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La médiatisation de l’évaluation/Evaluation in the Media

de Julie Bouchard (Éditeur de volume) Étienne Candel (Éditeur de volume) Hélène Cardy (Éditeur de volume) Gustavo Gomez-Mejia (Éditeur de volume)
©2015 Collections VIII, 322 Pages

Résumé

Comment l’espace médiatique (presse, télé, web) façonne-t-il la définition et l’attribution de valeurs pour des entités de toutes sortes ? Au moment où abondent les instruments d’évaluation fondés sur la quantification – des indicateurs aux classements, des hit-parades aux baromètres, des mégadonnées au like, des commentaires aux notes – et que concours, prix ou récompenses font florès, ce livre entend éclairer les logiques, les processus et les discours médiatiques à l’œuvre dans la production, la circulation et la publicisation de l’évaluation.
How does the media space (press, television, web) shape the definition and assignment of values to various entities? While evaluative tools based on quantification proliferate – from indicators to rankings, from charts to barometers, from big data to like, from comments to notes – and contests, prizes or awards are flourishing, this book aims to shed light on the media logics, processes and discourses at work in the production, circulation and publicization of evaluation.

Table des matières

  • Couverture
  • Titre
  • Copyright
  • Sur l’auteur/l’éditeur
  • À propos du livre
  • Pour référencer cet eBook
  • Remerciements
  • Sommaire
  • La médiatisation de l’évaluation et les flux de valeurs
  • 1. L’évaluation comme processus de production de valeurs
  • 2. L’évaluation au prisme de sa médiatisation
  • Bibliographie
  • Rankled by rankings: how media rankings redefined higher education
  • Introduction
  • 1. The backdrop for rankings
  • 2. Rankings are technologies of simplification
  • 3. Rankings generate dynamic relationships between simplification and elaboration
  • 4. Rankings often become news
  • 5. Rankings have been consequential
  • Conclusion
  • References
  • L’évaluation à l’épreuve des médias informatisés
  • L’évaluation sur Internet : une démocratisation de l’expertise ?
  • Introduction
  • 1. La médiatisation de la masse
  • 2. L’individualisation de l’opinion
  • 3. L’opinion masquée
  • 4. Le sentiment d’être « quelqu’un »
  • 5. L’expertise déchue
  • 6. La personnalisation de l’opinion
  • Conclusion
  • Bibliographie
  • Quelle(s) perception(s) des classements de blogs par leurs auteurs ? Le cas Wikio
  • Introduction
  • 1. Pour en finir avec l’idée d’une évaluation neutre et objective
  • 2. Les blogs : de l’expression de soi à un marché de la notoriété et de l’expertise ? L’émergence des systèmes d’évaluation comme Wikio
  • 3. La perception du dispositif d’évaluation Wikio
  • 3.1 La méthodologie mise en œuvre
  • 3.2 La question des catégories
  • 3.3 Pourquoi s’inscrire ?
  • 3.4 Perception des critères d’évaluation et des indicateurs de mesure
  • 3.5 Wikio : quels apports ?
  • 4. Discussion des résultats
  • Conclusion
  • Bibliographie
  • Scraping the Social? Issues in real-time social research
  • Introduction
  • 1. What is Scraping ?
  • 2. Scraping as a technique of social research
  • 3. Real-time research or the re-ordering of the empirical cycle
  • 4. Live sociology: Meta data as the new social data?
  • Conclusion
  • References
  • Des sujets aux institutions, valeur de l’évaluation
  • A l’épreuve de l’évaluation : analyse comparée d’une émission de talent show française et allemande (Nouvelle Star et Deutschland sucht den Superstar)
  • Introduction
  • 1. L’évaluation comme moteur de l’émission
  • 2. Une évaluation ambiguë
  • 3. La comparaison entre la Nouvelle Star et Deutschland sucht den Superstar
  • 4. L’institution trouble
  • 5. Des traits de « néolibéralisme » ?
  • L’individu calculateur
  • La validation par le marché
  • Conclusion
  • Bibliographie
  • Le prix comme manifestation d’une légitimité politique : la médiatisation de l’évaluation sur le site internet de l’Unesco comme élément performant
  • Introduction
  • 1. L’organisation comme instance productrice de sa propre réussite : penser le dispositif d’évaluation comme une construction sémiotique performante
  • 1.1 La réussite vue par l’organisation, vers une idéologie de la performance ?
  • 1.2 Comment signifier la performance ? Signifier la réussite dans une construction sémiotique : enjeux du site internet
  • 2. De la mise en scène de la réussite vers la construction d’une légitimité institutionnelle
  • 2.1 Quand l’énonciation de la réussite dit ce qu’est l’institution : l’Unesco une entreprise humaniste responsable de la paix
  • 2.2 Quand l’énonciation de la réussite dit ce qu’est l’institution : Félix Houphouët-Boigny une incarnation de l’Unesco
  • Conclusion
  • Bibliographie
  • Documents étudiés (issus du site internet de l’organisation)
  • Références
  • Measuring government performance and happiness: The end of public opinion as we know it?
  • Introduction
  • 1. The happiness indexes: from GDP to personalized measurement of wellbeing
  • 2. From economy to real life: what do people talk about when they talk about politics?
  • 2.1 Public debate and deliberative democracy
  • 2.2 Public debate and policy-making
  • 3. Opening up the public sphere: democratic participation through public microspheres
  • 4. Thematic microspheres, democratic legitimacy and the social role of the media
  • 4.1 Thematic microspheres and fragmented societies
  • 4.2 Thematic public spheres and the democratic theory
  • References
  • Les classements et le faire-savoir médiatique
  • ‘Second city syndrome’: media reportage of urban rankings
  • Introduction: City ranking mania – a Melbourne perspective
  • 1. Approach and methodology
  • 2. Background
  • 2.1 Urban rankings
  • 2.2 Other systems of city ranking: first and second cities
  • 3. Case study: release of the 2011 EIU global liveability survey and 2010 Mercer worldwide quality of living rankings
  • Conclusion
  • Appendix: tables of rankings
  • References
  • Primary newspaper sources cited
  • Other sources
  • La médiatisation de Pisa en France : travail journalistique et action publique
  • Introduction
  • 1. Approche théorique
  • 2. Corpus méthodologique
  • 3. La couverture médiatique de Pisa : discontinuité, extension et politisation
  • 4. Les formes de l’évaluation journalistique
  • 5. Les contraintes du travail journalistique sur Pisa
  • Conclusion
  • Bibliographie
  • Médiatisation du « classement de Shanghai » et processus de co-construction : analyse socio-discursive d’un corpus de presse et entretiens compréhensifs
  • Introduction
  • 1. Espaces publics mosaïques et diffusion du « classement de Shanghai »
  • 2. Genèse de l’événement : sources d’information et logiques de presse
  • 2.1 Sources indirectes et simplicité sémiologique : comment le classement vint de Shanghai ?
  • 2.2 Genèse et co-construction de l’événement : renouvellement des marronniers, « la place d’Harvard » et la période estivale
  • 3. De l’événement au référent : circulation de la formule et usages socio-discursifs
  • 3.1 Co-construction et circulation de la formule « classement de Shanghai »
  • 3.2 Usages socio-discursifs : effet de réactivité et logique du « montrer du doigt »
  • Conclusion. Usages socio-discursifs et le « name and shame »
  • Bibliographie
  • La médiatisation du Palmarès des musées de France : dispositif, légitimité et registres de valeurs
  • Introduction
  • 1. Le fonctionnement de l’évaluation selon les principes d’un dispositif
  • 2. La contribution de la médiatisation à la formation d’une légitimité et d’une croyance sans consensus à l’égard des valeurs produites par le Palmarès
  • 3. La circulation des valeurs au moyen des modes d’appropriation du Palmarès par la presse régionale
  • Conclusion
  • Bibliographie
  • Les mesures des médias
  • From demographics to buying power: economic evaluation of audiences as consumers
  • Introduction
  • 1. Audience manufacture and direct marketing
  • 2. The interactive television storefront
  • 3. Audience valuation
  • 4. Canoe ventures and T-commerce
  • Conclusion Consumers: always on, always on sale
  • References
  • Mesurer « la diversité » dans les médias ? Etude du baromètre du CSA
  • Introduction
  • 1. De l’étude sur la « présence et représentation des minorités visibles à la télévision française » à la mise en place du baromètre
  • 1.1 De l’émergence à l’institutionnalisation de la question de « la diversité » dans les médias
  • 1.2 La genèse du baromètre de « la diversité »
  • 1.3 Le baromètre comme outil d’évaluation et de valorisation
  • 2. L’approche méthodologique : la catégorisation sociale en question
  • 2.1 Reprises et transformations de la démarche méthodologique
  • 2.2 Une hétéro-qualification des identités sociales
  • 2.3 La catégorisation comme procédé infra-ordinaire
  • 2.4 Diversité visible ou diversité vitrine ?
  • 3. Les conceptions de la communication médiatique
  • 3.1 Représentation et représentativité
  • 3.2 La métaphore du miroir
  • 3.3 Une certaine vision mécaniste du symbolique
  • Conclusion
  • Bibliographie
  • Evaluation of the media in the media: assessing political and methodological aspects of measuring freedom of information
  • Introduction
  • 1. Conceptions of democracy and press freedom
  • 2. Evaluation of the media: how Freedom House and Reporters Sans Frontières measure freedom of information
  • 3. Evaluation in the media: the diffusion of the Freedom House’s model
  • Conclusion
  • References

