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L’anglais en France

Attitudes et représentations des blogueurs francophones

de Kathleen Shields (Auteur)
Monographies X, 230 Pages

Résumé

Ce volume présente la première étude qualitative de blogs français portant sur la langue anglaise. Basé sur un corpus d’articles affichés durant les années 2011 et 2012, il tient compte également de débats ayant eu lieu entre 2005 et 2015 dans les domaines de la formation, de la publicité et du cinéma. Les textes analysés vont au-delà du stéréotype bipolaire de l’anglais perçu comme menace ou, au contraire, comme atout indispensable qu’il faut adopter à tout prix. Si l’anglais est inévitable à l’heure de la mondialisation, pourquoi suscite-t-il des représentations parfois polémiques, des évaluations subjectives, des descriptions et théories diverses de la part des blogueurs ? Globish, outil, langue de culture, langue facile ou difficile, sont autant d’aspects de l’anglais abordés ici qui provoquent des expressions de sentiment linguistique ainsi que des représentations originales modifiant les idées préconçues. Les blogueurs diffèrent des experts linguistes qui occupent une place importante sur la scène publique. Pragmatiques, indifférents, nationalistes, neutres, joueurs, créatifs, passionnés par le savoir, ces savants amateurs démontrent qu’ils considèrent la connaissance des langues comme une ressource que chaque utilisateur peut adapter à ses besoins. Tout lecteur curieux de découvrir le développement de réflexions sur cette langue majeure trouvera ici une analyse originale qui touche au cadre plus large du contact des langues.

Table des matières

  • Couverture
  • Titre
  • Copyright
  • Sur l’auteur/l’éditeur
  • À propos du livre
  • Pour référencer cet eBook
  • Table des matières
  • Remerciements
  • Introduction
  • Chapitre 1: Évaluations subjectives, interventions et descriptions
  • Représentations de l’anglais
  • Attitudes des individus
  • Les représentations collectives
  • Le sentiment linguistique
  • Les linguistes non-spécialistes
  • Chapitre 2: Blogueurs et blogs
  • Qu’est-ce qu’un blog ?
  • Qui sont les blogueurs?
  • L’intérêt des blogs
  • La communauté en linguistique
  • La communauté dans le cyberespace
  • Chapitre 3: L’anglais comme langue véhiculaire : globish, anglo-américain (d’aéroport), le tout anglais et d’autres termes
  • Le corpus
  • Le globish selon Jean-Paul Nerrière
  • Les opinions concernant le globish de Nerrière
  • Le globish comme anglais mondial
  • Chapitre 4: L’anglais d’après les blogueurs
  • Évaluations métalinguistiques de l’anglais dans le français
  • Le lexique
  • La langue comme outil
  • L’anglais : langue difficile ou facile ?
  • Réflexions théoriques
  • Chapitre 5: Les linguistes sur la scène publique : Henriette Walter, Claude Hagège et Louis-Jean Calvet
  • Experts et nationalistes passionnés
  • Représentations bipolaires et multipolaires
  • Les impensés et les angles morts
  • Modèles et métaphores
  • L’anglais d’après les experts
  • Chapitre 6: L’anglais dans la formation
  • L’expansion de l’anglais dans l’éducation nationale
  • L’éducation supérieure et le projet de loi Fioraso
  • L’éducation extra-scolaire
  • L’éducation des jeunes
  • Formation continue, la culture d’une langue
  • Chapitre 7: L’anglais dans la publicité
  • Les langues étrangères dans la publicité
  • La loi Toubon
  • La loi Toubon comme point de référence
  • Chapitre 8: L’anglais dans le cinéma
  • L’anglais dans le cinéma : deux types de contact
  • Opinions des blogueurs 2011–2012
  • Cinéma et nationalité
  • Débats récents
  • Conclusion
  • Sites de blogs
  • Bibliographie
  • Index

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Remerciements

Je voudrais remercier tous ceux, amis et collègues, qui m’ont encouragée et soutenue au cours de ce projet, en particulier : Sandrine Fargeat-Kells, Brigitte Lejuez, Laurent Marie, Frank Callanan. Un grand merci à Robin Adamson et à Christabel Scaife pour leurs précieux conseils. Je tiens également à exprimer ma reconnaissance au bureau de recherche de mon université (Maynooth University Research Development Office) pour son soutien.

