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Quelques pierres à la construction européenne

Mémoires de Michel Carpentier

de Michel Carpentier (Auteur) Alain Servantie (Auteur)
©2023 Monographies 324 Pages

Résumé

Dans ce petit ouvrage, Michel Carpentier (1930-2022) raconte ses trentesix ans de vie dans les institutions européennes et sa contribution de visionnaire au lancement de plusieurs politiques. Michel Carpentier a intégré la Commission d’EURATOM le 14 juillet 1959 à Bruxelles, où il fut désigné responsable du service des achats et des marchés. En 1967, lors de la fusion des Commissions, il a rejoint la Direction Générale des
Affaires Industrielles, Technologiques et Scientifiques (DG III) où, en 1971, à l’initiative d’Altiero Spinelli, alors commissaire responsable de l’Industrie, il rédigea la première communication de la Commission Européenne sur l’environnement, « une donnée indissociable de l’organisation et de la promotion du progrès humain ». Le Service de l’environnement et de la protection des consommateurs qu’il a dirigé jusqu’en 1981 a préparé soixante directives visant à la prévention et diminution des pollutions de l’eau, de l’air et du bruit, récupération des déchets, protection du milieu naturel, notamment de la faune sauvage, la protection des mers et des fleuves, etc.

Table des matières

  • Couverture
  • Titre
  • Copyright
  • À propos de l’auteur
  • À propos du livre
  • Pour référencer cet eBook
  • Sommaire
  • ETIENNE DAVIGNON
  • INTRODUCTION
  • Chapitre 1. QUELQUES LIGNES D’HISTOIRE PERSONNELLE
  • 1.1 Enfance, Ecoles
  • 1.2 Etudes universitaires, service militaire
  • 1.3 Première expérience professionnelle : le Commissariat à l’Énergie Atomique (1957–1958)
  • Chapitre 2. Premiers pas dans la construction européenne : l’avortement d’une politique nucléaire européenne à EURATOM (1959–1967)
  • Chapitre 3. VERS UNE POLITIQUE EUROPÉENNE DE L’ENVIRONNEMENT ET DE LA PROTECTION DES CONSOMMATEURS (1967–1981)
  • 3.1 À la nouvelle Commission CEE : Direction Générale des Affaires Industrielles (1967–1971)
  • 3.2 Vers la gestation d’une politique de l’environnement : Altiero Spinelli (1971–72)
  • Sicco Mansholt et sa lettre à Franco-Maria Malfatti (Février 1972)
  • Sommet de Paris et Conférence de Bonn, Octobre 1972
  • 3.3 Le Service de l’Environnement et de la Protection des consommateurs (1973–81) : contribution à la mise en place d’une politique européenne de l’environnement
  • Les débuts de la politique de l’environnement
  • La méthode, la démarche et les bases juridiques de la politique de l’environnement
  • Soutien variable des Etats membres
  • 3.4 Premier programme d’action (Juillet 1973)
  • i) Pollution de l’eau
  • ii) Pollution de l’air
  • iii) Substances et préparations dangereuses : contrôle des produits chimiques
  • iv) Déchets
  • v) Nuisances
  • vi) Protection des espèces en danger
  • 3.5 Deuxième programme d’action (1977)
  • 3.6 Fondation Européenne pour l’amélioration des conditions de vie et de travail
  • 3.7 Dimension internationale
