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Au-delà du Sonderweg

L’historiographie allemande entre l’historisme et les sciences sociales (1949-1989)

de Benjamin Pinhas (Auteur)
Thèses 442 Pages
Série: Convergences, Volume 108

Résumé

Ce livre analyse l’évolution de l’historiographie de la République fédérale d’Allemagne et, plus particulièrement, l’affi rmation de la nouvelle histoire sociale à la lumière du rapport complexe que les historiens ouest-allemands ont entretenu avec l’historisme et la tradition historique allemande. L’auteur s’efforce de montrer dans quelle mesure les réorientations méthodologiques sont allées de pair avec l’émergence de nouvelles interprétations de l’histoire nationale, et notamment du Sonderweg allemand. L’ouvrage porte également une attention particulière au problème de la continuité de l’historiographie allemande entre la République de Weimar et la République fédérale d’Allemagne.

Table des matières

  • Couverture
  • Titre
  • Copyright
  • À propos de l’auteur
  • À propos du livre
  • Pour référencer cet eBook
  • TABLE DES MATIÈRES
  • INTRODUCTION
  • Critique de l’historisme et renouvellement de l’historiographie allemande entre la fin de la République de Weimar et la République fédérale d’Allemagne
  • Premier chapitre La rupture avec l’historisme et l’émergence d’une histoire sociale de la politique allemande chez Eckart Kehr et Hans Rosenberg
  • 1.1.1. La reconnaissance tardive de l’œuvre de Hans Rosenberg en République fédérale d’Allemagne
  • 1.1.2. Histoire des idées politiques et histoire critique du libéralisme allemand dans l’œuvre de jeunesse de Hans Rosenberg
  • Le parcours universitaire de Hans Rosenberg jusqu’à l’exil
  • Les recherches sur Rudolf Haym
  • La réflexion sur l’échec du libéralisme en Allemagne
  • 1.1.3. Le tournant de l’histoire économique et sociale
  • Les premiers travaux d’histoire économique de Hans Rosenberg
  • De nouveaux horizons scientifiques
  • 1.1.4. Eckart Kehr
  • La réédition des essais d’Eckart Kehr par Hans-Ulrich Wehler en 1965
  • L’interprétation de l’impérialisme allemand et de la politique wilhelminienne dans l’œuvre d’Eckart Kehr
  • La proximité des interprétations d’Eckart Kehr et de Hans Rosenberg
  • La critique de l’historisme chez Eckart Kehr et Hans-Ulrich Wehler
  • Deuxième chapitre Après 1945 : la difficile réintégration de l’œuvre de Hans Rosenberg dans l’historiographie de la République fédérale d’Allemagne
  • 1.2.1. Hans Rosenberg et l’Université libre de Berlin
  • L’échec d’une réintégration précoce au sein de l’université de Cologne
  • L’enseignement de Hans Rosenberg à l’Université libre de Berlin
  • Les étudiants de Hans Rosenberg à l’Université libre de Berlin
  • Remarques sur la coopération entre l’histoire et les sciences politiques à l’Université libre de Berlin et sur l’influence intellectuelle du politologue Ernst Fraenkel
  • 1.2.2. Réintégration réussie d’un historien exilé ou résistance à l’introduction d’une historiographie critique ? Les historiens allemands face à l’œuvre de Hans Rosenberg
  • La réinterprétation de l’histoire prussienne
  • Le regard de Hans Rosenberg sur l’histoire structurelle et sur les historiens allemands de sa génération
  • 1.2.3. Hans Rosenberg et la nouvelle histoire sociale : entre reconnaissance et distance critique
  • La réinterprétation de la fondation de l’Empire allemand par Hans Rosenberg et son influence sur l’historiographie ouest-allemande
  • L’influence de ‘Grosse Depression und Bismarckzeit’ sur l’interprétation de la politique bismarckienne par Hans-Ulrich Wehler
  • Hans Rosenberg face à la science sociale historique
  • Une rupture avec l’historisme ? La genèse de la nouvelle histoire sociale en République fédérale d’Allemagne
  • Premier chapitre La contribution de l’histoire structurelle à la réorientation de l’historiographie allemande
  • 2.1.1. Reconfiguration de l’historisme ou histoire structurelle ? L’œuvre de Theodor Schieder dans le contexte de l’historiographie de la République fédérale d’Allemagne
  • Le problème de l’historisme dans l’historiographie allemande au lendemain de la Seconde Guerre mondiale à travers les exemples de Ludwig Dehio et de Gerhard Ritter
  • Le rapport de Theodor Schieder à l’historisme et au libéralisme
  • Points communs et différences entre les analyses de Theodor Schieder et de Hans Rosenberg
  • L’influence de Theodor Schieder sur l’évolution de l’historiographie de la République fédérale d’Allemagne
  • 2.1.2. Singularités allemandes et perspective européenne : la réflexion sur le problème de la nation dans l’œuvre de Theodor Schieder
  • La persistance des modèles d’interprétation de l’historisme dans la réflexion de Theodor Schieder sur le problème de la nation
  • Remarques sur le rapport de Werner Conze à l’histoire nationale et au problème de la nation
  • 2.1.3. Werner Conze et le Cercle de travail sur l’histoire sociale moderne
  • Le projet d’une « histoire structurelle de l’âge technique et industriel »
  • L’histoire structurelle et l’histoire des concepts
  • Les recherches sur le monde moderne et la modernisation
  • Deuxième chapitre De la rupture revendiquée avec l’historisme à l’émergence de la science sociale historique
  • 2.2.1. La genèse du concept d’histoire de la société
  • L’analyse critique de l’État bismarckien et de l’impérialisme
  • Les fondements théoriques de l’histoire de la société
  • 2.2.2. La confrontation entre la science sociale historique et l’histoire du quotidien
  • Le défi de la nouvelle histoire culturelle : la science sociale historique face à la remise en question de l’interprétation critique du Sonderweg allemand
  • Premier chapitre Du marxisme à l’histoire culturelle : l’émergence des Cultural Studies dans les sciences sociales britanniques
  • 3.1.1. Une difficile légitimation théorique. L’histoire culturelle face aux sciences sociales et au structuralisme
  • Le problème de la culture chez Edward P. Thompson et Raymond Williams
  • Le rapport d’Edward P. Thompson aux sciences sociales
  • 3.1.2. La critique de l’histoire sociale et les origines du tournant linguistique
  • Stuart Hall et le Centre d’études culturelles contemporaines de Birmingham
  • La critique de l’histoire sociale dans l’historiographie britannique à la fin des années 1970
  • Deuxième chapitre Le débat sur le Sonderweg allemand
  • 3.2.1. La critique de la nouvelle histoire sociale par Geoff Eley
  • La réinterprétation de la vie politique de l’Empire allemand
  • La critique de la conception de la modernisation des historiens ouest-allemands
  • L’analyse de la protestation sociale et le problème de l’espace public
  • 3.2.2. Une révolution bourgeoise silencieuse ? Les recherches sur l’histoire culturelle de la bourgeoisie
  • L’analyse de la société bourgeoise par David Blackbourn
  • La réception des thèses de David Blackbourn et Geoff Eley par les historiens ouest-allemands
  • Les nouvelles recherches sur la bourgeoisie entreprises à partir des années 1980
  • CONCLUSION
  • 1. Au-delà du Sonderweg ?
  • 2. Perspectives historiographiques
  • BIBLIOGRAPHIE
  • INDEX

INTRODUCTION

La relation complexe entre l’histoire savante et la mémoire collective, entre la recherche universitaire et les usages politiques des références historiques est, depuis plusieurs décennies, au centre du débat public des sociétés occidentales. Cette tendance ne cesse de s’accentuer étant donné que le récit national sur lequel se fonde la compréhension que chaque État-nation a de soi-même a été profondément ébranlé par l’apparition de nouveaux courants idéologiques qui ont brutalement remis en question la pertinence d’un récit historique occidental qui aurait, selon ses adversaires, longtemps passé sous silence le coût humain du processus de modernisation. En France comme dans le monde anglo-saxon, l’essor des études coloniales et leur usage dans le débat public ont radicalement transformé le discours sur l’histoire nationale.

Si l’Allemagne fédérale partage de nombreux traits communs avec les autres sociétés occidentales, elle conserve, dans ce domaine, certains aspects originaux. En effet, les controverses sur l’histoire nationale ont accompagné le développement de la République fédérale qui fut, dès sa création, contrainte de se situer politiquement et historiquement contre le Troisième Reich et le national-socialisme. Au cours des décennies qui suivirent la fondation de la République fédérale, les intellectuels prenant part au débat public – et non les seuls historiens – n’ont cessé de s’affronter sur la place que le national-socialisme et le Troisième Reich occupaient au sein de l’histoire allemande : l’avènement du régime nazi devait-il être imputé à des causes conjoncturelles (crise économique, chômage de masse, paralysie institutionnelle de la République de Weimar) ou à des causes plus profondes au rang desquelles figurait en premier lieu la soumission présumée de la bourgeoisie à l’autoritarisme bismarckien et à la monarchie militaire prussienne ? Les termes de ce débat avaient été en réalité déjà posés à l’époque de la République de Weimar qui vit s’affronter des conceptions antagonistes de l’histoire allemande. Les historiens nationaux-conservateurs, très majoritaires, célébraient la monarchie prussienne ainsi que les institutions léguées par Bismarck et dénigraient la démocratie parlementaire qu’ils considéraient comme une forme institutionnelle étrangère à l’histoire allemande-prussienne. Face à ce courant majoritaire se trouvaient des historiens d’orientation démocrate-libérale ou sociale-démocrate qui interprétaient la crise institutionnelle que traversait la République de Weimar et l’ascension du Parti national-socialiste comme les signes d’une hostilité persistante de la classe dirigeante allemande à l’égard de la démocratie et d’une prédilection pour l’autoritarisme dont ils situaient l’origine dans les échecs politiques répétés de la bourgeoisie allemande au cours du XIXème siècle.

L’une des originalités du débat allemand sur l’histoire contemporaine réside dans le fait que celui-ci est indissociable d’une réflexion sur la science historique et sur le rôle que celle-ci a joué dans l’émergence de la conscience nationale moderne. À l’époque de la République de Weimar, les historiens nationaux-conservateurs célébraient la « voie allemande » qui avait trouvé son accomplissement, après l’échec de la révolution de 1848/49, dans la monarchie constitutionnelle et la consécration du « principe monarchique ». À l’inverse, les historiens démocrates jetaient un regard très critique sur la tradition historique allemande telle qu’elle s’était développée au cours du XIXème siècle depuis Leopold von Ranke. À leurs yeux, l’historisme avait contribué, par son insistance sur le principe d’individualité, à éloigner le monde intellectuel germanique des idéaux des Lumières et de l’universalisme démocratique. À partir de Treitschke, l’historisme aurait été l’expression idéologique du ralliement de la bourgeoisie allemande à la politique autoritaire de Bismarck. Le débat historiographique de la République fédérale reconfigura les termes du problème : les thuriféraires nationaux-conservateurs de la « voie allemande » et de la mission historique de la Prusse s’effacèrent progressivement au profit des historiens progressistes qui critiquèrent sévèrement le Sonderweg de l’histoire allemande, c’est-à-dire l’ensemble des événements politiques, des structures institutionnelles et des discours idéologiques qui étaient, selon eux, responsables de la marginalisation politique des courants démocratiques, du discrédit du parlementarisme et de l’ascension d’un nationalisme antidémocratique érigé en idéologie d’intégration. En instruisant le procès de la tradition historique allemande et de l’historisme avec lesquels ils déclaraient vouloir rompre, les partisans de « l’histoire sociale critique » s’inscrivaient dans la continuité des historiens démocrates de l’époque de la République de Weimar qui avaient déjà mis en évidence les aspects problématiques de l’historisme.

