Mediality of Smells / Médialité des odeurs
Summary
La richesse de l’actualité en matière d’odeurs et d’odorat témoigne du vif intérêt de nos sociétés de l’information pour un sens qui semble offrir une saisie directe et immédiate du réel. Circulant de manière très variable à travers le temps et l’espace, les odeurs font l’objet d’une perception qui résiste d’autant plus à la description et à la représentation qu’elle reste individuelle et liée à l’histoire personnelle. Ce volume vise à contribuer aux échanges interdisciplinaires sur l’olfaction à travers la question de la médialité, en s’interrogeant sur les mécanismes par lesquels l’expérience olfactive et les odeurs sont transmises et diffusées, mais aussi en explorant les modalités de l’odeur comme médium. Proposant une diversité d’approches, d’aires culturelles et de périodes, ce volume rassemble les contributions de vingt-et-un spécialistes qui étudient comment la culture olfactive caractérise et construit nos rapports aux odeurs.
Excerpt
Table Of Contents
- Couverture
- Titre
- Copyright
- À propos des directeurs de la publication
- À propos du livre
- Pour référencer cet eBook
- Table des matières
- Liste des illustrations
- Préface : Les sens du sentir (Chantal Jaquet)
- Introduction : Culture olfactive et médialité des odeurs (Jean-Alexandre Perras et Érika Wicky)
- Introduction: Olfactive culture and mediality of smells (Jean-Alexandre Perras and Érika Wicky)
- Partie I Perfumes / Parfums
- L’Osmothèque : une bibliothèque des évanescences (Entretien avec Isabelle Reynaud-Chazot)
- The art of hospitality: Incense burners and the welcoming ceremony in the Medieval Islamic society (7th–15th centuries) (Sterenn Le Maguer-Gillon)
- La poudre et le petit-maître en France et en Angleterre au XVIIIe siècle : parfum de gloire, parfum de ruelle (Jean-Alexandre Perras)
- ‘Des parfums où la chair se damne’ : entre séméiologie médicale et morale des apparences. L’odor di femmina et l’imaginaire fin-de-siècle (Eugénie Briot)
- Partie II The smell of books / L’odeur des livres
- Eduardo Kac, the olfactive poet (Ada Ackerman)
- Preserving historic smells: The question of authenticity (Cecilia Bembibre and Matija Strlič)
- ‘L’odeur du cabinet, cette odeur liquoreuse, chaude de la fumée du tabac’ : A linguistic approach to the necessary contextualization of odours in Zola’s Le Ventre de Paris (Rémi Digonnet)
- ‘This [Smelly] Little World: Smell and identity in Francis Brett Young’s The Young Physician’ (JONATHAN REINARZ AND LUDMILLA JORDANOVA)
- Partie III Images
- Nommer et montrer l’odeur : étiquettes et contenants en parfumerie et cosmétique à la fin du XIXe siècle (Rosine Lheureux)
- La peinture qui pue : les odeurs dans les salons caricaturaux français du XIXe siècle (Frédérique Desbuissons)
- Représenter les parfums par la peinture (1850–1914) (Christina Bradstreet)
- Partie IV Architecture
- Peter Sloterdijk : de la ‘miasmologie’ à l’Air Design (Manola Antonioli)
- La chimie des fosses d’aisances parisiennes dans les années 1780 : miasmes et air vicié (Marie Thébaud-Sorger)
- On the importance of habituation in the spatial mediality of smells (Suzel Balez)
- Partie V Olfactive concerts / Concerts olfactifs
- Smell-sound synaesthesia as revelatory medium: A brief history with emphasis on German literature (1900–1930) (Frank Krause)
- Concerts olfactifs fin-de-siècle : les parfums entre vibrations et matière (Giusy Pisano et Érika Wicky)
- L’invention de l’orgue à senteurs : sur l’interdépendance de la littérature et de l’objet technique (Sergej Rickenbacher)
- Notes sur les auteur·trice·s
- Index
- Titres de la collection
Illustrations
Sterenn Le Maguer-Gillon, ‘The art of hospitality: Incense burners and the welcoming ceremony in the Medieval Islamic society (7th–15th centuries)’
Figure 2.2Map showing the sites and incense burners production centres mentioned in the article.
←ix | x→Jean-Alexandre Perras, ‘La poudre et le petit-maître en France et en Angleterre au XVIIIe siècle : parfum de gloire, parfum de ruelle’
Figure 3.1W. Gillman, A Guinea-Pig, estampe, 1795, British Museum.
Figure 3.2Jean-François Bautte, pommander en forme de pistolet, vers 1800, Musée Cognacq-Jay.
Figure 3.4Parfum Cannonizer, Karoff Perfume Company, 1941, Museo del profumo di Milano.
Ada Ackerman, ‘Eduardo Kac, the olfactive poet’
←x | xi→Cecilia Bembibre and Matija Strlič, ‘Preserving historic smells: The question of authenticity’
Rémi Digonnet, ‘L’odeur du cabinet, cette odeur liquoreuse, chaude de la fumée du tabac’ : A linguistic approach to the necessary contextualization of odours in Zola’s Le Ventre de Paris
Figure 7.1Lexical variation. Occurrences in Zola’s Le Ventre de Paris, Frantext (30/03/2021).
