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«Révolution socialiste» en Chine : gouvernance et discordances

de Xiaohong Xiao-Planes (Éditeur de volume)
©2023 Monographies 292 Pages

Résumé

Soucieux de gagner l’indépendance et l’autonomie du pays face au monde occidental et à l’URSS, le leader révolutionnaire Mao Zedong a mené, entre 1949 et 1976, une «Révolution socialiste» continue. Cet ouvrage observe les formes de l’autoritarisme maoïste en multipliant les angles de vue – arcanes du pouvoir de parti-État, opposition au sein du système, voix réfractaires des petites gens, etc. S’appuyant sur des sources inédites, l’auteur offre des plongées sur des personnages de second ou troisième rang peu connus de l’histoire de la Chine contemporaine, des éclairages sur une ville (Shanghai) plutôt que sur une histoire nationale, ainsi que sur une multitude d’acteurs ordinaires impliqués dans les divers moments maoïstes. Ce décentrement du regard permet de dépasser le cadre étroit de la hiérarchie bureaucratique et de cerner la présence de diverses réponses individuelles et collectives aux formes centralisatrices et hégémoniques de l’État maoïste. En dépit d’un contrôle social mêlé de propagande et de terreur politique, la Chine d’après 1949 n’était pas exempte de diversité dans les comportements, ni de particularisme et de localisme : face à une autocratie omnipotente, les individus et les collectivités étaient loin d’être aussi amorphes qu’on l’a longtemps imaginé. En ce sens, la rupture avec les histoires de la fin de l’ère Qing et de l’ère républicaine s’avère moins accusée et moins définitive.

