Chargement...

Simone de Beauvoir

Sa Vie, Sa Philosophie, Ses Oeuvres

de Gönül Bakay (Éditeur de volume)
©2025 Collections 452 Pages

Résumé

« Simone de Beauvoir : Sa vie, sa philosophie, ses oeuvres » retrace le parcours remarquable de cette figure emblématique du XXe siècle. Née à Paris, Beauvoir surmonte son éducation conservatrice pour devenir une pionnière de l’existentialisme aux côtés de Jean-Paul Sartre. Son oeuvre majeure, Le Deuxième Sexe, dénonce les constructions de la féminité et marque le début d’une nouvelle ère de pensée féministe.
Ce livre plonge au coeur de sa philosophie, explorant sa transition de jeune catholique à libre penseuse, et dresse un portrait de sa vie personnelle et intellectuelle. Ses relations, ses luttes et ses triomphes dans un milieu dominé par les hommes révèlent une femme engagée à questionner les dilemmes de la liberté, de l’éthique et de l’existence humaine. Beauvoir a non seulement défié le statu quo à travers ses écrits, mais a aussi incarné sa philosophie avec force. Son héritage continue de résonner, inspirant ceux qui cherchent à dépasser les limites imposées par la société.

Table des matières

  • Couverture
  • Titre
  • Copyright
  • À propos de l’auteur
  • À propos du livre
  • Pour référencer cet eBook
  • TABLE DES MATIÈRES
  • AVANT-PROPOS
  • LES IDÉES DE SIMONE DE BEAUVOIR (Gönül Bakay)
  • L’INVITÉE (Selma Uzun)
  • PYRRHUS ET CINÉAS (Ogün Kırtıl)
  • LES BOUCHES INUTILES : L’UNIQUE PIÈCE DE THÉÂTRE DE SIMONE DE BEAUVOIR (Burçin Çakır)
  • TOUS LES HOMMES SONT MORTELS (Mihaela Mudure)
  • LE SANG DES AUTRES (Meysa Tanrıseven Demiralp)
  • A PROPOS DU DEUXIÈME SEXE (Gonca Arık Kırtıl and Ogün Kırtıl)
  • LE DEUXIÈME SEXE ET LA FEMME DU «TIERS-MONDE» : SIMONE DE BAUVOIR ET LA FEMME POSTCOLONIALE (Bronwyn Mills)
  • LES MANDARINS (Selma Uzun)
  • LES MANDARINS (Mihaela Mudure)
  • L’AMÉRIQUE AU JOUR LE JOUR (Nazife Orhan)
  • LA LONGUE MARCHE (Hatice Övgü Tüzün)
  • LES MÉMOIRES D’UNE JEUNE FILLE RANGÉE (Gonca Arık Kırtıl)
  • LA FORCE DE L’ÂGE (Gönül Bakay)
  • LA FORCE DES CHOSES (Hatice Övgü Tüzün)
  • UNE MORT TRÈS DOUCE (Gönül Bakay)
  • LES BELLES IMAGES (Mihaela Mudure)
  • TROIS HISTOIRES, TROIS FEMMES (Burçin Çakır)
  • LA VIEILLESSE (Selma Uzun)
  • TOUT COMPTE FAIT (Mihaela Mudure)
  • QUAND PRIME LE SPIRITUEL (Gönül Bakay)
  • L’ADIEU À SARTRE (Hatice Övgü Tüzün)
  • LETTRES À SARTRE (Burçin Çakır)
  • LETTRES À NELSON ALGREN (Hatice Övgü Tüzün)
  • CONCLUSION
  • BIBLIOGRAPHIE

