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Vatican II

Questionnement et valorisation du Concile pour une Église synodale

de Willy-Pierre Mayunda Mbuinga (Auteur)
©2024 Monographies 448 Pages
Open Access

Résumé

Le Concile Vatican II appartient-il à un passé révolu? Ou fait-il tellement partie de la vie de l’Église que nous ne sommes plus conscients qu’il reste «une boussole fiable» pour nous orienter aujourd’hui?Alors que le pape François propose de courageuses réformes et la voie nouvelle de la synodalité, Vatican II refait surface de façon surprenante, offrant les ressources de ses reformulations doctrinales et l’exemple de la responsabilité de ses acteurs. L’ouvrage montre comment la longue histoire où s’inscrit Vatican II, de sa préparation à sa célébration et sa réception, est toujours ouverte. Il nous pousse à valoriser l’héritage conciliaire en fidélité à l’Évangile du Christ et à l’Esprit Saint, pour progresser en Église vers un monde plus fraternel.

Table des matières

  • Couverture
  • Titre
  • Copyright
  • À propos de l’auteur
  • À propos du livre
  • Pour référencer cet eBook
  • Sommaire
  • Remerciements
  • Préface
  • Abréviations
  • Introduction – Vatican II, un héritage à valoriser
  • Problématique : comment aborder Vatican II
  • Antécédents de Vatican II
  • Célébration de Vatican II
  • Réceptions de Vatican II
  • Bilan critique: VaticanII, un concile inachevé?
  • Conclusion – Réception conciliaire et synodalité
  • Table des matières

Remerciements

À tous ceux qui nous ont apporté leur aide, nous adressons nos remerciements les plus sincères.

Nous remercions particulièrement notre ancien professeur et promoteur de thèse, Dr. Klaus Schatz, S.J., aujourd’hui professeur émérite, qui a enseigné à l’école supérieure de philosophie et de théologie Sankt Georgen à Francfort-sur-le-Main et a rédigé de nombreux ouvrages fondamentaux sur l’histoire du Concile Vatican I (1869-1870) et la primauté pontificale. Sa passion pour l’histoire de l’Église et ses encouragements nous ont guidé dans le choix et la réalisation de nos recherches sur le Concile Vatican II (1962-1965). Nous lui savons gré de la préface qu’il a accepté d’écrire pour accompagner cet ouvrage, à travers laquelle il souligne avec finesse et en peu de mots le sens de notre engagement dans l’histoire « non close » de Vatican II.

Nos remerciements s’adressent également au Professeur Dr. Christoph Theobald, S.J., membre de la commission romaine de la synodalité, dont les nombreux ouvrages de grande valeur sur le Concile Vatican II nous ont fortement inspiré. Nos échanges chez lui à Paris (Centre Sèvres) en février 2023 ont été fructueux. Il nous a encouragé à mettre en lumière les perspectives africaines exposées au Concile ainsi que la réception de celui-ci en Afrique et à considérer l’héritage du Concile comme une semence dont il faut prendre soin, en vue de la faire mûrir pour l’Église d’aujourd’hui et de demain.

Aborder et approfondir un sujet tel que le Concile Vatican II nous a incité maintes fois à la reconnaissance et à l’humilité. La multitude d’acteurs présents au Concile, eux-mêmes débiteurs des croyants et des croyantes qui ont fait jadis et font aujourd’hui l’histoire vivante de l’Église nous porte vers un meilleur vivre et marcher ensemble : «quasi nanos, gigantum umeris insidentes», « nous sommes comme des nains assis sur les épaules de géants »1. Une pléiade d’auteurs de tous les continents ont aussi guidé ces recherches : nous en témoignons et leur rendons hommage par les notes et l’abondante bibliographie.

Les remarques pertinentes fournies par le relecteur de la maison éditrice Peter Lang ont permis d’apporter une ultime révision bien utile au texte : qu’il soit remercié pour l’attention accordée de la première à la dernière page de cet ouvrage.

Enfin, nous vous adressons nos remerciements à vous lecteurs et lectrices pour votre intérêt et vos commentaires qui contribueront à la diffusion de ce livre.


1 Métaphore attribuée à Bernard de Chartres (XIIesiècle).

Préface

Prof. Dr. Klaus Schatz S.J.