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La médiatisation de l’évaluation et les flux de valeurs

JULIE BOUCHARD, Université Paris 13 et Institut des sciences de la communication du CNRS

L’actualité de l’évaluation n’est assurément pas étrangère à cet ouvrage. Relativement rare au début XVIIIe siècle, l’usage du mot « évaluation », de manière générale, s’est intensifié au XIXe siècle et plus encore au XXe siècle (ARTFL-Frantext, 2012). Présent dans le langage courant depuis le XIVe siècle, le mot « évaluation » n’est apparu dans les dictionnaires français de sciences humaines et sociales qu’à partir des années 1990, c’est-à-dire au moment où s’impose la référence à l’évaluation dans le domaine des politiques publiques (Boure, 2010 ; Barbier et Matijasik, 2010). Les mutations controversées de l’évaluation dans l’enseignement supérieur et la recherche marqué au fer du new public management depuis les années 1980 ont pu sensibiliser à la thématique de l’évaluation un ensemble de chercheurs en sciences humaines et sociales dont les travaux enflent de manière continue (Gingras, 2014 ; Musselin, 2013 ; Ogien, 2013 ; Glassey, Leresche et Moeschler, 2013 ; Louvel, 2012 ; Gaulejac, 2012 ; Boure, 2010 ; Charle, 2009 ; Bruno, 2008, pour quelques exemples). L’évaluation se constitue d’autant en objet de recherche visible, plutôt que nouveau, que des mutations similaires ont opéré simultanément dans l’ensemble des domaines de la gestion publique, comme dans ceux de la gestion privée qui a influencé ce mouvement. La curiosité des chercheurs en sciences humaines et sociales pour l’évaluation peut encore être stimulée par la déferlante évaluative et sa mise en algorithmes extensive qui anime le web et les réseaux sociaux (Cardon [dir.], 2013 [a]). Loin d’une opération mentale purement subjective ou logique, l’évaluation, c’est-à-dire la production de valeurs et de jugements, apparaît à la fois comme le résultat et l’opérateur de normes sociales de pensée et d’action, comme « la résultante, selon la formule de Michael Power à propos de l’audit, des communautés où nous vivons, des formes d’engagement, d’approbation et de condamnation qui constituent notre environnement normatif » (Power, 2005 [1997]).