  • i) Nations-Unies
  • ii) Protection des mers
  • iii) Fleuves internationaux : Commission internationale pour la protection du Rhin contre la pollution, Danube
  • iv) OCDE
  • 3.8 Conclusions
  • 3.9 La protection des consommateurs
  • 3.10 1981 : L’environnement ne fait plus fureur
  • Chapitre 4. L’énergie, Embryon D’une Coopération Avec Les Pays Émergents (1981–1984)
  • 4.1 L’ouverture de la Chine aux nouvelles technologies
  • L’énergie en Amérique Latine
  • Chapitre 5. La Révolution Des Télécommunications Et De La Société De L’information (1983–1995)
  • 5.1 La révolution de la société de l’information
  • 5.2 Une politique globale pour maintenir l’Europe en tête de la société de la connaissance.
  • 5.2.1 La Recherche dans les TIC : le programme ESPRIT
  • La poursuite de la recherche en aval
  • 5.2.2 La Monétique (les cartes bancaires)
  • 5.3 Du marché de l’information- DG XIII- Luxembourg à la DG XIII transardennaise
  • 5.4 Les germes d’une politique européenne des télécommunications
  • 5.4.1 1983–1987 : premiers pas vers une politique intégrée
  • 5.4.2 Le Livre Vert de 1987
  • 5.4.3 1987–1992 : La mise en place d’une législation de libéralisation du marché des télécommunications
  • Le marché des terminaux.
  • 5.4.4 1992–1996 Mise en œuvre des directives
  • 5.5 Télévision Haute Définition
  • 5.6 Vers une société de l’information
  • 5.6.1 Sécurité de l’information
  • 5.6.2 Applications transeuropéennes des échanges de données aux administrations
  • Le programme TEDIS : soutien au développement du commerce électronique
  • Le programme INSIS : Système interinstitutionnel d’information à intégration de services.
  • La visioconférence
  • Les questions parlementaires.
  • Le programme CADDIA: “Cooperation in Automation of Data and Documentation for Imports/Exports and the management and financial control of the Agricultural markets.”
  • Le programme IDA de la Commission européenne : Echange télématique de données entre administrations dans la Communauté.
  • 5.7 Les relations internationales
  • Syntonie avec les USA
  • Organisation Mondiale du Commerce
  • Les pays d’Europe de l’Est
  • La Chine
  • Japon
  • Inde
  • Méditerranée
  • Conclusions
  • 5.8 Regard rétrospectif sur l’absence de politique industrielle européenne
  • Chapitre 6. LA VIE A BRUXELLES
  • 6.1 Le travail
  • 6.2 La vie de famille
  • Chapitre 7. L’EUROPE APRES LA COMMISSION
  • 7.1. Conseil Économique et Social français
  • Rapport sur la politique spatiale de la France dans un contexte européen
  • 7.2. La Santé sur le Net
  • 7.3. Pénétration des Technologies de l’Information dans les régions
  • 7.4. Moncaret
  • 7.5. IDATE
  • Conclusions générales
  • Honneurs
  • Annexe 1.  Conférence de Mansholt à Stockholm
  • Annexe 2.  Jean-Marie Pelt, Le jardin de mon père
  • Annexe 3.  Expérience d’Alain Servantie Assistant de M. Carpentier (1987-1995)
  • Annexe 4.  Appréciations d’anciens collègues et collaborateurs
  • Annexe 5.  Sigles/ Acronymes
  • Index des noms de lieux et de personnes