On se propose de mettre en valeur les étapes qui ont présidé à la reconfiguration du discours sur l’histoire nationale allemande et sur la science historique après 1945 en nous interrogeant constamment sur les lignes de continuité qui relient l’historiographie de la République fédérale à celle de l’époque de Weimar ainsi que sur les ruptures qui l’en séparent. Pour cela, nous partirons de l’étude de figures qui nous paraissent centrales pour la compréhension de l’historiographie allemande au XXème siècle : ainsi, la première partie est consacrée aux pionniers de l’histoire sociale, et plus particulièrement à Hans Rosenberg. Cet historien peu connu du public francophone eut un parcours intellectuel original qui le conduisit de l’histoire politique du libéralisme allemand à l’histoire sociale de l’élite dirigeante prussienne. L’originalité de ses analyses et la radicalité de ses jugements lui valurent, à partir des années 1960, l’admiration de nombreux jeunes historiens allemands qui célébrèrent en lui le pionnier d’une histoire sociale critique définitivement affranchie des cadres d’interprétation traditionnels de l’historisme. La volumineuse correspondance conservée dans le fonds Rosenberg des Archives fédérales à Coblence témoigne de l’attrait indéniable que l’œuvre de l’historien contraint à l’exil exerça sur les historiens allemands de l’après-guerre. La nouvelle histoire sociale s’est souvent réclamée de l’héritage valorisant des historiens démocrates de l’époque de la République de Weimar. Cependant, il convient de ne pas négliger le rôle déterminant que jouèrent Theodor Schieder et Werner Conze. C’est pourquoi la seconde partie de l’ouvrage sera consacrée à l’analyse de leurs positions. Au milieu des années 1970, l’histoire sociale critique était parvenue à s’imposer comme le courant dominant au sein de l’historiographie allemande. La création de nouvelles collections spécialement consacrées à l’histoire sociale au sein de maisons d’édition prestigieuses et la fondation de nouvelles institutions universitaires contribuèrent à l’essor de la « science sociale historique ». Cependant, dès la fin des années 1970, la position dominante occupée par l’histoire sociale fut contestée par les partisans de nouvelles orientations historiographiques. Les fondements idéologiques sur lesquels reposait la nouvelle histoire sociale furent violemment remis en question, comme on s’efforcera de le montrer dans la troisième partie. Les controverses se cristallisèrent sur le rôle que jouait la critique du Sonderweg de l’histoire allemande dans le discours des représentants de l’histoire sociale. Seules les recherches empiriques et comparatives sur la bourgeoisie allemande dans le contexte européen, qui furent entreprises à partir des années 1980, permirent d’apaiser les tensions qui s’étaient manifestées lors des controverses au cours desquelles s’étaient affrontées des conceptions antagonistes du processus de modernisation et de la société industrielle.

Premier chapitre La rupture avec l’historisme et l’émergence d’une histoire sociale de la politique allemande chez Eckart Kehr et Hans Rosenberg

1.1.1. La reconnaissance tardive de l’œuvre de Hans Rosenberg en République fédérale d’Allemagne

Le 2 novembre 1977 se déroula à l’université de Bielefeld la cérémonie au cours de laquelle fut décerné à l’historien Hans Rosenberg, qui s’était, après un exil de plus de quatre décennies aux États-Unis, de nouveau installé en Allemagne de l’Ouest, le titre de docteur honoris causa1. Plus de quarante ans après que les autorités académiques de l’université de Cologne, en application de la loi de restauration de la fonction publique2, eurent retiré au jeune Hans Rosenberg, alors âgé de 29 ans, la venia legendi, c’est-à-dire l’autorisation d’enseigner, le monde universitaire allemand rendait hommage à l’historien et tentait, par cette manifestation officielle, de réparer l’humiliation et le long exil que lui avait imposés le régime nazi3. Entre ces deux événements, à savoir l’acte discriminatoire à cause duquel le jeune Privatdozent fut contraint à l’exil, et la cérémonie officielle par laquelle l’historien était enfin reconnu et honoré pour la contribution qu’il avait apportée à la réorientation démocratique de l’historiographie allemande, s’étaient donc écoulées quatre décennies au terme desquelles Rosenberg s’était imposé, en dépit des difficultés de l’exil, non seulement comme le principal représentant d’une histoire sociale et économique qui se détournait résolument de l’historisme, mais également comme l’un des interlocuteurs les plus écoutés par la génération des jeunes historiens qui avaient commencé leur carrière académique dans les années 1960. Que l’université de Bielefeld ait choisi d’honorer Rosenberg n’est donc pas fortuit : celui-ci avait noué des liens intellectuels et personnels avec Hans-Ulrich Wehler avec qui il entretenait une correspondance régulière depuis le début des années 1960. Wehler, qui avait obtenu une chaire d’histoire contemporaine à l’université de Bielefeld en 1971, joua un rôle décisif dans la réintégration intellectuelle de l’œuvre de Rosenberg dans le paysage de l’historiographie institutionnelle de la République fédérale : il œuvra sans relâche afin que les travaux de l’historien exilé fussent publiés dans des éditions de référence4, il coordonna la parution d’un ouvrage de mélanges en l’honneur de celui-ci5 et fit en sorte que le titre de docteur honoris causa lui fût décerné. En outre, la remise de cette distinction honorifique intervient dans une période où la nouvelle histoire sociale jouit d’une conjoncture favorable. La parution, en 1973, de la monographie de Wehler sur l’Empire allemand6, que celui-ci a conçue comme le manifeste de la nouvelle historiographie critique, lui a assuré une notoriété grâce à laquelle les conceptions qu’il défend se trouvent désormais placées au centre du débat intellectuel ouest-allemand. Après plusieurs années difficiles et insatisfaisantes, Wehler dispose d’une chaire à l’université récemment créée de Bielefeld en Rhénanie-du-Nord-Westphalie : la stabilité professionnelle et académique qu’il a ainsi acquise lui permet de consolider l’assise institutionnelle de la nouvelle histoire sociale et d’intégrer à son projet de réforme de l’historiographie un nombre croissant de collaborateurs. Le doctorat honoris causa décerné à Rosenberg permet ainsi au principal porte-parole de cette génération d’historiens de s’acquitter de sa dette envers celui qui se présente lui-même comme le modèle de l’historien démocrate dont les interprétations critiques ont permis de remettre en question les affirmations de l’historiographie nationale traditionnelle. Rosenberg se définit ainsi comme un historien « germano-américain, libéral-démocrate » et « non marxiste »7 que les circonstances dramatiques de la fin de la République de Weimar marquée par la désintégration du libéralisme politique et par la violence de la crise économique ont conduit à repenser l’histoire allemande à la lumière de nouvelles méthodes de recherche8. En témoin de la désintégration des institutions démocratiques, le jeune Rosenberg rechercha les origines des handicaps structurels qui pesaient sur la République de Weimar et qui en avaient d’emblée menacé l’existence. Or, selon lui, la tradition de l’historisme ne disposait ni de la distance critique par rapport à l’État-nation bismarckien ni des instruments méthodologiques nécessaires pour mener à bien une telle entreprise. Rosenberg formule ainsi de manière synthétique le programme historiographique qui a inspiré le tournant critique que prit la jeune génération des historiens allemands, emmenée par des figures comme Hans-Ulrich Wehler, Jürgen Kocka ou Gerhard A. Ritter, à partir du milieu de la décennie 1960 : ce programme consiste à faire de l’histoire un instrument critique qui substitue à l’histoire politique traditionnelle, perçue comme conservatrice, voire apologétique, l’étude des structures de pouvoir et des rapports de domination sociale qui empêchèrent la démocratisation de la société allemande et pérennisèrent des formes d’organisation sociale jugées autoritaires et préindustrielles. Rosenberg lie de manière étroite l’histoire sociale à l’élucidation des causes du Sonderweg allemand, ce qui permet de mieux comprendre pourquoi Hans-Ulrich Wehler crédita, parfois avec une certaine emphase, l’histoire sociale d’un potentiel critique, voire d’une capacité émancipatrice. L’hommage rendu à Hans Rosenberg intervient au moment où la nouvelle histoire sociale se situe encore dans une phase d’affirmation méthodologique et idéologique et dans une période d’ascension institutionnelle dans le monde universitaire allemand. Cette nouvelle génération d’historiens reconnaît en Rosenberg son modèle. Dans l’éloge qu’il prononce à l’occasion de la cérémonie du 2 novembre 1977, Wehler formule les raisons pour lesquelles il considère l’historien germano-américain comme le pionnier de la nouvelle historiographie critique. Il lui reconnaît ainsi plusieurs mérites : le premier consiste à avoir réformé, à l’époque de la République de Weimar, la pratique de l’histoire des idées en l’élargissant à l’analyse de milieux collectifs alors qu’elle était jusqu’à présent limitée au cadre individuel que lui imposait l’historisme de Friedrich Meinecke9 ; le second est d’avoir introduit dans la recherche historique allemande du début des années 1930 une dimension nouvelle : l’étude des cycles économiques considérés comme des facteurs déterminants de l’histoire moderne et contemporaine10. Enfin, l’œuvre de Rosenberg n’aurait pas exercé une influence aussi considérable sur les historiens ouest-allemands si elle n’avait pas recherché les causes profondes du Sonderweg allemand dans les singularités de la structure sociale de la classe dirigeante prussienne11. Dans ce domaine, Rosenberg pouvait revendiquer une originalité à laquelle nul autre n’était en mesure de prétendre. Car si d’autres que lui ont, après 1945, opposé à la célébration du Sonderweg allemand-prussien une présentation négative du rôle de la Prusse dans l’histoire allemande, cette critique restait le plus souvent formulée dans le cadre de l’histoire politique traditionnelle : il s’agissait de manifester une prise de distance par rapport à l’État-puissance12 bismarckien. Or, l’examen critique auquel Rosenberg soumet l’histoire prussienne ne se borne pas à la condamnation de l’État-puissance bismarckien : les nombreuses études qu’il a consacrées à l’histoire de l’élite dirigeante prussienne et de la classe des grands propriétaires terriens de l’est de l’Elbe couvrent l’ensemble de l’histoire de l’État prussien de la fin du Moyen Âge jusqu’à l’époque contemporaine. Cette perspective centrée sur la mise en évidence de la continuité des structures sociales sur lesquelles reposait l’État prussien a certainement contribué à renforcer l’attrait que l’œuvre de Rosenberg a exercé sur les historiens ouest-allemands : le démontage de la légende frédéricienne et l’analyse critique des structures sociales de la Prusse sont mis au service d’une démonstration implacable au terme de laquelle la classe dirigeante prussienne et l’aristocratie terrienne de l’est de l’Elbe sont désignées comme les principaux obstacles à la démocratisation de la société allemande jusqu’en 1945. La radicalité critique du diagnostic de Rosenberg repose donc sur une démarche singulière dans le champ historiographique de l’après-guerre. Dans un contexte de spécialisation disciplinaire croissante, il compte parmi les rares historiens dont les recherches excèdent les délimitations chronologiques qui séparent l’histoire contemporaine de l’histoire moderne et l’histoire de l’époque moderne de l’histoire médiévale. Le caractère exceptionnellement large du cadre chronologique et la diversité des champs de recherche (allant de l’histoire intellectuelle et politique du libéralisme jusqu’à l’étude de la structure économique de la propriété terrienne et à l’analyse des conséquences sur la vie politique des variations de la conjoncture économique) couverts par l’œuvre de Rosenberg ont été célébrés par Wehler et d’autres historiens comme des caractéristiques remarquables qui faisaient défaut à l’historiographie institutionnelle ouest-allemande.