Six décennies nous séparent aujourd’hui de Vatican II. Cela signifie d’abord que cet événement est devenu « histoire ». Les derniers témoins qui ont contribué activement à le façonner sont décédés ; ceux qui l’ont vécu de l’intérieur comme étudiants et dont la vie a été formée par le concile, la « dernière génération » pour ainsi dire, à laquelle je confesse appartenir moi-même, sont octogénaires ou nonagénaires. L’esprit qui l’a formé s’est éloigné de nous, de même que les controverses qu’il a suscitées et dont la signification ne nous est parfois guère compréhensible. Pour beaucoup d’étudiants en théologie aujourd’hui, ce concile appartient au passé comme les conciles de Trente ou de Vatican I. Ainsi s’applique à Vatican II ce qui vaut pour tant d’événements qui ont fait époque : nous ne sommes plus conscients de son importance parce que sa présence est devenue évidente. Et beaucoup de controverses internes à l’Église d’aujourd’hui reprennent sous une autre forme les argumentations qui se sont manifestées lors du concile ou qui l’ont suivi ; elles appartiennent à l’histoire de sa réception et de son interprétation.

Tous ces remous sont d’ailleurs liés au caractère propre de Vatican II. Il ne s’agissait pas, lors de ce concile, de repousser des « hérésies » bien définies ou de freiner des « abus ». La « réception » de ce concile ne pouvait donc pas consister principalement dans l’approbation de « doctrines » spécifiques ni dans la mise en œuvre de lois ou de consignes. L’enjeu était plutôt d’entreprendre une nouvelle formulation de la doctrine, comme ce fut le cas pour la Réforme, où il s’agissait de se mettre à l’écoute de la parole de Dieu et des « signes du temps ». Et surtout de s’engager dans un chemin spirituel. Ce chemin comprend à la fois l’avant et l’après-Concile, sa préhistoire comme sa « réception ». Il n’est pas souvent rectiligne mais exposé aux conflits – et il nous présentera encore des surprises. Ainsi l’histoire de Vatican II n’est-elle donc en aucun cas « close » ; et il serait téméraire d’en écrire une histoire définitive et achevée. L’histoire est toujours en train de se réécrire, de remodeler son passé ; et cela vaut d’autant plus lorsqu’il s’agit d’une réalité encore vivante. En ce sens, je salue le travail de l’abbé Mayunda, un de mes doctorants.

18 mai 2023,

jour de l’Ascension de Notre-Seigneur

Abréviations

Les seize documents du Concile Vatican II et leur date de promulgation

Introduction Vatican II, un héritage à valoriser

Annoncé en 1959 par le pape JeanXXIII, le concile œcuménique VaticanII (1962-1965) constitue le dernier «grand moment de réflexion» de l’Église catholique. Celle-ci, à travers l’assemblée de ses évêques, a cherché à exprimer au plus juste sa foi, son espérance et son identité profonde en s’ouvrant au monde et à la culture de son temps et en se ressourçant avec humilité et vérité dans la Parole de Dieu livrée en Jésus et la Tradition vivante des témoins de l’Évangile. Réflexion et expression élaborées au fil de longues préparations, échanges et débats, puis énoncées par le concile dans les seize documents promulgués2.

Le concile VaticanII a depuis soixante ans nourri la vie de l’Église et des chrétiens et a porté de nombreux fruits. Qu’il suffise de penser au renouveau liturgique et de la prière, à l’impulsion donnée à l’œcuménisme et à l’évangélisation, aux synodes des évêques tenus à Rome et aux conférences épiscopales à l’échelle des pays et des continents, au déploiement des jeunes Églises, à la dynamique des diocèses, des paroisses et des communautés ecclésiales de base, au nouveau regard porté sur le monde, à la réflexion théologique… Il a aussi suscité des déceptions, des interrogations, des critiques pour avoir laissé de côté certaines questions délicates ou avoir été incomplet dans ses enseignements. Aujourd’hui, dans un autre siècle et un monde qui a profondément changé, en quoi VaticanII est-il encore source d’inspiration? Comment valoriser l’héritage qu’il a légué? Hommes et femmes de notre temps, comment recevoir son message et son esprit?