ETIENNE DAVIGNON

MINISTRE D’ETAT

Le 16 février 2022

Nous nous sommes rencontrés avec Michel Carpentier à l’occasion d’une réunion des industriels actifs dans l’Union Européenne dans les technologies d’informations.

Il m’a fait comprendre qu’il ne s’agissait pas simplement d’une nouvelle ligne de produits mais d’un changement structurel intégrant une donnée nouvelle, l’Internet.

Cela allait poser un défi industriel et normatif pour l’Union Européenne.

Nous avons alors choisi de procéder par la création d’un programme nouveau « Esprit ».

Le développement qui s'ensuivit conduira à la création d’une structure permanente au sein des services de la Commission.

La D. G. 13 était née et il en devint logiquement le premier Directeur Général.

J’ai eu beaucoup de chance de le rencontrer et il a servi l’Europe de manière éclatante.

Etienne Davignon

INTRODUCTION1

J’ai participé 37 ans à la construction de la Communauté Européenne de 1959 jusqu’en 1995.

Revenant sur le passé, j’ai eu le bonheur et pourquoi ne pas le dire la fierté d’avoir lancé et contribué au développement de plusieurs politiques nouvelles, en y consacrant toute mon énergie, à savoir celles de l’environnement, de la protection des consommateurs, des télécommunications et de la Société de l’information. Ces politiques sont aujourd’hui inscrites dans les Traités constitutifs de l’Union Européenne. Pourtant, elles avaient peu de chances d’exister dans les années 1970 compte tenu de leurs objectifs ambitieux, de la faiblesse voire de l’inexistence des moyens juridiques disponibles dans les Traités en vigueur à l’époque et du faible nombre de « fonctionnaires » qui y ont été affectés. Ce fut pourtant le cas grâce à la vision de quelques commissaires – Mansholt, Spinelli et Davignon-, grâce au travail constant d’une poignée de fonctionnaires européens, et aussi, je peux me permettre de le dire, grâce à mon opiniâtreté, née de difficultés rencontrées dans ma vie personnelle avant mon arrivée à Bruxelles en 1958.

Lancer une politique européenne relevait d’un nombre aléatoire d’éléments liés aux divers intérêts des États-membres, incapables de résoudre seuls les difficultés auxquelles ils étaient confrontés alors que seul le commerce des produits était libéralisé.

À Davos, les rencontres annuelles du Forum de Management Économique, créé par le professeur suisse Klaus Schwab, et parrainé par la Commission Européenne, ou dans le cadre européen, m’ont permis d’engager un dialogue ouvert, essentiel pour faire avancer les choses avec des industriels et des politiciens aussi divers que Jacques Stern, Yannis Averoff, Andreas Papandreou, Craig McCaw. Klaus Schwab, impressionné par le Défi américain de Servan-Schreiber, pensait que les rencontres informelles entre leaders du secteur privé et responsables gouvernementaux faciliteraient les relations entre les puissants du monde. Ces rencontres donnèrent naissance au Transatlantic Business Dialogue promu par les commissaires Leon Brittan et Martin Bangemann.

Ce succès, on le doit non seulement à mes efforts acharnés, à mon désir permanent d’innover, d’être «avant les autres» dans de nouveaux domaines souvent à la limite des compétences communautaires mais également à la «vision» d’hommes politiques de grande valeur, à la force de conviction et au travail constant de quelques fonctionnaires européens et nationaux ainsi qu’à des concours de circonstances favorables, et à la prise de conscience progressive de la nécessité d’actions communes pour régler des problèmes communs ou identiques.


1 Mes remerciements à tous ceux qui ont contribué à la rédaction de ce texte : Michel Audoux, Giangaleazzo Cairoli, Pierre Defraigne, Giulio Grata, † Roland Hüber, Hans-Peter Gebhardt, Ludwig Krämer, George Metakides, Émile Peeters, Claude, Pleinevaux, Andrea Ricci, Gérald Santucci,

Chapitre 1.
QUELQUES LIGNES D’HISTOIRE PERSONNELLE

1.1 Enfance, Ecoles

Je suis né dans la douleur un 23 octobre 1930, à la convergence des signes de la balance et du scorpion, dans une commune du pays minier, Billy-Montigny, Pas-de-Calais, près de Lens2. C’était le pays de mon grand-père, Victor Carpentier, qui à la limite du front en 1915–17, avait beaucoup souffert (les Allemands avaient inondé les mines). Je l’ai traversé à pied, pour visiter des membres éloignés de la famille au début de la guerre de 1939–45, de Harnes à Fouquières-lès-Lens, et à Hénin-Liétard3, trois autres communes minières proches de Lens (devenu célèbre par son équipe de foot) et de Courrières, malheureusement connue pour une catastrophe minière dramatique.

Mon père, Georges Carpentier, né en 1906, fils de Victor et de Carmen Lhomme, y exerçait le métier d’ébéniste et ma mère, Renée Bacquet, originaire d’Ecourt-Saint Quentin, près de Douai, celui de couturière – elle cousait des caleçons. Elle était fille d’Alphonse, un policier. Au moment de la crise de 1930, mon père s’est retrouvé sans travail. Jeune marié, il ne bénéficiait d’aucune des aides sociales connues aujourd’hui. Il fut invité par ses parents, avec sa femme, alors enceinte, à les rejoindre à Billy-Montigny, où mon grand-père Victor occupait un poste, je pense assez élevé dans l’administration des Houillères du Pas-de-Calais. Victor portait élégant, cheveux blancs bouclés, moustache fine, chemise blanche au col en celluloïd, mallette en cuir marron à fermeture de cuivre ; il avait invité mon père et lui avait offert un poste de contremaître dans les mines, un porion comme on disait ; mon père refusa.