1.1.2. Histoire des idées politiques et histoire critique du libéralisme allemand dans l’œuvre de jeunesse de Hans Rosenberg

Le parcours universitaire de Hans Rosenberg jusqu’à l’exil

Né à Hanovre le 26 février 1904 d’un père juif, Julius Rosenberg, et d’une mère protestante, Martha Guthmann, Hans Rosenberg fut élevé à Cologne dans la religion protestante13. Dans les brèves indications biographiques qu’il ajoute à la fin de la publication partielle de sa thèse de doctorat consacrée à la jeunesse de Rudolf Haym, il déclare être de confession protestante14. Rosenberg ressentit les mesures de persécution et de discrimination antisémites dont il fut victime comme une injustice d’autant plus incompréhensible qu’il ne se considérait pas comme juif. Au cours de son exil, il continua de se présenter comme protestant pour éviter les réactions d’hostilité à l’égard des émigrants juifs qui avaient cours dans la société américaine, comme en témoigne une lettre à l’historien américain William L. Langer (1896-1977) dans laquelle il évoque les difficultés qu’il rencontre pour émigrer aux États-Unis15. Né à Hanovre, Rosenberg fit ses études secondaires à Cologne qui s’achevèrent en 1922. Il poursuivit ses études supérieures dans les universités de Cologne, Fribourg-en-Brisgau et Berlin. Entre l’année 1927 au cours de laquelle il soutint sa thèse de doctorat à l’université de Berlin et l’année 1935, date à laquelle parut la grande bibliographie critique de la littérature politique de la période 1858–186616, Rosenberg élargit considérablement le champ de ses recherches. En effet, ses recherches sur les origines intellectuelles du libéralisme allemand et sur la circulation des idées politiques pendant le Vormärz le conduisirent à prendre ses distances avec l’histoire des idées. Cette prise de distance méthodologique s’accompagna d’une accentuation de sa critique politique du libéralisme et de l’historisme qui lui permit de formuler, dans le contexte de la désintégration de la République de Weimar, une première tentative d’explication du Sonderweg allemand. L’accentuation de cette perspective s’explique en partie par le fait que l’habilitation de Rosenberg fut supervisée par l’historien démocrate Johannes Ziekursch (1876-1945), professeur à l’université de Cologne. C’est donc à la faculté de philosophie de l’université de Cologne que Rosenberg obtint son habilitation à la fin de l’année 1932. Sa thèse d’habilitation porte, davantage que son doctorat de 1927, l’empreinte d’un esprit démocratique qui voit dans les concessions excessives du libéralisme allemand à l’égard des autorités politiques traditionnelles et, en premier lieu, à l’égard du principe monarchique l’origine d’une évolution politique que Rosenberg juge désastreuse pour l’Allemagne. À peine le jeune historien avait-il été nommé Privatdozent à l’université de Cologne17 que la prise de pouvoir nazie et l’adoption de la loi de restauration de la fonction publique et les discriminations raciales que celle-ci comportait le privèrent de toute perspective professionnelle en Allemagne18. Comme il le rappelle en 1974 à Hans-Ulrich Wehler, il ne fut pas autorisé à enseigner pendant le semestre d’été 193319, ce qui précipita son départ vers l’Angleterre. Dès le mois d’avril 1933, Rosenberg écrivait à l’historien américain Eugene N. Anderson (1900-1984) que sa situation professionnelle en Allemagne était sans espoir et qu’il avait l’intention d’émigrer aux États-Unis où séjournait le juriste autrichien Josef Redlich (1869-1936) avec qui il était parvenu à entrer en contact20. Bien qu’il ne fût plus autorisé à exercer une activité professionnelle au sein du système universitaire allemand, Rosenberg bénéficia cependant d’un traitement mensuel qui lui permit de survivre dans les premiers mois de son exil en Angleterre. Les recherches qu’il menait depuis plusieurs années grâce à l’appui financier de la Commission historique du Reich21 dirigée par Meinecke sur la littérature politique de la période allant de 1858 à 1866 aboutirent à la publication en 1935 de la grande bibliographie en deux volumes. Grâce au soutien décisif de Meinecke qui intervint en sa faveur auprès des autorités ministérielles22, le jeune historien fut autorisé à mener à bien son travail de recherche et continua de percevoir le traitement que lui versait la Commission historique du Reich23. En plus de la bibliographie critique à laquelle il travaillait avec le soutien de Meinecke, Rosenberg acheva simultanément son premier ouvrage d’histoire économique consacré à la crise mondiale des années 1857–1859. La publication de celui-ci était prévue pour le début de l’année 1934 chez la maison d’édition Kohlhammer.

Les recherches sur Rudolf Haym

Les circonstances dramatiques dans lesquelles Rosenberg entreprit sa carrière universitaire n’ont pas entravé la diversification de ses recherches historiques. En 1935, huit ans après la soutenance de sa thèse de doctorat à Berlin, son œuvre d’historien comprenait déjà trois ouvrages consacrés à Rudolf Haym24, une monographie d’histoire économique, plusieurs articles sur le Vormärz et sur le libéralisme allemand ainsi que la grande bibliographie critique de la littérature politique des années 1860. La question du libéralisme constitue le point de départ de ses recherches historiques. La figure de l’intellectuel et homme politique prussien Rudolf Haym (1821-1901), dont l’action politique et l’œuvre d’historien se situent au point de rencontre entre le libéralisme et l’historisme, suscita l’intérêt de Meinecke. Rosenberg s’était présenté à Meinecke avec l’intention de consacrer sa thèse de doctorat à Wilhelm Dilthey : c’est le professeur berlinois qui attira l’attention de son étudiant sur Rudolf Haym25. Celui-ci est l’auteur d’études biographiques sur Hegel, Herder et Wilhelm von Humboldt26 : son approche consistant à explorer le développement intellectuel d’un penseur en le mettant en relation avec le contexte politique et culturel de son époque anticipe, par bien des aspects, la conception de l’histoire des idées que défend Friedrich Meinecke. Rosenberg s’intéresse principalement à l’évolution des conceptions politiques de Haym. C’est plus particulièrement le problème des origines intellectuelles du libéralisme allemand qui est au centre de ses premiers travaux. Dans les recherches qu’il consacre à Haym et plus généralement aux courants politiques et philosophiques du Vormärz, il étudie l’articulation entre le rationalisme théologique hérité des Lumières du XVIIIème siècle et la réception de l’idéalisme hégélien. C’est la tension entre ces deux éléments qui structure son analyse de l’histoire du libéralisme allemand de la première moitié du XIXème siècle et qu’il souhaite illustrer à travers l’exemple du parcours intellectuel de Rudolf Haym. Les développements les plus importants de la version publiée de sa thèse de doctorat sont consacrés à l’étude du rationalisme théologique des Lumières et à l’influence que celui-ci exerça sur la genèse du libéralisme en Allemagne du nord. Rosenberg associe étroitement l’étude de l’histoire des idées politiques à celle des courants religieux. Selon lui, le libéralisme et le conservatisme sont incompatibles parce qu’ils reposent sur des postulats politico-religieux radicalement opposés : tandis que le libéralisme trouve son origine dans le rationalisme théologique qui place au premier plan la notion de personnalité, le conservatisme est issu d’une pensée religieuse, en l’occurrence l’orthodoxie luthérienne et le piétisme, dans laquelle l’idée de salut et de rédemption occupe une place centrale27. Si la thèse de doctorat de Rosenberg ne s’écarte pas encore de l’historisme de Meinecke, les articles sur le milieu intellectuel de l’université de Halle qu’il publie dans le sillage de sa thèse témoignent déjà de sa volonté d’élargir le champ d’analyse de l’histoire des idées. En effet, cette conception « collective » de l’histoire des idées ne s’intéresse pas tant au développement intellectuel d’un penseur particulier qu’aux mécanismes par lesquels certains corpus d’idées parviennent à se diffuser au sein de la bourgeoisie cultivée et à se constituer en idéologies de masse. Dans la préface de 1972, l’historien présente ses études d’histoire des idées publiées dans la seconde moitié de la décennie 1920 comme des travaux qui portent sur les « transformations structurelles de l’opinion publique » au cours du Vormärz28. La référence de Rosenberg à l’ouvrage de Habermas ne relève pas de l’opportunisme éditorial : il reformule, dans le langage de la théorie sociale contemporaine, le déplacement de l’histoire des idées politiques vers l’étude du cadre social et institutionnel dans lequel émergèrent les idéologies de masse. L’intérêt de Rosenberg pour la transformation des doctrines politiques en idéologies capables de mobiliser de larges pans de l’opinion publique se manifeste dans le lexique qu’il emploie : il désigne ainsi par le terme de « libéralisme vulgaire »29 les variantes populaires du libéralisme et du rationalisme qui mobilisèrent des couches sociales plus larges que les seules élites intellectuelles et universitaires30. Il choisit donc d’écrire l’histoire des idées politiques à la lumière de leur diffusion et de leur réception dans la sphère publique et de leur capacité de mobilisation sociale : dans cette perspective, ce sont les revendications portées par le « libéralisme vulgaire » qui lui apparaissent comme celles qui structurèrent la vie politique et intellectuelle du Vormärz. C’est la version vulgarisée de la doctrine libérale qui permit à la bourgeoisie de se doter du cadre intellectuel dans lequel celle-ci pensa sa propre émancipation. La thèse centrale de Rosenberg consiste à affirmer que l’origine intellectuelle du libéralisme vulgarisé réside dans le rationalisme théologique des Lumières. Selon lui, l’idéologie libérale moderne est née de la volonté d’étendre à tous les domaines de la vie sociale et politique le droit à l’auto-détermination individuelle qui avait été initialement revendiqué dans le domaine religieux31. La popularité du libéralisme s’explique par le fait qu’il exprima simultanément l’aspiration à la liberté individuelle, héritée de la revendication des Lumières à la liberté de conscience, et l’aspiration au droit à la participation politique au sein de l’État32. L’historien fait une brève énumération des formes institutionnelles que revêtirent les revendications politiques du libéralisme vulgarisé dont le Staats-Lexikon de Karl von Rotteck et Karl Theodor Welcker fut en quelque sorte l’ouvrage de référence33 : monarchie constitutionnelle, séparation des pouvoirs, responsabilité ministérielle, système représentatif, garantie des droits civiques, participation de la représentation populaire à la législation et au vote de l’impôt, création d’une armée de citoyens reposant sur la conscription universelle. L’originalité de Rosenberg est donc de lier, dans son interprétation du libéralisme, l’étude approfondie de l’origine politico-religieuse de la pensée libérale à la prise en considération des revendications institutionnelles concrètes du mouvement libéral de la première moitié du XIXème siècle. Alors que Meinecke a principalement étudié le libéralisme sous l’angle de la contribution décisive que celui-ci apporta à l’affirmation de l’idée nationale dans l’Allemagne du XIXème siècle, Rosenberg se distingue de son professeur en mettant l’accent sur la dimension démocratique et sur les potentialités émancipatrices du libéralisme.