Les études empiriques originales de ce livre, à l’image d’une importante littérature académique sur le sujet, analysent diverses situations ← 1 | 2 → contemporaines d’évaluation composées d’agents évaluants, d’entités évaluées, d’objectifs et de techniques d’évaluation variés: scraping comme technique d’extraction et de production de connaissances sur le web ; classements de blogs, de villes, de performances scolaires des pays, d’établissements d’enseignement supérieur et de recherche, de musées ; élection de « stars » de la chanson dans les émissions de talent shows ; prix émanant d’organisations internationales ; mesure du bonheur ; baromètre de la diversité dans les médias ; indicateurs de la liberté d’information ; mesures d’audience. Autour de ces différents « valorimètres » (Latour et Lépinay, 2008), l’évaluation est saisie dans de multiples situations.

En quoi, derrière l’apparente hétérogénéité des situations analysées, sommes-nous ici aussi au contact de « différentes versions d’une même chose » (Graeber, 2006) qu’il convient d’appréhender, non seulement séparément pour elles-mêmes, mais aussi comme un ensemble dans le respect des approches de chaque contributeur ? Quel cadre épistémologique contient la relative diversité empirique encouragée par les coordonnateurs de ce livre ? En guise d’introduction générale, il convient de lever le voile de la « médiatisation de l’évaluation » en explicitant ces notions et la perspective de recherche qui les articule, et ce en convoquant librement les textes qui composent cet ouvrage, en dérogeant souvent à l’ordre de leur présentation.

1. L’évaluation comme processus de production de valeurs

Cernons dans un premier temps partiellement l’objet de cet ouvrage, en dépit du caractère de « mot-valise » prêté aujourd’hui au terme « évaluation » (Fouquet et Perriault, 2010), du « vertige sémantique » (Klinkenberg, 2011) que la polysémie du mot « valeur » parvient à provoquer et des usages multiples dans les disciplines des sciences humaines et sociales. Ce livre aborde l’évaluation du point de vue des sciences humaines et sociales dans une perspective le plus souvent constructiviste considérant qu’elle se prête à l’analyse comme d’autres phénomènes sociaux, historiques et culturels. Les valeurs, marchandes, quasi-marchandes et non-marchandes, sont appréhendées non comme strictement intrinsèques aux entités évaluées mais aussi comme les résultats de différents processus sociaux, cognitifs et matériels d’évaluation dont la « circulation créative » (Jeanneret, 2008) suppose ← 2 | 3 → elle-même et encore l’activation d’autres processus d’évaluation. En d’autres termes et au plus général, s’intéresser comme ici à l’évaluation consiste à tenter de comprendre non seulement ce qui compte ou importe et, symétriquement, ce qui ne compte pas et n’importe pas, mais aussi et surtout comment et par quoi s’instituent et se destituent les valeurs, dans le flux de leur production, de leur circulation et de leurs usages. Cette posture générale s’apparente à une approche pragmatique de la valeur, considérant qu’il est possible d’enquêter empiriquement sur les valeurs comme on enquête empiriquement sur les faits (Bidet, Quéré et Truc, 2011 ; Cometti, 2010). En prenant pour objet l’évaluation, cet ouvrage porte « plus attention à l’activité de valuation qu’à la valeur elle-même » (Bessy et Chauvin, 2013) en s’attardant aux processus et en se maintenant à distance de ceux-ci et des mondes étudiés qu’il s’agit de comprendre par l’analyse empirique.

On retrouve là un des principaux sens du mot « évaluation » dans les dictionnaires : action d’évaluer, d’apprécier, d’estimer la valeur. Le terme « évaluation » peut aussi se substituer à « valeur » en désignant le résultat d’un processus d’estimation (Centre national de ressources textuelles et lexicales, 2012). Convenons que l’évaluation, ou la valuation, désigne ici un très vaste ensemble de processus et de résultats fait de récits et de représentations, de mécanismes, d’instruments, de pratiques et d’institutions qui fabriquent les qualités et les valeurs des entités.

Si « les êtres humains sont en permanence engagés dans des valuations » (Dewey, 1939 [2011]), l’évaluation dans le monde contemporain est aussi fortement assimilée à un processus appareillé qui s’appuie sur des « techniques », des « méthodes », des « procédés », des « conventions », des « règles », des « algorithmes », des « formes » et des « formats »,… L’évaluation s’inscrit aujourd’hui pour partie dans l’histoire d’une modernité scientifique, technique, bureaucratique et marchande (Dujarier, 2010) qui se trouve intégrée concrètement, par une série « d’investissements de forme » (Thévenot, 1986), selon le terme de l’économie des conventions, à l’équipement de la production de valeurs. Prendre au sérieux la dimension instrumentale de l’évaluation en proposant une entrée par les instruments éloigne d’une évaluation conçue et vécue comme une appréciation immédiate, spontanée et purement subjective ou privée, pour embrasser celle-ci par les médiations et le maillage intersubjectif qu’elle implique. Ce livre n’adhère donc pas à l’idée d’une neutralité technique pure des processus instrumentés d’évaluation en les considérant comme « objectifs » en eux-mêmes. Il entend au contraire, d’une part, procéder à la déconstruction de l’évaluation via ses ← 3 | 4 → instruments, suivant la formule adaptée de Pierre Lascoumes et Patrick Le Galès (2005), et, d’autre part, questionner les appropriations et les effets des instruments. En entrouvrant la boîte noire de l’évaluation, cet ouvrage aspire à révéler les normes, les représentations et les discours d’accompagnement qui concourent à la légitimation des instruments et des valeurs produites, les problèmes opérationnels, les choix et leurs justifications, de même que les logiques et les réseaux d’acteurs et d’institutions qu’ils sous-tendent et qui participent à la production d’une « connaissance orientée » et normative (Karpik, 2007 ; Vatin, 2013). S’attachant à la réception et à l’usage de l’évaluation, ce livre s’intéresse aux instruments d’évaluation non seulement pour leur capacité à incorporer et à instancier des valeurs mais aussi pour leur capacité à opérer ou à agir à distance sur et par les comportements et les conduites des acteurs dans différentes situations données et à modeler les relations entre les acteurs concernés. Particule de la « microphysique du pouvoir » diffus analysé par Michel Foucault (1975), l’évaluation façonne les représentations, les identités et les rapports entre les entités qui se trouvent plus ou moins affectées par les processus et les réseaux de surveillance et de contrôle des valeurs. L’évaluation, en tant que technologie intellectuelle, relève à la fois du « faire » et du « dire » (Souchier, 2004), c’est-à-dire de la fabrique et de sa justification énoncée, du « faire faire » et du « faire savoir », c’est-à-dire d’une action à distance sur autrui et de la circulation active des savoirs produits, du « devoir faire » et du « devoir dire », c’est-à-dire de normes de conduites et de discours dans lesquelles les acteurs se glissent par « réactivité » (Espeland et Sauder, 2007) ou par « ajustement » (Cochoy, 2011 ; Jutant, 2011).

