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Le Nationalisme en littérature (III)

Écritures « françaises » et nations européennes dans la tourmente (1940-2000)

de Paul Dirkx (Éditeur de volume)
©2022 Collections 232 Pages
Série: Convergences, Volume 105

Résumé

Ce troisième et dernier volet de la série « Le Nationalisme en littérature » poursuit l’étude des liens entre structures nationales et styles littéraires français, en ciblant les années 1940-2000. Si les œuvres publiées sous la Troisième République sont imprégnées par la nation, celle-ci perd de son aura au fil des décennies suivantes. Les deux guerres mondiales et l’institutionnalisation d’une vision du monde transnationale ont porté de nombreux écrivains à se déprendre de ce cadre politique, culturel et littéraire, sans néanmoins jamais réussir à s’en débarrasser. C’est ce qu’illustrent, de manière généralement plus manifeste que « la littérature française » légitime, les autres productions françaises en Europe. Ainsi des corpus belges (Kalisky, Compère, Mertens, Toussaint), suisses (Chessex, Lovay) et luxembourgeois (Rewenig) ; ainsi également des textes d’écrivains juifs (Jabès, Cohen, Doubrovsky) ou de non-francophones (Cioran). La question nationale les marque d’autant plus que la langue française s’y déploie comme le vecteur d’un « universalisme » moins universaliste que nationaliste, en ce qu’il persiste à entretenir une confusion entre « français » (relatif à un État-nation qui se prétend le berceau de cette langue) et « français » (qui a trait à une langue internationale). Loin de reculer, la nation pénètre les textes par des voies plus diversifiées que ne le suggère la lecture habituelle de ce terme, qui tend à le réduire à un cadre géographique ou à un thème identitaire.
En somme, les travaux ici réunis montrent que, si l’idée de style national a perdu de sa pertinence dans un monde en voie de supranationalisation, la doxa nationale et ses manifestations institutionnelles et pratiques n’en ont pas fini d’orienter les styles.

Table des matières

  • Couverture
  • Titre
  • Copyright
  • À propos du directeur de la publication
  • À propos du livre
  • Pour référencer cet eBook
  • Table des matières
  • Introduction. Littératures « françaises », styles et nations dans un monde internationalisé (Paul Dirkx)
  • Première partie Style et nation au-delà du nationalisme
  • Écrire dans un vieux pays qui ne sera jamais une nation. Le réalisme magique de Paul Willems (Marc Quaghebeur)
  • Des écrivains belges et un cadavre (proto)national. Approche poétique et stylistique de la figure de Charles le Téméraire chez René Kalisky et Gaston Compère (Laurence Boudart)
  • Jacques Chessex : s’affirmer romand pour conquérir Paris (Stéphane Pétermann)
  • Deuxième partie Style et structures post(?)-nationales
  • Le style opératique d’un écrivain francophone de Belgique. Pierre Mertens face à l’inscription nationale (Bernadette Desorbay)
  • Identité sereine, nationalisme ironique et référence à la ville. À propos de Jean-Philippe Toussaint, Caroline Lamarche et Eugène Savitzkaya (Laurent Demoulin)
  • « Une irrépressible fièvre de syntaxe française ». Jean-Marc Lovay, écrire sans la nation (Jérôme Meizoz)
  • Troisième partie style et permanence de la doxa franco-universaliste
  • Variations sur le génie classique de la langue française. Le cosmopolitisme d’un mythe national (Sandra Poujat)
  • Style, culture et nation chez Emil Cioran (François Demont)
  • Le moraliste naturalisé. Nationalisme cioranien et recréation d’un style classique (Vincent Berthelier)
  • Regards réflexifs des écrivains juifs contemporains de langue française sur la langue et le style (Clara Lévy)
  • Quatrième partie Perspectives européennes
  • Littérature cherche style ? Le cas de la littérature luxembourgeoise plurilingue des années 1980–1990 (Jeanne E. Glesener)
  • Existe-t-il une littérature européenne ? (Dominique Combe)
  • Conclusion. Chassez le national… (Paul Dirkx)
  • Bibliographie
  • Notices
  • Index nominum
  • Titres de la collection

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Introduction.
Littératures « françaises »,
styles et nations dans un monde internationalisé

Paul Dirkx

Ce livre s’inscrit dans le prolongement d’un projet scientifique consacré à la portée idéologique des imaginaires linguistiques et stylistiques dans la littérature hexagonale entre 1870 et 19401. Un premier colloque organisé à l’Université du Luxembourg a mis en évidence l’importance, voire la prépondérance du style dans l’efficacité des discours nationalistes des années 1870–19202. Une deuxième rencontre à l’Université de Lorraine a étendu l’empan chronologique jusqu’à la Seconde Guerre mondiale, en élargissant le prisme stylistique à la langue littéraire dans son ensemble3. Durant toute cette période, « la langue française », investie d’une mission idéologique nationale, tend à se confondre avec « le style français ». Issu d’un troisième et dernier colloque4, le présent volume vient clôturer ce triptyque sur nation(alisme) et enjeux stylistiques en explorant les années 1940–2000 et en ouvrant les investigations à l’ensemble des écrivains de langue française (maternelle ou non) originaires du continent européen.