La réflexion sur l’échec du libéralisme en Allemagne

La thèse d’habilitation de Rosenberg fut également consacrée à Rudolf Haym ; en revanche, elle ne fut pas soutenue à Berlin, mais à l’université de Cologne sous la supervision de Johannes Ziekursch. Dans une lettre à Hans-Ulrich Wehler, l’historien germano-américain classe Ziekursch dans la catégorie des démocrates modérés en opposition aux convictions plus radicales, et situées plus à gauche, d’un historien comme Arthur Rosenberg (1889-1943)34. À Karl-Georg Faber qui rédigea un article sur Ziekursch35, Rosenberg donne des précisions sur les circonstances dans lesquelles il entra en contact avec celui-ci afin qu’il supervise son habilitation. Il souligne également la relation intellectuelle et amicale qu’il a entretenue avec lui36. Ziekursch avait été nommé professeur d’histoire moderne à l’université de Cologne en 192737, bien que la parution, deux ans auparavant, du premier volume de son histoire politique de l’Empire allemand eût suscité des critiques majoritairement hostiles parmi les historiens allemands. Né en 1876 à Breslau, il était originaire de Silésie, province prussienne à l’histoire de laquelle il consacra plusieurs études. En effet, son œuvre d’historien ne doit pas être réduite à l’histoire critique de l’Empire allemand et de la politique bismarckienne. Comme Faber le rappelle dans son article biographique, Ziekursch consacra de nombreuses études à l’histoire régionale de la Silésie : il étudia l’administration de cette province par l’État frédéricien38 et il analysa l’économie agricole de la Silésie prussienne39. L’orientation intellectuelle des recherches de Ziekursch anticipe, à de nombreux égards, l’œuvre de Rosenberg : la volonté de rompre avec une représentation apologétique de l’histoire prussienne ainsi qu’avec la légende frédéricienne a conduit les deux historiens à associer l’histoire des institutions et de la bureaucratie à l’étude du recrutement social de l’élite dirigeante prussienne. Tous deux estiment que la caste aristocratique des junkers constitua le principal obstacle à la libéralisation et à la parlementarisation de la monarchie prussienne ; c’est pourquoi l’étude de la composition sociale et des intérêts économiques de cette classe leur apparaît comme le meilleur moyen d’élucider les origines du Sonderweg allemand. L’histoire de l’administration de l’État frédéricien du XVIIIème siècle et celle de l’Empire bismarckien sont ainsi guidées, dans l’œuvre de Ziekursch, par la même interrogation : comment expliquer l’effondrement brutal de la monarchie prussienne en 1806 ? comment expliquer la désintégration du système bismarckien en 1918 ? Cette interrogation le conduit à emprunter la voie d’une histoire critique qui s’éloigne tout autant de la légende frédéricienne développée par l’historiographie nationaliste du XIXème siècle que de l’apologie conservatrice de l’État bismarckien destinée à jeter le discrédit sur les institutions démocratiques de la République de Weimar. Selon lui, la monarchie frédéricienne et le système bismarckien allaient à contre-courant de leur époque. L’État frédéricien, tel qu’il le décrit, se caractérise par le raidissement bureaucratique de son administration ainsi que par l’étroitesse de la base sociale d’une élite dirigeante essentiellement aristocratique. Cette organisation sociale et institutionnelle excluait la participation populaire40. Ziekursch pose un constat similaire sur l’Empire bismarckien. Dès l’introduction au premier volume de son histoire de l’Empire allemand, il insiste sur le caractère rétrograde de l’œuvre politique de Bismarck, s’opposant ainsi très clairement aux interprétations conservatrices qui voient en elle la consécration historique d’une conception de l’État singulière à l’Allemagne. Il affirme que la consolidation de la monarchie bureaucratique et militaire prussienne par la politique bismarckienne allait à l’encontre du grand mouvement démocratique issu des Lumières et de la Révolution française (dans lequel il inclut à la fois le libéralisme et le socialisme) qui s’était emparé des peuples européens41. Il impute la responsabilité du Sonderweg en premier lieu à la politique bismarckienne qu’il décrit comme l’expression d’une résistance de classe. Il interprète ainsi le conflit constitutionnel qui opposa, à partir de 1862, le Parti progressiste allemand42 à Bismarck comme l’affrontement entre deux classes sociales, à savoir la nouvelle bourgeoisie industrielle et l’aristocratie terrienne traditionnelle qui contrôlait la haute administration civile et militaire de l’État prussien. En partisan de la démocratie parlementaire, Ziekursch présente le libéralisme comme le mouvement politique grâce auquel la bourgeoisie prussienne s’affirma comme une classe sociale consciente de ses intérêts politiques et économiques. Étant donné que le libéralisme était l’instrument politique des intérêts de classe de la bourgeoisie, ce mouvement politique se trouva d’emblée dans l’impossibilité d’associer le prolétariat à son combat pour la transformation institutionnelle de l’État prussien en monarchie parlementaire. L’hostilité de Ziekursch à l’autoritarisme bismarckien et son parti pris en faveur du libéralisme et du parlementarisme ne l’amènent pas à donner une vision idéalisée du libéralisme qui en dissimulerait l’égoïsme social. Il rappelle que les libéraux étaient hostiles aux aspirations démocratiques des courants politiques plus radicaux et qu’ils s’opposèrent dans leur grande majorité à l’introduction du suffrage universel qu’ils considéraient avant tout comme une manœuvre bonapartiste destinée à les affaiblir. L’historien démontre ainsi que le libéralisme, en excluant les masses populaires de ses revendications politiques, se condamnait à n’être que l’expression d’une classe minoritaire.

La représentation critique que Ziekursch fait de l’Empire bismarckien et de ses origines a-t-elle influencé l’analyse que Rosenberg donne du libéralisme dans ses travaux publiés dans les dernières années de la République de Weimar ? La thèse d’habilitation publiée en 1933 témoigne indéniablement d’une évolution intellectuelle et d’un approfondissement de la confrontation du jeune historien au libéralisme ainsi qu’aux origines du Sonderweg allemand. Cependant, contrairement à Ziekursch qui insiste sur le déséquilibre du rapport des forces auquel était confronté le mouvement libéral en Prusse, la démarche de Rosenberg, qui relève encore de l’histoire des idées politiques, consiste à mettre en évidence les faiblesses intrinsèques de l’idéologie libérale en Allemagne. Il déplace son analyse du problème du « libéralisme vulgaire » et du rationalisme théologique vers l’étude de la relation problématique entre l’idéalisme et le réalisme dans la pensée politique de Rudolf Haym43. À travers l’étude de cet intellectuel et homme politique libéral, il veut mettre en évidence l’incapacité du libéralisme prussien à s’émanciper d’une conception idéaliste de la politique. Il entend ainsi prouver que les libéraux allemands ne disposaient pas de l’idéologie adéquate pour mener la politique de transformation institutionnelle à laquelle ceux-ci aspiraient. Dans ses articles de la fin de la décennie 1920, il mettait l’accent sur la continuité entre le rationalisme des Lumières et la persistance d’un libéralisme populaire et vulgarisé afin de valoriser une tradition intellectuelle démocratique négligée par les historiens conservateurs et nationalistes. Dans son habilitation soutenue dans le contexte de la désintégration finale des institutions de la République de Weimar en 1932, il s’interroge sur les causes de l’échec du libéralisme allemand lors de la révolution de 1848 : cela explique pourquoi il insiste davantage sur les contradictions idéologiques dans lesquelles se débattaient les intellectuels libéraux. Il analyse ainsi l’effort entrepris par Rudolf Haym avant la révolution de 1848 pour transformer l’idéalisme hégélien en une philosophie qui affirmerait la « priorité du réel »44. Cependant, il juge que la tentative de Haym pour fonder une philosophie de l’action en accord avec les exigences de son temps fut vaine. Selon lui, le libéralisme de la période prérévolutionnaire porté par la bourgeoisie cultivée reste prisonnier de l’idéalisme car il surestime la puissance des facteurs idéologiques et ignore les rapports de force politiques réels45. La critique de l’élitisme social de la bourgeoisie cultivée, qui n’apparaissait que de manière relativement marginale dans les travaux de la fin de la décennie 1920 alors qu’elle joue désormais un rôle central dans l’analyse des causes de l’échec de la révolution de 1848, apporte la preuve que Rosenberg a accentué, au cours des années qui séparent sa thèse de doctorat de son habilitation, l’orientation critique qu’il donne à son interprétation de l’histoire allemande. Il décrit la bourgeoisie cultivée comme une classe sociale soucieuse de conserver les conditions institutionnelles sur lesquelles reposait la conscience de sa supériorité culturelle. Cela explique pourquoi l’élite bourgeoise cultivée46 se rallia à l’État monarchique. Guidée par la crainte qu’une révolution sociale et démocratique ne détruise les distinctions sociales qui rendaient possible l’existence d’une élite culturelle dont elle était l’incarnation sociale, la bourgeoisie cultivée contribua de manière décisive à rompre la coalition politique qui aurait pu unir libéraux et démocrates dans l’opposition au despotisme de la Restauration47. « L’histoire collective des idées » permet ainsi à Rosenberg d’élargir l’étude des courants intellectuels à la critique des intérêts sociaux que ceux-ci recouvrent ou dissimulent. La philosophie idéaliste ne lui apparaît pas seulement comme la manifestation de l’ignorance naïve de la réalité des rapports de force par la bourgeoisie cultivée, mais également comme l’expression de l’isolement d’une classe sociale qui choisit de se couper des masses populaires afin de préserver son identité sociale et son prestige culturel. L’analyse de Rosenberg prend des accents très critiques lorsqu’il s’agit de dénoncer la responsabilité de la bourgeoisie libérale dans la rupture de la coalition politique révolutionnaire. Le tournant politique majeur lors duquel se révélèrent l’absence de combativité des libéraux et leur pusillanimité face à la monarchie militaire prussienne eut lieu en novembre 1848, lorsque le ministère du comte de Brandebourg ordonna de manière autoritaire que l’assemblée nationale prussienne fût éloignée de Berlin. Cette décision fut suivie, le 5 décembre 1848, de l’octroi d’une constitution et de la dissolution de l’assemblée. Rosenberg porte un jugement sévère sur ce tournant décisif de la révolution de 1848 qu’il n’hésite pas à qualifier de coup d’État48. Il considère cet événement comme un épisode déterminant de l’histoire allemande : la bourgeoisie libérale, en rompant avec les mouvements démocratiques, s’engagea, afin de préserver l’ordre social, dans une nouvelle alliance de classe avec les forces sociales qui soutenaient la monarchie militaire prussienne, en premier lieu l’aristocratie terrienne de l’est de l’Elbe. Cette stratégie politique qui garantissait à la bourgeoisie la préservation de l’ordre social et de ses intérêts économiques fut acquise au prix de son renoncement à l’exercice du pouvoir politique. C’est pourquoi cette nouvelle alliance de classe alla de pair avec l’émergence d’une nouvelle idéologie politique dont Rosenberg dénonce les conséquences néfastes. À cette nouvelle doctrine politique, il donne tantôt le nom de « libéralisme constitutionnel », tantôt celui de « constitutionnalisme monarchique » : ces termes désignent le fait que la bourgeoisie, après avoir renoncé à imposer la parlementarisation des institutions politiques, se soit accommodée d’un système constitutionnel au sein duquel le primat de l’autorité monarchique était préservé49. Il donne ainsi une interprétation négative du Sonderweg allemand que les historiens nationaux-conservateurs célèbrent comme l’expression d’une conception de l’État singulière à l’Allemagne. La monarchie constitutionnelle n’est pas présentée comme la transcription institutionnelle de l’originalité de la pensée politique que les historiens conservateurs glorifient comme une supériorité nationale, mais comme le résultat de l’échec politique de la bourgeoisie. La reconfiguration du rapport de force en faveur du « parti féodal agraire-militariste »50 et du pouvoir monarchique provoquée par la capitulation politique de la bourgeoisie éloigna durablement la Prusse-Allemagne du parlementarisme occidental et l’entraîna dans une évolution que Rosenberg qualifie de tragique51. C’est pourquoi il attaque, dans sa conclusion, l’interprétation nationaliste du Sonderweg : prenant le contre-pied de l’historiographie conservatrice, il déclare que la thèse selon laquelle le constitutionnalisme serait une invention de la pensée politique et juridique allemande est une légende qui fut forgée après 1871 pour légitimer le système institutionnel bismarckien. Il attribue au constitutionnalisme une origine non pas allemande, mais française : c’est le régime de la Charte sous lequel la France de la Restauration vécut à partir de 1814 qui servit de modèle constitutionnel au monde germanique.

Après que la venia legendi lui eut été accordée par l’université de Cologne en décembre 1932, Rosenberg put encore prononcer sa leçon inaugurale en janvier 1933. Il fut écarté de l’université par la loi de restauration de la fonction publique au printemps 1933. Cette leçon porte également sur l’histoire du libéralisme allemand52. L’analyse historique qu’il y développe s’inscrit dans la continuité de sa thèse d’habilitation et anticipe l’interprétation de l’histoire allemande qui s’imposera dans l’historiographie critique ouest-allemande des années 1960. L’idée selon laquelle les échecs répétés de la bourgeoisie libérale sont responsables de la persistance d’une tradition politique autoritaire et antidémocratique dont l’ascension du nazisme représente le désastreux aboutissement sous-tend l’argumentation du jeune Privatdozent. La leçon inaugurale se caractérise par l’élargissement du champ d’analyse : en effet, il s’agit d’un essai d’interprétation générale de l’histoire allemande moderne qui s’éloigne de l’histoire des idées pour analyser, dans une perspective transversale, les obstacles politiques, institutionnels et sociaux qui ont entravé la progression du libéralisme dans le monde germanique. Rosenberg s’oppose à nouveau à l’idée d’une voie allemande singulière portée par l’historiographie nationaliste qui considère le libéralisme comme une idéologie occidentale à laquelle l’Allemagne serait restée fondamentalement étrangère. Il conteste les présupposés du nationalisme allemand en insistant sur la communauté de valeurs qui unit non seulement les pays européens, mais l’ensemble du monde occidental53.

