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Justice, ne passe pas ton chemin

L’expérimentation de la justice transitionnelle en Asie du Sud-Est

by Jacques Dupouey (Author)
©2022 Monographs 668 Pages

Summary

Depuis la fin de la seconde guerre mondiale, les crimes de masse (crimes de guerre, crimes humanitaires, génocide et nettoyage ethnique), ont conduit la communauté internationale à mettre en place des juridictions pénales internationales, des dispositifs de justice transitionnelle – apparus vers le milieu des années 1980 – et à élaborer en 2005 la doctrine de la responsabilité de protéger (R2P). Conçus pour permettre de passer d’un régime de dictature ou d’oppression à un régime politique et juridique démocratique, ces dispositifs de justice transitionnelle ont pour objectif de restaurer l’état de droit, d’adopter des dispositifs de révélation de la vérité historique sur des crimes atroces du passé, de lancer des mécanismes de justice répressive ou réconciliatrice à l’encontre des principaux criminels et d’instaurer une paix durable.
Cet ouvrage analyse l’approche régionale des pays d’Asie du Sud-Est pour faire face aux situations d’extrême violence en masse, notamment leur utilisation du R2P, et s’appuie sur l’étude de cas plus ou moins bien connus en Occident d’expérimentation de la justice transitionnelle : le génocide/politicide indonésien des années 1965-68, le génocide des Khmers rouges au Cambodge des années 1975-79, la guerre anti-drogue depuis 2016 du président philippin Rodrigo Duterte et la discrimination et l’épuration depuis 2007 des membres de la minorité musulmane des Rohingyas par la junte militaire birmane. Ce livre offre ainsi une vision multidisciplinaire (droit, géopolitique et histoire) précieuse pour la bonne compréhension des conflits évoqués.

Table Of Contents

  • Couverture
  • Titre
  • Copyright
  • À propos de l’auteur
  • À propos du livre
  • Pour référencer cet eBook
  • Table des matières
  • Remerciements
  • Introduction
  • Première Partie : L’appropriation au niveau régional de la norme internationale en cas de crimes atroces
  • Chapitre 1 Le concept de justice transitionnelle
  • Section 1 – Les origines, objectifs et caractéristiques
  • Section 2 – Les considérations sur et difficultés opérationnelles de la justice transitionnelle
  • Chapitre 2 La protection des droits de l’homme au niveau régional et l’approche sécuritaire de l’ASEAN
  • Section 1 – La lente assimilation de la protection des droits de l’homme en Asie du Sud-Est
  • Section 2 – La coopération sur les droits de l’homme EU-ASEAN
  • Section 3 – La conception de la sécurité par l’ASEAN
  • Chapitre 3 Une réticence des pays de l’ASEAN à s’approprier pleinement les règles du droit pénal international
  • Section 1 – La Cour pénale internationale juge des principaux criminels
  • Section 2 – L’absence de fabrique d’une juridiction pénale régionale
  • Conclusion de la première partie
  • Seconde Partie : L’expérience de la justice transitionnelle et de la sanction internationale en Asie du Sud-Est
  • Chapitre 1 L’Indonésie, justice transitionnelle en piétinement
  • Section 1 – Tirer le voile du génocide (politicide) indonésien
  • Section 2 – La route tardivement entamée et sinueuse vers la justice transitionnelle
  • Conclusion
  • Chapitre 2 Une justice transitionnelle de « précaution » au Cambodge
  • Section 1 – La folie meurtrière et la fin de la révolution socialiste des Khmers rouges (1975–1979)
  • Section 2 – Certains des auteurs principaux du génocide cambodgien dans le collimateur de la justice
  • Conclusion
  • Chapitre 3 La précarité des droits de l’homme aux Philippines
  • Section 1 – Un continuum de violations des droits de l’homme
  • Section 2 – La Cour pénale internationale à la recherche d’éléments de preuve contre Duterte et ses proches collaborateurs
  • Conclusion
  • Chapitre 4 Myanmar, une route pour la rédemption ?
  • Section 1 – Les pogroms répétés contre les Rohingyas par la junte militaire birmane surtout depuis 2012 : la stratégie de la tyrannie
  • Section 2 – Les réactions internationales et de la société civile
  • Section 3 – Le Myanmar convoqué par la justice internationale
  • Conclusion
  • Conclusion de la seconde partie
  • Conclusion Générale
  • Annexes
  • ANNEXE 1: Dispositions de traités internationaux (sélection) stipulant un droit à recours de victimes
  • ANNEXE 2: Etat des ratifications par les pays d’Asie du sud-est des traités sur les droits de l’homme et le droit humanitaire (sélection)
  • ANNEXE 3: Droits de l’homme garantis par les constitutions des Etats de l’ASEAN
  • ANNEXE 4: Organes internationaux dans les domaines des droits de l’homme et des affaires humanitaires
  • GLOSSAIRE
  • Bibliographie
  • Index
  • Table des matières
  • Titres de la collection

