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Les guerres balkaniques (1912–1913)

Conflits, enjeux, mémoires

de Catherine Horel (Éditeur de volume)
©2014 Collections 354 Pages

Résumé

Les contributions réunies dans cet ouvrage sur les guerres balkaniques se veulent une interrogation sur leur impact international et dans les sociétés concernées, elles questionnent également la mémoire qu’elles y ont laissée et le rôle de celle-ci dans les relations interétatiques.
Les auteurs s’intéressent tout d’abord aux conflits régionaux et aux questions territoriales, à l’expérimentation de la guerre et à la notion de patrie, aux relations entre civils et militaires, aux bandes armées. Un deuxième thème concerne plus particulièrement l’Empire ottoman puis la Turquie à travers l’importance de la Méditerranée, les indépendances successives des pays balkaniques, le devenir des villes ottomanes. La troisième partie renvoie à une tendance actuelle de la recherche qui entreprend de faire l’histoire des interventions internationales et des opérations de paix : l’action de la fondation Carnegie ; la spécificité de la diplomatie balkanique ; l’absence des grandes puissances et la fin du concert européen. Enfin, la quatrième partie traite des mémoires des guerres balkaniques : imagologie, censure et caricature ; les propagandes comparées des belligérants et des grandes puissances ; lieux de mémoire ; pour une écriture commune de l’histoire du conflit.

Table des matières

  • Couverture
  • Titre
  • Copyright
  • Sur l’auteur
  • À propos du livre
  • Pour référencer cet eBook
  • Table des matières
  • Avant-propos
  • PREMIÈRE PARTIE LES CONFLITS RÉGIONAUX 1899-1914
  • Une étude politique et militaire de la défaite rapide des armées ottomanes lors de la Première Guerre balkanique
  • Repeating Phenomenon. Balkans Wars and Irregulars
  • Comprendre et assister une migration contrainte. Les puissances et la fin de l’islam crétois des débuts de l’occupation internationale à la Première Guerre balkanique (1897-1913)
  • Jewish Communities and the Status of Salonika after the Balkan Wars
  • Les Italo-Albanais et les questions balkaniques des premières années du XXe siècle aux guerres de 1912-1913
  • La guerre après la guerre. Le mouvement insurrectionnel albano-macédonien de septembre-octobre 1913
  • Les guerres balkaniques une victoire diplomatique et nationale. Le cas de la Serbie
  • La Roumanie et la Seconde Guerre balkanique ou l’hésitation géopolitique et statutaire
  • L’annexion de la Dobroudja du Sud par la Roumanie en 1913 et l’alliance franco-russe
  • DEUXIÈME PARTIE LES INTERVENTIONS INTERNATIONALES
  • Les opérations navales internationales au large de l’Albanie et du Monténégro en 1880 et 1913
  • The London Conference of Ambassadors and the Creation of the Albanian State, 1912-1914
  • Les consuls de France et d’Italie à Salonique face aux guerres balkaniques
  • Une enquête internationale dans les balkans. La commission Carnegie de l’expédition au rapport de 1913-1914
  • La Première Guerre balkanique vue par le journaliste français Stéphane Lauzanne
  • TROISIÈME PARTIE LES MÉMOIRES DU CONFLIT
  • Les guerres balkaniques dans la presse française
  • Georges Scott et la fabrication de l’information. Un illustrateur français avec l’armée grecque en 1913
  • Journalisme et diplomatie dans les Balkans. James David Bourchier et les guerres balkaniques
  • Journalisme bravache et rhétorique nationaliste. La Seconde Guerre balkanique dans la presse roumaine
  • La mémoire serbe des guerres balkaniques au service de l’idéologie yougoslave 1918-1991
  • Mémoire ou oubli des guerres balkaniques en République de Macédoine ?
  • Index
  • Titres de la collection

Avant-propos

Catherine HOREL

CNRS, UMR IRICE (Université de Paris I)

Ce volume se présente comme la deuxième étape du programme défini en 2008 : De Sarajevo à Sarajevo. De la balkanisation à l’intégration européenne des Balkans occidentaux et qui a vu l’organisation d’un premier colloque consacré à la crise suscitée par l’annexion de la Bosnie-Hérzégovine en 1908, dont les actes ont été publiés dans la collection « Enjeux internationaux »1. Depuis lors, la Croatie est devenue membre de l’Union européenne (2013) et il apparaît plus que jamais pertinent de poursuivre la réflexion engagée sur l’intégration globale de la région dans l’Union européenne, en particulier celle de la Serbie, celle de la Bosnie-Herzégovine, mais aussi de la Macédoine et de l’Albanie.

