Personnages de l’Europe littéraire: Maugis/Malagigi
Racines, mutations et survivances du topos du larron-enchanteur
Summary
Excerpt
Table Of Contents
- Couverture
- Titre
- Copyright
- À propos de l’auteur
- À propos du livre
- Pour référencer cet eBook
- AVANT-PROPOS
- TABLE DES MATIÈRES
- I – LE LARRON ENCHANTEUR
- Le topos du larron-enchanteur dans le Moyen Âge épique
- La vitalité du personnage dans l’épique
- Maugis dans Renaut de Montauban et dans La Chanson des Quatre Fils Aymon: synopsis du contenu
- Maugis dans Maugis d’Aigremont
- Maugis dans La Mort de Maugis
- II – RACINES
- Quelle magie?
- «Uno, nessuno, centomila»: aux origines du topos
- L’école de Tolède: « magnífica encrucijada de culturas»
- III – MUTATIONS
- De Maugis à Malagigi
- Les Cantari di Rinaldo da Montalbano
- Malagigi dans la littérature chevaleresque de la Renaissance
- IV – SURVIVANCES
- Des chansons de geste au film d’action et au jeu vidéo
- BIBLIOGRAPHIE
- INDEX DES NOMS DES AUTEURS ET DES OEUVRES
I LE LARRON-ENCHANTEUR
Le topos du larron-enchanteur dans le Moyen Âge épique
Bien que de nombreuses recherches aient été consacrées à analyser sous différents points de vue Maugis, nous voulons revenir sur la question du topos qui le caractérise. Nous estimons en effet qu’il est possible d’ajouter quelques réflexions pour mieux en appréhender la configuration et l’union de la magie au vol dans le vaste monde médiéval2. Ces réflexions pourraient nous aider à comprendre les raisons pour lesquelles tant de personnages de la littérature épique européenne sont caractérisés par ce topos et pourquoi ces mêmes représentations, tout en maintenant leur curieuse configuration originaire, peuvent aussi bien devenir des types ou des clichés que se refaçonner à travers des métamorphoses innovantes3.
Le topos littéraire constitue en effet une idée «infinie», patrimoine commun d’un domaine d’interprétation déterminée, utilisée par un auteur selon un sens «fini», c’est-à-dire que seules les parties fonctionnelles relatives à la réalisation du but narratif désiré sont développées. Rendre explicite ←13 | 14→l’actualisation du topos et lire au fur et à mesure le contenu nouveau dont il se revêt signifient remettre en jeu les tensions de l’époque et les vicissitudes littéraires qui ont donné lieu à la création du personnage, en renouvelant ainsi sa figure dans les multiples chansons de geste où il apparaît4.
Dans l’épopée française, les images littéraires concernant le topos du larron-enchanteur, bien qu’elles soient assujetties par la fixité des attributs qui les caractérisent, se différencient les unes des autres en raison d’un dynamisme qui s’exerce entre le substrat culturel et les vicissitudes historico-sociales concernées dans la formation du topos.
Du XIIe au XVe siècle, dans une vingtaine de chansons de geste, les larrons-enchanteurs apparaissent toujours comme des personnages de premier plan qui revêtent un rôle structurel dans la construction narrative. Philippe Verelst a analysé cette caractéristique commune de tous ces personnages et a regroupé ceux-ci en larrons-enchanteurs de première et de deuxième génération, selon des critères qui n’ont pas manqué de porter à débat5. En effet, Christine Ferlampin-Acher a montré que certaines catégories employées par le chercheur belge pour mettre de l’ordre dans les différents larrons-enchanteurs ne suffisent pas à expliquer les multiples développements que cette figure a connus au cours des siècles. De plus, elle a démontré que «la figure épique de l’enchanteur larron évolue au point d’être absorbée par celle du luiton»6. Sous un autre angle, Sylvie Roblin ←14 | 15→a insisté sur la valeur politique et subversive du larron-enchanteur qui se présente comme la figure auxiliaire qui parfois se substitue au vassal rebelle lorsque ce dernier n’arrive pas à contraster le pouvoir impérial7.