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Remerciements

Cette étude effectuée sans financement externe a pu être réalisée notamment grâce à la générosité de nombreux auteurs étrangers qui ont accepté de me communiquer une, voire plusieurs, de leurs publications (et parfois aussi de leurs collègues) ou, dans le cas d’Erik Thurman, autorisé à reproduire un dessein et je les en remercie vivement. Il s’agit respectivement (espérant n’en omettre aucun) de Nicola Henry, David Capie, Mark Beeson, Mathew Davies, Zahira Aragüete-Toribio, Toshihiro Abe, Alistair D. B. Cook et Lina Gong, Ian Holliday, Emma Palmer, Dahlia Simangan, Minika Heupel, Alexander Dukalskis, Andrew Wolman, Miwa Hirono, Anthony J. Langlois, Kabilan Krishnasamy, Nadia Tapia Navarro, Cecily Rose, Douglas Guilfoyle, Phil Orchard, Morten B. Pedersen, Ashan Ullah Akm, Melinda Rankin, Faizah Binte Zakaria, Rein Müllerson, Melissa Curley, Mikkel Jarle Christensen, Stéfanie Khoury, Sangmin Bae, Christopher D. Zambakari, Lili Song, Cynthia Horne, Eileen F. Babbitt, Julie Bernath, Thanassis Cambanis, Katrin Travouillon, Sorpong Peou, Renée Jeffery, Erik Thurman et Beth van Schaack.

Les laboratoires du CEJEC et du CEDIN de l’Université Paris Nanterre m’ont également permis d’effectuer des recherches dans leur bibliothèque respective ou de consulter sur place les bases de données juridiques auxquelles le premier est abonné. Je leur adresse mes plus vifs remerciements. Je dois doublement remercier le CEJEC car, si ce livre est paru, c’est grâce à une généreuse aide financière de ce laboratoire de recherches. De même, mais plus modestement, le réseau international du CNRS sous la direction d’Elsa Lafaye de Micheaux (ASEAN-China-Norms, IRN, InSHS-CNRS) compte parmi les donateurs et j’apprécie énormément le soutien de cette prestigieuse organisation

Ma compagne, Valérie, a été à la fois une spectatrice et une participante active, en parcourant cet ouvrage tout au long de sa rédaction et en formulant des commentaires, pour la plupart, judicieux : qu’elle reçoive à ce titre ma profonde gratitude.←15 | 16→

Les dirigeants du Réseau Indonésie / Solidarité Indonésie basé à Paris – groupement très mobilisé dans la quête de reconnaissance de la vérité sur le génocide indonésien – m’ont invité à assister à plusieurs conférences à Paris en 2018 et 2019, au cours desquelles j’ai pu recueillir de précieuses informations et rencontrer de nombreux experts et activistes. Qu’ils trouvent ici le témoignage de toute ma reconnaissance.

L’historien Jean-Louis Margolin, spécialiste des conflits en Asie, que j’ai consulté relativement à la seconde partie de cet ouvrage, a pris la peine de me retourner de nombreuses observations et invitations à correction, fort précieuses pour la grande majorité. Je l’en remercie grandement.

Mes derniers remerciements s’adressent à M. de Wilde qui, en sa qualité de président de la collection « Géopolitique et résolution des conflits » chez Peter Lang, a accepté d’inscrire mon ouvrage dans celle-ci.

Bien entendu, j’assume seul, en tant qu’auteur, la rédaction et le contenu de la totalité de cet ouvrage.