1. Vatican II: quel héritage?

Cet ouvrage se risque à inventorier l’héritage de Vatican II d’une manière globale. La notion d’héritage, appliquée à un concile, mérite d’être précisée. Si l’héritage désigne communément l’ensemble du patrimoine que laisse une personne à son décès, il convient de reconnaître d’emblée que ce patrimoine engage un phénomène de transmission de valeurs (matérielles, culturelles, spirituelles), reçues et promues de diverses façons par ceux et celles qui les recueillent. S’agissant du Concile Vatican II, l’héritage qu’il laisse est riche à la fois de ce que les Pères conciliaires ont recueilli de la vie de l’Église et de la foi chrétienne et de ce qu’ils ont eux-mêmes développé à travers leurs réflexions et documents avec la volonté d’en faire un legs aux générations futures. Ce patrimoine conciliaire, dans la mesure où il est reconnu, est en mesure de susciter, comme nous le verrons, un ressourcement de la foi et un rayonnement de l’action des chrétiens dans le monde, lui donnant un sens et une vision à long terme. L’héritage du concile ouvre en réalité à une multitude de facteurs, liés au temps (celui de l’histoire de l’Église) et aux lieux, selon la réception qui en est faite dans les continents, par des récepteurs eux-mêmes en interconnexion.

Nous tenterons d’abord de saisir cet héritage de Vatican II dans les textes conciliaires (quatre constitutions, neuf décrets et trois déclarations), qui parlent de sujets essentiels à la vie de l’Église : la Révélation divine et la liturgie, le gouvernement et la mission de l’Église, la présence au monde d’aujourd’hui, la liberté religieuse, l’unité entre les chrétiens et le dialogue interreligieux, l’activité missionnaire, l’éducation, la communication, le peuple de Dieu (laïcs, prêtres, évêques, religieux).

L’héritage du concile est dans ses textes mais aussi dans les acteurs de cette assemblée et dans l’esprit qui les a animés : pasteurs venus des cinq continents, aidés d’experts, qui se sont mis à l’écoute de l’Évangile, ont prêté attention les uns aux autres et ont cherché à rendre raison de leur foi, engageant un processus de réflexion commune et de discernement et cherchant des réponses aux interrogations de l’époque. Leur attention s’est fortement centrée sur la collégialité épiscopale3.

La prise de responsabilité des acteurs conciliaires et les textes qu’ils ont légués ont été à l’origine d’une mise en œuvre du concile qui a connu de nombreuses difficultés, tensions et interrogations (celles de traditionalistes estimant que les réformes liturgiques, doctrinales et pastorales prônées par le Concile causeraient une certaine confusion dans la vie et l’enseignement de l’Église, plus particulièrement dans les questions touchant à la liberté religieuse, à la morale, aux relations avec les autres religions), mais a aussi révélé progressivement, de manière surprenante, la fécondité de ce qui avait été semé. Ainsi l’héritage de Vatican II s’est-il à la fois dispersé mais aussi enrichi dans la réception qui en a été réalisée, comme par vagues successives, dans les communautés chrétiennes de par le monde.

Premier fruit du concile, le synode des évêques a été annoncé par Paul VI le 14 septembre 1965 et s’est tenu sans discontinuité dans les années d’après-concile4. Se référant continûment au concile Vatican II et prônant une démarche de responsabilité de tous, ces synodes ont permis d’approfondir des thématiques aussi essentielles que l’évangélisation, la justice sociale et la sanctification. Ils ont fait prendre conscience de la vitalité des Églises locales et ont sensibilisé à l’articulation des Églises particulières avec l’Église universelle.

