élodie Lecuppre, met-elle en évidence, par delà les variations locales, la proximité des pratiques polémiques et des répertoires thématiques. Pour sa part, Geneviève Gross propose une nouvelle lecture de l’affaire des Placards (1534-1535) en montrant que s’est organisé un transfert du modèle polémique oral, caractéristique de l’espace bernois, vers le territoire français, avec les conséquences dramatiques pour la Réforme qu’on lui connaît. Cathy Shrank et Jean-Philippe Beaulieu montrent que la mise en scène d’une situation d’énonciation même fictive est au moins aussi signifiante pour découvrir les visées et la stratégie d’un polémiste que les arguments choisis.

La deuxième partie du recueil interroge la construction de postures par les polémistes et des rapports de pouvoir qui s’établissent dans les échanges. Estelle Doudet questionne ainsi la relation entre deux positionnements de Jean de Montreuil, de prime abord contradictoires : celui de l’humaniste, évoluant dans des réseaux érudits étroits, et celui du polémiste qui déploie une action de communication plurilingue à l’attention de publics aux compétences socio-culturelles plurielles. Elle montre comment cet auteur construit sa « scénographie polémique », se donne le rôle de passeur de savoir. Deux contributions s’intéressent à la construction de la posture polémique féminine car, en dépit de la désapprobation qui pèse sur la parole des femmes, celles-ci interviennent dans divers débats au cours de la période : alors que Diane Desrosiers analyse les stratégies d’autolégitimation de quelques grandes figures féminines engagées dans la polémique, de Christine de Pisan à Marie de Gournay, ← 28 | 29 → Daniela Solfaroli-Camillocci examine l’évolution de la représentation des femmes qui débattent des questions théologiques, de la fin du XVIe siècle au début du XVIIe siècle, mettant en valeur un processus d’individualisation du lieu polémique et la redéfinition de la sociabilité des controverses religieuses, centrée sur une personne et une expérience singulière. La question de l’inégalité des statuts entre les polémistes est également abordée par Anthony Milton, qui étudie l’usage de l’anonymat dans la polémique entre l’évêque John Williams et son inférieur hiérarchique, Peter Heylyn, dans les années 1630. On peut légitimement s’interroger sur la réception de ce type de stratégies par les lecteurs. Comme le souligne Cécile Huchard, le journal de Pierre de L’Estoile, audiencier de la Chancellerie et collectionneur passionné de libelles, apparaît justement comme l’une des rares sources qui donne l’accès à la lecture des situations polémiques par un Parisien éclairé ; il ne faut pourtant pas oublier qu’il s’agit, dans ce cas aussi, d’une écriture orientée, visant à donner une image particulière du chroniqueur lui-même.

Résumé des informations

Pages
398
Année de publication
2016
ISBN (PDF)
9782807600720
ISBN (ePUB)
9782807600737
ISBN (MOBI)
9782807600744
ISBN (Broché)
9782807600713
DOI
10.3726/b10563
Langue
français
Date de parution
2016 (Novembre)
Page::Commons::BibliographicRemarkPublished
Bruxelles, Bern, Berlin, Frankfurt am Main, New York, Oxford, Wien, 2016. 398 p., 11 ill.

Notes biographiques

Marie Bouhaïk-Gironès (Éditeur de volume) Tatiana Debbagi Baranova (Éditeur de volume) Nathalie Szczech (Éditeur de volume)

Marie Bouhaïk-Gironès est chargée de recherche au CNRS (centre Roland Mousnier, université Paris-Sorbonne). Elle est spécialiste de l’histoire de la parole publique et des pratiques spectaculaires (XIIIe–XVIe siècles). Tatiana Debbagi Baranova est maître de conférences à l’université Paris-Sorbonne et chercheur au centre Roland Mousnier. Elle s’intéresse notamment aux stratégies de communication pensées par les auteurs et les acteurs religieux et politiques, aussi bien qu’aux questions de circulation et de réception de l’information à l’époque de la première modernité. Nathalie Szczech est maître de conférences à l’université Bordeaux-Montaigne, membre du CEMMC et chercheur associée au centre Roland Mousnier (UMR 8596). Elle est spécialiste de l’histoire de la Réforme et de la polémique religieuse au XVIe siècle.

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Titre: Usages et stratégies polémiques en Europe