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La Musique dans l’Œuvre de Boris Vian

de Bao Cheng (Auteur)
©2024 Monographies VI, 336 Pages

Résumé

Omniprésente dans la vie de Boris Vian, la musique lui a conféré une sensibilité qui est certainement pour une part à la source de son originalité en tant qu’écrivain. Notre recherche vise à interroger l’importance de la musique dans son univers littéraire, ainsi que les efforts qu’il a consacrés au rapprochement des deux arts. Utilisant son acception ouverte des formes de la musique, nous avons découvert un monde où l’écrivain inscrit l’art d’Euterpe de maintes manières. Dans l’oeuvre de fiction, la musique exerce ainsi son infl uence depuis le detail stylistique jusqu’à la structure macroscopique. Le premier volet de notre étude concerne les présentations explicites de la musique dans ses fictions tandis que la partie suivante poursuit l’exploration vers une dimension plus implicite.
Notre interprétation de la musique dans les fictions de Vian se développera selon trois dynamiques : la convergence, la transformation et la synchronisation. Nous avons découvert que la musique chez Vian joue un rôle important par rapport à l’installation du contexte des récits, à la création des personnages, à l’expression des émotions et des attitudes, ainsi qu’à la construction de son architecture fictionnelle.

Table des matières

  • Cover
  • Title
  • Copyright
  • About the author
  • About the book
  • This eBook can be cited
  • contents
  • Introduction
  • Les lieux et les moments de la musique
  • Les acteurs musicaux
  • Les morceaux classés par genres musicaux
  • La convergence des occurrences musicales
  • La musique et l’émotion, modèle ou imitation?
  • La musique et la société: fictions et chroniques de jazz
  • La musique et la structure des fictions
  • Conclusion
  • Annexe
  • Références
  • Index

Introduction

Boris Vian, mélomane et musicien

Boris Vian, à la fois romancier, conférencier, critique, trompettiste, chanteur, et directeur artistique chez Philips, est un homme polyvalent. Cependant, sa réception est très diverse auprès des différentes générations du public français. Pour les plus jeunes, cet homme de talent n’est plus présent que dans leurs manuels de littérature, par quelques extraits de L’Écume des Jours Pour d’autres personnes, qui étaient déjà adultes ou presque durant les années soixante et soixante-dix, Vian est avant tout un musicien qui compose des chansons, dont la plus célèbre est Le Déserteur, demeurant ainsi dans la mémoire collective. Les années 2003 et 2010 ont été remarquables pour les admirateurs de Boris Vian. Grâce aux efforts des spécialistes, comme Gilbert Pestureau, Marc Lapprand et François Roulmann, les Œuvres de Boris Vian, puis ses Œuvres romanesques complètes ont vu successivement le jour. En 2013, la sortie du film de Michel Gondry, L’Écume des Jours, adapté de son plus célèbre roman, semble avoir porté le succès posthume et littéraire de Vian jusqu’au grand public. Et nous réalisons qu’au fil du temps, la beauté et l’originalité de son écriture n’ont pas pris une ride. La sensibilité musicale qui apparaît dans ses textes nous semble être à la source de son originalité comme écrivain.

Tout au long de sa vie, la musique est omniprésente dans son quotidien, se manifestant même plus tôt que la littérature. Cette emprise musicale commence dès sa naissance, à Ville d’Avray. Inspirée par l’opéra Boris Godounov, sa mère décide en mars 1920, d’appeler son fils du même nom que le compositeur russe, en souvenir du dernier. Ensuite, les moments musicaux ne cessent d’apparaître dans le paradis de son enfance et l’influencent considérablement. Victime d’un rhumatisme cardiaque, le jeune Boris profite pourtant de ses cours d’initiation à la littérature et à la musique. Éduqué plutôt à domicile, avec l’aide de son institutrice, il connaît tôt la littérature classique. Parallèlement, le goût musical de ses parents l’influence beaucoup, et la musique classique lui est déjà familière. Après la grande crise de 1929, Paul Vian, père de Boris, est ruiné et la famille n’a plus les moyens de conserver sa villa Les Fauvettes. Néanmoins, cet incident favorise le déclenchement d’une période plus musicale pour le jeune Vian. Entre 1930 et 1935, la famille doit louer sa maison au musicien Yehudi Menuhin. Pendant que les Vian logent dans la maison du gardien, leur vie musicale continue et est même renforcée grâce à Menuhin, nouvel ami de la famille, ainsi qu’à la musique jouée sept heures par jour par le violoniste. Au début des années 40, Boris Vian commence à écrire des textes qui, le plus souvent, caricaturent ses proches. Au sein des intrigues de ses premières fictions, beaucoup d’occasions ressemblent aux moments musicaux qu’il avait connus jusque là, comme les surprises-parties organisées régulièrement aux Fauvettes.