L’entrée par l’instrument confine-t-elle ici l’étude de l’évaluation et de la valeur à celle du marché et de l’économie ? Que nenni ! La valuation marchande et économique, traitée notamment par les économistes, les sociologues et les anthropologues de l’économie, reste aujourd’hui une forme particulière de valuation parmi d’autres (Callon, 2013). Son autonomisation et son extension depuis le milieu du XIXe siècle (Polanyi, 1983 [1944]) a fait du « prix » une valeur canonique considérée comme naturelle. Mais la notion de valeur en tant qu’elle « symbolise aujourd’hui le pouvoir de l’argent de mesurer toute chose » (Dumont, 1983), est le fruit d’un mode d’appréciation parmi d’autres qu’il convient d’inscrire dans un ensemble commun plus large. Comme l’analysait Pufendorf aux XVIIIe siècle (Pufendorf, 1771, cité par Boltanski et Thévenot, 1991) : « prix » ou « valeur » quand il s’agit des choses est « estime » ou « considération » quand il s’agit des gens, ou autre chose quand il s’agit des ← 4 | 5 → actions, des processus, etc. Dans ce vaste ensemble, toute évaluation, un tant soit peu professionnalisée ou institutionnalisée, économique ou non, suppose un appareillage technique ou instrumental (Callon, 2013 ; Reber, 2011). L’évaluation épistémique du scraping, par Noortje Marres et Esther Weltevrede, est appareillée, mais suivant des modalités spécifiques, comme l’évaluation humanitaire des actions pour la paix par l’Unesco, analysée par Camille Rondot, l’évaluation de la valeur promue de « la diversité » dans les médias, traitée par Aude Seurrat, l’évaluation des candidats à des concours de chant dans les émissions de télévision, étudiée par Alain Bovet et Olivier Voirol, ou encore, l’évaluation de la valeur démocratique de la liberté d’information par les organisations Freedom House et Reporters sans Frontières, traitée par Francesco Amoretti et Diego Giannone. La relative diversité des objets et des modalités de la formation des valeurs déborde la sphère économique et marchande dans cet ouvrage sans que celle-ci ne soit exclue. La contribution de Lee McGuigan, par exemple, analyse les transformations des modes d’évaluation de l’audience accompagnant la mise en place de la télévision interactive qui recourt aux instruments du marketing direct et de la gestion de la relation-client.