Table des matières

  • Couverture
  • Titre
  • Copyright
  • À propos de l’auteur
  • À propos du livre
  • Pour référencer cet eBook
  • SOMMAIRE
  • REMERCIEMENTS
  • REPERES CHRONOLOGIQUES
  • PREFACE
  • INTRODUCTION
  • Première partie LES VOIX DISCORDANTES
  • Un contestataire de la politique agricole de Mao Zedong: Deng Zihui en 1953–1962
  • Deng Zihui : le personnage et ses différends historiques avec Mao en 1953–1955
  • La commune populaire et la première phase de son rajustement (déc. 1958 – av. 1959): rétablir les « petites libertés » des paysans
  • « Règlements en 60 articles » (Renmin gongshe 60 tiao)
  • Dissolution de la cantine et établissement de l’équipe de production comme base de comptabilité
  • Pour une législation des relations entre l’État, les collectivités et les paysans
  • Divergence avec Mao sur le système du contrat familial
  • Conclusion : L’héritage de Deng Zihui et la réforme agricole post-maoïste
  • “Rachat en 20 ans” : Li Kangnian dans la controverse de 1957 sur la transformation socialiste de l’industrie et du commerce privés
  • Li Kangnian: personnalité et parcours professionnel
  • Un fabricant qui a débuté par la promotion des produits chinois
  • Stratégie de “se battre pour les intérêts de la bourgeoisie”
  • La proposition de Li Kangnian: motivation, contenu et diffusion
  • Rachat en vingt ans
  • Le « rachat sur 20 ans » et les intérêts légitimes de la bourgeoisie
  • Intérêt fixe et identité capitaliste
  • Conclusion : Esprit contractuel vs paternalisme autoritaire
  • Deuxième partie LUTTES ET PURGES
  • L’Affaire Pan Hannian et les luttes politiques au sommet du PCC (1953–1955)
  • Un jeune littéraire communiste à Shanghai
  • Un émissaire polyvalent entre Ruijin, Moscou et Shaanbei
  • Le déploiement du front uni pendant la Guerre sino-japonaise
  • Espionnage et contre-espionnage
  • A l’apogée de la carrière
  • L’Affaire Gao-Rao et lutte politique au sommet
  • Pan victime de l’affaire Gao-Rao
  • En conclusion : Mao et la réglementation de la vie interne du Parti
  • Les origines du « statut politique »: Clans familiaux et factions en haut lieu du PCC pendant la Révolution culturelle, 1966–1976
  • Mao Zedong- Jiang Qingle clan familial et ses personnels subalternes
  • Lin Biao-Ye Qun : clan familial et faction militaire
  • Résistance des factions en déclin
  • Les femmes soldats de la Nouvelle Quatrième Armée
  • « Enfants soldats » et « agents courriers »
  • Réseaux militaires de protection
  • Protection et surveillance des enfants de hauts fonctionnaires
  • Entrée dans l’armée par « la porte de derrière » (kai houmen)
  • Dirigeants supérieurs militaires vs faction pro-révolution culturelle
  • Conclusion : Une autorité de pater familias en déroute
  • Troisième partie HISTOIRE DE SHANGHAI ET DE SES HABITANTS
  • Shanghai dans l’expérience socialiste (1949–1978)
  • Installation du régime communiste et transformation de la société shanghaienne
  • Le nouveau pouvoir et ses assises
  • Restauration de l’ordre économique
  • Élimination de l’influence occidentale et répression contre-révolutionnaire
  • La transformation de la société
  • Les étapes du développement économique
  • De l’économie de marché à l’économie planifiée (1949–1957)
  • Le Grand Bond en avant et les années de réajustement (1958–1965)
  • Perturbations politiques et expansion industrielle dans les années 1966–1978
  • Les Shanghaïens : conditions de vie et environnement urbain
  • Évolution démographique
  • Territoire municipal et aménagement urbain
  • Construction de villes satellites
  • L’habitat shanghaien
  • Équipements et services publics
  • Épilogue
  • Socialisation des entreprises privées : le vécu des commerçants-artisans de nouilles et de sauces de soja à Shanghai dans les années 1950
  • Présentation des sources
  • Identité des commerçants-artisans de nouilles-céréales et de sauces de soja
  • Vivre la socialisation du commerce de céréales et d’oléagineux
  • La représentation du petit commerce
  • Le statut capitaliste
  • Vision politique des petits commerçants
  • Comparer le capitalisme et le socialisme
  • Faire écho aux opinions des droitistes
  • Controverses sur la politique des relations internationales
  • Conclusion : Émotions des petits commerçants et dynamique chinoise
  • Histoire d’une Shanghaienne : mes souvenirs de la Révolution culturelle
  • Famille et école
  • Dans la tempête de l’été 1966
  • Mon emprisonnement
  • Le désarroi et la fuite en avant
  • La rééducation rurale en Mandchourie
  • Le Mouvement d’Épuration
  • La rééducation rurale dans la province du Zhejiang
  • Le sort des jeunes instruits
  • Retour à la vie normale
  • En conclusion : Pouvoir du parti et modèle de Xi Jinping
  • Modèle léniniste du PCC et praxis de Mao Zedong
  • Réforme du parti inachevée de Deng Xiaoping
  • La vie du parti sous les mandats de Jiang Zemin-Hu Jintao
  • Le tournant de Xi Jinping
  • Une lutte qui se veut grandiose et historique au service de la puissance chinoise