Dans cette famille où tout le monde aime la musique, Vian commence à jouer de la trompette dès son adolescence. La pratique de cet instrument, qui compte d’abord parmi ses loisirs, le conduit vers sa musique de prédilection, le jazz. À l’âge de 17 ans, il s’inscrit au Hot Club de France, l’un des premiers organismes français qui promeuvent la propagation du jazz. Plus tard, avec ses deux frères, il crée une petite formation de jazz et anime de nombreuses surprises- parties qui se tiennent à leur domicile. La guerre n’interrompt que temporairement ces activités. Peu après la Libération, en 1947, Vian participe à l’orchestre de Claude Abadie et devient, progressivement, une figure représentative dans le célèbre quartier de Saint-Germain-des-Prés. D’un côté, il fréquente le groupe des intellectuels des Temps Modernes qui s’organise autour de Jean-Paul Sartre et se rencontre au Café de Flore ou aux Deux Magots ; de l’autre, on le surnomme, « le prince de Saint-Germain-des-Prés », suite à de nombreuses nuitées passées dans les caves réservées au jazz, comme le Tabou et le Lorientais.

À partir du début des années 50, Vian révèle ses ambitions dans la littérature ainsi que dans la musique. Gêné par sa condition physique qui se dégrade, il doit limiter ses activités. Il n’écrit presque plus de récits à ce moment-là, tandis qu’il se consacre beaucoup plus à la musique et au jazz. Sa création littéraire, pendant ces années, porte plutôt sur des œuvres de théâtre, d’opéra ou des critiques. Comme l’ordonne son médecin, il s’arrête de jouer de la trompette mais commence peu après à faire des tournées en tant que chanteur. Travaillant chez Philips, il pratique désormais officiellement un métier musical :

À partir de 1954, après maintes péripéties dans le monde littéraire, il emploie l’essentiel de son temps et de son énergie à explorer et approcher le monde de la musique. Embauché chez Jacques Canetti puis chez Philips, il connaît la musique sous de multiples formes : opéra et classique par sa mère, tango, bossa nova ou charleston par son père, jazz et blues avec ses frères ; reste la chanson dite de variétés1.

Ce total dévouement de Vian à la musique est soutenu par sa deuxième épouse, Ursula, qui se souvient «qu’ à partir de 1954 il ne s’intéressait plus qu’à la musique, jazz ou chansons »2. C’est notamment pendant ces années-là que son profil de musicien s’affermit, car auparavant, Vian n’était considéré que comme un « amateur marron »3. Chef de l’orchestre Vian-Abadie et proche de cet homme talentueux, Claude Abadie confirme qu’il « était le meilleur musicien de la famille »4. Son talent musical est même apprécié par Sartre et Beauvoir. Pour eux, Vian est un jeune écrivain et un précurseur du jazz en France5. Franck Ténot admire particulièrement son talent musical :

S’il est connu comme écrivain et comme critique, Boris Vian l’est aussi comme musicien. Evidemment, ses multiples occupations l’empêchent de jouer très souvent, et on ne l’entend que peu, à Paris, et c’est bien dommage … Il joue très simplement, et sa grande qualité c’est la sensibilité. Il a une sensibilité qui est extrêmement rare et l’on ne rencontre que peu de tempéraments si sensibles dans toute la musique de jazz […]6

Cette sensibilité se trouve également dans ses textes. Gilbert Pestureau constate que son double talent est précieux, car il est rare de voir que « la passion du jazz et celle de la science-fiction [qui] ont beaucoup de caractères communs […] coexiste[nt] chez la même personne »7. Souvent mises en parallèle, la littérature et la musique le passionnent jusqu’à la fin de son existence.