A Harnes, dans le Pas-de-Calais, mon grand-père Victor vivait dans une belle maison ; le salon était meublé de pièces en palissandre – un piano noir, et une boîte à musique qui faisait mes délices et m’a appris sans doute les premiers rudiments de musique d’opéra – de la Traviata au Barbier de Séville. Mon arrière- grand-père, Oscar, avait été mélomane, ma grand-mère avait été prénommée Carmen, en l’honneur du célèbre opéra de Bizet. Une grande porte, face à un couvent, ouvrait sur un long couloir, qui donnait sur une courette où poussaient quelques arbres, et une véranda où nous prenions notre petit déjeuner habituel, café au lait – le café était torréfié à la maison- et pain au beurre salé – vendu par morceaux d’une livre joliment décorés de dessins de fleurs. Un chien, Nounouche, y jappait avec force. Ma grand-mère Carmen, que mon père aimait beaucoup, fut atteinte d’un cancer, qui obligea ma mère à se rendre de longs mois à un hôpital, pour la soigner sous la férule d’un beau-père exigeant, rude et obligeant ses enfants à respecter une discipline de vie étouffante. Ma mère a conservé de très mauvais souvenirs de cette époque. Après le décès de mes grands-parents, le piano et la boîte à musique ont été vendus aux enchères sur le trottoir, devant leur maison, mon père et son frère ne s’étant pas entendu sur un partage. Ma grande distraction de l’époque était de collectionner dans une boîte rouge allongée des morceaux de faïence et de porcelaine que je ramassais au hasard de mes promenades dans les rues ou dans les voyettes, les sentiers en arrière des rues du village d’Harnes jusqu’au logement du père de ma marraine, que j’appelais « Pépé mon oncle », ancien tonnelier à la retraite, veuf de la sœur de ma grand-mère, décédée de tuberculose. Nous y allions de temps en temps, revoir la famille. Pépé vivait près de son poêle, et me demandait d’aller chercher la bière à la cave, une grande cave : « Va chercher une choppe » .il cultivait haricots et autres légumes, des groseilles à maquereaux dans son jardinet.

Alphonse Bacquet, mon grand-père maternel, était un policier à bicyclette, une hirondelle comme on disait ; tôt veuf de ma grand-mère Philomène, il s’était marié en deuxième noces à une concierge parisienne, Émilienne ; ils habitaient près du Parc des Princes, où je les visitais lors des matchs de football ; ils avaient eu une fille, Yvonne Bacquet, amie d’artistes parisiens, couturière pour riches.

Déjà enfant, j’ai découvert la mer sur la longue plage de Petit Fort Philippe, près de Dunkerque, sur la mer du Nord.

Quittant le nord, mes parents sont venus s’installer à Paris, où mon père y suivit des cours de comptabilité et est devenu expert-comptable. Ma mère renonça à son métier de cousette, et accomplit avec le sérieux et l’âpreté au travail et à la vie qui la caractérisait les tâches ménagères et d’épouse telles qu’on les concevait à l’époque. Mes parents étaient pauvres mais courageux et m’ont inscrit, pour suivre les études primaires à Paris à l’Ecole Saint Louis, école confessionnelle, donc payante, située place Jules Joffrin dans le 18ème arrondissement. Nous habitions dans un petit appartement sur la cour au cinquième étage (sans ascenseur) du 82 Boulevard Barbès, ce que ma mère considérait comme une déchéance. Dans l’immeuble logeait également ma marraine, Céline Dupont, mariée à Henri Sauvage4, une deuxième mère pour moi. Henri et Céline Sauvage avaient monté un petit cabinet de comptabilité, où mon père serait de nombreuses années employé. On lui fit payer la reconnaissance de l’octroi d’un emploi un prix très élevé en termes de temps et d’atteintes aux libertés. A l’étage supérieur, Mme Cambus, une cousine éloignée, m’a permis de jouer au piano. Un de ses frères, Marc, était soldat au Maroc, l’autre, Robert, Saint-Cyrien, dont j’admirais le képi, est tombé le dernier jour de la guerre de 1939–45. Marc Cambus a reçu un poignard lors de la Libération, pour avoir participé à la Résistance.