AVANT-PROPOS

Lorsque l’on m’avait demandé d’écrire un ouvrage de critiques sur l’œuvre de Simone de Beauvoir, j’avais accepté avec joie cette proposition. Et puis, huit années ont passé et ce n’est que maintenant que je parviens à réaliser la publication de ce livre. Lorsque l’on est au début d’une aventure, on risque de ne pas réaliser quelle est l’envergure du travail que l’on a entrepris. Et c’est cela qui s’est passé pour moi. Je n’avais pas pu prévoir combien durerait le travail de rédaction et de recherche sur les œuvres d’une personne à la vie si remplie telle que Beauvoir, quelqu’un qui avait, avec Sartre, ouvert un sillon avec sa philosophie et réussi à caser vingt-deux livres dans son existence. Dès le début de mon travail, je me suis rapidement rendue compte que je ne saurais le mener à bien sans le concours d’autres collègues. Les premiers travaux ont débuté avec les recherches qu’ont menées mes meilleurs étudiants avancés. Et puis, des collègues étrangers, du monde académique, m’ont également apporté leur contribution : Le Professeur Mihaela Mudure, avec quatre articles, ainsi que le Professeur Bronwyn Mills, avec son article intitulé : « La femme postcoloniale ». Je leur en suis particulièrement reconnaissante. Ces articles, écrits en anglais, nécessitaient, bien sûr, d’être traduits. Ce qui fut réalisé par une traductrice chevronnée, qui accourut à mon secours, faisant ainsi gagner ces articles au lecteur.

En approchant de l’issue de mon travail, je me rendis compte qu’un grand nombre de livres n’avaient pas été étudiés. Et, là encore, de jeunes et brillants collègues, le Dr, Övgü Tüzün Maître de conférences, Selma Uzun et le Dr Burçin Çakır à mes travaux, contribuèrent à ce que ce travail soit mené à bonne fin. Qu’ils soient ici remerciés du fond de mon cœur. Mon amie, Burçin Çakır dont j’apprécie toujours les avis et les critiques, a trouvé le temps, parmi ses nombreuses occupations, d’assurer l’orchestration et l’assemblage de ces articles critiques.

QUI EST SIMONE DE BEAUVOIR ?

Simone de Beauvoir, fille de Georges Bertrand de B. Et de Françoise Brasseur, vient au monde à Paris, en 1908, dans une famille catholique très pratiquante. Elle est élevée conformément à des principes stricts, dans un environnement conservateur.

Durant son enfance, sa sœur Hélène et son amie Zaza, exercent une grande influence sur elle. La mort prématurée de cette dernière va, du reste, profondément l’ébranler. Quant à sa sœur cadette, plus jolie et attirante que son aînée, elle jouit d’un traitement préférentiel de la part de ses parents. C’est la fille chérie de son Papa.

Il existe encore de nos jours des femmes élevées dans des cercles conservateurs qui luttent pour progresser dans une voie qu’elles tracent en prenant des choix de liberté. Ce combat n’était pas facile à l’époque de Beauvoir, certes, mais il en va de même encore aujourd’hui ; cela n’a jamais été aisé de s’opposer à un environnement conservateur. Sous bien des angles, Beauvoir sert d’exemple aux générations suivantes, aux femmes qui s’efforcent de résister à la pression des milieux religieux.

Choisissant une voie et une profession que sa famille réprouvait et ayant perdu la foi de son enfance, Simone de Beauvoir ne fut jamais pardonnée par sa mère. Même si, de nos jours, dans certains milieux, c’est accepté comme une situation ordinaire que les femmes soient éduquées, c’était un cas rare au milieu du XXe siècle, même en Europe. Pourtant, première à l’agrégation, au même titre que Sartre, elle avait été, en raison de sa qualité de femme, reléguée à la seconde place. De plus, alors que, dans les années 30, il était difficile pour une femme de gagner sa vie en tant que romancière, elle était devenue une écrivaine très lue en France, avait remporté un prix, faisait l’objet de controverses, était reconnue et réussissait à vivre de sa plume.

Féministe de la deuxième vague, l’auteure a recherché les raisons pour lesquelles les femmes étaient des citoyens de deuxième classe. Avec Le deuxième sexe, qui reflète, dans un langage très réaliste, la vie des femmes, Beauvoir a attiré sur elle toutes les attentions et influencé durablement les féministes qui lui ont succédé. Les Monique Wittig, Hélène Cixous, Julia Kristeva ou Louise Irigarayo, ont suivi ses traces et, développant ses théories, ont examiné comment la femme était opprimée dans le langage. Ces écrivaines ont attiré l’attention sur le fait que les mots qui comportaient une désinence féminine étaient toujours perçus comme plus faibles. Si l’on pense que les féministes françaises dont les théories ont une place de choix de nos jours ont été influencées par Beauvoir, on comprend, une fois de plus, l’importance de l’auteure.