REMERCIEMENTS

Pour la préparation de cet ouvrage, outre les personnes mentionnées au début de divers chapitres, je tiens à exprimer ma profonde gratitude aux deux évaluateurs anonymes Des Éditions Peter Lang : leurs éclairantes remarques et propositions m’ont inspiré d’importantes révisions sur le fond comme sur la forme. Je remercie sincèrement l’équipe éditoriale de Peter Lang, en particulier, le responsable éditorial M. Thierry Waser pour son accueil chaleureux de mon projet initial, et Mme Zippora Madhukar pour avoir supervisé avec soin la production de cet ouvrage. Je suis extrêmement reconnaissante à mes professeurs Marie-Claire Bergère, Lucien Bianco et Alain Roux pour leurs infaillibles soutien et encouragement à mon projet de livre. Je remercie également les documentalistes du CECMC-EHESS, Monique Abud et Wang Ju, le bibliothécaire de la BULAC Yu Min, et le jeune collègue et historien chinois de l’Université Normale de Shanghai Jiang Jie, pour m’avoir rendu d’innombrables services au fil du temps dans ma recherche de la documentation. Avec une grande disponibilité et générosité, mon collègue professeur d’histoire à l’Université d’Aix-Marseille Christian Henriot a résolu pour moi le problème de l’hébergement des archives privées sur la plateforme de la Bibliothèque numérique asiatique (BNA). Qu’il en soit vivement remercié. Enfin, une reconnaissance particulière est réservée à Lucien Bianco qui a assuré, avec minutie et soin, une relecture intégrale du manuscrit ; à Yves Chevrier qui a rédigé la préface avec une remarquable mise en perspective et a prodigué de précieux conseils sur la mise en forme du manuscrit ; et à Mme Catherine Duffau qui a effectué remarquablement l’ensemble de la relecture du français. Je n’oublie pas mon laboratoire — Institut Français de Recherche sur l’Asie de l’Est (IFRAE/UMR 8043) qui a participé au financement de cet ouvrage. Ma profonde gratitude s’adresse à toute l’équipe, et en particulier, à Madame la directrice Estelle Bauer pour sa gestion bienveillante et vigoureuse, à Catherine Capdeville, Guibourg Delamotte, Chloé Froissart, Laurent Galy, Alexandre Roy et David Serfass pour l’intérêt dont ils ont témoigné envers mes travaux de recherche.

PREFACE

Les échelles du politique

S’il fallait résumer le parcours d’histoire dont le travail aboutit au beau livre que nous ouvrons, ce serait celui d’une historienne du social en rapport avec le politique. Je ne vais pas présenter l’historienne, échappée au chaos de la Révolution culturelle, venue en France (1983), étudiante de Rolande Trempé, auteure d’une première thèse sur Jaurès et les mouvements de grève (1990), d’une seconde, dirigée par Marie-Claire Bergère, sur la réforme de l’éducation et les notables du Jiangsu au début du XXe siècle (1997). A la fin du chapitre autobiographique qui couronne le recueil, nous apprenons que celle qui fut titulaire de la chaire d’histoire de Chine à l’INALCO (2006–2019) est une shanghaienne d’adoption et de cœur, dont la jeunesse dut cependant se dérouler loin de la métropole – et des études – à cause de la folie maoïste. Avec pudeur et franchise, cet essai d’égo-histoire dévoile plus que l’expérience d’une « gamine » devenue Garde rouge dans la fureur de 1966, avant d’être exilée à la campagne avec des millions d’autres « jeunes instruits ». On sait que ce grand exode fut voulu par Mao afin de reprendre en main les troupes qu’il avait déchaînées, et dans l’intention – typiquement démesurée – de susciter des « successeurs révolutionnaires » en leur faisant vivre une « vraie » révolution. Ce témoignage enrichit singulièrement notre connaissance d’un phénomène à la rencontre du politique, du social – et de la mémoire, dont l’histoire est l’un des chantiers majeurs de l’exploration de la Chine maoïste.1

Rencontre ! Celle de Xiaohong Xiao avec la France et l’histoire sociale aura été une autre expérience dépaysante, mais infiniment plus paisible – et également semée d’épreuves, en commençant par la nécessité de se donner le moyen de consulter les sources de sa première thèse dans une langue qui n’était pas la sienne. Admirons la litote : outre le français, la « langue » en question est le langage de l’histoire. En une phrase (l’une des dernières du chapitre autobiographique), nous sommes mis devant le fait fondateur : avoir pris part à un vaste mouvement « révolutionnaire » ne fait pas de vous une historienne du social.

