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Littératures du faux

de Jochen Mecke (Éditeur de volume) Anne-Sophie Donnarieix (Éditeur de volume)
©2023 Collections 286 Pages

Résumé

Entre imitation et contrefaçon, supercherie et mystification, les circuits de la fiction
contemporaine conduisent lectrices et lecteurs sur des sentiers semés d’embûches et
développent des régimes fondés sur le simulacre, l’inauthentique, l’erroné. Virtuose
réfutation du Nouveau Monde chez Pierre Senges, faux-roman d’Éric Chevillard, célèbre
faux tableau révolutionnaire de Pierre Michon, hétéronymes d’Antoine Volodine et avatars
auctoriaux de Jean-Benoît Puech, simulacres socio-culturels chez Fanny Taillandier,
récits décalés du passé chez Yannik Haenel, identités virtuelles de Camille Laurens et
Sandra Lucbert, mises en scène d’(auto-)aliénation sociale chez Marie NDiaye et Karine
Tuil : les exemples ne manquent guère. Par-delà la singularité de chaque texte, le faux
séduit par sa puissance à la fois facétieuse et fallacieuse, ludique et inquiétante. Les
contributions réunies dans ce volume ambitionnent d’explorer cet imaginaire du faux
à l’oeuvre dans le roman contemporain, et de mieux comprendre ses spécificités en
regard de l’histoire littéraire, depuis les trompe-l’oeil baroques et jusqu’aux esthétiques
modernes de l’authenticité.

Table des matières

  • Couverture
  • Titre
  • Copyright
  • À propos des directeurs de la publication
  • À propos du livre
  • Pour référencer cet eBook
  • Table des matières
  • Les écritures en trompe-l’œil du roman contemporain (Jochen Mecke et Anne-Sophie Donnarieix)
  • Régimes et historicités du faux
  • Prolégomènes pour une esthétique du faux (Jochen Mecke)
  • Les régimes de l’imposture (Maxime Decout)
  • Sous le signe d’Hermès Marana (Frank Wagner)
  • Falsifier les faits, réécrire l’histoire
  • Qui lit vrai et qui lit faux ? Jan Karski de Yannik Haenel et HHhH de Laurent Binet (Ursula Bähler)
  • Entre célébration du faux et critique sociopolitique : de la mise en intrigue des discours complotistes (xixe–xxie siècles) (Chloé Chaudet)
  • Réinvestir la frontière entre fiction et réalité : À son image de Jérôme Ferrari (Jonas Hock)
  • La réécriture de l’Histoire dans Civilizations (2019) de Laurent Binet (Christian von Tschilschke)
  • Fausses identités
  • « Quelque chose clochait. » La fausse présentation de soi dans Celle que vous croyez de Camille Laurens (Jutta Fortin)
  • Usurpation et aliénation sociale chez Marie NDiaye (Dominique Rabaté)
  • « Je est un autre » ou l’apologie du mensonge dans L’Invention de nos vies de Karine Tuil (Marina Ortrud M. Hertrampf)
  • Les Liaisons dangereuses 2.0 : manipulation et tromperie en ligne dans La toile de Sandra Lucbert (2017) (Matthias Hausmann)
  • Sous le signe du faux : œuvres fictives, suppositions d’auteur et palinodies chez Jean-Benoît Puech (Jochen Mecke)
  • Reproduire, plagier, travestir
  • Réécritures et contrefaçons : quelques facéties de romanciers faussaires (Anne-Sophie Donnarieix)
  • Dire le monde en décalage : subversion du réel chez Fanny Chiarello et Fanny Taillandier (Gaëlle Debeaux)
  • Alain Robbe-Grillet et sa Reprise : la reprise de l’original ou le faux du vrai (Samuel Holmertz)
  • Cartographier les faux espaces. Délimitations paradoxales du réel et de la fiction chez Fanny Taillandier et Olivier Hodasava (Loïse Lelevé)
  • Paroles d’écrivains
  • Faussaires, faussaires. Entretien avec Pierre Senges
  • L’auteur et son double. Entretien avec Jean-Benoît Puech
  • Notices bio-bibliographiques