Après une introduction dans laquelle il affirme qu’aucun facteur intellectuel ne prédisposait l’Allemagne à se détourner de l’humanisme démocratique, il attribue la responsabilité de l’échec du libéralisme aux obstacles institutionnels et politiques que celui-ci rencontra dans le monde germanique. Il s’éloigne ainsi du terrain de l’histoire des idées pour analyser les rapports de force politiques et sociaux qui ont condamné le mouvement libéral à l’échec. Il évoque brièvement l’émiettement territorial du monde germanique, la répression politique de la Restauration qu’il qualifie d’« internationale dynastique »54, mais c’est surtout la structure sociale de la bourgeoisie allemande qui lui apparaît comme l’élément déterminant. Il décrit à nouveau la bourgeoisie cultivée et les élites intellectuelles comme une classe sociale dont la survie ne pouvait être garantie que par l’État. Certes, l’élite bourgeoise cultivée réclama des réformes politiques, mais elle se montra le plus souvent hostile aux mouvements révolutionnaires qui pouvaient mettre en péril l’existence de l’État monarchique. Il dénonce à nouveau la lourde responsabilité que cette classe sociale porte dans la scission avec les mouvements démocratiques, socialistes et républicains qui précipita l’échec de la révolution de 1848 et ouvrit la voie à la réaction monarchique. La crainte d’un renversement social et d’un bouleversement révolutionnaire incita la bourgeoisie à se rallier aux institutions monarchiques existantes. Rosenberg insiste également sur le « coup d’État de novembre » du pouvoir monarchique prussien auquel il accorde une importance déterminante55 : la bourgeoisie accepta que les principes pour lesquels elle combattait (respect du parlement et de la légalité institutionnelle) fussent violés par l’autorité monarchique, inaugurant ainsi une longue série de renoncements qui entraînèrent sa marginalisation politique. Comme dans sa thèse d’habilitation, il donne une interprétation négative du Sonderweg allemand : le constitutionnalisme n’est pas célébré comme la doctrine politique qui reflète l’originalité politique du monde germanique, mais comme la conséquence de la faillite du libéralisme et comme l’expression politique de la nouvelle alliance de classe qui se forma après que la bourgeoisie se fut coupée des masses populaires56. Certes, l’argumentation de Rosenberg relève encore de l’histoire politique. Toutefois, il associe étroitement le changement de doctrine de la bourgeoisie, qui substitua le libéralisme constitutionnel aux revendications parlementaires, à la reconfiguration des rapports de force entre les classes sociales. La conférence de l’historien témoigne du fait que celui-ci commence dès 1933 à compléter l’histoire politique de la faillite du libéralisme allemand et de la soumission de la bourgeoisie au « parti féodal agraire-militariste » par l’étude de la stratification sociale de la société allemande. Le thème de la féodalisation de la bourgeoisie, qui jouera un rôle central dans les études historiques dans lesquelles Rosenberg s’efforcera d’exposer les origines du Sonderweg allemand-prussien, y apparaît déjà : ce processus qui s’accentua pendant l’Empire bismarckien y est interprété comme l’adaptation sociale et culturelle de la bourgeoisie aux normes et aux valeurs portées par la classe sociale la plus influente et la plus puissante sur le plan politique, à savoir l’aristocratie57. C’est à juste titre qu’Ewald Grothe voit dans la leçon inaugurale du 23 janvier 1933 une étape importante de l’évolution intellectuelle de Rosenberg : l’histoire collective des idées politiques se mue en une histoire des rapports de force entre les classes sociales qui sous-tendent les affrontements politiques. Le Privatdozent esquisse une histoire politique des classes sociales qui relègue au second plan l’étude des personnages historiques et des partis politiques58.

Interprétant les conflits politiques à la lumière des forces sociales qui s’y affrontent, Rosenberg impute à l’alliance de classe qui provoqua l’échec de la révolution de 1848 un rôle déterminant dans le déclin de l’influence politique du libéralisme en Allemagne. Il retrace l’évolution qui conduisit le libéralisme à s’appauvrir de manière continue : les aspirations parlementaires et émancipatrices du libéralisme du Vormärz se réduisirent, après l’échec de la révolution de 1848, à la défense du libéralisme constitutionnel. Après la fondation de l’Empire allemand, le tournant protectionniste de Bismarck qui mit fin à l’ère libérale réduisit le libéralisme national à n’être plus que l’expression des intérêts économiques de la haute bourgeoisie industrielle et financière59. La compromission des nationaux-libéraux avec la structure du pouvoir de l’Allemagne impériale aggrava le discrédit du libéralisme ; en outre, l’immense majorité des représentants du Parti national-libéral continua de s’opposer à la suppression du suffrage censitaire des trois classes en Prusse, les faisant ainsi apparaître comme les défenseurs d’un système institutionnel antidémocratique. Selon Rosenberg, le libéralisme national était si étroitement lié au système institutionnel et économique de l’Empire qu’il lui fut impossible de survivre à l’effondrement politique de 191860. L’histoire du libéralisme qu’il esquisse est donc celle du déclin continu de son influence politique et de l’appauvrissement de sa doctrine. Ce processus commença en novembre 1848 par l’acceptation du coup d’État prussien et la soumission de la bourgeoisie au principe monarchique dont le parti féodal était le soutien le plus puissant. Il rejette ainsi l’idée selon laquelle le libéralisme constitutionnel aurait pu représenter une alternative au libéralisme parlementaire : il condamne les constitutions octroyées comme des simulacres institutionnels auxquels eut recours le néo-absolutisme postrévolutionnaire61. La leçon inaugurale du 23 janvier 1933 suscita immédiatement les attaques de la presse nazie. Un article violemment antisémite parut à peine quatre jours après qu’elle eut été prononcée62. Rosenberg avait l’intention de publier sa conférence sur le libéralisme dans la Historische Zeitschrift ; cependant, Meinecke, après avoir exprimé un avis favorable, s’opposa finalement à sa parution. Il s’en explique dans une lettre de janvier 1934 à son ancien disciple dans laquelle il déplore les critiques excessives que celui-ci émet à l’encontre du libéralisme allemand63.

Après que la venia legendi lui eut été définitivement retirée en 1933, Rosenberg partit pour l’Angleterre où il vécut dans des conditions précaires étant donné qu’il ne put pas trouver d’emploi universitaire stable et qu’il dut se satisfaire d’une bourse de recherche de l’Institute of Historical Research de Londres64. Dans l’espoir d’échapper à une situation où son avenir professionnel semblait totalement bloqué65, il quitta l’Angleterre pour les États-Unis en 1935. Il poursuivit à Londres sa confrontation avec l’histoire allemande et l’historisme, comme en témoigne l’exposé qu’il présenta au séminaire de l’historien Richard H. Tawney (1880-1962) à la London School of Economics66. La critique de l’historiographie allemande qu’il développe y est étroitement liée à la critique de l’échec politique du libéralisme. Comme dans sa leçon inaugurale et dans l’ouvrage issu de son habilitation, il considère la révolution manquée de 1848 comme le tournant le plus important de l’histoire politique et intellectuelle de l’Allemagne moderne. Cela explique pourquoi il critique l’historiographie prussienne postérieure à 1848 : il interprète celle-ci comme une conséquence de la capitulation politique de la bourgeoisie face à l’État prussien qui imposa une constitution octroyée qui préservait les prérogatives du pouvoir monarchique67. L’historiographie postrévolutionnaire célébra dans la monarchie constitutionnelle l’aboutissement institutionnel de l’histoire prussienne. La légitimation du constitutionnalisme prussien par les historiens nationalistes est décrite par Rosenberg comme une manœuvre idéologique qui permit à la bourgeoisie d’adapter son discours politique à la nouvelle situation institutionnelle de l’époque de la réaction. Le parcours intellectuel de Heinrich von Treitschke illustre l’évolution politique de la bourgeoisie allemande qui renonça à la défense des principes constitutionnels du libéralisme pour s’adonner à la célébration de la puissance de la monarchie militaire prussienne et du nouvel État-nation allemand68. L’historien exilé porte un regard très critique sur l’évolution de l’historiographie allemande depuis le début du XXème siècle : même s’il rend hommage aux « républicains de raison »69 au rang desquels il fait figurer Friedrich Meinecke, Hans Delbrück et Otto Hintze70, il constate cependant avec amertume que l’instauration d’un régime démocratique en 1918 n’a pas suffi à ébranler la position dominante que continuent d’occuper les historiens nationalistes et conservateurs. Il estime que la tradition nationaliste et autoritaire qu’incarnait Treitschke prédisposait les historiens allemands à accueillir favorablement le régime nazi tandis que la petite minorité des historiens aux convictions démocratiques et progressistes est désormais écartée du système universitaire allemand et contrainte à l’exil71. Selon lui, la position conciliante des historiens allemands envers le régime nazi trouve son origine dans la synthèse idéologique autoritaire qui vit le jour dans le sillage de la révolution manquée de 1848/49 : au libéralisme constitutionnel se mêlèrent la politique de puissance bismarckienne et la célébration de la monarchie prussienne par les historiens nationalistes. La conférence londonienne est révélatrice de l’orientation générale des interprétations historiques de l’historien exilé. En effet, celui-ci insiste dans toute son œuvre sur la lourde responsabilité politique et morale de la bourgeoisie allemande. Il n’interprète la prise de pouvoir nazie ni comme une rupture radicale ni comme une révolution politique, mais comme un événement qui s’inscrit dans la continuité de l’histoire allemande dont l’une des principales caractéristiques réside, selon lui, dans la persistance d’une classe dirigeante préindustrielle déterminée à conserver par tous les moyens sa prééminence institutionnelle et sociale. La condamnation de l’historiographie allemande qu’il formule dans sa conférence reflète son interprétation générale de l’histoire allemande-prussienne : les historiens allemands sont critiqués parce qu’ils incarnent de manière exemplaire cette bourgeoisie cultivée qui a elle-même théorisé, par la doctrine politique du libéralisme constitutionnel et du principe monarchique, son renoncement au pouvoir, laissant ainsi se développer un État autoritaire qui s’appuyait sur la classe préindustrielle des junkers. La correspondance de Rosenberg témoigne de l’insistance avec laquelle il rend les élites traditionnelles responsables du succès politique du nazisme. Dans une lettre de février 1935 dans laquelle il évoque la Nuit des longs couteaux, il décrit le Troisième Reich comme un régime dont les cercles industriels, militaires et agraires déjà présents à l’époque impériale ont désormais entièrement pris le contrôle après en avoir éliminé les éléments révolutionnaires et plébéiens72.

1.1.3. Le tournant de l’histoire économique et sociale

Les premiers travaux d’histoire économique de Hans Rosenberg

En dépit des conditions de vie difficiles que lui imposait l’exil, Rosenberg put mener à bien la rédaction de sa première monographie d’histoire économique consacrée à l’étude des origines et des conséquences de la crise économique mondiale qui dura de 1857 à 185973. Comme le montre Winfrid Halder, la publication en 1934 de cette étude sous la forme d’un supplément à la revue d’histoire économique et sociale la plus influente d’Allemagne, la Vierteljahrschrift für Sozial- und Wirtschaftsgeschichte, fut rendue possible par l’intervention de son directeur, l’historien Hermann Aubin (1885-1969)74. Le fait qu’un historien aux positions nationalistes et conservatrices comme Aubin ait soutenu la publication d’une étude rédigée par un jeune historien contraint à l’exil en raison des persécutions antisémites du régime nazi témoigne de la situation complexe de l’historiographie allemande sous le Troisième Reich.

