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Philosophie du sous-sol

Hypothèses sur le dernier Foucault

de Pierandrea Amato (Auteur)
©2022 Monographies 148 Pages

Résumé

Michel Foucault, de la fin des années 1970 au début des années 1980, au moment où
le primat de la production cède le pas au primat de la consommation, sublime les
problèmes politiques actuels en menant une vaste enquête sur les dilemmes propres
à l’éthique classique (grecque, romaine, chrétienne). Emergent ainsi des notions qui
nous fournissent des indications historiques et conceptuelles pour mettre en place
des résistances inédites – résistances fondées sur le caractère exemplaire de formes
de vie minoritaires – face à un gouvernement de la vie qui n’admet dans son principe
aucune opposition à sa diffusion capillaire. Il s’agit de mettre à jour des existences,
des textes, des documents fragmentaires, oubliés et refoulés, situés sur le bord du
temps, dans le sous-sol de l’histoire. L’hypothèse qui guide la composition de cet
ouvrage est que, dans les dernières années de son travail, Foucault met à l’épreuve
des formes de subjectivation capables de se soustraire à une condition telle que celle
que nous vivons où la liberté elle-même est devenue un dispositif de contrôle subtile
et puissant. Parrêsia, cynisme antique, esthétique de l’existence, désir, souci de soi,
plaisirs, ascèse, Aristote, Deleuze, Hadot, Heidegger, Kant, Nietzsche, Platon sont les
thématiques et les notions convoquées ici pour documenter comment s’organise chez
Foucault un vocabulaire éthico-politique insoupçonné pour nous orienter dans la
catastrophe du présent.

Table des matières

  • Couverture
  • Titre
  • Copyright
  • À propos de l’auteur
  • À propos du livre
  • Pour référencer cet eBook
  • SOMMAIRE
  • INTRODUCTION
  • Premier chapitre NOCHMALS GREEK
  • 1. Prologue
  • 2. Le discours de Nietzsche
  • 3. Les seuils aristotéliciens
  • 4. Politique de la vérité
  • Deuxième chapitre ESTHÉTIQUE ET DÉSERTION
  • 1. Prologue
  • 2. Généalogie du regard
  • 3. L’absence et la peinture : Manet et Magritte
  • 4. Style et vérité
  • Troisième chapitre ARCHÉOLOGIES ANIMALES
  • 1. Prologue
  • 2. L’éclipse de la liberté
  • 3. Kant et la catastrophe
  • 4. Pour une philosophie obscène
  • Quatrième chapitre AU-DELÀ DU DÉSIR
  • 1. Prologue
  • 2. En dehors du dehors
  • 3. Deleuze
  • 4. Sédition charnelle
  • BIBLIOGRAPHIE

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INTRODUCTION

(Fragments et Mémoire)

Dans leur sénilité décrépite, les vieux chiens ne rêvent pas d’un nouveau maître, ils rêvent d’autres maisons, d’escaliers étranges, d’odeurs bizarres, de meubles insolites, une topographie inconnue. Mieux vaut ne pas les déranger, voilà le secret.

Joseph Brodsky, Watermark

Pourquoi un autre livre sur Michel Foucault, l’énième publié ces dernières années ? D’autant plus que j’y ai ma part de responsabilité : ceci est le troisième livre où je m’attèle à sonder certains thèmes essentiels de sa pensée1. Pourquoi donc ? Y a-t-il des raisons théoriques à même de justifier une nouvelle étude sur des matériaux déjà largement exploités, alors même que ceux-ci sont, en raison de leur caractère souvent non structurés (il s’agit majoritairement de notes de cours ou de conférences, donc de matériaux dont le degré d’élaboration est fatalement partiel), pour la plupart réfractaires à un sondage ou une reconstruction philologique excessive ? Naturellement, comme on nous le dit sans cesse et depuis longtemps, l’exégèse, le commentaire, l’herméneutique représentent un travail interminable qui à chaque fois recommence ; reprendre, toujours, étant donné qu’on ne finit jamais d’oublier ce dont on se souvenait autrefois. Et puis, avec une figure comme celle de Foucault, la question se fait encore plus enchevêtrée, difficile et passionnée, puisque nous avons affaire avec lui à un symptôme qui condense bien plus qu’une expérience philosophique de la deuxième moitié du vingtième siècle aux résultats exceptionnels. Le travail de Foucault, en effet, nous est contemporain : il se propage avec une force toute particulière, il est en mesure d’éclairer les failles du présent et c’est probablement pour cette raison que, à bien y penser, tout travail sur Foucault devrait avoir l’ambition d’aller au-delà, au-delà de la lettre, pour se laisser guider par l’esprit de ses pages.←9 | 10→

Et pourtant – après un amoncellement d’études sur, avec, à partir de, inspirées, évoquées par Foucault – l’espace de notre question initiale subsiste encore : pourquoi insister ?

On pourrait élaborer une réponse provisoire : le prisme libéré par certaines intuitions de Foucault continue de dessiner une ligne directrice formidable dans une époque où tout l’arsenal des catégories modernes est désormais inefficace pour répondre à la question cruciale que nous avons sous les yeux : comment organiser un vivre ensemble quand tout ce qui nous entoure nous pousse au contraire à vivre comme des êtres méfiants, isolés et désolés ?