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Jochen Mecke et Anne-Sophie Donnarieix

Les écritures en trompe-l’oeildu roman contemporain

Entre imitation et contrefaçon, supercherie et mystification, les circuits de la fiction contemporaine conduisent régulièrement lectrices et lecteurs sur des sentiers semés d’embûches. En jouant avec une fascination pour le faux qui exploite toute la polysémie du terme, le roman développe des régimes fondés sur le simulacre, l’inauthentique, l’erroné. Car le faux n’est pas simplement l’avatar de l’erreur (ou du mensonge), il engage aussi un système de reproduction ou d’imitation plus ou moins fidèle, et implique l’idée d’une authenticité déviée, inventée voire récusée. Les exemples ne manquent guère : virtuose réfutation du Nouveau Monde chez Pierre Senges (La Réfutation majeure), faux-roman d’Éric Chevillard (Défense de Prosper Brouillon), célèbre faux tableau révolutionnaire de Pierre Michon (Les Onze), hétéronymes d’Antoine Volodine et avatars auctoriaux de Jean-Benoît Puech, simulacres socio-culturels décalés chez Fanny Taillandier (Les États et empires du Lotissement Grand Siècle), parodies historiques ou récits polémiques du passé chez Alain Fleischer (Imitation) et Yannik Haenel (Jan Karski), identités virtuelles de Camille Laurens (Celle que vous croyez), doubles post-humains de Michel Houellebecq (La Possibilité d’une île), mises en scène d’(auto-)aliénation sociale chez Marie NDiaye (Autoportrait en vert, Ladivine) et Karine Tuil (L’Invention de nos vies), etc. Par-delà la singularité de chaque texte, le faux séduit par sa puissance à la fois facétieuse et fallacieuse, ludique et inquiétante. C’est sur ses manifestations romanesques contemporaines, sur cet « imaginaire du faux » auquel il répond, mais aussi sur son évolution au sein de l’histoire littéraire que les contributions réunies dans ce volume ambitionnent de revenir.

Polysémies du faux

Avant toute chose, il importe de circonscrire un objet de recherche qui pourrait bien passer, sinon, pour un leurre. Si la notion désigne en effet les relations complexes que la littérature des dernières décennies entretient avec ses modèles – réels comme littéraires, factuels comme fictionnels, elle n’est pas sans poser certains problèmes dus à sa polysémie ainsi qu’à la proximité de plusieurs notions voisines . Pourquoi par exemple privilégier la notion de « faux » à celles, ←7 | 8→plus consensuelles et plus résolument ancrées dans le champ de la critique littéraire, de « mensonge1 », de « supercherie2 » ou d’« imposture3 » ? C’est que le faux a le grand avantage de sa plasticité : il inclut le mensonge, l’erreur, le simulacre, la reproduction, la falsification, toutes formes de mystification, de supercheries et d’impostures, et permet ainsi d’appréhender depuis une perspective plurielle tant les sourdes manigances que les duperies éclatantes à l’œuvre dans le roman contemporain.

Rappelons en outre que le faux peut prospérer à différentes échelles. Trois d’entre elles nous intéresseront plus particulièrement, liées respectivement à une dimension épistémologique, esthétique et éthique (à l’image du célèbre triptyque platonicien du « vrai », du « beau » et du « bon4 »). La première acception du mot, selon l’Académie Française, concerne tout ce « qui n’est pas conforme à la réalité ou à la vérité ; qui manque d’exactitude, de justesse et de rectitude5. » Le faux se rapporte alors à une dimension référentielle, il résulte d’un jugement porté sur les relations que peut, par exemple, entretenir une œuvre littéraire avec la réalité, la manière dont elle la reproduit – ou la construit. Ce faux-là relève du domaine de la connaissance ou de l’épistémologie ; il a pour antonymes les catégories du « vrai » et du « juste ».