En 1912-1913, les deux guerres balkaniques ont secoué la région dans son ensemble, sans toutefois que les grandes puissances interviennent directement. En effet, aucune des puissances régionales, l’Autriche-Hongrie, l’Italie, la Russie n’ont pris part à l’affrontement, bien que certains de leurs intérêts géopolitiques se soient trouvés mis en jeu. L’expérience lybienne pour l’Italie et celle de l’annexion de la Bosnie-Herzégovine pour la Double Monarchie ont suffisamment ébranlé le concert européen pour que ces deux États demeurent en retrait. La perspective d’une victoire des alliés balkaniques qui viendrait bouleverser l’équilibre des forces dans la péninsule nécessite néanmoins que les voisins s’inquiètent d’un après-guerre susceptible de changer leurs orientations. Au-delà des rapports de force régionaux, c’est la faiblesse supposée de l’Empire ottoman qui préoccupe les Français et les Britanniques. La « question d’Orient » déstabilise la région depuis 1878 et l’établissement d’États-nations sur les territoires progressivement abandonnés par les Ottomans oblige les puissances à redéfinir leurs objectifs. Face à la « balkanisation », la survie de l’Empire ottoman paraît désormais préférable à sa disparition. Mais la Turquie de 1912 ← 11 | 12 → est elle-même gagnée par l’instabilité et sa solidité est plus que jamais remise en doute.

Les textes rassemblés ici sont le produit d’un colloque tenu à Paris (Universités de Paris I et Paris IV) les 7-8 juin 2013. La rencontre a réuni des historiens issus de tous les pays impliqués dans les deux guerres balkaniques. Elle se voulait à la fois une interrogation sur leur impact international et dans les sociétés concernées, et une réflexion sur la mémoire qu’elles y ont laissée, ainsi que sur le rôle de celle-ci dans les relations interétatiques et dans le discours identitaire. Quatre pistes de recherche ont été proposées aux auteurs :

Ce sont finalement trois grandes articulations qui ont été retenues pour la publication. Les conflits régionaux des deux guerres balkaniques sont évoqués du point de vue turc (Enis Tulça) et au travers des buts de guerre des belligérants. Les contributions de Vojislav Pavlović (Serbie), Traian Sandu et Gabriel Leanca (Roumanie) montrent comment les deux pays ← 12 | 13 → ont varié dans leurs approches d’une guerre à l’autre. L’issue de la guerre est en outre un facteur explicatif pour leur attitude vis-à-vis du conflit suivant. Mais la guerre est également vue à hauteur d’hommes comme le montre Dmitar Tasić avec le cas difficilement gérable pour la Serbie des bandes armées irrégulières que l’on a ensuite du mal à intégrer. Il en est de même de l’insurrection oubliée d’Ohrid évoquée par Bernard Lory, qui ne cadre pas dans la mémoire officielle macédonienne, centrée sur la révolte d’Ilinden en 1903, ni a fortiori dans celle de l’Albanie. L’élan généreux des Italo-Albanais (Francesco Guida) se heurte pour sa part à bien des obstacles avant même de pouvoir débarquer sur l’autre rive de l’Adriatique. Les victimes sont comme le plus souvent les représentants du multiculturalisme : les juifs de Salonique étudiés par Emanuela Costantini ; mais aussi ceux que le vainqueur considère comme des traîtres ou comme des étrangers au nouveau discours national : les musulmans de Crète dépeints par Patrick Louvier.