L’intérêt de Rosenberg pour l’histoire économique s’accentua sous l’effet de la crise économique de 1929, mais il était déjà présent auparavant. Dès 1922, alors qu’il s’apprêtait à débuter ses études à l’université de Cologne, il déclarait vouloir étudier l’économie et la sociologie75. S’il s’orienta ensuite, sous l’influence de Meinecke, vers l’histoire des idées politiques, l’histoire économique continua de jouer un rôle important dans sa carrière universitaire. Ainsi, l’exposé probatoire76 qui eut lieu dans le cadre de la procédure d’habilitation à l’université de Cologne en 1932 fut consacré au problème du mercantilisme dans le système économique des États européens au début de l’époque moderne.

Comme cela avait déjà été le cas pour les études critiques sur le libéralisme allemand, ce fut Hans-Ulrich Wehler qui encouragea Rosenberg à rééditer son ouvrage de 1934 sur la crise économique mondiale de 1857. La perspective de cette réédition donna à celui-ci l’occasion de jeter un regard rétrospectif sur cette œuvre de jeunesse qui constitue le point de départ d’une importante réorientation méthodologique qui aboutira, plus de trente ans plus tard, à la publication de Grosse Depression und Bismarckzeit. Il s’interroge ainsi, dans une lettre de novembre 1973, sur la pertinence du titre original et déclare lui préférer « L’évolution de la conjoncture internationale de 1848 à 1859 ». Cette réflexion est révélatrice de la volonté de Rosenberg de surmonter l’étroitesse apparente du cadre chronologique afin d’approfondir l’analyse des problèmes structurels de l’économie capitaliste à l’époque de l’industrialisation. S’il envisage de modifier le titre de sa monographie, c’est qu’il souhaite ainsi clairement manifester le fait que son ouvrage ne se limite pas au récit événementiel des turbulences économiques qui eurent lieu pendant une brève période de deux ans, mais qu’il constitue une interprétation d’un cycle économique plus large77. Après plusieurs semaines d’hésitations, Rosenberg choisira finalement de maintenir le titre original78. Comme cela avait déjà été le cas deux ans plus tôt pour la réédition de ses articles de jeunesse sur le libéralisme allemand, Rosenberg revient également dans son introduction sur le contexte politique, économique et intellectuel qui le conduisit à aborder la crise mondiale de la fin de la décennie 1850 et, plus généralement, à s’orienter vers l’étude des cycles économiques désormais considérés non seulement comme des facteurs déterminants de l’histoire, mais également comme des outils d’analyse indispensables à la recherche historique. Il a toujours affirmé que son intérêt pour l’étude des conjonctures économiques trouvait son origine dans la crise économique de 192979. L’histoire économique lui permet d’expérimenter des approches comparatives et typologiques. Cette discipline prend également le contre-pied des postulats idéalistes de l’historisme en substituant à l’étude des idées politiques l’analyse des fondements matériels de la vie sociale et politique.

Pourquoi Rosenberg s’est-il intéressé à la crise économique mondiale de la fin de la décennie 1850 ? Après avoir soutenu sa thèse de doctorat et consacré plusieurs articles aux courants politiques du Vormärz, le jeune historien s’était tourné, avec le soutien de la Commission historique du Reich dirigée par Meinecke, vers l’étude de la littérature politique de l’époque allant des débuts de la Nouvelle Ère80 en Prusse à la guerre de 1866. Le cadre chronologique de ses recherches se déplaça ainsi de la période prérévolutionnaire vers l’étude du libéralisme postrévolutionnaire à l’époque de la réaction, puis de la Nouvelle Ère et du conflit constitutionnel en Prusse. Par ailleurs, il décelait des résonances entre cette période historique et le contexte international contemporain : les problèmes provoqués par l’expansion capitaliste et les rivalités commerciales entre les grandes puissances, qui avaient caractérisé la politique européenne après l’échec des mouvements révolutionnaires de 1848/49, semblaient se poser à nouveau dans le contexte de la crise économique du début des années 1930. Ainsi, le projet d’unification économique et commerciale de l’espace germanique, que le chancelier autrichien Schwarzenberg avait défendu au lendemain de l’échec de la révolution de 1848, semblait réapparaître dans la politique du gouvernement Brüning dont le ministre des affaires étrangères soutenait la création d’une union douanière entre l’Allemagne et l’Autriche. Dans une lettre adressée à la Deutsche Welle datée de mars 1931, Rosenberg expose les similitudes qui relient les deux époques historiques en insistant sur les problèmes auxquels est confrontée la politique commerciale et douanière de la République de Weimar81. La politique de Brüning plaçait à nouveau au centre du débat public l’idée selon laquelle l’Europe centrale devait faire l’objet d’une unification économique qui permettrait à l’Allemagne d’acquérir une position hégémonique sur le continent européen. La résurgence du projet d’unification commerciale et douanière de l’espace germanique permet ainsi à l’historien de s’interroger sur la continuité des problèmes économiques et géopolitiques auxquels était confrontée la politique allemande. Ce ne furent donc pas seulement le krach boursier de 1929 et ses désastreuses conséquences sociales en Allemagne qui incitèrent Rosenberg à se tourner vers l’analyse des fondements économiques de la politique intérieure et extérieure des États, mais également les tensions internationales provoquées par la politique commerciale et douanière de la République de Weimar. Un aspect important de son œuvre d’historien commence à se dessiner dès le début de la décennie 1930 : l’analyse des conséquences politiques et sociales des choix adoptés en matière de politique commerciale (libre-échange ou protectionnisme) constituera un axe central de ses recherches. L’étude parue en 1934 amorce ainsi une réorientation méthodologique importante qui trouvera son aboutissement dans la publication en 1967 de Grosse Depression und Bismarckzeit dont l’ambition est de décrire l’ensemble des conséquences politiques, sociales et culturelles de la dépression de 1873 en Allemagne : dans les deux livres que plus de trente ans séparent, l’historien germano-américain présente les fluctuations des cycles économiques qui alternent entre expansion et crise comme des facteurs historiques déterminants.

De nouveaux horizons scientifiques

C’est en qualité de spécialiste d’histoire économique que Rosenberg parvint à trouver une position universitaire aux États-Unis. Après avoir définitivement quitté l’Angleterre en 1935, il traversa plusieurs années difficiles : au cours du semestre d’été de 1936, il fut chargé d’enseignement82 dans deux établissements d’enseignement supérieur de New York, le Brooklyn College et le City College. De 1936 jusqu’à 1938, il fut professeur assistant d’histoire et de science politique à l’Illinois College de Jacksonville avant de revenir en 1938 au Brooklyn College de New York où il obtiendra le titre de professeur assistant à partir de 193983. Les difficultés auxquelles l’historien exilé fut confronté dans la recherche d’une nouvelle situation professionnelle stable ainsi que la charge d’enseignement considérable dont il dut s’acquitter dans les premières années de son activité au Brooklyn College expliquent qu’il ait été contraint de ralentir la fréquence de ses publications scientifiques. Cependant, les notes préparatoires des cours qu’il dispensa dans les diverses institutions universitaires américaines où il enseigna dans la seconde moitié de la décennie 1930 témoignent des centres d’intérêt et des méthodes qui lui vaudront d’être reconnu par les historiens ouest-allemands qui découvriront son œuvre dans les décennies 1950 et 1960 comme un historien ayant contribué de manière décisive au renouvellement de l’historiographie allemande84. Les principaux axes autour desquels s’articulent désormais la recherche historique et l’enseignement de Rosenberg peuvent être répartis en trois catégories. L’histoire économique, qui met en lumière les multiples conséquences des variations des cycles économiques, constitue l’innovation principale du début des années 1930 car elle lui permet de rompre avec l’histoire politique traditionnelle. Le deuxième axe est l’histoire comparée des systèmes institutionnels. Cet aspect est essentiel pour comprendre pourquoi la jeune génération des historiens allemands des années 1960 considéra l’œuvre de Rosenberg comme un modèle d’interdisciplinarité au sein duquel dialoguent des concepts issus de l’histoire des institutions (l’influence d’Otto Hintze est, à cet égard, déterminante) et des sciences politiques. L’étude comparée des systèmes de stratification sociale constitue le troisième axe : s’appuyant principalement sur la théorie de la classe sociale élaborée de Max Weber et sur la réception de celle-ci par les sociologues américains, cet axe de recherche vise à mettre en évidence les origines du Sonderweg de l’Allemagne moderne en analysant la structure sociale de la société allemande et en insistant plus particulièrement sur la permanence du recrutement social des élites prussiennes.

Les premiers articles grâce auxquels Rosenberg put à nouveau se manifester, après plusieurs années pendant lesquelles il lui fut impossible de publier en raison des difficultés de l’exil et de la lourde charge d’enseignement dont il devait s’acquitter au Brooklyn College, relevaient de l’histoire économique et s’inscrivaient dans la continuité de la monographie consacrée à la crise économique mondiale parue en 1934. En 1943, Rosenberg fit paraître dans deux revues d’histoire économique, l’une britannique, l’autre américaine, deux études dans lesquelles il analysait les conséquences de la dépression de 1873 sur la politique économique, douanière et agricole de l’Empire allemand85. En 1943 parut également, dans The American Historical Review, la première partie d’une grande étude historique sur la genèse de la classe des junkers en Prusse dont la seconde partie fut publiée l’année suivante86. Tandis que les premiers articles cités préfigurent Grosse Depression und Bismarckzeit qui ne paraîtra qu’en 1967, l’étude parue dans The American Historical Review explore les origines de l’élite dirigeante prussienne dont Rosenberg estime qu’elle a représenté le principal obstacle à la démocratisation de la société allemande et qu’elle porte une immense responsabilité dans le Sonderweg allemand-prussien. Cette étude préfigure l’ouvrage sur l’État prussien qui paraîtra en 195887. L’article de 1943 intitulé « Political and Social Consequences of the Great Depression of 1873–1896 in Central Europe » esquisse les principaux thèmes qui seront approfondis dans l’ouvrage de 1967 : Rosenberg insiste déjà sur les conséquences politiques et idéologiques de la crise économique de 1873 en montrant combien celle-ci accéléra le déclin du libéralisme. Les élites préindustrielles profitèrent de la désintégration de l’idéologie libérale pour élaborer de nouvelles stratégies qui devaient leur permettre de pérenniser leur domination politique et sociale alors même que l’économie agricole de l’est de l’Elbe entrait dans une crise structurelle88. Une autre caractéristique commune aux premiers articles sur la dépression économique de 1873 et à Grosse Depression und Bismarckzeit réside dans l’attention que l’historien porte à la psychologie collective et à la manifestation des émotions dans l’espace public. Il insiste sur l’influence que des dispositions affectives, qu’il présente comme irrationnelles, ont exercée sur la politique et sur le débat public. Cet angle d’interprétation constitue une dimension nouvelle dans l’œuvre de Rosenberg qui s’était concentré, dans ses travaux de jeunesse qui précédèrent l’exil, sur l’étude des courants intellectuels et des idéologies politiques. Certes, il imputait déjà, dans ses études critiques sur le libéralisme, la responsabilité de l’échec de la révolution de 1848 à la crainte de la bourgeoisie de voir l’ordre social renversé par une révolution démocratique et sociale. Mais, dans cette analyse critique qui insiste sur la responsabilité que porte la bourgeoisie dans l’affaiblissement, voire le discrédit des revendications politiques du libéralisme, la bourgeoisie est décrite comme une classe sociale dont l’attitude politique est guidée par le calcul rationnel de ses intérêts matériels. Il en va autrement dans la description qu’il donne des conséquences politiques de la crise de 1873 : il insiste désormais sur le caractère irrationnel des émotions collectives. La forme la plus spectaculaire et la plus dangereuse que prit l’irruption de l’irrationalité fut l’antisémitisme que Rosenberg analyse, dès 1943, comme l’expression d’un ressentiment collectif. L’émergence de l’antisémitisme moderne et l’hostilité de plus en plus virulente au libéralisme sont décrites comme deux phénomènes non seulement concomitants, mais étroitement liés l’un à l’autre. Les frustrations provoquées par la crise économique prirent pour cible à la fois les représentants du libéralisme et la minorité juive89. Rosenberg considère que la dépression économique de 1873 a entraîné deux grandes transformations profondes, qui semblent pourtant contradictoires entre elles, dans la structure du débat public. La première est la montée en puissance de courants d’opinion dont il juge qu’ils donnent au malaise social et politique une expression irrationnelle. Dans Grosse Depression und Bismarckzeit, il accentuera encore cette interprétation en qualifiant la période située entre 1876 et 1896 d’« époque de névrose » et de « radicalisation »90. Ce climat irrationnel inclut, selon lui, non seulement l’antisémitisme et l’hostilité au libéralisme, mais également le nationalisme, l’impérialisme, l’agitation contre la social-démocratie et « l’aggravation des antagonismes confessionnels », terme par lequel il fait allusion au Kulturkampf. Cependant, l’ascension de ces passions politiques irrationnelles est allée de pair avec une autre transformation importante de l’espace public : cette dernière se caractérise par la réduction du débat public aux questions économiques et catégorielles. L’idée selon laquelle Bismarck aurait délibérément favorisé cette évolution parce qu’il avait intérêt à ce que les partis politiques se transforment en groupes de pression économiques et sociaux avec lesquels il pourrait directement négocier avait déjà été exprimée par Otto Hintze91. Rosenberg, tout en partageant le constat de Hintze, impute cette transformation avant tout à la modification du cadre politique : le contexte des années 1870 diffère radicalement de celui des deux décennies précédentes au cours desquelles les thèmes proprement politiques, à savoir l’unification nationale et la forme institutionnelle qui devait lui être donnée, avaient monopolisé le débat public92. La prééminence des intérêts économiques dans le débat politique ne s’est pas accompagnée d’une rationalisation du débat public, mais d’une radicalisation irrationnelle. Les grands axes d’interprétation sur lesquels reposera Grosse Depression und Bismarckzeit sont donc déjà présents dans les articles publiés en 1943 : priorité accordée aux longues vagues de la conjoncture par rapport à l’histoire événementielle qui est insérée dans une analyse de longue durée, prise en considération de la dimension irrationnelle de la politique dans l’étude du débat public, primat de la politique intérieure à l’analyse de laquelle est subordonnée l’étude de la politique étrangère et des relations internationales. Ainsi, l’alliance entre l’Empire allemand, l’Autriche-Hongrie et la Russie est décrite comme la mise en conformité de la politique internationale avec la recomposition de la politique intérieure qui s’était produite au sein de chacun de ces États au cours de la décennie 187093.