Évaluation et quantification ne sont pas, non plus, a priori ni confondues ni à confondre. Toutes les évaluations, plus ou moins potentiellement quantifiables dans un temps et un espace donnés ne sont pas, de fait, fondées sur la quantification : c’est le cas par exemple d’une œuvre scientifique ou littéraire appréciée par les pairs ou un critique en vertu des caractéristiques de son contenu ou de la qualification d’un acte par un juge au terme d’une enquête dans le cadre des règles juridiques. De tels jugements sur la valeur d’idées ou d’actions sont indépendants de toute mesure. Quant aux mesures, elles ne forment des évaluations ou des éléments d’un système évaluatif que lorsqu’elles se trouvent intégrées effectivement au façonnement des valeurs. Alain Desrosières (2008) a insisté sur la distinction entre « mesurer » et « quantifier », Bruno Latour et Vincent Lépinay (2008) parlent d’une « mesure mesurée » et d’une « mesure mesurante » et Albert Ogien (2010) distingue un système du chiffre à « visée descriptive » d’un système du chiffre à « visée de contrôle ». L’histoire sociale de la bibliométrie et de ses usages offre un bel exemple de glissement du premier au second type de mesure : outil de gestion documentaire à l’origine, la bibliométrie est devenue un outil d’évaluation de la recherche (Gingras, 2014 ; Pontille, 2002). L’évaluation fondée sur la quantification n’est pas la traduction directe ou simultanée du réel ; entre les deux, le rapport est toujours indirect et médié. Traversée par une série d’enjeux incorporés à la quantification, l’évaluation ← 5 | 6 → fondée sur la quantification façonne elle-même en retour le monde social. « À chaque époque, la “réalité” est constituée par un ensemble historique que les indicateurs contribuent à constituer et à durcir, et non simplement à refléter, écrit Alain Desrosières (2008). Sont co-construits, dans un processus sans début ni fin logiques, une question jugée socialement pertinente, un langage pour l’exprimer, la nécessité d’une action, et une mise en forme statistique. » En conséquence, l’opposition entre évaluation qualitative et évaluation quantitative est à relativiser : toute évaluation, quantitative ou qualitative, implique un processus collectif double de qualification et d’attribution de valeur à des entités évaluées, mesurées (chiffrées) ou non. Les études présentées ici, en révélant l’ancrage social dans lequel baignent en réalité toujours la production et la circulation de mesures évaluatives, invitent à désigner ces dernières comme des qualimesures. Contrairement à la notion de mesure qui suppose la séparation des mesures évaluatives du monde social qui les entoure, la notion de qualimesure rappelle le lien de solidarité entre les mesures évaluatives et les mondes qui les produisent, les utilisent ou les rejettent. Qui plus est, l’avalanche de qualimesures évaluatives dans le monde contemporain, amplifiée et transformée notamment par l’essor des technologies et des cultures numériques, est portée par la « valeur sociale » (Ogien, 2010) et l’autorité (Espeland [dans ce livre] ; Besnier [dans ce livre] ; Amoretti et Giannone [dans ce livre] ; Oger, 2013 ; Barats, 2011 ; Candel, 2008) accordées aujourd’hui aux qualimesures. Intimement liées à des volontés, des croyances et des désirs, les qualimesures évaluatives sont souvent considérées comme plus réelles, plus vraies, plus utiles ou meilleures par leurs promoteurs que ce qui n’est pas chiffré. Ce qui peut être aussi contesté, voire donner place à des modes de jugement alternatifs. Il est très souvent question dans cet ouvrage des qualimesures évaluatives qui peuplent aujourd’hui le quotidien : classements, indicateurs, baromètres, votes, algorithmes, etc. Dans le classement des blogs par Wikio, analysé par exemple par Camille Alloing et Christian Marcon dans cet ouvrage, convergent les volontés de trois types d’acteurs du marché: la rentabilité financière pour les industriels du secteur, la réputation et la notoriété pour les blogueurs, la bonne lecture pour les lecteurs, et cela, en prenant appui sur les instruments de représentation et de calcul de grands industriels de la recherche d’information sur le web documentaire et social. Cet outil, comme les autres analysés dans ce livre, offre au final non pas une photographie d’un état des valeurs mais bien, pour le chercheur en sciences humaines et sociales, une « reconstitution artificielle » (Bourdieu, 1984) ← 6 | 7 → figée du processus social qui la détermine, une « sédimentation des débats » (Pinto, 2013) qui accompagnent son élaboration. Traitant des techniques d’extraction d’information sur le Web, Noortje Marres et Esther Weltevrede, dans ce livre, proposent toutefois de considérer autrement le « trouble épistémique » qui traverse la recherche en sciences sociales et la société. Face aux problèmes de data-centrisme, de dépendance des plateformes qui pré-qualifient et pré-ordonnent l’information selon des techniques diverses (hashtags, classements, empreintes de temps, liens,…) et d’opacité des modes de calcul des technologies du Web, elles défendent dans la perspective des humanités digitales de les traiter non seulement comme des objets de recherche mais aussi comme des ressources pour la recherche en sciences sociales.

L’évaluation, pour être effective, suppose la construction d’un accord collectif, agencement de consensus, de compromis, de luttes, de conflits, de rapports de force, plus ou moins étendu, plus ou moins souhaité, imposé, toléré, subi, discuté et plus ou moins stable dans l’espace et dans le temps. Chaque manière d’évaluer, en adaptant l’analyse d’Emmanuel Didier (2009), entraîne avec elle des modes particuliers d’associations des acteurs concernés et comporte, en cela, une dimension politique. Cette dimension est manifestement analysée dans la contribution de Paolo Cavaliere. Revenant sur les initiatives politiques qui, au cours des années 2000, ont remis en cause la validité de l’indicateur du produit intérieur brut (PIB) pour juger du bien-être des populations, il met au jour les transformations dans le fondement de l’accord entre la puissance publique et ses populations qui ne s’élaborerait plus simplement autour de la qualité et de la fiabilité des statistiques mais autour de leur acceptabilité pour des usagers en quête d’information pertinente pour eux-mêmes, pouvant être reliée directement à leur expérience subjective du monde. La formation de la valeur et la construction de l’accord qu’elle sous-tend s’accomplissent ainsi et autrement dit par et pour la relation et l’échange (Dubuisson-Quellier et Neuville, 2003).