Les interventions internationales ont fréquemment pour objet de faire cesser des exactions, de rétablir l’ordre, d’assurer la sécurité de biens et d’individus extérieurs au conflit. La brutalité des combats et l’importance des exactions commises contre les civils sont considérables et font pour la première fois l’objet d’une documentation abondante et instrumentalisée. L’intervention humanitaire désintéressée et impartiale est un autre élément nouveau dont la fondation Carnegie est sans conteste le pionnier. Nadine Akhund insiste sur l’ampleur du projet et sa signification bien au-delà du présent conflit. Les témoignages favorables à l’Empire ottoman sont rares et Odile Moreau souligne à juste titre le rôle de Stéphane Lauzanne.

Les grandes puissances agissent pour protéger leurs ressortissants et leurs intérêts. Il en est ainsi de la France et de l’Italie dans la belle étude comparée de Fabrice Jesné et Mathieu Jestin. Elles sont aussi soucieuses de garder la maîtrise des mers et cette préoccupation est constante comme le montre Jean-Marie Delaroche en mettant en parallèle les opérations de 1880 et 1913, qui prouvent l’importance – souvent ignorée dans l’historiographie française – de l’Adriatique. Enfin, elles imposent même la création d’un nouvel État, l’Albanie, au grand dam de certains des belligérants. Erwin Schmidl montre la perplexité des grandes puissances envers l’Albanie et l’immédiate rivalité que sa naissance suscite entre l’Autriche-Hongrie et l’Italie, dont la concurrence est déjà vive sur d’autres terrains. Là encore, les racines du renversement des alliances de 1915 se font jour.

Les guerres balkaniques ont été certainement un ballon d’essai pour la couverture médiatique destinée à se perfectionner durant la Première Guerre mondiale. La présence des journalistes sur le terrain des opérations est parfois caricaturale ainsi que le note Nicolas Pitsos, mais il montre aussi ← 13 | 14 → que les journalistes choisissent leur camp. Le correspondant de guerre devient un spécialiste voire un expert dont les chancelleries prennent l’avis. Dans le cas de James David Bourchier, il y a très certainement un mélange des genres dont Daniel Cain montre qu’il finit par nuire à l’intéressé. Les journalistes contribuent à la construction d’une narration qui sert la construction du discours identitaire. Dans le cas roumain décrit par Claudiu-Lucian Topor, le récit fabrique la figure de l’ennemi et sacralise le territoire conquis. Sur le terrain même, le correspondant « truque » la représentation qu’il livre du conflit et de ses protagonistes. Frédéric Guelton met à jour les méthodes de Georges Scott pour donner à ses photographies l’aspect voulu. La mémoire des guerres balkaniques est problématique dans la conscience historique serbe bien davantage construite autour de la « victoire » de 1918. Stanislav Sretenović étudie la complexité induite par le conflit sur le long terme et selon les vicissitudes politiques vécues dans l’espace yougoslave. L’identité macédonienne est également caractérisée par un discours ambigu sur les guerres balkaniques puisque la Macédoine est à la fois acteur et objet du conflit. Tchavdar Marinov examine la situation actuelle et en montre les impasses.

Notre programme doit se conclure par un troisième colloque consacré à la Première Guerre mondiale dont l’ambition est de sortir des Balkans. Prévu à Paris à la fin de l’année 2014, il a pour objet de croiser l’histoire régionale avec l’histoire mondiale du conflit. Le premier objectif du colloque est de mesurer le degré de mondialisation de ce conflit, et donc le degré d’engagement et de mobilisation – militaire, économique, culturelle – des différentes régions de la planète dans cette Grande Guerre, dans un essai d’histoire globale. Le second serait d’analyser, de comparer, à travers des exemples précis, la façon dont celle-ci change les Weltanschauungen, les visions du monde, aussi bien dans les pays belligérants que dans les pays neutres, hors d’Europe, en Europe : comment, au cours et au lendemain du conflit, les systèmes de représentations ou les imaginaires ont-ils été transformés ici et là, y compris, sur tous les continents, l’image des grandes puissances en guerre ? et comment les mémoires en ont-elles été affectées dans la durée, jusqu’à nos jours ?