Figure 7.2Lexical variation. Occurrences in Frantext open access: A sample of 40 texts (30/03/21).
Figure 7.3Olfactory sources in Zola’s Le Ventre de Paris.
Figure 7.4Olfactory effects in Zola’s Le Ventre de Paris.
←xi | xii→Frédérique Desbuissons, ‘La peinture qui pue : les odeurs dans les salons caricaturaux français du XIXe siècle’
Figure 10.2Cham, ‘Croquis par Cham’, Le Charivari, 2 mai 1869. Paris, gallica.bnf.fr / BnF.
Figure 10.4Cham, ‘Croquis, par Cham’, Le Charivari, 29 avril 1866. Paris, gallica.bnf.fr / BnF.
←xii | xiii→Christina Bradstreet, ‘Représenter les parfums par la peinture (1850–1914)’
Giusy Pisano et Érika Wicky, ‘Concerts olfactifs fin-de-siècle : les parfums entre vibrations et matière’
Sergej Rickenbacher, ‘L’invention de l’orgue à senteurs : de l’interdépendance de la littérature et de l’objet technique’
Figure 17.1Le ‘Hauchmaul’ de Smeller 2.0, septembre 2016, © Julian van Dieken.
Préface : Les sens du sentir
Une fois n’est pas coutume, l’ambiguïté du verbe ‘sentir’, en français, est sans doute moins le signe d’une indigence lexicologique que d’une richesse sémantique qui inscrit l’odorat dans une dynamique du flux, de l’échange et de la circularité des sens, en le plaçant d’emblée sous le registre de ce que Jean-Alexandre Perras et Érika Wicky appellent ‘la médialité’.1
Du genre à l’espèce, de l’émetteur au récepteur, le sentir obéit, en effet, à une logique de la médiation indéfinie et ouvre la voie à des explorations multi-sensorielles et multi-disciplinaires. Car sentir, c’est d’abord, de manière générique, éprouver une sensation ou un sentiment. L’acte de sentir renvoie donc indissociablement à la perception sensorielle et à ses effets émotionnels ; il se déploie selon des modalités à la fois cognitives et affectives. Le sentir est toujours un ressentir, excédant la dimension organique pour se développer dans un milieu social historiquement donné, qui encadre et codifie ses formes d’expression. Unissant la physiologie des sens à la psychologie des sentiments, il invite à ressaisir le lien entre percept et affect et à mettre en œuvre une approche sensible globale, marquée par le primat de la synesthésie.
À cet égard, la spécification du sentir en une acception strictement olfactive désignant l’acte de respirer des odeurs ne doit jamais faire oublier que la perception est rarement monosensorielle, parce que le monde se donne à nous, de loin, sous les espèces visuelles, auditives et olfactives mêlées, et de près, sous les espèces tactiles et gustatives. Mais l’odorat a la particularité d’être un trait d’union entre le prochain et le lointain, l’intérieur et l’extérieur, car avant de fondre sous la langue, le monde est inhalé et exhalé par le nez. L’odorat est une sorte d’avant-goût qui consomme la fusion avec ←xv | xvi→le monde. Fusion forcée qui ne va pas sans effusion, sous la forme du rejet de ce que l’on ne peut pas sentir ou de l’attrait pour ce avec qui ou avec quoi l’on se sent bien.
L’absence de distinction, dans la langue française, entre ce que les Anglais, par exemple, prennent soin de différencier à l’aide de deux verbes séparés : to feel , ‘éprouver une sensation ou un sentiment’, et to smell , ‘respirer une odeur’, est moins le signe d’une confusion que l’indice du lien indissoluble entre les divers canaux de la sensibilité qui s’expriment dans l’unité polyphonique d’un sentir. Ce que donne encore mieux à entendre le verbe italien sentire, qui signifie non seulement percevoir par les sens et respirer, mais encore ‘écouter’. Sentire fait ainsi écho à la magnifique formule, kô o kiku, ‘écouter les fragrances’, employée au Japon par les maîtres de kôdô, qui se délectent des senteurs subtiles de bois aromatiques, lors de rencontres au cours desquelles ils font circuler sur un chauffe-parfum des combinaisons d’essences précieuses à mémoriser et à apprécier de concert. C’est aussi cette alliance entre musique et fragrance qui est au cœur de l’expérience insolite de synesthésie évoquée par Maupassant dans La vie errante, la nuit. Lors d’un voyage à bord d’un bateau en route pour l’Italie, il entend soudain une musique d’opéra lointaine :
←xvi | xvii→‘J’écoutais, tellement surpris que je me croyais le jouet d’un joli songe. J’écoutai longtemps, avec un ravissement infini, le chant nocturne envolé à travers l’espace. Mais voilà qu’au milieu d’un morceau il s’enfla, grandit, parut accourir vers nous. […] Il arrivait, si rapide, que, malgré moi, je regardai dans l’ombre avec des yeux émus ; et tout à coup je fus noyé dans un souffle chaud et parfumé d’aromates sauvages qui s’épandait comme un flot plein de la senteur violente des myrtes, des menthes, des citronnelles, des immortelles, des lentisques, des lavandes, des thyms, brûlés sur la montagne par le soleil d’été.