Si l’histoire comparée des institutions, qui constitue un autre champ majeur de la recherche historique et de l’activité pédagogique de Rosenberg, n’a pas donné lieu à des articles qui peuvent lui être exclusivement rattachés, il n’en demeure pas moins que cette méthode d’analyse imprègne l’ensemble des travaux de l’historien germano-américain à partir des années 1930. Comme on a l’a indiqué précédemment, celui-ci fut recruté en 1936 par l’Illinois College pour y enseigner l’histoire et les sciences politiques. Il est intéressant de constater que l’un des cours qu’il y donna en 1937 était intitulé « Comparative Government » et qu’il était consacré à l’étude comparée des systèmes institutionnels des grands États européens et américains94. L’un des cours que donnera Rosenberg lorsqu’il sera invité pour la seconde fois à l’Université libre de Berlin lors du semestre d’été de l’année 1950 consistera également en une analyse comparative des systèmes politiques et des institutions des États européens et des États-Unis entre 1918 et 193995. Le cours de 1937 témoigne du regard inquiet que l’historien démocrate jette sur l’évolution des régimes politiques des États occidentaux : il constate ainsi que les démocraties se transforment peu à peu en régimes autoritaires parce qu’elles restreignent les prérogatives parlementaires et renforcent sans cesse le pouvoir exécutif96. Rosenberg s’exprime ici en défenseur du parlementarisme libéral ainsi qu’en témoin de la dérive autoritaire et de la désintégration institutionnelle de la République de Weimar. Cela ne l’empêche pas de mettre en garde contre les dangers du scrutin proportionnel qui eut cours dans l’Allemagne de la République de Weimar. Le cours d’histoire comparée des systèmes institutionnels de 1937 est également intéressant car l’historien exilé y adopte une démarche typologique caractéristique des sciences politiques. Il s’efforce d’élaborer une typologie des dictatures contemporaines qu’il classifie en fonction du niveau de développement politique et économique des pays dans lesquels celles-ci ont vu le jour : cette approche novatrice anticipe, par certains aspects, la sociologie politique de l’après-guerre qui approfondira de manière systématique l’étude de la relation entre le développement économique et la nature du régime politique97. Les trois catégories qu’il distingue sont les suivantes : la dictature autocratique de type traditionnel, la dictature militaire et les dictatures contemporaines qu’il qualifie de « post-démocratiques ». Il distingue, à l’intérieur de la catégorie des dictatures « post-démocratiques » trois types de régime : la « dictature constitutionnelle », qui tolère l’existence de plusieurs partis et qui se différencie des « dictatures communistes » et des « dictatures fascistes » dont la caractéristique commune est qu’elles sont des systèmes de parti unique. Il classe au rang des « dictatures constitutionnelles » le cabinet présidentiel de Brüning, considérant ainsi que la République de Weimar était déjà entrée, dans les dernières années de son existence, dans une phase dictatoriale qui a rendu possible la prise de pouvoir nazie98. Il défend l’idée selon laquelle les dictatures fascistes ont été instituées pour défendre l’ordre social de la société capitaliste de classes et qu’elles sont une émanation du système capitaliste qui évolue vers le capitalisme monopoliste d’État. Le cours de 1937 prouve ainsi que Rosenberg, peu après son arrivée aux États-Unis, pratiquait une démarche typologique inspirée des sciences politiques qui lui permettait d’exposer à ses étudiants les caractéristiques communes et les différences entre les régimes politiques contemporains.