Dans un second temps, le colloque traitera des Balkans « au cœur » du premier conflit mondial avec une réflexion sur les enjeux territoriaux, les identités collectives et les traces de guerre. D’autres fronts ont mobilisé bien plus d’hommes et fait bien plus de victimes. Il n’en reste pas moins vrai que la « brutalisation » de la Grande Guerre a commencé lors des guerres balkaniques. Nombreux aussi sont les belligérants européens partis en guerre en 1914, mais aussi en 1915, en 1916 ou en 1917, à cause, à l’occasion ou sur le prétexte des enjeux balkaniques. Au centre de la rivalité entre deux empires – l’Autriche-Hongrie et la Russie – cette région a cristallisé la liaison dangereuse par laquelle ces deux acteurs ← 14 | 15 → entraînent une grande partie de l’Europe, y compris des États et des sociétés qui avaient peu d’intérêts balkaniques, dans la mêlée générale. Quant au front balkanique lui-même, il mérite d’être étudié afin que se développe une connaissance historique plus précise des expériences combattantes sur ces champs de bataille, ainsi que du poids militaire des différents acteurs sur le terrain. Enfin, l’impact du premier conflit mondial sur la région des Balkans jusqu’à nos jours doit être mesuré par l’étude de la sortie immédiate de la Grande Guerre, mais aussi par l’analyse des remaniements postérieurs, ainsi que des traumatismes et traces de guerre qui hantent tout le XXe siècle jusqu’aux guerres yougoslaves de 1991-1999. Il n’est pas question de traiter ces dernières au cours de ce colloque, ni de s’intéresser à tout le film des tragédies qui se déroulent entre Sarajevo 1914 et Sarajevo 1994, mais une réflexion conclusive d’histoire du temps présent sera permise sur la question de savoir pourquoi les Européens, cent ans après, ont encore du mal à résoudre leur question balkanique… même s’ils ont su inventer, et ce n’est pas rien, les pare-feu capables d’éviter l’incendie général. ← 15 | 16 →

 

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  1  Catherine Horel (dir.), 1908, la crise de Bosnie dans le contexte européen cent ans après, Actes de colloque, Bruxelles, PIE Peter Lang (collection Enjeux internationaux), 2011.

PREMIÈRE PARTIE

LES CONFLITS RÉGIONAUX
1899-1914

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Une étude politique et militaire de la défaite rapide des armées ottomanes lors de la Première Guerre balkanique

Enis TULÇA

Université de Galatasaray, Istanbul

À la veille des guerres balkaniques, la diplomatie de l’Empire ottoman rencontre d’énormes difficultés. La guerre de Lybie (1911-1912) vient de se terminer. L’armée ottomane y a montré d’importantes lacunes. Mais surtout l’administration ottomane commet de graves erreurs en matière de politique intérieure et extérieure. Tout se passe comme si les décideurs étaient inconscients de la situation. En 1912 le Sultan Abdülhamid1 n’est plus au pouvoir. Le palais de Yıldız était toutefois informé depuis 1908 des préparatifs effectués par la Bulgarie en vue d’une guerre et l’on souhaitait que celle-ci, si tant est qu’elle soit inévitable, ait lieu le plus tôt possible avant une alliance probable de la Bulgarie avec la Serbie.

Depuis 1909 l’Empire ottoman n’est pas parvenu à tirer profit des différends existant entre les pays balkaniques. En avril 1909, le nouveau sultan, Mehmet Reşat, frère cadet d’Abdülhamid, bon connaisseur des cultures orientales (notamment de l’Iran), laisse les mains libres aux dirigeants du parti Union et Progrès. Au congrès du Parti tenu en 1909 à Salonique, Mustafa Kemal2 insiste sur deux points : les officiers ne doivent pas intervenir sur la scène politique ; l’armée doit se préparer rapidement pour une guerre proche. Deux premiers ministres se succèdent au moment du déclenchement de la Première Guerre balkanique : Ahmet Muhtar Pacha (1839-1919) qui est en fonction entre juillet et octobre 1912, suivi par Kamil Pacha3, un vétéran des gouvernements ottomans. Le chef ← 19 | 20 → d’état-major de l’armée est alors Nazım Pacha4. Le poste de ministre des Affaires étrangères est occupé par un chrétien, Gabriel Noradangiyan5.