Ce n’est pas seulement avec ce qu’elle a écrit que Beauvoir a eu un impact sur les générations postérieures et a laissé des traces, mais c’est encore par sa vie et par ses prises de position. Par exemple, elle s’est toujours opposée au mariage avec Sartre, malgré la force de l’attachement qu’elle lui portait. Elle pensait que ce n’était pas par le mariage que les liens tissés entre deux personnes étaient renforcés, mais par l’amour et le respect mutuels. Selon le couple Beauvoir-Sartre, c’était la question des enfants qui faisait l’importance du mariage. Beauvoir avait compris que quelqu’un du caractère de Sartre ne saurait s’accommoder de l’institution du mariage et elle avait préféré mener une vie commune sans l’épouser, du fait qu’elle ne pensait pas avoir d’enfant. Le couple Beauvoir-Sartre est le premier à avoir appliqué le modèle d’union libre que l’on commence à voir de plus en plus de nos jours. Ce modèle, surtout parmi la jeune génération, repose sur la vision qu’une vie commune réussie est liée à un amour, un respect et un intérêt réciproques. Par exemple, on a considéré comme ordinaire le fait que l’ancien président français vive selon ce type d’union. En dépit de quelques relations extérieures vécues par le couple Beauvoir-Sartre, ils réussirent, sans l’ébranler, à vivre leur relation jusqu’à la fin de leur vie, grâce au respect et à l’admiration mutuels qu’ils éprouvaient envers leurs idées et leur liberté. Ils ont, ainsi, constitué un exemple pour les générations à venir.

En tant que témoin d’une génération qui, en France, avait mené une lutte pour la vie, confrontée qu’elle était aux dures conditions de la Deuxième guerre mondiale, les œuvres de Beauvoir peuvent être considérées comme un document. L’effet provoqué par la guerre sur la situation psychologique des gens, les séparations, les pertes, les privations, donnent un relief tout spécial à ce qu’elle a écrit.

La première partie de cet ouvrage est consacrée à la vie de l’auteure, la seconde à ses idées et à sa philosophie, quant à la dernière, elle traite de ses nouvelles, romans et essais. L’analyse de ses romans a été confiée à des personnes reconnues pour leur carrière académique. Bien que chacun de ses romans ait fait l’objet d’une analyse distincte, on a trouvé à propos d’examiner, sous trois points de vue différents, Le deuxième sexe, œuvre maîtresse de l’écrivaine, qui a ouvert une voie aux générations suivantes.

Un autre aspect de la vie de Beauvoir susceptible d’intéresser le lecteur, c’est qu’il trouvera dans les ouvrages de l’auteure l’écho des vies exceptionnelles des noms les plus réputés que comptait le monde artistique et culturel de l’époque. Ils y prennent vie avec leurs caractéristiques d’êtres humains, avec leurs travers et leurs points forts, décrits avec l’œil amical de l’écrivaine. Prenons l’exemple d’Albert Camus : Il est présenté comme un personnage que Beauvoir n’affectionne pas particulièrement. Sartre fait la connaissance de Camus à l’occasion de sa pièce Les Mouches. Il est impressionné par ce jeune homme. L’appréciation de Beauvoir au sujet de celui-ci est fort intéressante : En 1982, lors d’un entretien, celle-ci parle de Camus qui avait un positionnement et une vision du monde ironiques, en disant : « Camus n’avait aucune sympathie pour les femmes intelligentes. Elles le dérangeaient. Selon les circonstances, ou bien il les ignorait, ou encore il s’en moquait. Quant à son attitude vis-à-vis de moi, selon son expression la plus gracieuse, on peut la qualifier d’ironie moqueuse ». Lorsqu’ils firent connaissance, Camus avait trente ans, huit ans de moins que Sartre. Le point commun entre ces deux jeunes hommes c’était leur célébrité future. Beauvoir avait essayé d’aimer Camus, mais, en vain. « Nous étions comme deux chiens à la poursuite du même morceau de viande. Tous les deux nous le (Sartre) désirions, mais moi, encore plus… », ajoute-t-elle.