Un approfondissement ecclésiologique s’est ainsi opéré sous les pontificats de Paul VI et de Jean-Paul II en même temps qu’était ressentie la nécessité d’une juste interprétation de Vatican II. À l’occasion du vingtième anniversaire du concile en 1985, un synode dit d’évaluation s’est interrogé sur la réception de VaticanII5, dans un climat quelque peu tendu marqué par des désillusions, des interprétations divergentes et une menace de schisme intégriste de Mgr Marcel Lefebvre, mais aussi caractérisé par la participation abondante des jeunes Églises. Le rapport synodal de 1985 contient une affirmation essentielle selon laquelle «l’ecclésiologie de communion est le concept central et fondamental dans les documents du Concile»6, ce qui laisse entendre qu’un tournant est pris et que s’engage une nouvelle période postconciliaire. Ajoutons toutefois que la dynamique imprimée par Jean-Paul II est également porteuse d’une valorisation de la «mission» de l’Église, elle aussi héritage conciliaire, moteur de ce que le pape a appelé la «nouvelle évangélisation»7, une expression devenue mobilisatrice de renouveau dans l’annonce de la foi. Communion et mission sont profondément liées, soulignera le pape polonais dans son exhortation apostolique Christifideles laici (« Les fidèles laïcs ») en 19888.

L’approfondissement en cours de l’héritage conciliaire s’enrichit dans les années 1980 et 1990 par la mise au point de réformes demandées par Vatican II (le nouveau droit canonique paru en 1983 et le nouveau catéchisme de l’Église catholique en 1992) et par certains gestes prophétiques du pape (“visite à la synagogue de” Rome, rencontre interreligieuse d’Assise, avancées œcuméniques des documents Orientale lumen (« La lumière de l’Orient ») et Ut unum sint (« Pour qu’ils soient un »). Des précisions sont apportées à travers des débats quant aux relations entre les Églises particulières et l’Église universelle9. Le climat de metanoia et de conversion du Grand Jubilé de 2000 et l’entrée dans le troisième millénaire donnent l’occasion à Jean-PaulII de rappeler que le concile VaticanII offre «une boussole fiable pour nous orienter sur le chemin du siècle qui commence»10, laissant entendre que c’est le concile dans son ensemble et pas seulement des textes qu’il faut recevoir et qui doit nous orienter.

Mgr Francisco Claver, évêque philippin, résumait en 2005 l’apport de VaticanII à l’Église catholique en Asie dans le mot «participation»11. Le changement, écrit ce pasteur, réside dans un «glissement de paradigme» qui implique une autre manière de regarder l’Église comme étant essentiellement une Église de service plutôt que de pouvoir. Est apparue une nouvelle façon d’être l’Église, «l’Église non dans, mais d’un pays et d’un peuple», l’Église locale étant le lieu où des chrétiens «essaient de vivre de façon chrétienne, en tant que peuple et non comme chrétiens en général». La communauté ecclésiale de base, dans ses versions de tous les continents, exprime ce passage vers une nouvelle forme d’être chrétien participant-discernant au sein d’une communauté qui est communauté liturgique mais avec des implications sociales et où un leadership des laïcs et des structures de participation sont encouragés.

Cette même année 2005, alors qu’est commémoré le quarantième anniversaire de la clôture du concile et qu’apparaissent des lignes d’interprétation divergentes à la suite de la publication de la monumentale Histoire du concile Vatican II (Alberigo, 1995-2001), BenoîtXVI, fraîchement élu pape, revient sur la question de l’interprétation du concile et s’insurge contre l’idée que l’Église postconciliaire serait une Église différente de l’Église préconciliaire12. Désavouant «une herméneutique de la discontinuité et de la rupture» qui interpréterait le Concile en fonction d’un «esprit» qui va au-delà des textes eux-mêmes, le pape Ratzinger prône alors «une herméneutique de la réforme [ou] du renouveau dans la continuité de l’unique sujet-Église». Nous en reparlerons (chapitre1).

C’est aussi Benoît XVI qui choisit d’orienter les réflexions du prochain Synode (2008) sur le thème de la Parole de Dieu (en continuité avec le synode de 2005 sur l’Eucharistie). Volonté de revenir à ce qui fonde la vie et la mission de l’Église et à ce qui est au point de départ de la proposition de la foi. Est ici directement palpable la continuité avec le concile (en référence à la constitution conciliaire Dei Verbum) et avec la réforme liturgique (qui a intensifié la lecture de la Parole de Dieu dans le peuple de Dieu, surtout dans le cadre de la liturgie eucharistique). L’exhortation apostolique Verbum Domini (2010) apportera des éléments supplémentaires pour que l’interprétation de l’Écriture tout en recourant aux méthodes historiques éprouvées accorde aussi l’attention à la profondeur spirituelle et chrétienne des textes13.