Si l’on avait piloté le parcours d’apprentissage à partir de Sirius, en optimisant le rapport de l’expérience vécue et de la connaissance apprise, eût-on fait mieux ? A la fin de notre XXe siècle français, il était difficile de mieux apprendre la grande tradition de l’histoire sociale qu’auprès de Rolande Trempé. C’était une manière de revisiter de l’intérieur les mobilisations, d’en saisir les ressorts sociaux et l’implication politique sans succomber à l’injonction d’un pouvoir surplombant. Quand le moment vint de revenir à la Chine, même réussite auprès de Marie-Claire Bergère… et des notables du Jiangsu, acteurs des « Nouvelles Politiques » de la fin des Qing et de la révolution de 1911–19122. Devenue maîtresse de sa discipline, notre historienne s’éloignait doublement de l’injonction maoïste : en s’intéressant au haut de la société plutôt qu’à la base « populaire », et en étudiant cette élite – promise à la destruction – au travers non d’une mobilisation « préparant » la révolution maoïste, mais d’un mouvement d’institution fondant la démocratie. C’était redonner sa vraie dimension à l’histoire du politique moderne en Chine, avant le temps du 4 Mai 1919 et de sa démocratie d’action désinstitutionnalisée, celle dont se réclament Mao et nombre d’autres, communistes et non communistes, en y voyant l’origine de la démocratie… et en occultant la « première expérience démocratique en Chine ».3

L’historien doit souligner que le grand criminel que fut le Grand Timonier n’est pour rien dans cette occultation. Les institutions démocratiques cèdent la place bien avant qu’il ne soit en mesure de l’occuper. Le drame de la politique moderne, très vite fragmentée et militarisée avant de tomber sous la coupe des systèmes d’action nationaliste et maoïste, se joue dans son rapport à elle-même, au travers de l’impuissance des élites à former une société politique capable d’enraciner les institutions démocratiques dans un pays éclaté. Au lieu d’explorer les voies de la territorialisation et de la militarisation du politique qui portent Mao au pouvoir, comme l’ont fait les chercheurs dont les travaux ont révolutionné notre approche de la révolution maoïste, notre historienne observe le revers. En lisant son histoire des constitutions et du constitutionnalisme4, nous redécouvrons un continent oublié.

À l’époque des Seigneurs de la guerre et sous la dictature du Guomindang, un État continue d’exister, des institutions sont en débat. Derrière elles, et derrière les mouvements sociaux et les courants d’opinion repérables – et repérés – dans la métropole shanghaienne, sont désormais étudiés des sociétés locales plus actives et moins dépolitisées qu’on ne l’imaginait, des réseaux unissant action publique et sociabilités, des ramifications reliant villes et campagnes, des idées circulant loin de Shanghai: toute une écologie différenciée du politique, non sans rapport avec la situation étudiée au Jiangsu avant 1914, sans laquelle on ne peut comprendre et l’implantation rurale (différenciée) du PCC maoïsé, et son emprise (également différenciée) sur les sociétés urbaines à la veille de 1949.

L’histoire « décentrée » de l’État allant à la rencontre d’une histoire également « décentrée » du social est l’une des avancées majeures de la recherche sur l’époque républicaine.5 Dans cette perspective, le livre que l’on va lire est essentiel à deux titres. Notre historienne apporte sa contribution au chantier en quittant les rivages impériaux et républicains pour ceux de la Chine maoïste. D’autre part, son ouvrage relève le défi inhérent à ce genre d’approche. S’agissant de la Chine républicaine, observer la construction politique de l’État et du social en explorant la trame locale au plus près de celle du social, c’est interpréter une époque marquée par l’effondrement des élites « centrales » et des institutions : comme elle y invite. Ni oubliée, ni surestimée, la construction étatique est vue non pas « en dépit » mais « au travers » de la désintégration ambiante (comme le suggèrent Xavier Paulès et David Serfass). Le défi consiste toutefois à ne pas négliger l’autre échelle du politique, en se bornant à comprendre la construction à partir de la « base » sociale où elle est observée. La double approche s’impose d’autant plus après 1949 que la domination et le rapport entre le politique et le social changent radicalement. L’État cesse d’être déconstruit – même si le propre du maoïsme est de le désétatiser en favorisant les processus de mobilisation décentralisés. Le social est « massifié » tout en étant émietté. Sans supprimer l’État « en haut », l’activisme à la base est justement ce qui le loge au plus près du social-local, pour ne pas dire en lui. Il s’agit donc d’étudier et le social et l’État non « en dépit » mais « au travers » du système d’action maoïste, en haut comme en bas.