Pluralité et pluralisme caractérisent encore le paysage de l’évaluation dans les sociétés démocratiques contemporaines. Une pluralité d’agents évaluants évalue de fait une pluralité d’entités selon des objectifs et des techniques multiples avec des effets variables. La formation des valeurs baigne aujourd’hui dans un relativisme qui, loin d’être assimilé ici à l’idée de société sans valeurs ou dans laquelle toutes les valeurs s’équivaudraient, ramène plutôt le chercheur aux contextes et aux situations associées à différentes configurations de jugements coexistant dans la concurrence, l’indifférence, la complémentarité, ← 7 | 8 → le conflit, la confusion, etc. L’évaluation paraît en effet avoir changé de statut non seulement au regard de sa professionnalisation, de son institutionnalisation, de son industrialisation, de son instrumentation mais aussi de sa démocratisation sans cesse inachevée. Elle est devenue une pratique publiquement revendiquée et exercée par une multitude d’acteurs entretenant des relations particulières avec les entités évaluées et les acteurs de l’évaluation. Des quidams et amateurs dévoués et enjoints à l’appréciation publique des contenus de toutes sortes (biens culturels, vie politique, savoirs scientifiques,…) sur les grands réseaux sociaux numériques (Cardon, 2013 [b] ; Flichy, 2010 ; Besnier [dans ce livre] ; Cavaliere [dans ce livre]), aux expériences d’ « évaluations participatives » et « d’évaluations pluralistes » promues dans certaines organisations publiques ou privées favorables à l’ouverture de l’évaluation à la diversité des acteurs concernés (Wojcik, 2011 ; Ridde, 2006 ; Reber, 2005), en passant par l’ensemble des légitimités conquises dans le temps par des acteurs engagés dans la production de jugements et d’évaluations, les valeurs se construisent et se discutent continuellement selon une pluralité de points de vue et de modalités. À cet égard, l’évaluation est appréhendée ici dans une perspective de grand-angle. Sans se limiter aux espaces professionnels, experts et institutionnels du secteur de l’évaluation en tant que tel, ce livre questionne l’évaluation en prenant au sérieux le régime de pluralité dans lequel elle advient et qui voit des acteurs divers institués en évaluants légitimes dans les sociétés néolibérales décentralisées. Ce phénomène mérite d’être interrogé en lui-même ; ce que font chacun à leur manière, le premier en philosophe et le second en politologue, Augustin Besnier et Paolo Cavaliere qui s’interrogent sur les conditions d’une véritable démocratisation de l’évaluation sur Internet et les réseaux sociaux. « En assouplissant les contraintes pesant sur la parole publique, les réseaux sociaux de l’Internet ont élargi les droits des internautes à participer au classement des documents », comme l’écrit Dominique Cardon (Cardon, 2013 [b]). Ce faisant, ils transforment l’exercice de l’évaluation impersonnelle, anonyme, massifiée ou experte, comme le rappelle Augustin Besnier, en la fondant sur la subjectivation et la personnalisation de l’opinion partagée dans des réseaux dont les membres se reconnaissent entre eux comme légitimes. S’agissant de l’évaluation dans l’enseignement supérieur et la recherche, traitée par Wendy Espeland, ou de celle des établissements muséaux, traitée par Thierry Baubias, on ne retrouve pas les instances liées aux politiques publiques d’évaluation mais des entreprises de presse qui endossent le rôle d’évaluateurs et de producteurs de classements. On voit aussi à la promotion de valeurs (la paix, le développement économique, le bien-être, ← 8 | 9 → l’éducation, la liberté d’information,…) des organisations gouvernementales, non-gouvernementales et associatives se superposer un regard évaluateur avec l’invention et la mise en place d’outils variés visant, implicitement ou explicitement, à apprécier le degré de conformation des conduites d’agents évalués aux valeurs artéfactuelles des instruments. Les instruments d’évaluation, derrière leur apparente objectivité, apparaissent en fait ici comme des vecteurs puissants de lobbying, indissociables de la promotion d’idées et de leur accomplissement par d’autres acteurs. La récompense d’autrui et l’attribution de prix par l’Unesco, telle que l’observe Camille Rondot qui en analyse la mise en scène médiatique sur le site Internet de l’organisation, relève d’une forme d’auto-attestation publique qui célèbre la performance de l’organisation dans sa légitimité et sa capacité à la fois à régir un système et à juger la réussite d’acteurs externes à l’organisation. Xavier Pons à propos du classement issu de l’enquête du programme international de suivi des acquis des élèves (PISA) de l’organisation de coopération et de développement économique (OCDE) rappelle la « douce pression » que l’organisation entend exercer sur les décideurs nationaux via l’instrument. Cette analyse rejoint celle de Francesco Amoretti et Diego Giannone dans leur étude des index de la liberté d’information de la presse réalisés par les organisations Freedom House et Reporters sans Frontières : dès leur origine dans les années 1980, ces instruments ont servi un lobbying situé au cœur des débats concernant un soi-disant « nouvel ordre mondial de l’information et de la communication ».

L’évaluation, enfin, est constituée elle-même en objet d’évaluation. L’évaluation de l’évaluation peut se déployer de manière tacite au sein des espaces professionnels et institutionnels tout au long du processus d’évaluation, ou encore de manière formelle par la mise en place d’une étape dédiée à « l’évaluation de l’évaluation », par exemple, ou par l’encadrement des pratiques d’évaluation par des normes de qualité. Loin d’être la chasse gardée des professionnels et des institutions dans un monde pluraliste, l’évaluation de l’évaluation recouvre plus largement l’ensemble des appréciations dont l’évaluation elle-même est l’objet. Elles peuvent émaner, par exemple, du monde de la recherche, et de tout acteur individuel ou collectif portant un jugement sur l’évaluation selon des registres variés : commentaires, critiques, analyses des évaluations, protestations, etc. Plusieurs contributions rassemblées dans cet ouvrage révèlent la capacité des sociétés démocratiques contemporaines à articuler à la fois des discours d’évaluation et des discours sur l’évaluation, à faire coexister à la fois la croyance dans l’évaluation produite et la critique de l’évaluation. ← 9 | 10 →

2. L’évaluation au prisme de sa médiatisation

Ce livre a pour autre particularité d’aborder l’évaluation dans son rapport avec la communication, l’information et les médias, resté en marge des recherches sur la formation des valeurs (Muniesa et Helgesson, 2013). Ce rapport tient néanmoins en réalité une place cruciale dans l’évaluation. La valeur d’une évaluation, ainsi que l’a proposé John Dewey, réside dans sa capacité à supporter l’épreuve de la communication et de la publicité (Dewey, 1920 [1959], dans Bidet, Quéré et Truc, 2011), épreuve socialement irréductible, volens nolens, à une rationalité pure. Pour le dire autrement, il n’y a pas d’évaluation qui n’advienne et qui ne se loge dès le début, et de manière plus ou moins située et étendue, dans le tissu des relations sociales et des échanges ; pas d’évaluation qui ne s’inscrive concrètement dans une « scène d’énonciation » (Chareaudeau et Maingueneau, 2002) où le discours dans l’évaluation, de l’évaluation et sur l’évaluation se trouve à la fois institué et mis en scène ; pas d’évaluation qui ne soit médiée et véhiculée par des langages, des écritures et des signes, par des formes, des formats et des supports ; pas d’évaluation dont la circulation et les usages n’activent des processus d’appropriation et d’interprétation au sein et en-dehors de ses foyers de production. La formation des valeurs émerge des processus et flux entremêlés et hétérogènes d’information et de communication.