De toute façon, si l’on suit la subdivision de Verelst – qui nous fournit un inventaire exhaustif des larrons-enchanteurs existants–, nous pouvons constater que la première génération regroupe des personnages qui se configurent comme des aidants du héros et qui, bien qu’ils ne revêtent pas des rôles de premier plan, endossent quand même une importance dans l’intrigue, car il leur revient de mener à terme certaines entreprises que les héros n’arrivent pas à achever. Dans les textes plus anciens, les larrons-enchanteurs de première génération recourent à des enchantements très légers; l’on parle par exemple de sommeil léthargique, d’évasion, d’hypnose, d’un emploi de la magie associée à la médecine ou au déguisement. Jusqu’au Huon de Bordeaux, ces personnages sont des magiciens qui exercent une magie d’origine naturelle, à travers l’emploi d’herbes, ou qui se réalise grâce à l’aide divine. Le passage de l’une à l’autre génération se concrétise lorsque l’on enregistre une évolution et une intensification du pouvoir de la magie. Les pouvoirs magiques deviennent très importants, voire structurels, bien qu’il ne s’agisse pas de pouvoirs innés, mais plutôt acquis grâce aux études que ces personnages auraient accomplies à Tolède.
La condition sous-jacente mais essentielle de l’analyse approfondie menée par Philippe Verelst est toutefois de contester la thèse ancienne de Léon Gautier, qui voyait dans ces éléments fantastiques une sorte d’étrange intrusion qui aurait marqué le caractère décadent des textes épiques8. De toute manière, indépendamment du catalogage des larrons-enchanteurs de première ou deuxième génération, il reste, observe Ferlampin-Acher, ←15 | 16→que les figures de «Maugis, Aubéron, Estienne, Malabron et Zephir, sans descendre les unes des autres, entretiennent des liens de parenté»9.
Cependant, l’objectif de notre réflexion se concentre notamment sur une donnée spécifique qui, bien qu’elle ait été signalée par différents chercheurs, maintient des côtés obscurs que l’on peut encore sonder. Si en effet l’on réfléchit sur la structure ou, pour mieux dire, sur la «construction» du topos qui unie la magie au vol, Philippe Verelst admet de façon univoque qu’«il est […] hors de doute qu’il y a eu à l’origine une très étroite corrélation entre l’“art” de l’enchanteur et celui du voleur». Il en résulte, poursuit-il, qu’«il doit donc y avoir à l’origine de cette tradition du larron enchanteur quelque explication qui permette de justifier cette curieuse association»10. Une intuition semblable anime aussi la recherche de Philippe Haugeard lorsqu’il relève que «la récurrence du phénomène conduit à considérer ce lien entre magie et vol comme un trait originel»11.
La zone ibérique connaît elle aussi le personnage du larron-enchanteur, comme le démontre Cristina González qui insiste à plusieurs reprises sur le fait que «la conexión entre magia y robo es muy antigua»12. Si en effet nous pensons au récit d’Ali Baba et les Quarante Voleurs, ou à l’histoire ←16 | 17→d’Aladin ou la Lampe merveilleuse, ou plus encore aux deux nouvelles de Carlos Maynes et Enrique Fi de Oliva, nous en aurons une généreuse documentation13.
En somme, voilà que pour chercher à comprendre la nature du lien étroit qui assure la continuité de diffusion du topos du larron-enchanteur, il peut être utile d’observer les nombreux larrons-enchanteurs qui, au cours du Moyen Âge, peuplent – peut-être pas par hasard – la narration épique…
La vitalité du personnage dans l’épique
La complexité de la tradition littéraire apparaît de manière évidente déjà dans La Chanson de Roland où apparaît le Sarrasin Siglorel, le premier de la longue série des enchanteurs, qui est mis en opposition à l’archevêque Turpin et symbolise la corruption de la culture païenne14. L’impression vague et substantiellement pauvre en nuances que communique ce personnage porte celui-ci aux racines du topos en question, sans pour autant permettre de l’inclure parmi les larrons-enchanteurs, car est absente la richesse représentative que ceux-ci normalement dégagent. En effet, Siglorel n’est qu’un simple magicien véhiculant l’idée préconçue d’une culture orientale à la forte empreinte démoniaque.