Dès les débuts de son exil américain, Rosenberg se tourne donc vers l’étude comparative et typologique des systèmes institutionnels des sociétés contemporaines ; il poursuit également l’analyse des cycles de la conjoncture économique, approfondissant ainsi une approche qu’il avait adoptée dès le début des années 1930, avant même qu’il ne soit contraint à l’exil. Ces deux aspects constituent deux des trois axes principaux de son œuvre. Cependant, l’influence que Rosenberg exerça sur les historiens ouest-allemands de l’après-guerre n’aurait pas été si profonde si l’histoire sociale de la classe dirigeante prussienne n’avait pas été au centre de son œuvre historiographique. À travers ce champ de recherche, il peut jeter un nouvel éclairage sur l’histoire de la société prussienne et sur les origines du Sonderweg allemand. Il s’éloigne, dans ce domaine également, du cadre traditionnel de l’histoire politique et du récit événementiel pour mettre en évidence la permanence des structures de domination sociale. Cela explique pourquoi ce fut cet aspect de son œuvre qui suscita l’intérêt le plus vif auprès des historiens ouest-allemands qui découvrirent ses travaux au tournant des années 1950 et de la décennie 1960. La publication de l’étude en deux parties dans The American Historical Review en 1943 et 1944 représente la première étape d’une période d’intense réflexion et de recherche sur l’histoire sociale de la Prusse qui aboutira en 1958 à la parution de Bureaucracy, Aristocracy and Autocracy. La correspondance de Rosenberg témoigne du fait que celui-ci avait dès 1944 un plan précis de l’ouvrage qu’il souhaitait consacrer à la genèse, à l’ascension et enfin au déclin de la classe des junkers en Prusse. Le cadre chronologique qu’il envisageait pour ce livre était beaucoup plus large que celui qui sera finalement retenu pour Bureaucracy, Aristocracy and Autocracy. Lors de l’année universitaire 1943/1944, il bénéficia d’une bourse que lui octroya le Social Science Research Council, une organisation de soutien à la recherche scientifique fondée en 1923 et basée à New York. Une lettre datée du 29 août 1944 dans laquelle Rosenberg expose à la direction du Social Science Research Council le résultat de son année de recherche passée et son projet scientifique sur les junkers permet de mesurer l’ampleur qu’il souhaitait donner à son enquête sur le rôle que joua la classe des junkers dans l’histoire prussienne. Il indique que sa future étude sur les junkers aura pour ambition d’explorer l’histoire de cette classe sociale99. Par ailleurs, il déclare que les aspects comparatifs joueront un rôle important dans son projet, qui devra intégrer l’analyse de la classe des junkers dans le cadre de l’histoire des élites aristocratiques européennes100. Écrire l’histoire d’une classe sociale, et en particulier des junkers, exige de l’historien qu’il se confronte aux concepts forgés par la sociologie : Rosenberg suggère ainsi que la connaissance des théories de la stratification sociale constitue, à ses yeux, un prérequis indispensable à la pratique de l’histoire sociale101. Dans son exposé de 1944, il a l’intention de faire commencer l’étude de l’origine des junkers au XIIIème siècle et de l’achever par un chapitre sur le déclin final de cette classe après 1914102. Un peu moins de trois ans plus tard, en janvier 1947, il présente le plan de son futur ouvrage dans une lettre qu’il adresse au directeur du Brooklyn College, Harry D. Gideonse103. L’étendue chronologique de l’enquête est toujours aussi considérable et couvre une période qui va du Moyen Âge jusqu’au XXème siècle. Quelques mois après la fin de la Seconde Guerre mondiale, Rosenberg insiste désormais sur la contribution importante que son étude peut apporter à la compréhension du « problème allemand » et à la connaissance des causes profondes de la « catastrophe allemande »104. En outre, il met en relation son projet avec le problème de la réorientation morale et politique du peuple allemand : bien qu’il se garde d’attribuer à sa future étude d’histoire sociale un quelconque rôle dans la politique de rééducation, il estime néanmoins qu’il faut désormais surmonter les barrières nationales et combattre la résurgence du nationalisme105. Afin de promouvoir son projet de recherche, Rosenberg en accentue délibérément le caractère pédagogique et l’utilité politique. Si son approche méthodologique est nouvelle et témoigne d’une intense confrontation avec la sociologie et les sciences sociales, si le cadre chronologique de ses recherches s’est considérablement élargi depuis le début des années 1930 où il se concentrait encore sur l’histoire du XIXème siècle, l’interrogation et la problématique qui guident son interprétation de l’histoire allemande restent les mêmes : il s’agit toujours de comprendre les mécanismes qui condamnèrent la bourgeoisie à l’impuissance et qui rendirent possible la pérennisation de la domination sociale et politique qu’exerçait l’aristocratie prussienne. Dans sa leçon inaugurale de 1933, il imputait à l’alliance de classe que la bourgeoisie avait conclue avec l’aristocratie afin de préserver l’ordre social une responsabilité déterminante dans l’origine du Sonderweg de l’Allemagne moderne. La conclusion à laquelle il parvenait relevait alors de l’histoire politique ; il souhaite désormais compléter ce constat en mettant en valeur les mécanismes sociaux et institutionnels qui pérennisèrent la subordination politique de la bourgeoisie. C’est pourquoi il a recours au concept de féodalisation de la bourgeoisie qui deviendra l’un des paradigmes d’interprétation dominants de l’historiographie critique ouest-allemande des années 1960 et 1970. Le terme de féodalisation n’est pas nouveau dans l’œuvre de Rosenberg : dans sa thèse d’habilitation parue en 1933, il considère déjà le processus de féodalisation comme l’une des caractéristiques essentielles de la vie politique et sociale de l’Empire bismarckien106. Cependant, le terme de féodalisation désigne, dans les travaux d’histoire politique du début des années 1930, le processus de subordination politique par lequel la bourgeoisie renonça au parlementarisme pour se rallier à la défense du principe monarchique. C’est dans son célèbre article sur la « pseudo-démocratisation de la classe des Rittergutsbesitzer » paru en 1958 dans un volume de mélanges en l’honneur de l’historien Hans Herzfeld (1892-1982), professeur à l’Université libre de Berlin, que Rosenberg approfondit la définition de la féodalisation qu’il décrit désormais avant tout comme un processus de transformation sociale et culturelle de la haute bourgeoisie107. Son analyse de la féodalisation témoigne de son intense confrontation avec les problèmes de stratification sociale ainsi qu’avec l’histoire agraire. La féodalisation ne se réduit plus à la soumission politique de la bourgeoisie, mais désigne désormais le long processus d’intégration économique de la haute bourgeoisie dans la structure sociale de la propriété terrienne de l’est de l’Elbe. En exposant les mécanismes économiques complexes sur lesquels repose la féodalisation, Rosenberg démontre que l’identification sociale de la bourgeoisie aux intérêts de l’aristocratie répondait à un calcul rationnel qui reposait sur le constat d’une communauté d’intérêts. La féodalisation est le résultat d’une longue recomposition sociale déclenchée par les réformes du baron vom Stein qui libéralisèrent le marché de la propriété terrienne. La fin du monopole dont jouissait l’aristocratie dans l’accès à la grande propriété terrienne constitue l’événement décisif qui entraîna une vaste réorganisation de l’économie agricole des territoires prussiens de l’est de l’Elbe et modifia profondément la structure sociale des Rittergutsbesitzer108. Pour Rosenberg, l’édit d’octobre 1807 représente un bouleversement juridique dont les conséquences sociales et économiques furent considérables : cette réforme ouvrit la voie à une circulation accélérée des biens fonciers qui permit à des « parvenus » issus de la bourgeoisie de devenir de grands propriétaires terriens109. La recomposition sociale de la classe des grands propriétaires terriens alla de pair avec la démocratisation des privilèges juridiques attachés à la propriété d’un Rittergut : les bourgeois qui étaient devenus propriétaires d’un Rittergut jouissaient des mêmes droits que les propriétaires traditionnels issus de l’aristocratie. Les droits seigneuriaux traditionnels tout comme les nouvelles prérogatives politiques (à travers l’accès privilégié à la représentation politique, d’abord dans les diètes régionales jusqu’en 1847, puis par l’instauration du vote des trois classes au lendemain de la révolution de 1848) n’étaient plus conditionnés à la naissance aristocratique, mais à la jouissance de la propriété110. La féodalisation de la bourgeoisie est décrite comme le résultat paradoxal de la transformation de la société d’ordres, dans laquelle la grande propriété terrienne était le monopole de l’aristocratie, en une société capitaliste moderne. Rosenberg se réfère à la théorie wébérienne de la classe sociale et a recours au concept de classe de production pour décrire la nouvelle fonction sociale que prend la classe des grands propriétaires terriens de l’est de l’Elbe au terme de l’évolution économique et juridique qu’il analyse. L’aristocratie, qui jouissait du monopole de la grande propriété terrienne dans la société d’ordres, a fait place à une « classe économique » d’entrepreneurs et de capitalistes111. Comment expliquer cependant que la diversification du recrutement social de cette nouvelle classe économique n’ait pas entraîné l’affaiblissement de sa composante aristocratique, mais qu’elle ait au contraire renforcé le prestige et l’influence politique de celle-ci ? L’analyse de cette évolution paradoxale permet d’expliquer à la lumière de l’histoire économique et sociale l’origine de l’alliance de classe entre la bourgeoisie et l’aristocratie à laquelle Rosenberg accordait une importance cruciale dans ses travaux de jeunesse. En explorant les causes structurelles, économiques et institutionnelles de la subordination de la bourgeoisie à l’aristocratie, l’interprétation développée par Rosenberg se transforme : alors que la notion d’alliance de classe lui permettait de critiquer la stratégie politique de la bourgeoisie qui avait cherché protection auprès du pouvoir monarchique et de l’aristocratie traditionnelle afin d’écarter le danger d’une révolution sociale, la féodalisation désigne le processus d’intégration sociale et culturelle au terme duquel la bourgeoisie féodalisée identifia ses intérêts à ceux de la classe des propriétaires terriens. Si la diversification du recrutement social de la classe des grands propriétaires terriens n’a pas entraîné l’embourgeoisement de l’aristocratie, mais au contraire la féodalisation de la bourgeoisie, cela est imputable avant tout aux institutions politiques et sociales de la Prusse qui réussirent à intégrer la bourgeoisie au sein d’un système préindustriel et antidémocratique. L’analyse critique de Rosenberg repose ainsi sur la combinaison entre l’histoire économique des systèmes de production agricole, l’histoire des classes sociales et l’histoire des institutions. L’importance qu’il accorde à l’étude des facteurs institutionnels lui permet de mettre en valeur les causes juridiques et politiques qui aggravèrent la féodalisation de la bourgeoisie. C’est pourquoi il insiste sur les institutions qui assurèrent l’intégration de la bourgeoisie dans le cadre social et politique forgé par les élites traditionnelles de la monarchie prussienne. La formation d’un « esprit de corps » commun à la bourgeoisie et à l’aristocratie ainsi que d’une communauté de sentiments et d’intérêts entre ces deux classes fut rendue possible par les institutions dans lesquelles était socialisée la bourgeoisie, comme par exemple les corporations étudiantes et le corps des officiers de réserve. Le sentiment d’appartenance de la bourgeoisie à la classe dirigeante traditionnelle était également entretenu par des pratiques sociales comme l’octroi de titres de conseillers par l’autorité monarchique112. Conscient de l’influence déterminante que les institutions politiques exercent sur la formation des classes sociales, Rosenberg prête à l’Empire bismarckien un rôle décisif dans la féodalisation de la bourgeoisie. Étant donné que le nouvel État-nation était le résultat, non d’une révolution bourgeoise, mais de la politique de puissance de l’État prussien, le prestige de la monarchie militaire prussienne et de la classe qui en était le principal soutien, à savoir l’aristocratie traditionnelle de l’est de l’Elbe, s’en trouva considérablement renforcé, tandis que l’influence politique de la bourgeoisie était affaiblie. Bien qu’il ait recours à des méthodes novatrices qui se distinguent de celles de l’histoire politique qu’il pratiquait au début des années 1930, les conclusions générales auxquelles aboutit Rosenberg restent cependant inchangées : il s’agit toujours de démontrer, tout en étudiant les évolutions sociales de longue durée et les mécanismes institutionnels de l’intégration de la bourgeoisie au sein de l’élite dirigeante déjà constituée, que le discrédit politique de la bourgeoisie entraîna le déclin irréversible du libéralisme, renforçant ainsi la domination politique de l’élite traditionnelle de l’État monarchique. C’est pendant l’Empire que s’acheva la féodalisation de la bourgeoisie : l’historien germano-américain cite, à l’appui de sa thèse, les noms de plusieurs représentants célèbres de la bourgeoisie libérale qui devinrent des défenseurs des institutions de la monarchie prussienne, voire des partisans du conservatisme113.

Avec cet article paru pour la première fois en 1958, Rosenberg forge une interprétation du Sonderweg allemand qui exercera une influence considérable sur la nouvelle génération des historiens ouest-allemands. Les principaux thèmes que l’historiographie critique approfondira au cours des années 1960 et 1970 y sont déjà abordés : la féodalisation de la bourgeoisie considérée comme l’aboutissement d’une longue intégration économique et sociale au sein de la classe dominante, la continuité de l’élite dirigeante prussienne, la mise en valeur des institutions qui contribuèrent à pérenniser la féodalisation de la bourgeoisie et à consolider le prestige social et culturel de l’aristocratie et de la monarchie militaire prussienne. Si l’étude consacrée à la pseudo-démocratisation des Rittergutsbesitzer est considérée comme un « article fondateur »114, c’est parce qu’elle subordonne la réflexion sur les causes du Sonderweg allemand à l’analyse d’un concept structurant, à savoir la féodalisation, dont sont exposées les manifestations politiques, sociales, culturelles, économiques et institutionnelles. L’article sur la « pseudo-démocratisation de la classe des Rittergutsbesitzer » et l’ouvrage de 1958 sur l’État frédéricien furent précédés par plusieurs années de recherches au cours desquelles Rosenberg put approfondir sa connaissance de la sociologie contemporaine. Un manuscrit intitulé « Occupation, Social Status, and the German Governing Elites, 1807–1918 » en témoigne. Gerhard A. Ritter met en relation ce texte de plusieurs dizaines de pages avec un projet de recherche sur l’histoire de la bureaucratie allemande depuis 1815115. La combinaison entre l’étude du problème institutionnel allemand et l’analyse de l’histoire des rapports entre les classes sociales y apparaît plus nettement encore dans la mesure où Rosenberg décrit la mise en place d’un système institutionnel non parlementaire comme le mécanisme auquel l’aristocratie prussienne eut recours afin de conserver sa mainmise sur la politique et l’administration de l’État monarchique116. Le régime constitutionnel, tel qu’il était conçu et pratiqué, restreignait l’accès des représentants de la bourgeoisie aux fonctions ministérielles sur lesquelles la classe dirigeante prussienne traditionnelle conservait un quasi-monopole. Étant donné que l’aristocratie prussienne contrôlait l’accès aux fonctions politiques, les représentants de la bourgeoisie devaient manifester une communauté d’intérêts et de convictions avec celle-ci. La féodalisation, telle que la décrit ici Rosenberg, est présentée comme un prérequis auquel la bourgeoisie doit se conformer si elle souhaite intégrer la classe dirigeante. La possibilité de poursuivre une carrière politique ou administrative était conditionnée à l’occupation d’un statut social précis et codifié117.

Les trois principaux axes sur lesquels repose l’œuvre historiographique de Rosenberg se mettent en place dès le milieu de la décennie 1930 : la combinaison de l’histoire comparée des systèmes politiques, de l’analyse des cycles économiques et de l’histoire de la classe dirigeante prussienne, étroitement associée à l’analyse de la structure de la propriété terrienne et de l’économie agricole, permet à l’historien exilé de renouveler l’interprétation du Sonderweg allemand. En outre, cette méthode représente une rupture avec l’historisme car elle accorde une importance prépondérante à l’analyse des institutions sociales : les transformations structurelles des systèmes institutionnels, du recrutement social de la classe dirigeante, des rapports de force entre les classes sociales et de l’organisation économique et juridique des sociétés (et plus particulièrement du régime de la propriété terrienne) sont désormais au centre de l’œuvre de l’historien, reléguant au second plan le récit des événements politiques et l’étude des grandes figures de l’histoire allemande moderne. Qui furent les médiateurs qui permirent à l’œuvre de Rosenberg d’être réintégrée dans le champ de l’historiographie allemande ? La réception des travaux de l’historien exilé rencontra-t-elle des oppositions dans l’Allemagne de l’après-guerre ? Avant d’examiner ces questions, il convient d’évoquer le rôle déterminant que la redécouverte de l’œuvre d’Eckart Kehr a joué dans l’évolution de l’historiographie ouest-allemande.

Résumé des informations

Pages
442
ISBN (PDF)
9782875748706
ISBN (ePUB)
9782875748713
DOI
10.3726/b20794
Langue
français
Date de parution
2024 (Avril)
Mots clés
Historiographie histoire de la société histoire culturelle historisme histoire sociale sociologie sciences politiques émigration intellectuelle transferts scientifiques
Published
Bruxelles, Berlin, Bern, New York, Oxford, Warszawa, Wien, 2024. 442 p.

Notes biographiques

Benjamin Pinhas (Auteur)

Benjamin Pinhas est membre du Groupe de recherche sur la culture de Weimar et ancien élève de l’École normale supérieure de Paris. Il a étudié la littérature et l’histoire des idées allemandes à Paris-Sorbonne ainsi qu’à la Freie Universität de Berlin. Il enseigne actuellement en classes préparatoires (CPGE). Il a soutenu en 2018 une thèse de doctorat préparée au sein du Groupe de recherche sur la culture de Weimar et de l’UMR SIRICE.

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Titre: Au-delà du Sonderweg