L’espace médiatique, avec l’hétérogénéité qui le traverse aujourd’hui, est interrogé dans cet ouvrage en tant qu’acteur de la culture de l’évaluation observée dans les pays développés depuis les années 1970, en lien avec la prolifération des qualimesures évaluatives (« classements », « palmarès », « tops », « listes », « rankings », « ratings », « baromètres », « tableaux de bord », « scores », « index », « indices », « notes », « like », « votes »,…) et d’autres instruments d’évaluation (« prix », « concours », « récompenses », « trophées »,…). À l’époque de la presse quotidienne naissante, Gabriel Tarde avait porté attention au rôle des médias dans la formation des valeurs. Pour les valeurs culturelles (morales, esthétiques, littéraires, scientifiques,…), il attribuait à la presse le même rôle que celui tenu par la monnaie pour le marché : leur donner un caractère de quantité et les rendre comparables. Les valeurs culturelles et le sentiment de leurs variations restaient dans la population assez vagues tant qu’elles étaient confinées aux cercles de leurs critiques, au sein des salons, des académies ou des premiers journaux ou périodiques (Rieffel, 2006), mais avec la presse quotidienne, pensait Tarde, « les notions de valeurs scientifiques ou ← 10 | 11 → littéraires des écrits, de la célébrité et de la réputation des personnes […] se précisent, s’accentuent, deviennent dignes de servir d’objet à des spéculations philosophiques d’un nouveau genre. » (Tarde, 1902 ; cité avant nous par Latour et Lépinay, 2008). Il y a autrement dit déjà dans la presse des quantités et des hiérarchies, des évaluations, pas nécessairement chiffrées, qui façonnent et diffusent implicitement ou explicitement des valeurs, des « grandeurs » (Boltanski et Thévenot, 1991) : l’éloge ou le blâme, la Une ou l’entrefilet, le commentaire positif ou négatif, le traitement de telle ou telle affaire plutôt qu’une autre,… Il s’agit donc moins ici de nous intéresser à une absolue nouveauté de l’évaluation elle-même et de ses rapports avec les médias (presse, radio, télévision, web) qu’à la montée en puissance de certains instruments d’évaluation impersonnels dans l’espace médiatique contemporain et aux modalités de leur présence au sein de celui-ci.

L’espace médiatique est concerné par les qualimesures évaluatives à un triple titre. Il en est d’abord un des producteurs ou co-producteurs. L’espace médiatique lui-même est gouverné par les indicateurs, d’une part ; d’autre part, il produit des qualimesures évaluatives relatives à d’autres espaces sociaux. De ce point de vue empirique, il paraît pertinent d’étudier la quantification au sein de l’espace médiatique avec le même soin que les études sociales de la quantification portent aux mesures dans les sciences, les politiques publiques ou les organisations.

L’audience, ou « le spectateur quantifié, cette commode fiction sur laquelle tout le monde pouvait s’entendre » (Méadel, 2010), paraît aujourd’hui en voie d’être requalifiée dans un contexte de transformations du marché et de l’offre ainsi que des pratiques audiovisuelles. À l’heure des expérimentations sur de nouvelles mesures, Lee McGuigan analyse l’une d’entre elles. Dans un laboratoire de l’audience au sein d’une entreprise de télévision commerciale interactive d’Amérique du Nord, plus question de comptabiliser des publics assimilés à une masse exposée indirectement à l’influence mystérieuse des messages publicitaires. Concevant la télévision interactive commerciale comme un moyen de vente directe (cliquer pour acheter à l’écran) et ciblée (« lancer de la viande pour chien uniquement aux propriétaires de chiens »), les professionnels du marketing redéfissent l’audience et sa mesure en termes de « profils de consommateurs individuels fondés sur le suivi des comportements d’achat ». La mesure ne s’épuise pas dans la dimension commerciale de l’espace médiatique : des valeurs sociopolitiques peuvent elles aussi être l’objet de volontés et d’entreprises de comptage liées à la promotion de ces valeurs. Avec la création d’un baromètre de « la diversité » à ← 11 | 12 → la télévision en France, analysé par Aude Seurrat qui en retrace la genèse, s’institue une représentation singulière et située de « la diversité ». Elle découle d’une « approche visible » pour laquelle le processus social, cognitif et matériel de catégorisation et de comptage repose sur la marque et la perception visuelles, elles-mêmes attachées à l’entité évaluée, c’est-à-dire l’écran et le contenu télévisuels. Outre la « fonction représentationnelle » (Norman, 1993, cité par Piponnier, 2010), le baromètre de « la diversité » remplit, comme d’autres qualimesures évaluatives analysées dans cet ouvrage, une « fonction communicationnelle » dont cet ouvrage met au jour entre autre la polychrésie (Jeanneret, 2014) et la récursivité. La chaîne de formation des valeurs n’opère pas simplement dans le cadre d’une relation linéaire, mécanique et descendante des agents évaluants aux agents évalués. Elle engage de diverses manières et à différents degrés les acteurs concernés qui co-construisent de manière dynamique et polyvalente non seulement la valeur de l’objet explicite de l’évaluation mais aussi celles de l’ensemble des parties prenantes et des éléments du processus d’évaluation. L’opacité informationnelle et l’invisibilisation du processus de production des qualimesures évaluatives peuvent engendrer aussi des contradictions, voire, selon l’expression de Thierry Baubias, « produire l’illusion d’un consensus sur les valeurs ». Comme l’analysent Francesco Amoretti et Diego Giannone, des individus peuvent s’opposer à certaines valeurs tout en les perpétuant par l’usage d’instruments qui en sont des vecteurs. Scrutant les critères méthodologiques des index de la liberté d’information produits par Freedom House et Reporters sans Frontières, ils révèlent la vision néolibérale sous-jacente liée aux représentations négatives de l’intervention publique, à l’absence de distinction entre les activités de régulation dans un état démocratique et les activités de contrôle dans un état autoritaire, et, enfin, à l’évacuation de la dimension de contrôle liés aux acteurs privés. Or en recourant naïvement aux index de la liberté d’information qui influencent fortement les politiques publiques, « celui qui plaide pour une critique du modèle néolibéral de l’information risque au bout du compte d’endosser ses schémas interprétatifs et ses principales valeurs en s’appuyant sur ses instruments de mesure ». Au sein même des programmes et contenus de l’espace médiatique, l’évaluation est construite en spectacle, en nouvelle, en événement selon différentes modalités (Muniesa & Helgesson, 2013 ; Espeland [dans ce livre] ; Verhoeven & Morris [dans ce livre] ; Pons [dans ce livre] ; Barats [dans ce livre] ; Baubias [dans ce livre]). L’ « épreuve évaluative » est notamment le « moteur » d’émissions de divertissement, de téléréalité et plus particulièrement des émissions de talents shows analysées par ← 12 | 13 → Alain Bovet et Olivier Voirol en France et en Allemagne. La formation de la valeur d’un candidat et la formation de la valeur des émissions relèvent de processus imbriqués : l’appréciation des candidats pré-sélectionnés par des jurys d’experts met en tension à la fois les qualités musicales et les qualités télévisuelles ; le travail de réalisation de l’émission éduque le téléspectateur à l’évaluation ; le montage des émissions suscite l’envie des téléspectateurs à participer à l’évaluation en votant. L’évaluation opère ici selon la modalité particulière d’une « évaluation ambiguë », ressource dramaturgique des émissions de talents shows. Une triple indétermination caractérise ce type d’évaluation : indétermination de l’objet de l’évaluation, indétermination des critères de l’évaluation et indétermination du rôle des émissions dans l’évaluation. L’évaluation se retrouve déléguée au marché ou aux téléspectateurs et la valeur relative d’un candidat est traduite par le nombre total d’appels tarifés comparé à celui des autres candidats.