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Fig. 2.Manifestation lors de l’ASEAN Grassroots People’s Assembly, Phnom Penh, 2012. (Photo : Focus on the Global South)

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Introduction

1.Depuis une quinzaine d’années environ, le concept de sécurité humaine est devenu de plus en plus employé au sein des instances dirigeantes de l’ONU et on assiste à une prolifération des discours sur celle-ci1. La sécurité humaine étant particulièrement menacée, elle figure parmi les priorités de l’agenda politique international2. La multiplication des actes de terrorisme, les conflits inter-étatiques, les conflits intérieurs à un pays tels que les guerres civiles, les génocides et autres atrocités de grande échelle, mais ←19 | 20→aussi l’emploi ou la fabrication d’armes chimiques, biologiques, radiologiques ou nucléaires, le crime organisé transfrontalier, les maladies infectieuses, les dégradations environnementales, la piraterie, la pauvreté et la précarité sont inscrits aux premiers rangs des défis et des préoccupations majeur(e)s de l’époque contemporaine. Le concept de sécurité humaine, issu des principes fondamentaux de la liberté de vivre à l’abri du besoin et de la peur, est venu s’ajouter au concept de sécurité étatique. Il s’agit de se focaliser non plus sur le « territoire » (sauvegarder la souveraineté étatique ou l’intégrité territoriale), mais sur « les individus », les « communautés », le « peuple » (assurer sa survie, son bien-être, sa dignité3). Ces deux concepts de sécurité humaine et de sécurité étatique, étroitement imbriqués, embrassent les valeurs de protection, d’inclusion et de responsabilisation et mettent en action de multiples acteurs, en particulier en provenance de la société civile. L’orientation récente du droit des droits de l’homme est de s’assurer de la disparition de l’impunité et de maintenir la sécurité humaine.

2.La sécurité est d’abord et avant tout un droit fondamental attaché à la personne. Il ne peut pas y avoir de sécurité pour l’individu si sa vie est en danger. Du fait que nous vivons en communauté, ce droit de chaque individu dépend et dérive aussi de celui des autres. Il constitue l’ADN de la vie en groupe. L’insécurité à l’échelle d’un pays ou d’une région donnée est facteur de perte de confiance et de légitimité vis-à-vis des institutions gouvernementales et judiciaires. C’est la raison pour laquelle le Comité d’aide au développement de l’OCDE pousse les Etats à mettre en place un système de sécurité basé et géré selon les principes démocratiques, dans le but de « réduire le risque de conflit violent et à instaurer un climat de sécurité propice à la réduction de la pauvreté, à l’exercice des droits de l’homme et à l’avènement d’un développement durable »4. Pour cette institution, un système de sécurité englobe « non seulement l’armée, la police et la gendarmerie, les services de renseignement et les systèmes judiciaire et pénitentiaire, mais également les structures civiles chargées d’en assurer la supervision ←20 | 21→et le contrôle démocratique ».5 Quand nous nous sentons en sécurité, nous gagnons en tranquillité d’esprit et nous exprimons plus d’attention et d’empathie dans nos interactions avec autrui et la violence s’exprime alors avec peu d’intensité en société. Ce droit fondamental alimente toutefois un vif débat entre ceux qui pensent que la sécurité humaine est principalement une question de protection de l’intégrité physique des individus et les autres qui revendiquent que la sécurité concerne aussi les menaces contre les droits civils, politiques, économiques, sociaux et culturels6.

3.La sécurité humaine en tant que problématique collective intéresse au premier chef les droits de l’homme7, la justice pénale internationale et le droit humanitaire international, surtout dans un contexte de crimes humanitaires, crimes d’agression, crimes de guerre, génocides et autres atteintes de grande ampleur à l’humanité (nettoyage ethnique notamment)8. Ces crimes internationaux, ←21 | 22→autrement dénommés crimes atroces, non nécessairement commis dans le contexte d’un conflit armé, ciblent délibérément des groupes, communautés ou populations spécifiques, y inclus des personnes protégées par les Conventions de Genève. Tous constituent des violations des droits de l’homme les plus fondamentaux à la vie, à l’intégrité physique, à la sécurité et à la vie sans violence. Mais ils ont leurs caractéristiques propres.