C’était le vent de terre qui se levait, chargé des haleines de la côte et qui emportait aussi vers le large, en la mêlant à l’odeur des plantes alpestres, cette harmonie vagabonde.
Je demeurais haletant, si grisé de sensations, que le trouble de cette ivresse fit délirer mes sens. Je ne savais plus vraiment si je respirais de la musique, ou si j’entendais des parfums, ou si je dormais dans les étoiles.’2
Sentire, dirait bellement l’italien, sans songer à démêler sons parfumés et parfums écoutés, songe et réalité, la tête dans les étoiles, comme sur un oreiller satiné. Dès lors, comprendre ce que sentir veut dire, c’est toujours répondre à l’appel d’une inter-sensorialité.
L’acte de sentir, pris au sens olfactif cette fois, obéit à un schéma plus complexe encore parce qu’il brouille la distinction entre le sujet et l’objet. Il implique l’interaction entre un émetteur de molécules fragrantes et un récepteur doté d’un appareil olfactif. Cette configuration vaut, certes, pour tous les sens, mais elle se décline généralement sous la forme d’une distinction entre l’agent et le patient, l’émetteur et le récepteur, entre voir et être vu, entendre et être entendu …, tandis que sentir, c’est aussi bien dégager une odeur que la percevoir par le nez. Un homme qui sent peut être invariablement le sujet et l’objet de l’olfaction et peut désigner à la fois un individu qui exhale des odeurs corporelles et qui exerce son sens olfactif. Ambivalence du sentir, qui nous immerge dans une dialectique inversée du sujet et de l’objet, sans équivalent pour le voir ou l’ouïr. L’odeur est ce media qui se meut dans l’entre-deux du sentant et du senti et qui fait circuler sens et essence. Elle mobilise une pensée du flux et du reflux, du passage évanescent et du surgissement soudain, parce qu’elle s’insinue et se répand, à travers volutes et circonvolutions, pour mourir et renaître, grosse du temps retrouvé à la faveur des réminiscences parfumées.
Le grand mérite de cet ouvrage dirigé par Jean-Alexandre Perras et Érika Wicky est précisément de nous installer au cœur d’une culture radiale des odeurs et d’en faire le media privilégié pour l’exploration d’une sensibilité multisensorielle. Après les travaux pionniers visant à réhabiliter l’odorat et à le sortir de sa relégation à la dernière place, il n’est plus nécessaire désormais de dénoncer son rôle périphérique et de réitérer des poncifs sous couvert d’apologie. Le silence olfactif qu’évoquait Alain Corbin est aujourd’hui en partie brisé, bien que les recherches en matière d’osmologie restent encore minoritaires. Il est donc salutaire, pour aller de l’avant, de considérer que la puissance de l’odorat s’impose de plus en plus comme une évidence et d’en faire positivement le centre d’une culture à partir de laquelle rayonnent des investigations concernant aussi bien l’histoire des parfums, que la géographie de l’espace ou les relations croisées avec les arts littéraires, picturaux et musicaux. Interrogés du point de vue olfactif, la ←xvii | xviii→littérature, la peinture ou la musique ont ainsi des parfums tout autres et rendent un autre son.
Médialité des odeurs, comme son nom l’indique, vise donc moins à analyser le statut en soi de l’odorat ou de l’odorant que les diverses modalités selon lesquelles les odeurs se diffusent et infusent du sens, leurs matières et leurs manières, qui varient spatio-temporellement. Il se fonde sur une approche pluridisciplinaire et plurilingue, rassemblant aussi bien des parfumeurs que des chercheurs, des hommes et femmes de l’art que des esthètes olfactifs. Ce faisant, il brise les frontières étanches et fait circuler les sens en introduisant dans les études culturelles sur la sensorialité une grande bouffée d’air.
Si dans La tentation de Saint-Antoine, la chimère, vainement, ‘cherche des parfums nouveaux, des fleurs plus larges, des plaisirs inéprouvés’, avec ce livre, ils sont tout trouvés et deviennent réalité. Que les auteurs en soient ici chaleureusement remerciés.
Details
- Pages
- XVIII, 398
- Publication Year
- 2022
- ISBN (PDF)
- 9781789976076
- ISBN (ePUB)
- 9781789976083
- ISBN (MOBI)
- 9781789976090
- ISBN (Softcover)
- 9781789976069
- DOI
- 10.3726/b16126
- Language
- English
- Publication date
- 2021 (November)
- Keywords
- Smell perfume olfactory culture olfaction history of the senses history of smell sensory studies mediality literature linguistics aesthetics anthropology philosophy Mediality of Smells Médialité des odeurs Jean-Alexandre Perras Érika Wicky
- Published
- Oxford, Bern, Berlin, Bruxelles, New York, Wien, 2022. XVIII, 398 pp., 34 b/w ill., 4 colour ill.