La présente recherche vise ainsi à faire apparaître l’importance de la musique dans l’univers littéraire de Vian ainsi que les efforts qu’il a consacrés au rapprochement entre la musique et de la littérature.

État de la recherche

Depuis les premières études sur Boris Vian, personne ne doute de l’importance de la musique chez lui. Citons d’abord Noël Arnaud, qui développe, dans différents chapitres des Vies parallèles de Boris Vian, son profil de jazzman dans l’orchestre Abadie ou encore de professionnel chez Philips8. Dans ces textes, Noël Arnaud met l’accent sur les années de jeunesse de Vian, spécifiquement entouré par le jazz, d’abord en tant que trompettiste jouant à temps partiel à Paris et dans d’autres villes françaises, ensuite, en tant que directeur artistique qui établit de nombreux programmes d’enregistrement de disques, lesquels servent de matière pédagogique pour intéresser le public français au jazz. Le jazz est ainsi privilégié parmi tous les types musicaux que Vian apprécie et pratique. À la fin du chapitre « Le musicien », Noël Arnaud rappelle l’observation d’un des plus célèbres interprètes des chansons de Vian : « Peu de temps après la mort de Boris, Henri Salvador me disait: il était amoureux du jazz, il ne vivait que par le jazz, il entendait le jazz, il s’exprimait en jazz »9.

Cette convergence de la musique et du texte chez Vian, sont de nouveau signalés lors du colloque de Cerisy consacré à son œuvre (23 juillet – 2 août 1976). À cette occasion, diverses approches de l’œuvre ont été présentées. Remarquons parmi les études, celles dédiées à l’analyse textuelle de son œuvre musicale, comme « Les jeux de mots et de l’art dans Rock-Monsieur »10 de Jenny Batlay et « Boris Vian et la chanson » de Georges Unglik11. Dans la même idée, et plus récemment, Olivier Bourderionnet prend pour corpus les poèmes de Vian et le considère comme un écrivain du XXe siècle, chez qui l’emprise de la chanson populaire est importante12.

Ces derniers temps, François Roulmann, libraire-expert en livres anciens (au sujet musical notamment) et spécialiste de son œuvre, ainsi que la représentante de la Cohérie de Boris Vian, Nicole Bertolt, ont publié un livre intitulé Boris Vian: le swing et le verbe13. Dans ce volume, sont énumérées précisément ses activités musicales tout au long de sa vie, poursuivant le rapprochement entre la musique et la littérature et affirmant l’intégration mélodieuse dans son œuvre romanesque14. Les chercheurs y démontrent à quel point les deux passions, chez Vian, sont inséparables dans son univers littéraire comme dans son monde musical :

[Boris Vian] […] se lance à corps perdu dans l’écriture et produit simultanément romans, nouvelles, poèmes, chansons, articles, pièces de théâtre … tout en continuant à vivre sa musique. La critique lui reproche vite son côté touche-à-tout. De même que Charlie Parker se voit reprocher de jouer trop de notes, Boris Vian produirait-il trop de mots ? Il ne choisira jamais entre musique et littérature. 15

La force de ce lien entre musique et littérature chez l’écrivain a en effet déjà été abordée par les précurseurs critiques, comme Gilbert Pestureau, qui souligne la corrélation entre l’œuvre littéraire de Vian et sa vie musicale, notamment le jazz. Dans son livre Boris Vian : les amerlauds et les godons16, cette musique de prédilection est prise en compte en tant que composante de la culture anglo-saxonne de l’écrivain. Vers la fin de son ouvrage, G. Pestureau associe le jazz avec le « premier vrai roman » de Boris Vian, L’Écume des Jours, et souligne la présence d’un arrangement rythmique et structurel selon le modèle d’un « jazz alchimiste » dans le texte17. Puis, dans son Dictionnaire des personnages, le chercheur présente l’entrée de la musique dans les fictions de Vian par le biais de la conception des figures fictives. Il retrace la création, inspirée par le jazz, de personnages comme Chick ou encore Chloé18. Dans une recherche importante de Marc Lapprand, certaines précisions sur les caractéristiques de cette convergence dans l’œuvre romanesque de Vian sont élaborées, comme l’évolution de l’influence du jazz ou l’esquisse des correspondances entre les occurrences avec quelques morceaux précis19.