2. Vatican II pour aujourd’hui et demain?

Les deux dernières décennies ont été chargées en crises de tous ordres et défis nouveaux souvent vécus «en direct» à l’échelle de toute la planète Terre… Certains défis relevés par VaticanII sont toujours les nôtres: unité des chrétiens, liberté religieuse, mode de fonctionnement interne et de gouvernement de l’Église, témoignage-évangélisation, rapport avec la société. D’autres défis sont apparus: question écologique, civilisation numérique, questions de genre (diversité des familles par exemple)… Porteuse du message de joie et d’espoir du Christ, l’Église peine à dire cette Bonne Nouvelle, d’autant qu’elle se trouve dans la mire de toutes les critiques pour des scandales de mauvaise gestion financière et de comportements moraux du clergé et de religieux, d’abus de pouvoir sur les consciences (cléricalisme), qui ont nui à sa crédibilité14. En outre, elle connaît un phénomène de transition inédit: en retrait en Europe, son centre de gravité et de vitalité s’est déplacé vers le sud (Afrique, Amérique latine et Asie). La situation de l’Église doit sans cesse se redéfinir sur l’horizon fluctuant des religions et des cultures, dans un monde où les concepts de «religion» et d’«institution» ne rallient plus les foules comme auparavant. VaticanII est tellement loin!

Jorge Mario Bergoglio, élu en mars 2013 suite à la démission de Benoît XVI, est le premier pape des cinquante dernières années à ne pas avoir participé personnellement au concile. Homme de réformes courageuses (Curie, synode mondial décentralisé, mise au ban du «cléricalisme»), le pape François dans ses appels au concile semble vouloir maintenir une voie du milieu: ni retour en arrière (restaurationnisme) ni fuite en avant (ultra-progressisme ou néo-protestantisme). Dépassant les oppositions stériles entre les herméneutiques de la continuité ou de la discontinuité, il estime qu’il importe de continuer à «faire prendre racine» au concile, à rendre plus explicites ses concepts clés et les fondements de ses arguments.

«VaticanII, dit-il en août 2013, fut une relecture de l’Évangile à la lumière de la culture contemporaine. Il a produit un mouvement de rénovation qui vient simplement de l’Évangile lui-même. […] Il y a certes des lignes herméneutiques de continuité ou de discontinuité, pourtant une chose est claire: la manière de lire l’Évangile en l’actualisant pour aujourd’hui, qui fut propre au Concile, est absolument irréversible. […] L’annonce de type missionnaire se concentre sur l’essentiel, sur le nécessaire, qui est aussi ce qui passionne et attire le plus, ce qui rend le cœur tout brûlant, comme l’eurent les disciples d’Emmaüs. Nous devons donc trouver un nouvel équilibre, autrement l’édifice moral de l’Église risque lui aussi de s’écrouler comme un château de cartes, de perdre la fraîcheur et le parfum de l’Évangile. L’annonce évangélique doit être plus simple, profonde, irradiante. C’est à partir de cette annonce que viennent ensuite les conséquences morales15

Dans son texte inaugural, l’exhortation apostolique Evangelii gaudium (« La joie de l’Évangile ») (novembre 2013), François indique les orientations missionnaires et œcuméniques qui poursuivront la réception du concile. S’appuyant sur son expérience pastorale antérieure, il laisse apparaître le programme de réforme qu’il mènera durant son pontificat pour assurer la réception de VaticanII: a) placer l’Église «dans le monde d’aujourd’hui» pour y relever quelques-uns des grands défis actuels; b) inviter «tout le Peuple de Dieu» à évangéliser, une mission à forte dimension sociale; c) «apprendre quelque chose de plus sur le sens de la collégialité épiscopale et sur l’expérience de la synodalité» (n°246) (Forestier, 2015).

Comme l’a expliqué le théologien jésuite Christoph Theobald (2021), pour le pape François, la réception du concile VaticanII doit être «ajustée» à notre aujourd’hui. La référence au concile n’est pas tant dans une recherche de ce que disent les seize textes conciliaires que dans une volonté d’entrer dans la «manière de procéder» du concile, c’est-à-dire dans ce que l’on appelle la «synodalité», un terme et une démarche qui évoquent le «marcher (avancer) ensemble» et l’égalité baptismale entre tous les chrétiens.