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Introduction

Frileux, vantards, défensifs ? On attribue aux francophones des attitudes à la fois diamétralement opposées et étroites vis-à-vis de l’anglais. Ce livre est consacré à l’opinion publique, plus précisément, aux remarques des francophones de la France au sujet de l’anglais, prises autant dans leur forme que dans leur fond. Il s’agit d’une étude qualitative d’articles et de commentaires de blogs français écrits entre 2005 et 2015, dont le noyau s’articule autour d’un corpus de blogs datant des années 2011 et 2012. À la différence des blogs, les ouvrages imprimés qui prennent pour sujet la question de l’anglais en France, ont tendance à suivre une approche bipolaire, selon laquelle l’anglais s’oppose inévitablement au français. Il s’ensuit que les débats se polarisent sur les extrêmes : les élites (républicaines et pro-anglais) et les marginalisés (défensifs et anti-anglais). L’anglais est ainsi considéré comme l’Autre contre lequel le français se définit et se défend.

À la fin du siècle dernier, Claude Truchot a noté l’absence d’études portant sur les attitudes des Français concernant l’anglais :

L’absence d’études sociologiques de grande ampleur sur l’attitude des Français vis-à-vis de l’anglais est d’autant plus surprenante que le débat sur la langue est ancien et qu’il est particulièrement dense. (Truchot 1990 : 313–314)

Un ouvrage de cette période prend pour sujet les attitudes des francophones en ce qui concerne l’anglais, pour conclure qu’elles sont en général positives, qu’il existe un clivage entre l’élite et l’opinion publique, tout en précisant que l’on note chez les francophones un lien fort entre l’anglais et la culture anglo-saxonne (Flaitz 1988). Depuis cette date, l’avènement d’Internet, le progrès de la mondialisation et des changements géopolitiques profonds ont propulsé l’expansion de l’anglais dans le monde entier. Il se trouve que le débat sur l’anglais prend une nouvelle ampleur et que la nécessité d’étudier les réactions s’impose. Où en sont les francophones ordinaires : pragmatiques, indifférents, non-nationalistes, ludiques, créatifs? ← 1 | 2 →

Dans le monde anglophone le traitement des idées des francophones concernant l’anglais ne tient compte que d’une partie de la réalité. Du constat, souvent répété, que les Français manquent de confiance devant l’anglais, il en découle plusieurs autres qui sont devenus presque des idées reçues : premièrement, les Français considèrent que l’anglais est une menace qui vient de l’extérieur, contre laquelle il faut construire des remparts ; dans l’esprit des Français l’anglais est un vaste ensemble de mots, le lexique étant le seul élément essentiel. De plus, les Français croient à l’importance de l’intervention gouvernementale, que ce soit par rapport à la législation et des organismes gouvernementaux ou que ce soit au niveau des Comités de terminologie. Dennis Ager résume bien cette interprétation de ce qui est censé se passer dans l’esprit des Français (1990 : 222).

Cependant, c’est surtout le sentiment linguistique qui prédomine dans les représentations anglophones des Français et de leur langue. D’après Robert McCrum, les Français sont « défensifs » à l’égard de l’anglais (McCrum 2010 : 208, 211). L’état français se sent menacé par « l’exubérance » et « l’irrévérence » de la tradition anglo-américaine, et par ses valeurs, de sorte qu’il essaie périodiquement de tenir « l’anglais d’aéroport » à distance (McCrum 2010 : 265). Il est évident que la bipolarité est un aspect des représentations qui existent des deux côtés de la Manche. Quand Uriel Weinreich a souligné, à juste titre, la nécessité de tenir en compte les facteurs extralinguistiques, tels que le sentiment linguistique, qui entrent en jeu quand les langues sont en contact, il a cité à titre d’exemple le sentiment de fierté (Weinreich 1979 : 12). Toutefois, d’après certains commentateurs anglophones, il n’existe que deux sentiments français concernant l’anglais : si les Français sont fiers de leur langue, ils manquent de sécurité devant l’anglais.