←8 | 9→Le faux épistémologique entretient certains rapports avec le faux esthétique dans la mesure où celui-ci implique le dessein de tromper. C’est le cas de la peinture baroque et notamment de ces façades qui nous suggèrent des paysages et des décors qu’un coup d’œil plus minutieux révèle rapidement pour ce qu’elles sont : des illusions. Si ces trompe-l’œil relèvent davantage de la psychologie de la perception, ils comportent néanmoins une dimension artistique dans la mesure où l’imitation se fait « par souci d’esthétique6 ». Dans son acception la plus générale, lit-on dans le Littré, le faux se donne ainsi comme l’« imitation d’une chose vraie7 », il se présente comme une copie de ce « qui n’est pas naturel8 ». Appliquée au champ littéraire, la définition trahit bien sûr un certain héritage classique. Mais à remplacer « naturel » par « original » ou « authentique », l’on se rapproche de l’esthétique moderne, dont l’impératif catégorique impose l’innovation, l’actualité, l’originalité et une certaine cohérence interne, selon une acception du terme qui relèverait de l’idée platonicienne du beau9.

Enfin, la notion de faux recouvre une troisième dimension dès lors qu’elle implique un art de la contrefaçon, c’est-à-dire la « production frauduleuse d’actes, de pièces, d’écritures10 ». Que l’activité des faussaires suscite un jugement moral (voire juridique) ne saurait guère surprendre, et du reste les exemples d’accusation pour plagiat dans les cercles littéraires contemporains ne manquent pas11, mais il en va là aussi, de manière plus générale, d’une dimension du « faux » qui s’oppose à l’idée du « bien », et qui a trait à la morale ou à l’éthique. La Rochefoucauld avait déjà fort bien décrit cette forme particulière du faux qui consiste à produire une fausse morale en prétextant son contraire. L’hypocrisie n’est d’ailleurs pas qu’une fausse morale, elle est aussi un faux qui se produit par la morale même, ou bien, pour le dire avec la Rochefoucauld : « L’hypocrisie est un hommage que le vice rend à la vertu12 ».

D’une manière ou d’une autre, chacun de ces trois types de faux a partie liée à une forme d’inauthenticité. Mais il faut mettre en garde contre une erreur fréquente lorsqu’il est question du faux en littérature : celui-ci n’équivaut pas à ←9 | 10→la fiction, et tous deux relèvent de registres qu’il importe de garder distincts. Si l’instance auctoriale d’une fiction affirme certes l’existence de personnages et d’histoires qu’elle sait pertinemment faux, la fiction expose sa propre inauthenticité et rend ainsi d’emblée caduque toute dimension mensongère. « Ludique », pour reprendre l’expression de Jean-Marie Schaeffer13, la feintise impliquée par l’écriture fictionnelle tient moins à la dissimulation de quelque fait donné pour vrai, qu’à cette « suspension d’incrédibilité » dont Coleridge14 avait fait l’essence de la fiction. Aussi n’est-ce pas à celle-ci, en tant que telle du moins, que le volume s’intéressera.

Il s’avère enfin utile de distinguer le faux de ce terme voisin : le mensonge. Celui-ci croît en effet dans le sein du faux, dont il constitue en quelque sorte une sous-catégorie puisqu’il consiste à exprimer une affirmation fausse et qui prend le contrepied de la conviction de son destinateur. Mais le mensonge implique que cette divergence soit nécessairement dissimulée15, lorsque le faux ne s’attache guère à cette condition. À la différence du mensonge encore, le faux n’est pas nécessairement lié au logos, à la parole, mais concerne tout type de pratique communicative. Il implique enfin une question d’authenticité, d’originalité, de primauté qui est étrangère à la question du mensonge au sens propre du terme.