Héritage du concile VaticanII, le processus synodal reçoit une première explicitation dans le discours du pape lors du 50eanniversaire du synode (17octobre 2015)16. Ce processus est construit sur l’intériorité mutuelle des Églises particulières et de l’Église universelle et procède de la consultation du peuple de Dieu et du discernement des pasteurs. Ses caractéristiques sont: 1) le discernement (pour découvrir dans l’écoute et la prière), qui distingue la synodalité du parlementarisme car celle-ci n’est pas recherche de compromis mais écoute de ce que veut l’Esprit aujourd’hui pour l’Église de Dieu et dans un regard qui s’élargit à l’humanité; 2) la mise en valeur du rôle de tous les baptisés, tous protagonistes (pour participer dans l’action avec d’autres), ce qui oblige les pasteurs à une attitude de service, à l’opposé de toute attitude de cléricalisme; 3) la gradualité (pour porter le témoignage de l’Évangile), au sens où la mise en route et les étapes successives ne sont aucunement tracées d’avance mais engagent une dynamique et une inventivité17. La synodalité apparaît ainsi comme la capacité du peuple de Dieu en marche et guidé par l’Esprit Saint de se prendre lui-même en marche dans l’écoute mutuelle et la parole exprimée en liberté (comme ce fut le cas au concile). Ce processus se fonde sur la conviction, exprimée par VaticanII (LG12), selon laquelle la collectivité des fidèles marqués par l’onction de l’Esprit Saint ne peut se tromper dans la foi18. François lui-même est déterminé à exercer concrètement cette synodalité en se mettant à l’écoute des conférences épiscopales, en les citant et en les laissant jouer entièrement leur rôle comme autorité pastorale et «autorité doctrinale authentique».

Une nouvelle phase de la réception du concile s’ouvre donc avec François, pour qui le chemin synodal est un élément essentiel, déjà bien présent dans les synodes de 2014 et 2015 sur la pastorale de la famille, dans le synode des jeunes de 2018 et le synode sur l’Amazonie en 2020. Lancé officiellement en octobre 2021, le synode sur la synodalité (2021-2024) a récemment publié le document de travail officiel pour l’étape continentale « Élargis l’espace de ta tente ».

3. Revue de la littérature

Au fil des années qui ont suivi le concile, les textes et les actes de VaticanII ont été publiés19, suivis très rapidement par les commentaires, ceux notamment du dictionnaire encyclopédique Lexikon für Theologie und Kirche (traduit en anglais) et de la collection française «Unam Sanctam». Une histoire et un commentaire théologique intercontinental paraîtra prochainement, œuvre du comité « Vatican II Legacy and Mandate », en anglais et en allemand, attentif à la réception du concile et aux orientations pour la vie de l’Église20.

Une revue de la littérature concernant plus précisément la réception et l’interprétation de VaticanII offre une palette extrêmement variée d’ouvrages et d’articles et il est impossible d’en rendre compte complètement, nous ne ferons que signaler ici quelques titres et auteurs. Dès les années 1970 et jusqu’au synode d’anniversaire en 1985, alors qu’est passée la phase des premières applications plus ou moins enthousiastes du concile sur fond de remous de crise ecclésiale, apparaissent les polémiques autour de l’interprétation à donner au récent concile, qui opposent les adversaires résolus des textes et réformes conciliaires, les conservateurs nostalgiques de l’avant-concile, les rénovateurs déçus, les interprètes contestataires désireux d’aller au-delà de VaticanII.