Parmi les amis du couple Sartre-Beauvoir, se trouvaient le poète, romancier, homme de théâtre célèbre, Jean Cocteau, le non moins célèbre penseur Lacan et le sculpteur Giacometti. Ils étaient particulièrement proches de ce dernier, l’assistant jusqu’à sa mort d’un cancer. A son sujet, voici ce que dit Beauvoir : « Il est mort heureux car il avait pu réaliser les choses qu’il voulait dans sa vie ».

Tout roman est une aventure. Mais la vie de Beauvoir, le milieu auquel elle appartenait et les gens qu’elle connaissait, sa vision du monde, ses travaux et ses idées sur la condition féminine, ses souvenirs de la guerre, sa position vis-à-vis des relations homme/femme et envers la politique, ses voyages dans de nombreux pays, ses expériences de vie, tout cela constitue une réelle aventure. Notre souhait est de partager cette vie passionnante sous tous ses aspects.

GÖNÜL BAKAY

Gönül Bakay

Université de Bahçeşehir

LES IDÉES DE SIMONE DE BEAUVOIR

Tous deux étudiants à l’Université de la Sorbonne, où battait, en ces années 30, le pouls de la vie intellectuelle, Simone de Beauvoir et Jean-Paul Sartre avaient profondément subi l’influence des mouvements de pensée du siècle dans lequel ils vivaient et de leurs tenants principaux. On sortait tout juste de la Première guerre mondiale qui avait entraîné avec elle le redécoupage de la carte politique du continent européen. Mais, tandis que se déroulaient à n’en plus finir des turbulences sociales, on pouvait percevoir les bruits de bottes d’une nouvelle guerre globale.

Ce ne fut que très tard que Hegel et Marx furent enseignés dans les universités françaises. Mais le centième anniversaire de la mort de Hegel, en 1931, lui assura un regain d’intérêt et de célébrité. Cependant, Beauvoir avait déjà auparavant fréquenté les œuvres de ces deux penseurs. L’intellectuel marxiste, Paul Nizan, était un ami proche de Sartre et les cercles fréquentés par ce dernier et par Beauvoir ressentaient quelque intérêt pour les idées marxistes. Toutefois, ce n’est que postérieurement aux années 40 que Simone de Beauvoir commença à manifester une sympathie évidente envers le communisme et prit position contre l’attitude de la France durant les huit années que dura la guerre d’Algérie.

Le mouvement féministe, auquel Simone de Beauvoir contribua de façon importante, se développa en France dans les années 68, en suivant deux itinéraires. Avant 1968, les mouvements féministes s’orientaient autour d’un combat pour l’obtention par les femmes du droit de vote, du contrôle des naissances et par l’acquisition de droits égaux à celui des hommes. Mais, postérieurement aux années 68, on voit la deuxième vague de féministes se regrouper autour de conceptions et d’objectifs différents. Par exemple, le groupe à la tête duquel se trouve A. Fouque se concentre sur la psychanalyse et sur la politique et, s’appuyant généralement sur les théories de Freud, sur les caractéristiques particulières des femmes. Quant aux féministes socialistes, qui constituaient un groupe plus radical, elles avaient pris le marxisme pour principe de base et avaient relié à la lutte des classes l’oppression subie par les femmes. Elles avaient mené leur combat en se focalisant sur les disparités de classe.1

Beauvoir, elle-même, œuvra activement sur les problèmes de l’avortement et des violences faites aux femmes et fut directrice de publication d’une revue féministe appelée Questions féministes. En 1974, elle prendra la tête de la Commission des Droits des Femmes. Trois de ses œuvres traitent de la question de la « Femme et l’Autre » : Pyrrhus et Cineas (1944), Le sang des autres (1945) et Le deuxième sexe. Si l’on compare ses ouvrages philosophiques, on voit que l’auteure, dans Pyrrhus et Cineas, par exemple, assied ses idées philosophiques sur certains principes prenant pour origine des expériences humaines concrètes dont elle fait l’analyse intellectuelle, tandis que, dans ses œuvres littéraires, elle recherche ce qui est flou dans l’expérience vécue.