Tout d’abord, ce retour à Foucault est lié à un anniversaire historique qui, à bien y regarder, ne me permet ni d’être plus prudent ni d’abandonner. Cette introduction a commencé à prendre forme en 2018 et je dois pourtant avouer que plus de cinquante ans après l’explosion de 1968, avec ses passions, sa force antiautoritaire, la logique de ses déraillements, avec sa capacité à inventer une autre herméneutique de l’existence, sa tentation antimétaphysique diffuse, exposée partout, quand je pense et j’imagine 1968, le mois de mai, Godard, Boulevard Saint-Germain, les usines occupées, Bertolucci, Valle Giulia, les provocations de Pasolini, Berkeley, les universités sens dessus dessous, les pères butés, les professeurs ahuris, Adorno égaré, la fin de la peur de la peur, quand je pense à tout cet héritage, à l’incapacité à se mesurer à tout cela, c’est-à-dire, au fait qu’en Europe, la politique est encore engluée dans ce que mai 68 provoque et laisse entrevoir, c’est Foucault qui me vient à l’esprit. Non pas parce qu’il y aurait chez Foucault une réflexion structurée autour de la valeur de mai 68 (ce qui est le cas, de manière explicite, chez Blanchot et Deleuze/Guattari, pour ne nommer que quelques noms célèbres parmi ceux qui sont proches de Foucault), mais bien au contraire, parce que, à partir du moment où 1968 ne fait jamais l’objet d’une réflexion systématique, on a l’impression que Foucault n’en prend jamais véritablement congé. Son écriture, sa passion pour les refoulés de l’histoire, son travail généalogique sur le pouvoir en sont imprégnés d’une manière qui, probablement, ne laisse pas saisir d’écart entre la pensée foucaldienne et mai 68 ; si bien qu’il laisse décanter dans ses recherches la révélation la plus essentielle de 1968 : la dissociation du pouvoir et de la politique, fondée sur une expérience antihégélienne du sujet du désir.

Nous n’aurions pas le Foucault capable de bouleverser la physionomie de notre idée de la politique sans mai 68 ; nous n’aurions pas le spécialiste ←10 | 11→de l’organisation disciplinaire de la société moderne ni l’investigateur du lien entre médecine et pouvoir, cette relation qui fait voler en éclat la logique étatique du pouvoir. Sans la dévastation tellurique de mai 68, le carottage archéologique de la modernité que Foucault met en place dans les années 1960 n’aurait jamais réussi, dans les décennies suivantes, à démontrer les effets des discours du pouvoir sur les corps, les regards, la sexualité de chacun. Bref, sans mai 68, s’il est permis de soutenir un paradoxe de ce genre, nous n’aurions pas pu comprendre, à un niveau de profondeur acceptable du moins, ce qu’il s’est passé après 1968, tout simplement parce qu’il nous manquerait une trace, la trace de Foucault, capable d’indiquer la charge politique d’une myriade de conduites que personne n’osait qualifier de politiques. Mais, en même temps, aujourd’hui, cette inactuelle actualité de mai 68 sans Foucault n’existerait pas, car Foucault contribue à en faire un événement pur, à la façon dont Deleuze et Guattari le pensent dans un essai bref mais fondamental, paru en 1984 : Mai 68 n’a pas eu lieu (un événement est pur s’il échappe aux causes qui l’auraient provoqué ; dans l’histoire, il suspend donc les raisons de sa propre causalité historique).

Pourquoi parler de 1968, ici et maintenant ? Tout d’abord, dirais-je, parce que Foucault, dans le sillage de la révolte anti-pastorale qui a explosé il y a plus d’un demi-siècle, démontre qu’il est possible de ne plus dépendre du Père (le Pouvoir/le mauvais Souverain) pour concevoir l’action politique ; qu’il est possible et avantageux de se tenir à distance de ses manettes, de façon à pouvoir éviter toute forme d’emprise matérielle et psychologique. Il n’est toutefois pas facile de se passer d’un Père qui impose les règles du jeu, si bien qu’aujourd’hui encore, chaque soulèvement, révolte ou forme de transgression court le risque de se retrouver devant le grand Père que chaque soulèvement semble même prétendre, réclamer, juger.

Naturellement dans les années 1970, faut-il encore le rappeler, nombreux sont ceux qui travaillent à briser cette forme de sujétion des antagonismes vis-à-vis du grand Père. Je pense toutefois que Foucault y occupe une place spéciale parce qu’il élabore cette expérimentation au sein du champ le plus philosophique qui soit : la politique et l’État. C’est-à-dire dans des territoires où il est plus ardu et peu rentable de se passer du grand Père, étant donné que c’est justement sa présence présumée qui justifie notre résistance/existence critique. Foucault est néanmoins capable de détecter la déchirure et l’impuissance présentes dans toutes ←11 | 12→les formes de résistance – politique, subjective, de classe – qui adoptent la physionomie dialectique d’un contre-pouvoir.

Résumé des informations

Pages
148
Année
2022
ISBN (PDF)
9782875745880
ISBN (ePUB)
9782875745897
ISBN (Broché)
9782875744517
DOI
10.3726/b19604
Langue
français
Date de parution
2022 (Juin)
Published
Bruxelles, Berlin, Bern, New York, Oxford, Warszawa, Wien, 2022. 148 p.

Notes biographiques

Pierandrea Amato (Auteur)

Pierandrea Amato est professeur d’Esthétique à l’Université de Messine. En français, il a publié Antigone et Platon (Paris 2008), La Révolte (Paris 2011), Abou Ghraib, dix ans après (Paris 2015), et avec Luca Salza, La fin du monde. Pandémie, politique, désertion (Paris 2021). Il dirige également avec Luca Salza, “K. Revue trans-europénne de philosophie et arts” et avec Nicola Russo, “Mechane. Rivista di filosofia e antropologia della tecnica”. Philosophie du sous-sol est son troisième livre consacré à la philosophie de Foucault.

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Titre: Philosophie du sous-sol
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