Cette approche inter-arts est également envisagée par les chercheurs anglophones, comme Viviane Smith qui montre la similitude entre L’Écume des Jours et la musique de Duke Ellington à plusieurs niveaux, contextuel et structurel20. Songeons également au terme « intermusicality »21 proposé par Charles Alistair Rolls dans le chapitre « Jazz and synaesthetic novel » dans son étude sur l’aspect intertextuel de Vian. De même, Christopher M. Jones reconnaît le jazz comme une des sources de la présence de l’Amérique dans les fictions de Vian22.

Tous ces travaux sur l’importance de la musique dans la littérature de Boris Vian ouvrent une perspective intéressante à développer. En nous focalisant sur l’influence de la musique dans son œuvre littéraire, nous nous appuierons sur l’ensemble de ses récits de fictions, pour étudier, dans un contexte élargi, les modalités de ces interférences entre les deux domaines artistiques qui lui sont chers.

Une définition accueillante de la musique

Il y a des façons de produire des sons. Et des bruits. Et des vibrations. Et des combinaisons du tout. Alors pourquoi voulez-vous vous limiter ?23

Paraissant insensée pour certains, cette expression rend explicite la volonté d’écouter puis de comprendre toutes les sonorités de Vian, sans contrainte. Pour lui, la définition de la « musique » est très ouverte :

[…] le système de référence musical de tout individu doué d’ouïe est l’ensemble résultant de tout ce qu’il a entendu depuis qu’il est en état d’entendre, corrigé par divers facteurs (mémoire, jugement esthétique, sélection dont les fondements sont éminemment individuels, etc.). Mais chacun a pleine liberté d’imaginer un système sonore de son choix qu’il appellera musique24.

Nous serons donc attentive, dans ses textes, à toute « organisation rythmique de tout ou partie de l’ensemble des bruits, sons, etc. perceptibles par l’oreille humaine »25. D’un point de vue moderne26, nous les apprécierons et les classifierons selon les « paramètres » divers établis, les lieux de la musique, les instruments, les musiciens, les morceaux joués, etc. Ce choix de la musique au sens large s’adaptera à la liberté favorisée par le jazz27 et en soulignera l’importance primordiale chez Boris Vian par une évocation des autres types musicaux dans notre corpus.

Résumé des informations

Pages
VI, 336
Année
2024
ISBN (PDF)
9781636670645
ISBN (ePUB)
9781636670652
ISBN (Relié)
9781433197925
DOI
10.3726/b20564
Langue
français
Date de parution
2023 (Décembre)
Mots clés
La Musique dans l’Œuvre de Boris Vian Boris Vian la musique le jazz l'œuvre romanesque les thèmes de musique Bao Cheng
Published
New York, Berlin, Bruxelles, Chennai, Lausanne, Oxford, 2024. VI, 336 p., 5 n/b.

Notes biographiques

Bao Cheng (Auteur)

Actuellement enseignante dans le département de la littérature et de la civilisation françaises à la BISU (Beijing International Studies University), Bao Cheng a obtenu son doctorat de la littérature française en 2019 à l’Université Sorbonne Nouvelle. Jeune chercheuse, Bao Cheng enseigne les littératures françaises du XIXe siècle et du XXe siècle aux étudiants et s’intéresse à plusieurs axes interdisciplinaires concernant des oeuvres romanesques. Ses domaines de recherché sont les fi ctions de la langue française, l’écriture de la musique dans les oeuvres littéraires, les relations entre la littérature et les autres arts, etc.

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Titre: La Musique dans l’Œuvre de Boris Vian