L’EXISTENTIALISME

Quand on parle de Phénoménologie existentialiste c’est Sartre qui est généralement évoqué. En réalité, ce mouvement débute au XIXe siècle, au Danemark, avec Kierkegaard. Lorsqu’avait été posée à Sartre, à New York, la question de savoir ce qu’était l’existentialisme, celui-ci avait répondu : « C’est la preuve que j’existe ». Il disait également : « Ma philosophie est une philosophie de l’existence ».2 En face de l’essentialisme, qui défend le principe : « L’essence précède l’existence », l’existentialisme reconnaît une position prioritaire à l’existence. Si l’on pense à l’exemple donné par Sartre : pour qu’un livre ou un coupe- papier existent, il faut tout d’abord que le concept en existe ; l’idée du livre ou du coupe-papier vient par la suite. En d’autres termes, l’existence du livre ou du coupe-papier n’est pas déterminée par avance, l’idée ou la trouvaille se réalisent par après. Plutôt qu’une doctrine ou un système, l’existentialisme est une approche philosophique.

Il paraît juste de traiter de l’existentialisme en évoquant les penseurs principaux des XIXe et XXe siècles tels que, outre Sartre, Kierkegaard, Nietzsche, Jaspers, Heidegger, Marcel Merleau-Ponty et Simone de Beauvoir. Cette dernière avoue que, lorsqu’elle commençait à écrire, elle n’avait pas saisi ce que signifiait l’existentialisme, Sartre non plus. Parlant, dans ses mémoires, des réactions soulevées par son deuxième roman, voici ce qu’elle dit : « Roman sur la résistance, il fut aussi catalogué roman existentialiste. Ce mot désormais était automatiquement accolé aux œuvres de Sartre et aux miennes ». Quant à Sartre, il disait : « Ma philosophie, c’est une philosophie de l’existence. Je ne sais même pas ce que veut dire « existentialisme », et Simone de Beauvoir ajoutait : « Je partageais son agacement. J’avais écrit mes romans avant même de connaître ce terme, en m’inspirant de mon expérience et non d’un système. Mais nous protestâmes en vain. Nous finîmes par reprendre à notre compte l’épithète dont tout le monde usait pour nous désigner. »3

Quand on examine les idées de Simone de Beauvoir sur l’existentialisme, il semble utile de passer en revue celles des penseurs qui l’ont influencée de façon immédiate, tels que Marx, Hegel, Kierkegaard ou Husserl.

HEGEL (1770–1831) ET BEAUVOIR

Hegel a exercé son influence sur un large éventail de penseurs, tant sur ceux qui l’apprécièrent (Bradley, Sartre, Küng, Bauer, Stirner, Marx) que sur ses détracteurs (Kierkegaard, Schopenhauer, Nietzsche, Heidegger, Schelling). Pour la première fois dans la philosophie, probablement, il a avancé l’idée que l’histoire et l’art étaient importants pour sortir du cercle vicieux des problèmes philosophiques continuellement débattus. Il a souligné l’importance de l’« Autre » pour permettre la conceptualisation de la dialectique maître-esclave et la genèse de la prise de conscience de soi.

Philosophe idéaliste allemand, ses œuvres majeures, publiées entre 1807 et 1821, ont exercé une grande influence sur son époque. On peut citer : Phénoménologie de l’esprit (1807), La science de la logique (1812–1816), Précis de l’encyclopédie des sciences philosophiques (1817), ainsi que Principes de la philosophie du droit (1821). Ses idées inspirèrent, dans une large mesure, les penseurs communistes allemands, Karl Marx et Engels.

Selon le système de pensée de Hegel, connu sous le nom de « logique dialectique », à une idée (une thèse) s’oppose une autre idée (antithèse) et, de cette opposition, naît une nouvelle conception (la synthèse). Tout en acceptant la philosophie de Kant, Hegel trouvait ses idées lacunaires, croyant, à l’encontre de celui-ci, que l’homme était capable de tout apprendre. Pour lui, le monde signifiait la logique et, lorsque l’homme aurait résolu le problème des limites de la logique, il aurait également effacé les limites de l’humanité. La seule philosophie vivante, c’était la philosophie des contradictions, ou plutôt, des oppositions : la fleur permet au fruit d’apparaître, mais pour cela, il faut que la fleur disparaisse, ce qui signifie que la réalité de la reproduction c’est être en même temps fleur et fruit. La mort, c’est l’anéantissement de la vie, mais, en même temps, la condition de la renaissance.