Si les corpus littéraires sous la Troisième République sont fortement marqués par la nation en tant qu’armature sociopolitique prédominante et par la valeur nationale comme facteur d’écriture majeur, les décennies qui suivent voient s’affaiblir le caractère d’évidence et l’aura « naturelle » de la nation. Les éditeurs du deuxième volet de notre triptyque avaient noté que la préoccupation nationale qui hante alors la littérature hexagonale, tous genres confondus, est un indice manifeste d’hétéronomie – au sens que Pierre Bourdieu donne à ce mot – des pratiques stylistiques et des discours dédiés à ces pratiques5. Tout donne à penser ←9 | 10→que l’hétéronomie politique du champ littéraire français s’est atténuée au cours de la seconde moitié du XXe siècle ou, pour le dire autrement, que son autonomie littéraire est allée en se renforçant, et ce sous l’effet conjoint de plusieurs facteurs plus ou moins inédits.

Crise de la nation, répercussions stylistiques

Tout d’abord, la Libération marqua le retour de la « vraie » nation française après l’épisode vichyste. Mais cette renaissance fit long feu, et le combat pour une « littérature française » ressourcée à « ses » valeurs nationales tourna court, à l’image de la tentative avortée de création d’une littérature « résistantialiste ». La victoire contre les nationalismes fascistes eut plutôt pour effet de disqualifier le nationalisme en tant que tel ainsi que les théories essentialistes qui lui avaient servi de caution scientifique. Déjà ébranlé par un premier conflit mondial, le modèle national allait surtout perdre de sa légitimité là où ces guerres étaient nées : en Europe. Le mouvement ne fit que s’accélérer avec la mise en place d’un réseau d’institutions supranationales (ONU, GATT, FMI, CEE, etc.) lié à une nouvelle phase de la mondialisation de l’« économie-monde6 ». Corrélativement, un nombre croissant d’États-nations européens, dont la Belgique mais aussi la France, entrèrent dans un processus de décentralisation propice à des régionalismes et des autonomismes de type ethnique bénéficiant souvent de l’irénisme du small is beautiful7. Quant aux nations colonisatrices – on pense là aussi à la France et à la Belgique –, elles virent leur empire se désagréger en autant de nouveaux États qui retournaient contre elles un paradigme national en perte de vitesse sur le vieux continent, mais perçu par eux comme salutaire.

On est désormais très loin du « siècle des nationalités8 » au sortir duquel un Charles Maurras pouvait sans rire définir la littérature nationale comme « un ensemble d’ouvrages dont le style soit conforme au génie national9 ». Mais, faisant le constat d’une délégitimation graduelle du cadre national, on aurait tort d’en ←10 | 11→déduire qu’il aurait perdu autant en intérêt heuristique. Sans souscrire à l’idée d’une refondation du « national » en littérature10, on ne peut que constater que ce cadre n’a cessé de peser sur les pratiques scripturales en tant que matrice sociale dont le rôle, certes amoindri, demeure considérable. Ainsi, exemple parmi mille autres, on a vu, il y a à peine une douzaine d’années, le chef du groupe parlementaire du parti du président de la République française se prévaloir, à la tribune de l’Assemblée nationale, d’un « devoir de réserve, dû [sic] aux lauréats du prix Goncourt », et exiger de ceux-ci « de respecter la cohésion nationale et l’image » de la nation en tant que représentants des « couleurs littéraires de la France » et donc de la France tout court11. L’État français n’a eu de cesse de remettre le critère identitaire national au cœur de ses institutions et de son action, à l’image de l’ensemble des autres États-membres de l’Union européenne. Cela dit, il y a loin de la nation sous la Troisième République à celle du début du XXIe siècle, et le député conservateur, confronté à une levée de boucliers de la part de nombreux intellectuels, dut rapidement retirer sa demande. Institution phare du champ littéraire français, l’Académie Goncourt vint rappeler la primauté de son autonomie : « Le choix [du jury] se fait en fonction de la qualité d’un roman, sans se soucier des opinions politiques, philosophiques ou religieuses de son auteur. […] Le Goncourt n’est pas la voix de la France12. »

Ce livre entend donc continuer d’interroger les liens entre nation et style littéraire. Il se pose la question de savoir dans quelle mesure et selon quels processus la fragilisation des États-nations européens a modifié, voire infléchi le champ des possibles stylistiques. Par quels biais rhétoriques, génériques, etc. la « nationalité » intervient-elle dans la textualité ? Qu’elle soit revendiquée, déniée ou considérée comme accessoire, l’inscription nationale des auteurs donne-t-elle lieu à des convergences d’ordre stylistique analogues à celles qu’on peut observer, par exemple, dans les textes publiés par une même maison d’édition13 ? Selon quelles modalités certains styles se mettent-ils au service de tel modèle politique et / ou littéraire de type national, ou de telle doctrine nationaliste, ou encore de tel idéal antinational, transnational ou supranational (« européen », « universel », « mondial », « multiculturel », « créolisé », « postcolonial », etc.), c’est-à-dire fondé sur la logique nationale ?←11 | 12→