Après avril 1909, un certain nombre d’erreurs diplomatiques et militaires graves caractérisent la politique ottomane. Tout d’abord la loi du 3 juillet 1910 concernant les écoles et les églises. Elle réglemente les différentes formes d’organisation des églises bulgare, grecque et serbe et supprime du même coup l’une des principales sources de discorde entre les confessions orthodoxes des Balkans. Par souci de simplification, l’administration ottomane donne en fait à ces communautés un instrument d’unification qui a son importance durant la Première Guerre balkanique. Indépendante depuis 1908, la Bulgarie du roi Ferdinand ne fait pas mystère de son intention d’entreprendre une « croisade » sur fond de nationalisme ethnique.

Dans le même temps, l’armement lourd commandé à la France par la Serbie, dont le transport est bloqué par l’Autriche-Hongrie, est autorisé par les Ottomans à transiter par le port de Salonique en direction de Belgrade. La Turquie permet ainsi à la Serbie de recevoir les canons qu’elle va bientôt employer contre elle. Enfin une autre grave erreur de la politique extérieure ottomane consiste à s’être éloignée de la Grèce alors que l’on aurait pu à ce moment envisager une entente sur la base d’intérêts communs, notamment maritimes. Ferruh Nurettin, diplomate ottoman à Londres, avait ainsi transmis une information émanant du conseiller de Sa Majesté à Londres pour l’Inde, Ali Han6, sur une déclaration des ambassadeurs de la Grèce et de la Serbie à Londres, selon laquelle la Bulgarie les avait invités à faire cause commune face à l’Empire ottoman. Or les deux diplomates n’ont pas donné suite à cette démarche. Il semble que des gestes simples et peu contraignants auraient peut-être suffi à satisfaire les deux pays. En ce qui concerne la Grèce, il se serait agi de relier les chemins de fer grecs à la voie ferrée européenne à travers les Balkans. Pour la Serbie, on aurait pu accorder l’autorisation d’exportation de produits serbes à partir du port de Salonique. Recevant ces informations, le nouveau ministre des Affaires étrangères, Asım Pacha, ne jugea pas utile de réagir. Plus tard, le chef du cabinet du ministre, Ethem, affirma que ce document reçu de Londres avait été mis de côté puis oublié. ← 20 | 21 →

D’autres initiatives de la diplomatie ottomane ont certes bien lieu, mais elles ne trouvent aucun écho au sommet de l’État. Le député ottoman Sureyya, frère de Ferid Pacha, le dernier Premier ministre d’Abdülhamid, a un entretien à Athènes avec Venizelos et Teodokis. Tous deux déclarent qu’une guerre balkanique n’est pas dans l’intérêt de la Grèce et que la solution du problème crétois en faveur de l’hellénisme et la reconnaissance par les Ottomans des droits de la minorité grecque en Macédoine suffiraient pour que la Grèce s’abstienne de participer au conflit. L’ambassade ottomane à Athènes s’empresse de transmettre cette information à Istanbul. Mais elle ne suscitae aucune réaction7.

À la veille de la Première Guerre balkanique, l’affirmation de la présence allemande dans l’armée ottomane joue un rôle nouveau et significatif. Cette évolution se fait toutefois graduellement et l’on a besoin de temps pour mettre les choses en ordre, c’est pourquoi le chef d’état-major, Nazım Pacha, au début du mois d’octobre 1912, dit que vingt jours au moins sont nécessaires pour que soient effectués les préparatifs permettant de mettre l’armée sur le pied de guerre. Mais il est contredit immédiatement par le ministre des Affaires étrangères, Asım Pacha, qui affirme inexistant un risque de guerre imminente dans les Balkans. Son prédécesseur, Gabriel Noraduangiyan, s’était montré confiant dans la garantie russe pour les Balkans et avait donné l’ordre de démobiliser 120 bataillons de l’armée ottomane que l’on avait donc retirés du service. Ainsi quelque 75 000 hommes, parmi eux des soldats expérimentés, avaient quitté l’armée. À la même époque Reşit Pacha, le ministre de l’Agriculture, s’était rendu en visite auprès du chef d’état-major Nazım Pacha, et lui avait dit : « Pacha, on nous trahit ». Il avait illustré ses propos en lui rapportant les paroles de Gabriel Noradoangiyan au moment des pourparlers avec les Italiens consécutifs à la fin de la guerre de Lybie : « Notre situation est très mauvaise, ne ratez pas cette occasion, insistez pour obtenir vos exigences »8.