Hegel entreprend de rechercher la voie que suit l’esprit dans sa quête de la vérité et du savoir absolu, dans laquelle il est confronté à d’innombrables obstacles. Dans La phénoménologie de l’esprit, Hegel étudie, en les comparant, les relations entre le maître et l’esclave : particularité de l’homme qui le distingue des autres êtres animés, la conscience inclut constamment les autres dans les évènements. Si nous n’avons pas conscience de l’existence des autres, nous ne pouvons pas être conscients de notre propre existence. Cependant, l’existence de l’autre est une menace. La relation d’échange aide l’individu à trouver son identité, son individualité. Dans les relations humaines, l’individu, abandonnant sa liberté, accepte l’autre pour maître.

La philosophie de Hegel est avant tout une histoire de l’humanité dans laquelle les individus parviennent à une conscience libre. Mais la conscience toute seule n’est pas libre. Pour devenir libre, elle doit passer par le processus complexe décrit dans La phénoménologie de l’esprit. Hegel y expose comment, à l’échelle du monde, l’esprit doit prendre conscience de lui-même et comment, d’une simple certitude subjective, il parvient à la connaissance objective de lui-même, qu’il atteindra par la voie de la dialectique de la relation maître-esclave. En réalité, cette dialectique décrit, pour l’humanité, les principes de servitude et de domination entre deux consciences qui veulent chacune se faire accepter telles qu’elles sont, car l’humain, à la différence des animaux, a la capacité de dépasser la vie. Chacun, dans une lutte désespérée pour la vie, doit faire cela et pour lui-même et pour les autres. L’esclave va perdre, il va s’agenouiller devant la vie et servir son maître par son travail. Mais l’esclave (le prolétaire chez Marx) se libérera de son esclavage dans ce labeur et grâce à lui, car il se donnera à lui-même les moyens d’atteindre l’indépendance en transformant le monde.

A la fin de ce processus, la conscience atteint l’Esprit. Le monde cesse de lui être étranger, sa connaissance qui concerne le monde est sa véritable connaissance et sa véritable connaissance est relative au monde. Mais la conscience n’est plus seulement celle de l’individu, la conscience est celle d’une communauté spirituelle dans laquelle le moi devient nous et le nous, moi. Ce n’est rien d’autre que l’Esprit qui se présente tout au long de l’histoire sous la forme de « figures » limitées en nombre, qui offrent des moments clés. Les moments clés se succèdent, depuis l’éthique grecque jusqu’à la Prusse, contemporaine de Hegel. Cependant, à la fin de ce processus, l’Esprit, prenant conscience de lui-même, la conscience parvient au savoir absolu et c’est le philosophe qui interprète ce savoir.

LA RELATION MAÎTRE-ESCLAVE CHEZ HEGEL

Dans L’être et le néant, Sartre refuse à l’homme la faculté d’être en même temps sujet et objet. La seule voie pour devenir sujet, selon celui-ci, c’est de transformer l’autre en objet. Le fait qu’une personne quelconque soit, à un moment quelconque, dans une situation dominante, est lié à ce qu’un autre soit dans une condition d’esclave. Beauvoir et Sartre ont interprété différemment les idées de Hegel. Tandis que Sartre insiste sur le fait que la personne est fondamentalement libre, Beauvoir examine dans Le deuxième sexe les idées de Hegel relatives à la différence entre les genres.

Selon Hegel, la différence entre femme et homme est semblable à celle qui existe entre les animaux et les plantes. Les hommes ressemblent aux animaux, les femmes, aux plantes, leur évolution est plus douce. Lorsque les femmes prennent la direction des choses, elles orientent leur action non selon des normes universelles, mais d’après leur penchant et leurs fantaisies.4