Ce livre est à mes yeux solide et neuf parce qu’il assemble des textes opérant sur les interfaces aux deux échelles. Il serait un recueil parmi d’autres de textes glanés au fil de recherches riches en publications s’il ne tenait sa force de cette autre rencontre dans la Chine de la « transition socialiste » et du Grand Bond, jusqu’à la Révolution culturelle dont il est question à travers l’expérience de la « gamine » devenue la grande historienne qui nous offre ce voyage inédit et passionnant.

*

L’objet véritable des enquêtes qui convergent ici n’est pas tant la société « discordante » sous le pouvoir maoïste, et la « gouvernance » soumise à de rudes aléas par un tyran manœuvrier, qu’une domination dont les ressorts complexes sont exposés au grand jour. Du même coup, bien des idées a priori tombent. En quête du social dominé, notre guide dévoile la scène shanghaienne loin des dirigeants politiques et des appareils, loin des grands entrepreneurs et des banquiers – loin des ouvriers également – autrement dit loin des « terres » labourées par Marie-Claire Bergère, Alain Roux et (s’agissant du temps et du lendemain de la décollectivisation) par Jean-Louis Rocca et Dorothy Solinger.6 Et loin d’elle-même. L’enquêteuse ne suit pas ici les pas d’un social intriqué avec le pouvoir nationaliste et séduit par le projet communiste (tel qu’il est édulcoré grâce au leurre du Front uni), comme elle l’a fait en se penchant sur la Shanghai Civic Association des années trente, et sur la carrière, les idées, le milieu social, les réseaux de Huang Yanpei… et ses multiples contacts entre cliques du GMD, groupes démocratiques et communistes sous-marins.7

La cible n’est plus « l’interpénétration entre appareils et groupes sociaux » dans une société ouverte, rendant possibles des stratégies politiques.8 Nous sommes près de la « rue » sociale-politique explorée par David Strand ou Laurent Galy9 (je ne cite pas d’autres travaux qui viennent à l’esprit) – mais dans un autre monde : à la base du régime maoïste, loin du fantasme d’un « social » pur de politique et d’État, résistant à partir d’une autonomie en réalité introuvable dans un système de domination conçu afin que la société urbaine (comme la société rurale) soit segmentée, enserrée et pénétrée par l’action non moins que par les systèmes d’encadrement et le régime policier. Comment les manifestations dont les traces écrites permettent de documenter des univers de pensée et d’émotion éloignés du dogme sont-elles possibles ? Parce que le régime en construction n’impose pas du jour au lendemain son monde unidimensionnel, et parce que Mao instaure une domination qui est elle-même ambivalente et sait inviter et récupérer le dissensus et l’ambivalence de la part de ceux qu’elle domine.

Bien des passages consacrés aux petits et moyens entrepreneurs confrontés à la collectivisation-spoliation du milieu des années 1950 (chapitre II), aux états d’âme des patrons du secteurs des céréales-nouilles et des sauces de soja (chapitre VI), ou à la société shanghaienne (chapitre V), dialoguent d’une manière instructive avec l’analyse de la domination « bifide » présentée tout récemment par Jean-François Bayart dans L’énergie de l’État.10 Les résonances se pressent au niveau du vécu et des émotions, mais sont également sensibles dans les formulations politisées permises au cours des moments d’« expression » que l’État maoïste met au compte de sa redoutable « énergie ».