Génocide – Dans les cas de génocide9, l’intention du perpétrateur est de détruire, en tout ou partie, un groupe national, ethnique, racial ou religieux (mais pas politique, ni culturel). Plus précisément, l’art. 2 de la Convention pour la Prévention et la Répression du Crime de Génocide, adoptée le 9 décembre 1948, fait entrer parmi les actes perpétrés avec l’intention spécifique de détruire « en tout ou partie, un groupe national, ethnique, racial ou religieux » le meurtre de membres du groupe, l’atteinte grave à l’intégrité physique ou mentale de membres du groupe, la ←22 | 23→soumission intentionnelle du groupe à des conditions d’existence devant entraîner sa destruction physique totale ou partielle, les mesures visant à entraver les naissances au sein du groupe et le transfert forcé d’enfants du groupe à un autre groupe. L’insertion dans cette définition de la Convention pour la Prévention et la Répression du Crime de Génocide des génocides culturel et politique, pourtant proposée au cours des travaux préparatoires, a volontairement été écartée par les rédacteurs de ce traité sous son article II, sans aucun fondement juridique, notamment en raison de l’opposition de l’URSS, son président Staline ne souhaitant pas perdre sa liberté de manœuvre vis-à-vis de ses opposants politiques. De même, des délégations d’Amérique latine exprimèrent leur réticence à inscrire parmi les victimes de génocide prises en considération les personnes membres de groupes politiques, au motif que l’affiliation à de tels groupes est considérée comme un choix individuel et que de tels mouvements sont vus comme éphémères. Les rédacteurs de la Convention ont, dans leur majorité, clairement mis l’accent sur la permanence et la stabilité des groupes objets de protection. A la liste des pays opposés à l’ajout des groupes politiques on peut également compter le Liban, la Suède, le Brésil, le Venezuela, les Philippines, la République dominicaine, l’Iran, l’Egypte, la Belgique… Plus généralement, tous les pays ayant l’habitude pour des raisons politiques de prendre cause pour ou contre le régime d’un pays tiers, en lui procurant ou aux mouvements contestataires locaux de l’aide technique et/ou financière, ont mesuré le danger pour eux de faire entrer dans le champ d’application du traité le génocide politique. Pour autant, le débat continue et pourrait s’intensifier car de nombreux massacres de masse de groupes politiques sont organisés et conduits de manière systématique sur notre planète10.←23 | 24→