A un retour de voyage, les militants du Front Populaire lorgnaient curieusement mon pull-over tricoté par ma mère, où le bleu foncé dominait, entremêlé de fils blancs et rouges, rappelant le drapeau français à ces porteurs de drapeau rouge.

Ma marraine, Céline, cousine germaine de maman, m’adorait. Jolie femme, coquette, ayant fait des études d’institutrice, dotée d’un brevet élémentaire très prisé à l’époque, elle était restée sans enfant. Elle s’était mariée à Henri Sauvage, grand buveur devant l’éternel qui m’emmenait le dimanche matin faire le tour des bistrots du quartier, m’offrant des grenadines quand il prenait des apéritifs en abondance ; elle le trompait dans la discrétion la plus absolue. J’ai passé avec elle et chez elle des moments délicieux. J’adorais me blottir dans ses bras, et me faire gratter le crâne; elle m’offrait quelques larmes d’apéritif, dans des moments d’amour, d’affection que je n’ai jamais ressentis avec ma mère, qui m’aimait certes beaucoup, mais dont la nervosité et la crainte de la vie qui l’habitaient en permanence ne trouvaient que peu d’antidotes de la part de mon père accaparé par un travail nouveau pour lui, peu rémunéré, toujours précaire. Mon père ne rentrait jamais dîner avant dix heures du soir.

Mon père avait un frère, André-Georges Carpentier, qui exerçait la profession de balancier. Il fabriquait des balances sophistiquées, pour lesquelles il déposa plusieurs brevets. Il avait trois enfants. Sa famille habitait rue du Poteau, dans le 18e à Paris.

En 1936–37, mes parents me placèrent, pour faire des études primaires, dans une école religieuse, Saint-Louis, située rue Clignancourt, plus sévère et beaucoup mieux fréquentée que l’école communale. J’y appris à lire et à écrire en un mois.

Les bonnes relations que mon père entretenait avec certains de ses clients, la plupart des commerçants des Halles de Paris, l’ont amené à quitter son travail et à s’établir comme comptable agréé indépendant avec Georges Sauvage, le frère d’Henri. Ses relations nous ont permis, l’été 1937, de nous rendre à Saint-Flour, dans le Cantal, à pêcher des écrevisses.

L’été 1939, nous sommes allés passer des vacances en location à Luc-sur-Mer, une des futures plages du débarquement des troupes américaines en Normandie. Mon père y reçut son ordre de mobilisation comme simple soldat de deuxième classe. Nous l’avons accompagné à la gare ; nous ne savions pas où il allait. Nous avons appris ensuite qu’il avait été affecté à Saint-Dizier, où il était appelé à servir de secrétaire au commandement de la place. Puis, quand les troupes allemandes ont envahi le pays, il a suivi la débandade de l’armée française jusqu’à Capendu dans l’Aude, où il a été, après l’armistice, démobilisé.

Devant la progression des troupes allemandes, ma marraine Céline Dupont nous a amenés, ma mère et moi, en train via Niort et Fontenay-le Comte jusqu’à Maillezais5, en Vendée, dans le marais poitevin, où nous fumes hébergés par un ancien juge de paix, M. Micou, que son mari, Henri Sauvage, avait connu pendant la guerre de 1914–18. M. Micou nous accueillit sans beaucoup d’enthousiasme ; il nous laissa dormir d’abord dans un lit à baldaquin, puis nous logea dans une demeure attenante entourée d’une grande cour où se trouvaient sur un côté des toilettes doubles. Il laissa également ma mère jardiner sur des terres assez éloignées, près d’une grande croix située à un carrefour, la croix hosannière. Le maire de la commune faisait proclamer des avis à la population par un garde-champêtre coiffé d’un bicorne, qui roulait du tambour avant de s’adresser au public pour annoncer les nouvelles de la région. Tout le monde venait l’écouter.