LA RELATION MAÎTRE-ESCLAVE ET BEAUVOIR

Lorsqu’elle examine les relations maître-esclave comme l’interprète Hegel, Simone de Beauvoir s’inspire des conférences sur la phénoménologie qu’Alexandre Kojève avait données à Paris, entre les années 1933 et 1939. Les travaux de Sartre relatifs à la phénoménologie se situent quelques années avant qu’il n’ait lu Hegel. Beauvoir n’avait pas assisté aux conférences de Kojève, mais avait été très impressionnée à leur lecture, après leur publication. Et même, dans une lettre écrite à Sartre, elle lui dit : « Tu le sais, Hegel est très difficile, mais il est très intéressant. Il faut que tu saches qu’il rappelle ta philosophie du « néant ». Je veux te le lire et te l’expliquer ».5 Les raisons de ce grand intérêt pour Hegel résident dans sa vision de la prise de conscience de l’homme, qui n’atteint la conscience subjective de lui-même que grâce à l’existence d’un autre. Selon Hegel, l’esclave accepte comme juste l’existence consciente du maître, mais ne peut accepter comme juste sa propre existence, du fait de la peur qu’il a de son maître.

KARL MARX ET BEAUVOIR

Marx, philosophe, économiste politique, révolutionnaire et théoricien fondateur du communisme, est surtout connu pour son analyse historique résumée dans la phrase initiale du Manifeste du Parti communiste (1848) : « L’histoire de la société jusqu’à nos jours n’a été que l’histoire de luttes de classe ». Marx croyait que, comme c’est le cas de toutes les sociétés construites sur les classes, le capitalisme comportait des dynamiques internes, vouées à entraîner son propre anéantissement. Tout comme le capitalisme avait remplacé le féodalisme éculé, le communisme, société sans classe, qui n’est « rien d’autre que la dictature révolutionnaire de l’Etat et du prolétariat », va, à l’issue d’un processus de passage politique, prendre la place du capitalisme. Marx regardait le changement socio-économique d’après une perspective de nécessité historique, selon laquelle le capitalisme devait obligatoirement laisser la place au communisme, comme conséquence de la dynamique de sa situation constitutive et d’une lutte.

Le mouvement des Jeunes hégéliens assemblé autour de Ludwig Feuerbach et de Bruno Bauer, était composé d’un groupe de philosophes et de journalistes critiques de leur maître Hegel. En dépit de leurs critiques des déductions métaphysiques de Hegel, ils utilisaient, dans l’analyse de la religion et de la politique, la méthode dialectique dont ils avaient évacué la dimension théologique. Certains membres de ce groupe discernaient une analogie entre la philosophie post-aristotélicienne et la philosophie hégélienne. L’un de ceux-ci est Max Stirner, dont le livre, Der Einzige und sein Eigentum (L’unique et sa propriété) critique Feuerbach et Bauer et soutient que les athéistes revêtent un aspect religieux en concrétisant les concepts abstraits. Marx, qui était disciple de Feuerbach, influencé par cet ouvrage, abandonnant le matérialisme de celui-ci, s’est rapproché d’une rupture qu’on appellera « rupture épistémologique ». A la suite de cela il écrira Die deutsche Ideologie (idéologie allemande), livre dans lequel il critique Stirner et Feuerbach et jette les bases du concept du matérialisme historique. Toutefois, il ne pourra pas publier ce livre.

Résumé des informations

Pages
452
Année de publication
2025
ISBN (PDF)
9783631930557
ISBN (ePUB)
9783631930564
ISBN (Relié)
9783631919620
DOI
10.3726/b22556
Langue
français
Date de parution
2025 (Janvier)
Mots clés
Innovative feminism Beauvoir’s legac existential insights transformative philosophy literary masterpieces groundbreaking gender studies empowering narratives intellectual revolution
Publié
Berlin, Bruxelles, Chennai, Lausanne, New York, Oxford, 2025., 452 p.
Sécurité des produits
Peter Lang Group AG

Notes biographiques

Gönül Bakay (Éditeur de volume)

Gönül Bakay est professeure à l’Université de Bahçes¸ehir, en Turquie. Son expertise en enseignement couvre les études sur les femmes, le roman gothique et la littérature anglaise du XVIIIe siècle à nos jours. Elle est membre du Centre d’études sur les femmes de l’Université d’Istanbul, de la M.S.E.A, de la BSECS et membre du conseil d’administration de K.A.D. (Club des études culturelles).

Précédent

Titre: Simone de Beauvoir