Pour un commentateur anglophone, deux croyances seraient à l’origine de cette insécurité : tout d’abord, le français, c’est la France ; ensuite, le français est universel (Ager 1999 : 11). Ou devrait l’être. Pour Ager (1999 : 80–85), la fierté ne trouve plus le moyen de s’exprimer, du fait que le français ait perdu son statut d’universalité. Il s’ensuit que la peur est le sentiment linguistique dominant chez les francophones : insécurité territoriale par rapport aux autres langues de la France ; insécurité sociale qui se manifeste dans la peur de l’autre ; peur mélangée avec un sentiment de fierté ou de ← 2 | 3 → culpabilité ; peur des États-Unis (ce qu’Ager nomme l’américanophobie). Pourtant, il est possible de soutenir que le portrait des comportements linguistiques et politiques que dressent les anglophones tourne au caricatural, et que l’insécurité linguistique ne représente qu’une partie de l’opinion française, c’est-à-dire celle qui vise à défendre le français contre l’anglais. Ce groupe a été étudié en profondeur dans un ouvrage qui prend pour sujet le travail des lobbys de défense de la langue française, le Monde Diplomatique, les législateurs, l’Académie Française, à l’ère d’Internet (Adamson 2007). Ce livre démontre que, même parmi les défenseurs du français, il ne s’agit pas que de peur et d’insécurité et que l’humour et la créativité peuvent aussi figurer dans les expressions de sentiment linguistique.

Il existe plusieurs raisons pour lesquelles on s’attendrait à ce que l’insécurité soit le sentiment dominant. En premier lieu, pendant la période 1990–2010, l’état-nation a perdu de son pouvoir devant la mondialisation, ce qui a donné naissance à des revendications nationalistes dans de nombreux pays. La langue française, comme l’un des piliers du nationalisme républicain ainsi que les questions de sa promotion et de sa défense, a donné lieu à de nombreuses études. Au cours du XXe siècle et jusqu’à nos jours, le sujet de la crise du français continue d’intriguer par ses paradoxes, ses dilemmes et ses angles morts, crise qui est souvent liée à l’expansion de l’anglais (Chiss et Puech 2000). De plus, il faut noter que la peur, l’humiliation et l’espoir se prêtent à des expressions très fortes, voire à l’incompréhension et à la violence politique, ce qui suscite l’intérêt des commentateurs. Ce sont précisément ces sentiments qui structurent l’essai de Dominique Moïsi, La Géopolitique de l’émotion, car ils sont intimement liés à la notion de confiance (Moïsi 2011). L’insécurité linguistique est un stéréotype mis en circulation par les francophones eux-mêmes, certains allant jusqu’à évoquer la « frilosité » et la « culpabilité » linguistique des Français (Saint Robert 2000 : 59, 32). Cependant, insister sur l’insécurité linguistique a pour effet de polariser les débats entre « vantardise et désespoir » (Supiot 2006). Nous verrons dans le chapitre 5 de ce livre, où il est question d’ouvrages à grande diffusion publiés par les linguistes, que pour certains experts, l’anglais s’oppose au français dans un combat pour la survie, ou que les deux langues sont étroitement imbriquées dans une relation houleuse, à la manière d’un couple amoureux. Ces stéréotypes et représentations bipolaires ← 3 | 4 → ne correspondent néanmoins qu’à une partie de la réalité, constat évident lorsqu’on tient compte des écrits des blogueurs.