Si, au contraire, nous nous penchons sur la catégorie des larrons-enchanteurs, de Basin à Galopin, de Foucher à Maubrun, de Picolet à ←17 | 18→Malaquin et à Espiet, nous trouverons la magie et le vol comme étant des phénomènes qui se ressentent de représentations beaucoup plus amples et articulées. Basin15 et Foucher16, qui font partie du groupe des larrons-enchanteurs chrétiens, jouissent donc d’une bonne réputation et sont de parfaits chevaliers. Bien qu’ils soient mentionnés comme étant des voleurs, ils ne sont à aucun moment considérés avec mépris; de plus, ils ne volent jamais les plus démunis et s’amusent à jouer de mauvais tours aux riches, en les ridiculisant. En effet, même suite à ce qui a été observé par Pio Rajna, Verelst signale que l’épithète larron ne constitue pas un élément négatif, car il ne fait pas référence à de véritables vols.←18 | 19→
Dans Fierabras et dans Les Enfances Vivien émergent respectivement Maubrun17 et Picolet18 qui, tout comme Siglorel, représentent le monde sarrasin dans sa perpétuelle tension vers le mal. Dans ces œuvres, la magie se caractérise comme un phénomène propre au paganisme. Les deux magiciens sont des héros païens possédés par des sentiments de vengeance et de violence gratuite, et sont soumis aux forces du mal.
Au contraire, dans certains poèmes épiques du Moyen Âge français, les larrons-enchanteurs sont orientés vers l’accomplissement d’actes socialement louables. C’est le cas de l’Élie de Saint-Gilles où se distingue l’action du nain chrétien Galopin19, aidant ainsi que précieux conseiller de l’héroïque Élie; ou du Girart de Roussillon, où Foucher, cousin de Girart, lui aussi larron-enchanteur, à l’instar de Maugis ne vole jamais les pauvres.
À la première génération de larrons-enchanteurs, dont le pouvoir surnaturel n’est qu’une caractéristique secondaire, fait suite une deuxième génération de personnages fantastiques chez qui les pouvoirs magiques font partie intégrante de leur personnalité et auxquels ils ne peuvent pas renoncer.
Auberon, le nain de Huon de Bordeaux, a une attitude magique presque illimitée, celle de figure intermédiaire entre le ciel et la terre, en rapport constant avec Dieu. Ayant la fonction de deus ex machina, on recourt à lui dans les situations d’extrême urgence, bien qu’il se considère avant tout comme un simple être humain. Même Malabron, le génie de la mer, dans cette même chanson de geste et sorte de figure auxiliaire d’Auberon, a de grands pouvoirs magiques, notamment la capacité de nager plus vite qu’un ←19 | 20→saumon. Sa tâche est d’aider Huon dans les situations difficiles, ce qu’il fait en utilisant toujours son habileté marine20.
Berfuné, protagoniste de la version R du Renaut de Montauban, publiée par Verelst, mesure trois pieds et a le don de l’ingremanche, c’est-à-dire qu’il connaît le passé, le présent et le futur21. Grâce à l’intervention de quatre fées, il se convertit à la religion catholique et devient un allié de Renaut. Une caractéristique qui l’associe à Maugis est que lui aussi a séjourné à Tolède; cela dit, il n’est pas le seul à être lié aux études à Tolède, qui sont également communes à Basin, ainsi qu’à Baudris, Boriaz et Espiet22.
Details
- Pages
- 128
- Publication Year
- 2022
- ISBN (PDF)
- 9783631878293
- ISBN (ePUB)
- 9783631878309
- ISBN (MOBI)
- 9783631878316
- ISBN (Hardcover)
- 9783631832400
- DOI
- 10.3726/b19839
- Language
- French
- Publication date
- 2022 (September)
- Published
- Berlin, Bern, Bruxelles, New York, Oxford, Warszawa, Wien, 2022. 128 p.
- Product Safety
- Peter Lang Group AG