L’attention se porte peu à peu sur la notion de «réception d’un concile», comprise au sens œcuménique d’événement qui ne peut être considéré comme isolé dans l’histoire de l’Église (Grillmeier, 1970). La notion ecclésiologique de réception est reprise par Congar dans un article décisif en 1972, la définissant comme «l’acte par lequel le peuple chrétien […] reconnaît son bien et reconnaît qu’une décision est pour lui un apport de vie». Aux approches du synode d’évaluation de 1985, dans un contexte changé (Acerbi, 1981), le concept de réception fera l’objet d’interprétations variées distinguant de multiples thématiques (Alberigo et Jossua, 1985; Pottmeyer, 1985; Martelet, 1985; Latourelle, 1988). L’ecclésiologue canadien Gilles Routhier n’aura de cesse de préciser le concept de réception afin de le rendre opérationnel, voyant dans la réception «un processus spirituel par lequel les décisions proposées par un concile sont accueillies et assimilées dans la vie d’une Église locale et deviennent pour celle-ci une vivante expression de la foi apostolique» (Routhier, 1993, p.69).

Paraissent ensuite des histoires du concile (Pesch, 1993; Guasco et al., 1994), parmi lesquelles se distingue la monumentale histoire en cinq volumes dirigée par Giuseppe Alberigo, un historien issu de l’Université de Bologne, qui diffusa, à l’époque du concile, un ouvrage sur le pouvoir dans l’Église catholique21. Il rejoignit le groupe dit «de Bologne» qui se forma autour du cardinal Lercaro et de Giuseppe Dossetti, expert au concile22. Avec une équipe internationale de chercheurs, il publia entre 1995 et 2001 les cinq tomes de la Storia del concilio VaticanoII23, qui fut très vite traduite en plusieurs langues dont le français: Histoire du concile VaticanII (1997-2005), que nous citerons sous l’abréviation Histoire.

L’idée d’Alberigo en fournissant cet imposant outil24 est de montrer que le concile n’est pas seulement la somme des textes qu’il a produits, mais est d’abord un événement dans lequel l’Esprit s’est manifesté. Pour en garder la mémoire, cette œuvre monumentale reconstitue avec rigueur le développement quasi quotidien des travaux, montrant une composition laborieuse des textes conciliaires, ce qui laisse présager que leur réception future ne sera pas facile! Le reproche lui a été fait de n’avoir pas suffisamment pris en compte les problèmes de conscience des pères de ladite «minorité» conciliaire et d’avoir exagéré leur recherche d’un appui auprès de PaulVI qui, en quête d’unanimité, aurait cédé plusieurs fois à leur pression25.

Quoi qu’il en soit, l’ouvrage est précieux pour suivre le réel cheminement de conversion spirituelle et de mise à jour (aggiornamento) qu’a été le concile pour ses participants d’abord, et pour découvrir ainsi le fil d’un authentique développement de la doctrine catholique. Comme l’exprime Alberigo, «VaticanII a globalement dépassé les attentes en réalisant un bouleversement (svolta) plus profond et organique que ce que les demandes et souhaits préliminaires avaient envisagé avec clairvoyance et courage. […] Et pourtant VaticanII a laissé une Église catholique bien différente de celle au sein de laquelle il s’était ouvert»26. Dans le même sens, l’évêque et théologien Joseph Doré écrit: «Dans le concile finissant, il y avait quelque chose qui par la suite ne pouvait plus être pareil à ce qui était auparavant27

Résumé des informations

Pages
448
Année
2024
ISBN (PDF)
9783034348171
ISBN (ePUB)
9783034348188
ISBN (Relié)
9783034348164
DOI
10.3726/b21484
Open Access
CC-BY
Langue
français
Date de parution
2024 (Avril)
Mots clés
Concile Vatican II Jean XXIII Paul VI François 1962-1965 Église catholique pape
Published
Lausanne, Berlin, Bruxelles, Chennai, New York, Oxford, 2024. 448 p.

Notes biographiques

Willy-Pierre Mayunda Mbuinga (Auteur)

Willy-Pierre Mbuinga Mayunda est prêtre du diocèse de Boma en République démocratique du Congo depuis 1989. Il est docteur en théologie de l’Institut philosophique et théologique Saint-Georges à Francfort en Allemagne et œuvre actuellement comme curé de la paroisse Saint-Maurice à Oberengstringen dans le diocèse de Choir en Suisse. Il est aussi professeur d’histoire de l’Église à l’Université catholique du Congo et à l’Université Saint-Augustin de Kinshasa (RDC). Il a réalisé plusieurs courts séjours d’étude et d’immersion linguistique à Boston, Washington (DC), San Francisco, Malte, Londres et Cambridge.

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