La foire aux bestiaux qui se tenait sur la grande place, près de l’église, attirait les foules.

Dans ce village « en zone occupée », je suis allé à l’école communale primaire dirigée par les époux Teillaud. Madame s’occupait des plus petits et des filles ; et Monsieur s’occupait des garçons, de six à quatorze-quinze ans. Les plus âgés passaient les épreuves du « brevet élémentaire ». M. Teillaud, héritier de la guerre des Chouans, était très nettement anticlérical, mais ne critiquait pas ma fréquentation aux leçons de catéchisme, ni à la messe ni aux très ennuyeuses vêpres du dimanche après-midi. Ces offices religieux étaient souvent donnés par des pères missionnaires. J’appris aussi à suivre les cours donnés aux garçons de mon âge en utilisant des ardoises. Celles-ci avaient plusieurs avantages : elles servaient à répondre aux questions posées par l’instituteur sur un tableau noir, et à être échangées avec celles d’élèves voisins pour être corrigées par eux – l’instituteur les notait ensuite. Les cours commençaient assez tôt le matin. Certains élèves devaient se lever très tôt pour venir à pied à l’école située à plusieurs kilomètres de chez eux. Il faisait frais. Les cours commençaient par une leçon d’éducation civique, consistant à écouter l’instituteur commenter une citation écrite sur le tableau par un élève choisi pour ses bons résultats. Les cours duraient environ vingt minutes. Intéressé par les cours d’histoire, de géographie et d’arithmétique qui m’étaient ainsi donnés, je fus assez rapidement classé parmi les « bons élèves », et, joie suprême, fus félicité par M. Teillaud devant mon père venu en permission à Maillezais. L’enseignement et la rigueur morale de Monsieur Teillaud, un homme qui avait foi dans son métier laïc, m’ont marqué à vie.

Nous effectuions des promenades dans le marais poitevin en barque à la pigouille, barque plate manœuvrée au moyen d’une grande perche, avec le fils du garagiste ; nous péchions tanches et goujons à la mouche, tant et si bien que je suis tombé à l’eau, ressorti couvert de lentilles d’eau.

J’eus assez vite un copain en la personne de Jacques Arnaud, fils du garagiste Alfred Arnaud, qui le battait à coups de ceinture. Jacques avait deux sœurs, dont l’aînée s’appelait Colette. Mme Arnaud et ma mère devinrent amies ; elles firent souvent la cuisine ensemble, utilisant les légumes cultivés par ma mère. C’est ainsi que je bus pour la première fois de la soupe à la boudine, une spécialité vendéenne de soupe aux choux et au sang de cochon, après avoir assisté à l’abattage d’un cochon aux hurlements stridents à quelques mètres de moi.

Résumé des informations

Pages
324
Année
2023
ISBN (PDF)
9782875748447
ISBN (ePUB)
9782875748454
ISBN (Broché)
9782875748430
DOI
10.3726/b20712
Langue
français
Date de parution
2023 (Juin)
Mots clés
Environmental policies Protection Europe
Published
Bruxelles, Berlin, Bern, New York, Oxford, Warszawa, Wien, 2023. 324 p., 9 ill. en couleurs, 18 ill. n/b.

Notes biographiques

Michel Carpentier (Auteur) Alain Servantie (Auteur)

En 1982, Michel Carpentier, à la demande du Vice-Président Davignon, a pris la direction de la Task Force des Technologies de l’Information, et de la Communication, chargée des programmes européens dans le domaine des technologies avancées, conduisant à une politique révolutionnaire en matière de télécommunications, permettant leur libéralisation et interconnexion au plan européen, et la promotion de la société de l’information. Après sa retraite, en 1995, M. Carpentier a continué ses activités notamment avec la région Aquitaine, où il s’était installé.

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