Traditions littéraires

Si les exemples cités plus haut laissent à penser que le roman contemporain est friand de faussaires et de mystifications, il faut néanmoins se garder de faire du « faux » l’apanage d’une tradition littéraire exclusivement postmoderne. Des romans de Lukian à l’usage de pseudonymes et de faux auteurs comme « Ossian », et jusqu’à à la création de personnages impossibles, le faux a toujours accompagné l’histoire littéraire. À certaines époques même, il acquiert une importance comparable à celle que lui accorde la production contemporaine : c’est le cas de l’âge d’or de la littérature espagnole, le fameux siglo de oro et plus concrètement le versant baroque de cette époque. Nous y trouvons la même fascination pour le faux sous toutes ces formes, dont les manifestations le plus spectaculaires constituent peut-être les métalepses et les jeux d’illusion entre fiction, rêve et réalité chers à Calderón de la Barca, Lope de Vega, Tirso de Molina ou Cervantes. Dans l’esthétique baroque pourtant, ces jeux sont loin ←10 | 11→d’être gratuits, et ils comportent une certaine dimension morale et métaphysique. Le fait d’induire le spectateur ou le lecteur en erreur par le fameux engaño suivi du desengaño sert de mise en garde contre les faux-semblants qui règnent ici-bas, dans un monde immanent en trompe-l’œil auquel s’opposerait la « vérité » de l’au-delà, et de la transcendance. Le faux engage alors une vérité religieuse à laquelle il se mesure, une vérité absolue de laquelle il découle et sans laquelle il ne peut exister.

On rencontre une même prédilection pour les jeux d’illusions et de fausses perspectives dans la peinture et l’architecture de l’âge classique français, du xviie au xviiie siècle, comme dans ce fameux Salon de Vénus ou dans le faux marbre et les décors factices de la Chapelle Royale à Versailles, dans les trompe-l’œil d’un Jean-François de la Motte ou les métalepses d’un Diderot. À l’âge classique néanmoins, le faux des trompe-l’œil16 donne une leçon bien différente du desengaño baroque : il ne renvoie plus à la vérité supérieure de la transcendance, mais à celle de la raison. Si les sens et la perception peuvent se laisser induire en erreur, la capacité de l’humain à raisonner permettrait en revanche à ce dernier d’accéder à une vérité supérieure. Aussi le théocentrisme du baroque se voit-il relayé par le logocentrisme de l’âge classique.

Stratégies contemporaines

Comment décrire alors les traits spécifiques du faux à l’époque postmoderne ? Quelles modalités de continuité, de rupture, de retour mettent à jour les romans contemporains ? Quels liens entretiennent-ils avec les notions de vérité, d’authenticité, d’originalité, et autour de quels enjeux épistémologiques, esthétiques et éthiques s’articulent-ils ? Sans doute convient-il, pour esquisser des réponses à ces questions, de croiser plusieurs approches :

1)Le faux et ses formes multiples peuvent être appréhendés depuis une perspective typologique : on interrogera ainsi au cours de ce volume la présence de personnages doubles, de mystificateurs ou d’usurpateurs, de motifs liés au faux-semblant, à la duplication ou à la simulation, voire au cliché ou au stéréotype, ainsi qu’un certain rapport thématique à l’illégitimité, l’incohérence, l’artifice ou la tromperie. Comment le faux se présente-t-il dans ces textes ? De quels ressorts morphologiques, épistémologiques use-t-il ? Et ←11 | 12→quels liens entretient-il avec le texte qui le produit : se dissimule-t-il, inavoué et tapi, dans les rets de la fiction qu’il se plaît parfois à reproduire comme par métonymie, ou bien se voit-il exposé dans toute son inauthenticité par un texte qui le démasque en même temps qu’il s’en porte garant ?

Résumé des informations

Pages
286
Année
2023
ISBN (PDF)
9783631884881
ISBN (ePUB)
9783631884898
ISBN (MOBI)
9783631884904
ISBN (Relié)
9783631884744
DOI
10.3726/b20174
Langue
français
Date de parution
2023 (Février)
Published
Berlin, Bern, Bruxelles, New York, Oxford, Warszawa, Wien, 2023. 286 p.

Notes biographiques

Jochen Mecke (Éditeur de volume) Anne-Sophie Donnarieix (Éditeur de volume)

Jochen Mecke est professeur de cultures et littératures romanes à l’Université de Regensburg (Allemagne). Il a consacré de nombreux travaux à la littérature française moderne et postmoderne, au cinéma, à la radio, à l’esthétique intermédiale, à la temporalité du roman et à la Grande Guerre. Anne-Sophie Donnarieix est professeure de littérature française dans le contexte européen à l’Université de la Sarre, en Allemagne. Ses recherches portent sur la littérature française et espagnole des xixe au xxie siècles et plus particulièrement sur le roman français contemporain.

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Titre: Littératures du faux
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