La question du style dans ses rapports avec la nation – et l’on voit que ces deux singuliers, « le » style et « la » nation, sont de moins en moins tenables – est encore compliquée, pour ce qui concerne les corpus étudiés ici, par le système des rapports de force entre nations ayant, dans le discours convenu de la Francophonie, « la langue française en partage ». Écrire dans cette langue revient à manier un code dont la paternité a été revendiquée, bien avant François Ier, par « la France », c’est-à-dire par l’État français. Celui-ci propagea le schème Langue – Littérature – Nation de manière d’autant plus déterminée et durable que ce schème conditionnait et conditionne toujours son fonctionnement et ses structures exceptionnellement centralisés. Cette trinité est au cœur d’un système d’évidences qui, sous l’effet d’une politique d’expansion continentale puis intercontinentale, a fini par créer l’illusion de l’universalité de « la langue française » et de ses produits, en premier lieu littéraires : la doxa franco-universaliste14. La domination littéraire de « la France » repose pour une part essentielle sur le fait que cette doxa entretient une confusion entre la langue et la langue littéraire – au point de faire de cette dernière le modèle de la langue tout court15 –, ainsi qu’entre « français » (qui se rapporte à un État-nation particulier) et « français » (qui a trait à une langue plurinationale).

Pendant et après la Seconde Guerre mondiale, cette doxa, certes bousculée, n’a guère diminué son emprise, ni en France, ni chez ses voisins de langue « française », et d’abord dans la sphère où l’écriture de cette langue constitue l’enjeu central : la littérature. C’est sensiblement le cas au Luxembourg, où le début de la professionnalisation littéraire en français ne date que de la seconde moitié du siècle précédent16. En Belgique, le prestige « français » prédomine jusqu’au début des années 1980, achevant de déclasser la littérature nationale de Maeterlinck, Verhaeren et Rodenbach sur fond d’engouement européen et de fédéralisation de l’État. Par la suite, les écritures tendront à traduire une spécificité littéraire en empruntant des voies nouvelles, notamment stylistiques17. Comme en Belgique, les débats littéraires en Suisse romande ont longtemps été structurés par la cohabitation antinomique de deux modèles nationaux (helvétique et « français ») et par la question de l’appellation : « littérature française de Suisse ou littérature suisse de langue française (ou suisse romande) ? » Après une décennie 1970 de réaffirmation de la littérature « romande », l’accès à une plus grande autonomie ←12 | 13→rime à la fois avec coupure d’avec Paris et ouverture internationale, jusqu’à affaiblir le credo « romand » dès les années 199018.

Quant à la France, les littératures « francophones », y compris celles d’outre-Mer, restent dans l’ombre jusqu’aux années 1990, voire au-delà pour ce qui est du champ universitaire. Que le cadre national demeure l’infrastructure principale d’une des institutions littéraires les plus développées du monde, faisant du pays une « nation littéraire19 », atteste d’une capacité de résistance singulière aux transformations en cours. Aussi la discrétion dans laquelle ces mutations s’accomplissent chez les voisins immédiats, comparativement aux effets de la « Révolution tranquille » au Québec ou des « Indépendances » en Afrique, n’incite-t-elle pas à de grandes remises en question. La littérature hexagonale connaît même à intervalles réguliers une résurgence des écritures de la nation, vivaces pendant et après la guerre20 et sujettes à de nombreux aggiornamentos par la suite. Enfin, les espoirs suscités par la Francophonie dans un monde marqué par l’anglicisation de nombreux domaines, y compris en Europe et en France, seront rapidement déçus21, et ce pour des raisons diverses dont la moindre n’est pas le fait que cette organisation, portée par un idéal universaliste, institutionnalisera à l’échelle planétaire la conception nationaliste qui sous-tend le mythe de « la langue française » comme invention de la France.

Résumé des informations

Pages
232
Année de publication
2022
ISBN (PDF)
9782875745040
ISBN (ePUB)
9782875745057
ISBN (Relié)
9782875745033
DOI
10.3726/b19413
Langue
français
Date de parution
2022 (Juin)
Published
Bruxelles, Berlin, Bern, New York, Oxford, Warszawa, Wien, 2022. 232 p.

Notes biographiques

Paul Dirkx (Éditeur de volume)

Paul Dirkx est professeur de littératures francophones à l’Université de Lille. Il axe ses recherches sur les poétiques en langue « française » et les corps des écrivains, tels que Simon, Dotremont, Kourouma et Le Clézio.

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Titre: Le Nationalisme en littérature (III)