Crimes contre l’humanité – Les crimes contre l’humanité, terminologie qui selon le Professeur Hisakazu FUJITA aurait été consacrée pour la première fois par la Commission nommée par la Conférence des Préliminaires de Paix pour l’étude des responsabilités de la 1ère guerre mondiale11, ont pour ultime cible la population civile. Ils se révèlent du fait du caractère systématique ou massif de violations graves des droits ←24 | 25→de l’homme et du droit humanitaire international. Les crimes contre l’humanité englobent notamment le terrorisme. Au cours du procès de Nuremberg, l’article 6 c) de la Charte de Nuremberg précisa les éléments caractéristiques des crimes contre l’humanité : « le meurtre, l’extermination, la réduction en esclavage, la déportation et d’autres actes inhumains commis contre une population de civils au cours d’une guerre » ou les « persécutions sur des fondements politiques, raciaux ou religieux quand commis en conjonction avec des crimes de guerre ou des crimes contre la paix ». Ces mêmes éléments ont été repris et complétés sous l’article 7 du Statut de Rome sous l’égide duquel a été créée la Cour pénale internationale (avec l’ajout de la torture, du viol, de la stérilisation forcée, la disparition forcée et l’apartheid). Contrairement aux crimes de torture et de génocide, il n’existe pas à ce jour de traité multilatéral de même type pour les crimes contre l’humanité, ce que déplorent de nombreux auteurs12. En droit pénal international, les crimes contre l’humanité sont qualifiés lorsqu’est apportée la démonstration d’attaques « généralisées » ou « systématiques » lancées contre des civils. Dans son document « Eléments des crimes » (commentaire de l’article 7 du Statut de Rome, Crimes contre l’humanité, p. 4), la Cour Pénale Internationale (CPI) a précisé que « l’attaque lancée contre une population civile » s’entend, dans l’élément de contexte, du comportement qui consiste en la commission multiple d’actes visés au paragraphe 1 de l’article 7 du Statut à l’encontre d’une population civile quelle qu’elle soit, en application ou dans la poursuite de la politique d’un État ou d’une organisation ayant pour but une telle attaque. Les actes ne doivent pas nécessairement constituer une attaque militaire. L’examen des « moyens, méthodes, ressources et résultats de l’attaque », de même que « les conséquences de l’attaque…, le nombre de victimes, la nature des actes, la possible participation des dirigeants ou des autorités et l’identification de multiples actes criminels » permet d’apporter la démonstration desdites attaques généralisées ou systématiques13. La Chambre de première instance III de la CPI a notamment jugé que des attaques sont généralisées s’il s’agit d’attaques « massives, fréquentes, menées collectivement » contre des gens14. ←25 | 26→Dans une autre affaire15, la CPI a retenu trois facteurs pour considérer qu’une attaque en République Populaire du Congo avait été généralisée : le nombre de victimes parmi les civils, la zone géographique étendue de commission des crimes et la durée des atrocités (en l’occurrence plus de neuf mois). De leur côté, les chambres extraordinaires des tribunaux cambodgiens ont jugé que « Le terme « généralisé » renvoie au fait que l’attaque a été menée sur une grande échelle et au nombre de victimes qu’elle a faites, tandis que le terme « systématique » dénote le caractère organisé des actes de violence et l’improbabilité de leur caractère fortuit. Le caractère systématique d’une attaque transparaît généralement lorsque des crimes sont commis selon un même mode opératoire, c’est à dire en cas de répétition délibérée et régulière de comportements criminels similaires. Une attaque peut présenter un caractère généralisé en raison soit de « l’effet cumulé d’une série d’actes inhumains, [soit de] l’effet singulier d’un seul acte de grande ampleur ». Ces deux critères ne doivent pas nécessairement être remplis cumulativement ».16

La grande différence quand on compare les génocides et les crimes contre l’humanité se situe au niveau des victimes : la première catégorie vise l’appartenance à « un groupe national », tandis que la seconde s’attache à identifier si les droits individuels ont été violés. Le génocide est perpétré de manière intentionnelle contre des groupes de population spécifiques en vue de leur destruction totale ou partielle, alors que les crimes contre l’humanité se polarisent sur des actions contre les membres d’une population civile sans distinction. En d’autres termes, c’est l’accumulation de violations de droits de l’homme contre des individus qui est prise en considération pour caractériser les crimes contre l’humanité17.

Crime d’agression – Le crime d’agression, autre catégorie de crime atroce, qui est à la racine des crimes de guerre et crimes contre l’humanité, est constitué dans le cadre de conflits armés interétatiques à l’initiative d’un dirigeant (de fait ou de droit) politique ou militaire d’un Etat qui, compte tenu de leur nature, gravité et de leur ampleur, évoquent une ←26 | 27→violation manifeste de la Charte des Nations Unies. Ces conflits frappent inévitablement les populations civiles. Les crimes de guerre, qui sont commis au cours de conflits armés internationaux ou non internationaux ou d’une occupation, peuvent inclure parmi les cibles, au-delà d’objectifs militaires, des infrastructures civiles (par exemple des hôpitaux ou des lieux de culte) et, par conséquent, faire de nombreuses victimes parmi les civils (non-combattants), ou des individus ayant rendu leurs armes ou encore des personnes « hors de combat », notamment par suite de blessures, de placement en détention, ou de maladie.