Malgré ce qui vient d’être dit, la tendance en Europe va dans le sens d’une victoire probable des Turcs en cas de conflit dans les Balkans. Ainsi les documents diplomatiques britanniques sont-ils révélateurs d’une inquiétude pour le futur des Balkans et les intérêts de l’Europe dans le cas d’une victoire des alliés balkaniques face à l’Empire ottoman. Avant le déclenchement de la guerre, les Jeunes Turcs développent une propagande notamment en direction des étudiants pour les motiver en vue d’une guerre. Parallèlement se forment les alliances de la Bulgarie avec la ← 21 | 22 → Serbie et de la Bulgarie avec la Grèce. Finalement, le 8 octobre 1912, le Monténégro déclare en premier la guerre à l’Empire ottoman. Les forces disponibles de l’armée ottomane stationnées à Istanbul, à Andrinople (Edirne) et à Salonique vont devoir faire face à ces quatre pays. Le départ des 120 bataillons a incontestablement affaibli les armées cantonnées dans ces trois villes. On ne disposait toutefois pas d’assez de temps pour faire venir des troupes de Bagdad et de Damas. Plus tard, après le début de la guerre, il apparaît clairement que la division de la politique intérieure du pays a de graves conséquences sur le front. Aucune forme d’union sacrée ne s’opère entre les Jeunes Turcs et leurs opposants. Les adversaires grecs et bulgares sont parfaitement informés de cette situation ainsi que des positions de l’armée ottomane.

Pour en terminer avec les erreurs diplomatiques et militaires de l’Empire ottoman à la veille des guerres balkaniques, il est intéressant de relater la réaction du sultan Abdülhamid. Il résidait en exil à Salonique depuis trois ans et demi, on lui avait même interdit de lire les journaux. Huit jours avant la chute de Salonique en novembre 1912, un commandant à la tête de son détachement vient chercher le sultan pour l’emmener à Istanbul. On lui explique la situation, qui le surprend fort. Abdülhamid se demande tout d’abord comment une alliance a pu se forger dans les Balkans entre les Bulgares et les Grecs, puis comment les quatre pays ont pu s’entendre pour déclarer la guerre à l’Empire ottoman alors qu’ils sont des ennemis plus virulents entre eux qu’avec l’Empire ottoman. Après réflexion, le sultan dit au commandant : « Je crois que vous avez résolu la question des églises entre nos voisins balkaniques ». Une fois arrivé à Istanbul, le sultan est logé au palais de Beylerbeyi, des hommes d’État et des officiers généraux ottomans commencent à lui rendre visite de plus en plus souvent, afin de recueillir ses conseils. Mais il était évidemment trop tard. Lors de ces entretiens, Abdülhamid exprimait son étonnement en disant

Résumé des informations

Pages
354
Année
2014
ISBN (PDF)
9783035264555
ISBN (ePUB)
9783035295559
ISBN (MOBI)
9783035295542
ISBN (Broché)
9782875741851
DOI
10.3726/978-3-0352-6455-5
Langue
français
Date de parution
2014 (Août)
Mots clés
Conflit régional Revendication territoriale Intervention internationale Mémoire balkanique
Published
Bruxelles, Bern, Berlin, Frankfurt am Main, New York, Oxford, Wien, 2014. 354 p., 10 ill., 1 tabl.

Notes biographiques

Catherine Horel (Éditeur de volume)

Catherine Horel est directrice de recherche au CNRS (S-IHRICE), spécialiste de l’Europe centrale contemporaine. Ses récentes publications sont Cette Europe qu’on dit centrale. Des Habsbourg à l’intégration européenne (2009) et 1908, la crise de Bosnie dans le contexte européen cent ans après (2011). Elle prépare actuellement une une biographie de l’amiral Horthy.

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Titre: Les guerres balkaniques (1912–1913)
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