Les chapitres sur la « base » nous informent sur lui non moins que sur le « vécu », (dont il est question au chapitre VI, à partir du livre collectif dirigé par Jeremy Brown et Matthew D. Johnson11), car il est à la base, lui aussi, et fait partie de la vie individuelle et sociale. Les exemples d’expressions pointues laissent deviner la prévalence des processus et des profils d’interface, inhérents au système maoïste tout autant qu’au social qu’il envahit, contrôle, domine, transforme, reproduit – et violente.

C’est pourquoi, toute à son projet de varier les échelles, Xiaohong Xiao ouvre sa démonstration à l’opposé du « vécu » et de la « base », en dirigeant la focale sur un « haut cadre », auquel son opposition à Mao en matière de stratégie agricole vaut d’être agrandi à la dimension d’un chapitre entier – le premier de l’ouvrage, qui plus est. Mais le privilège ainsi accordé à Deng Zihui ne rend pas hommage à un opposant. Comment, au reste, s’opposer dans un régime où il n’y a pas d’opposition (remarque de notre guide) ? L’agrandissement de l’image révèle un trait des plus significatifs. Non seulement l’opposition n’est pas constante, mais Mao change de position, rallie celles de l’empêcheur de tourner en rond (au début de 1959, quand le Grand Bond tourne à la catastrophe), comme s’il était en quête d’avis contraires : afin de couvrir une retraite ? Parce que ce serait son « style de travail » ? Du moins, l’un de ses styles. Quand le Timonier choisit la confrontation avec ses opposants (après que le défi de Peng Dehuai le conduit à durcir le Bond, et nonobstant la famine), Deng Zihui passe à la trappe. Et avec lui les formules de compromis avec les paysans (tels que les « contrats familiaux ») qui doivent attendre deux décennies avant de sous-tendre la décollectivisation des campagnes. Cette autre remarque résume en un mot le ressort historique-politique-social de la décollectivisation à venir.12

Mariant « gouvernance » et « discorde », le style maoïste (au complet) repose sur les luttes et le contrôle de luttes tant au centre/sommet de l’appareil qu’à la base et localement. J’y vois, pour ma part, une stratégie délibérée, forgée de longue date, plutôt qu’une adaptation aux circonstances – mais parfaitement apte à faire face à toutes les circonstances d’un exercice du pouvoir agencé comme une guerre perpétuelle : un art du politique confondu avec une stratégie d’hégémonie tous azimuts rendant la révolution « ininterrompue » au travers d’alliances et de guerres (politiques) diverses, aux prétextes et aux fronts variés. Autrement dit : une lutte pour l’hégémonie dont le paradoxe est d’être livrée par le tyran d’un État total, et qui a pour unique ressort d’être sans cesse mobile, au point qu’à la fin la haute politique se confond avec une vulgaire lutte de factions13.

Résumé des informations

Pages
292
Année
2023
ISBN (PDF)
9782875748188
ISBN (ePUB)
9782875748195
ISBN (Broché)
9782875748171
DOI
10.3726/b20812
Langue
français
Date de parution
2023 (Juillet)
Mots clés
l’autoritarisme maoïste Gouvernance et discordances Chine d’après 1949
Published
Bruxelles, Berlin, Bern, New York, Oxford, Warszawa, Wien, 2023. 292 p., 12 ill. n/b.

Notes biographiques

Xiaohong Xiao-Planes (Éditeur de volume)

Xiaohong Xiao-Planes a été Professeur d’histoire contemporaine à l’Institut National des Langue et Civilisation Orientales. Elle est affiliée à l’Institut Français de Recherche sur l’Asie de l’Est et membre associé du Centre de recherche sur la Chine moderne et contemporaine de l’EHESS.

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