Nettoyage ethnique – Il n’existe pas de définition juridique faisant consensus des nettoyages (ou purifications) ethniques, la dernière catégorie de crime atroce. Certains auteurs en ont proposé une définition, mais avec une approche divergente18. La définition, probablement la plus connue, est celle retenue par les rédacteurs du Rapport intérimaire de la Commission d’experts constituée conformément à la Résolution 780 (1992) du Conseil de sécurité des Nations Unies (Doc. S/25274). Le nettoyage ethnique, selon ces experts, est une pratique contraire au droit international qui consiste à rendre une zone ethniquement homogène en utilisant la force ou l’intimidation pour faire disparaître de la zone en question des personnes appartenant à des groupes déterminés. Les poursuites des auteurs principaux de tous ces crimes internationaux peuvent s’appuyer sur des principes généraux consacrés en droit (coutumier) pénal international, essentiellement l’inapplicabilité de règles de prescription, l’irrecevabilité de l’invocation d’ordres de supérieurs pour échapper aux poursuites, le défaut de pertinence de la qualité officielle, l’interdiction des amnisties19 et d’autres mesures d’impunité dans le cas de crimes atroces, ainsi que l’obligation des Etats ayant ratifié le Statut ←27 | 28→de Rome de poursuivre, extrader et remettre les suspects à la Cour pénale internationale.

4.Le refus de tels crimes atroces a beau être clamé partout, de la façon la plus catégorique, la fréquence de leur préparation et commission s’est dramatiquement multipliée sur notre planète, surtout depuis 2011 (Syrie, Iraq, Yemen, Soudan, Libye, République Centrafricaine, République Démocratique du Congo, Bangladesh, etc.)20. Et ce, malgré le fait que les Etats fassent l’objet d’un examen par les organismes onusiens, tels que le Comité des Droits de l’Homme (créé en 1976), le Bureau du Haut-Commissariat de l’ONU aux droits de l’homme (créé en 1993), et le Conseil des Droits de l’Homme21 (créé en mars 2006 par la résolution A/60/251)22. Ces organismes qui communiquent mal entre eux, voire très faiblement, détiennent en réalité peu de pouvoirs de pression et de coercition à l’égard des pays contrevenant au respect des droits de l’homme, alors même que l’un des objectifs primordiaux des Nations Unies est de « maintenir la paix et la sécurité internationale »23. En outre, le Haut-Commissariat aux droits de l’homme doit fonctionner dans la limite de son budget annuel qui ne représente que 186 millions d’euros, soit 3,7 % du budget ordinaire de l’ONU.24 Il existe également des organes qui ne sont pas prévus ←28 | 29→par la Charte des Nations Unies mais qui ont été spécifiquement créés dans le cadre des principaux traités internationaux sur les droits de l’homme pour assurer la surveillance de leur mise en œuvre. Il sont au nombre de neuf, respectivement : le Comité des droits de l’homme (CCPR), le Comité des droits économiques, sociaux et culturels (CESCR) , le Comité pour l’élimination de la discrimination raciale (CERD), le Comité pour l’élimination de la discrimination à l’égard des femmes (CEDAW), le Comité contre la torture (CAT), le Comité des droits de l’enfant (CRC), le Comité des travailleurs migrants (CMW), le Comité des droits des personnes handicapées (CRPD) et enfin le Comité des disparitions forcées (CED).

On le sait, l’incapacité à arrêter et poursuivre individuellement en justice les organisateurs de crimes internationaux n’est pas le signe d’un échec de la justice pénale internationale, mais principalement le résultat d’une absence de volonté politique25. La Cour pénale internationale a été conçue et installée comme un projet de sécurité humaine à part entière, selon certains auteurs26. Installée à La Haye, elle est, depuis 2002, l’unique instance judiciaire pénale internationale permanente en charge de poursuivre et juger les auteurs principaux de crimes atroces, à défaut de justice réellement exercée sur le plan local.

Details

Pages
668
Year
2022
ISBN (PDF)
9782807619968
ISBN (ePUB)
9782807619975
ISBN (Softcover)
9782807619951
DOI
10.3726/b18995
Language
French
Publication date
2022 (March)
Published
Bruxelles, Berlin, Bern, New York, Oxford, Warszawa, Wien, 2022. 668 p., 10 ill. n/b, 3 tabl.

Biographical notes

Jacques Dupouey (Author)

Docteur en droit public de l’université Paris Nanterre, ancien avocat, Jacques Dupouey est consultant-chercheur indépendant. Il est chercheur associé au Centre d’Asie du Sud-Est (CNRS) et membre du GIS Asie. Il s’intéresse tout particulièrement depuis ces dix dernières années au processus d‘intégration régionale des pays d’Asie du Sud-Est, y compris dans sa dimension des droits de l’homme. Ses dernières publications s’inscrivent dans ce registre.

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