Il convient de s’attarder sur la notion de stéréotype. Dans le langage courant, au sens de formule figée ou de préconstruit culturel, ce terme possède un sens légèrement péjoratif, ce qui fait que les stéréotypes rejoignent les lieux communs et les idées reçues. Pourtant, au XXe siècle, le stéréotype a subi une réhabilitation, de sorte que dans l’usage savant il sert à structurer le langage et à médiatiser notre rapport au réel (Amossy et Herschberg-Pierrot : 15–20, 26–28). Dans la pensée contemporaine, le stéréotype est donc une notion bivalente : il s’agit d’une « image collective figée considérée sous l’angle de la péjoration » (Amossy et Herschberg-Pierrot : 29). Si l’on entend le stéréotype selon l’acceptation populaire, la représentation des francophones de France en matière de leurs attitudes vis-à-vis de l’anglais constitue un stéréotype, en faisant partie d’une collection d’idées reçues. Ainsi, devant l’anglais, les Français font preuve d’insécurité et de peur mais aussi de fierté et de vantardise quand il est question de protéger le français. Le francophone de France serait un personnage rabat-joie pour qui la chasse aux anglicismes est devenue une obsession. Mais quelles sont, au juste, les idées des francophones au sujet de l’anglais ? Si l’on prend la notion de stéréotype dans sa définition savante, il est évident que la blogosphère constitue un laboratoire dans lequel on peut étudier les représentations et les attitudes qu’expriment les francophones à l’heure actuelle. Les évaluations subjectives, ainsi que la manière dont les stéréotypes servent à structurer le langage dans les remarques des individus, les blogueurs, dans le travail de la représentation de la langue anglaise, fera l’objet du chapitre 1. Le chapitre 2 analysera la blogosphère, plus précisément ce nouveau genre d’écriture qu’est le billet, ou l’article de blog, tout autant que les motivations des auteurs.

Le lecteur des blogs distingue, dans les remarques au sujet de l’anglais, un mélange de croyances collectives et individuelles, de préconstruits culturels, de nouvelles théories proposées par des individus ainsi que des articles où les auteurs tentent de concilier leur propre expérience avec les idées qui courent. La blogosphère offre une disparité d’arguments, une diversité de participants et une variété d’appréciations subjectives, qui permettent d’étudier les rationalisations fictives et pragmatiques qui s’opposent ou qui se rejoignent. De plus, l’aspect interactif des blogs fait que les visiteurs du ← 4 | 5 → site peuvent nuancer les idées de l’article en faisant une contribution au débat. À la différence de la représentation, assez limitée, du francophone comme frileux et défensif, ou comme pro- ou anti- américain, il émerge de ces remarques et discussions une gamme de thématiques récurrentes et distinctes. Les civilisations ne sont pas plus monolithiques que les idéologies, de sorte qu’il est fréquent que coexistent une idée reçue et son contraire (Amossy et Herschberg-Pierrot : 98).

Tout comme le terme stéréotype, celui d’idéologie a pris un sens neutre dans l’usage savant, ayant perdu pour d’aucuns ses connotations de falsification, d’occultation et d’imaginaire, pour signifier tout simplement les idées actuelles, ou les « discours circulant à une époque donnée » (Grize 1990 : 116–117). Toutefois, dans l’usage ordinaire l’idéologie a un sens plus restreint, que je préfère garder pour l’analyse des blogs en suivant la définition provisoire de Jan Blommaert et de Jef Verschueren, selon laquelle l’idéologie contient une bonne dose de « sens commun » qui par sa nature reste inanalysé et dans l’ombre. Il s’agit de toute constellation d’idées et d’attitudes, souvent normatives et fondamentales, devant une réalité sociale, faisant partie du sens commun et qui pour cette raison sont rarement interrogées (Blommaert et Vershueren 1998 : 25).1 Aussi peut-on dire que, contre la constellation d’idées concernant les Français et la langue anglaise, exprimées de manière répétitive dans les ouvrages imprimés et les articles de presse, s’oppose la variété d’idées très contrastées que l’on trouve dans les blogs.

Résumé des informations

Pages
X, 230
ISBN (PDF)
9781787072107
ISBN (ePUB)
9781787072114
ISBN (MOBI)
9781787072121
ISBN (Broché)
9783034318273
DOI
10.3726/b10421
Langue
français
Date de parution
2019 (Avril)
Mots clés
anglais, français, globish Linguistique ordinaire blogueurs et blogs contact des langues
Published
Oxford, Bern, Berlin, Bruxelles, Frankfurt am Main, New York, Wien, 2017. X, 230 p.

Notes biographiques

Kathleen Shields (Auteur)

Kathleen Shields est professeur de français à l’université de Maynooth, Irlande. Ses travaux portent sur la lexicographie bilingue, la politique linguistique et la traduction. Elle a été rédactrice au projet de dictionnaire Oxford-Hachette. Spécialiste de la traduction entre l’anglais et le français, elle est l’auteur de livres et de nombreux articles parus dans des revues scientifiques à travers le monde au sujet de la traduction.

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