L’espace médiatique est en outre un lieu de production de qualimesures évaluatives en relation avec d’autres espaces sociaux atteints par l’industrie et le marché de la palmérisation médiatique. À partir du milieu du XIXe siècle, les guides touristiques à vocation informative et utilitaire se sont distingués des récits de voyages littéraires qui les ont précédés. Conçus pour répondre à un besoin d’information pratique de l’usager, justification courante chez les producteurs médiatiques de qualimesures évaluatives avec celle des recettes commerciales associées à une information de service, les guides procèdent à la commensuration des entités estimées par le biais d’une convention sémio-linguistique aujourd’hui familière et déclinée de maintes façons : le système des « chiffres d’étoiles » (Gritti, 1967 ; Jeanneret, 2010), signe de la valeur attribuée à une entité facilitant la comparaison pour le lecteur devant opérer un choix. Depuis la fin du XIXe siècle, la presse spécialisée grand public ou professionnelle et la presse généraliste affectent aussi des entreprises de comptage à un ensemble de domaines progressivement étendu. Il n’est guère de sous-espace culturel (littérature, musique, arts plastiques, cinéma, théâtre, gastronomie,…), depuis la première liste de best-sellers produite en 1895 par le magazine littéraire étatsunien The Bookman, qui ne voit une ou des organisations de presse, puis des entreprises du web, produire et publier régulièrement des « listes », « classements », « palmarès », « hits », « tops », … (Kaiser, 2012 [musique] ; Korda, 2001 [livre] ; Verger, 1987 [artistes contemporains] ; Bourdieu, 1984 [intellectuels]) Le recours à ces instruments ne se limite pas au marché des biens culturels : évaluations et notations de produits et services émanant de la presse pour consommateurs, palmarès des fortunes ← 13 | 14 → personnelles réalisés par des titres de la presse économique, cotes de popularité de personnalités publiques réalisées par la presse généraliste, palmarès d’entreprises par la presse économique…, ne sont que quelques exemples parmi d’autres. À partir des années 1970–1980, la pratique des classements médiatiques s’est propagée au sein d’espaces sociaux jusque là peu affectés par la palmérisation médiatique: enseignement supérieur et recherche (Bouchard, 2012 ; Hazelkorn, 2011 ; Salmi & Saroyan, 2007), santé (Ponet, 2005 ; Pierru, 2004), par exemple. Dans son analyse des classements médiatiques des facultés de droits aux États-Unis par le magazine Us News and World Reports, Wendy Espeland met en lumière la « relation dynamique entre la simplification et l’élaboration » qui s’étend de la production à l’usage des instruments. Face aux critiques et manipulations diverses des outils qui proposent toujours une représentation simplifiée, les producteurs de classements étatsuniens ont couvert un nombre de plus en plus large d’établissements, ils ont inclus des critères de plus en plus complexes et développé des procédures pour classer diverses dimensions. Cette même tendance est observée par Thierry Baubias à propos du « Palmarès des musées » du Journal des Arts : « […] le palmarès des musées a la capacité de réinventer sans cesse sa propre fonction stratégique. Il s’actualise chaque année et s’adapte aux préoccupations et aux attentes du moment. En un sens, comme tout dispositif, il survit à l’intentionnalité et aux visions qui ont présidé à sa mise en place. » Cette évolution illustre le phénomène apparemment paradoxal de la coexistence des controverses sur les classements avec la prolifération et l’évolution de ces instruments ; en réalité, les critiques participent d’un « régime d’accord sur les épreuves importantes » (Boltanski et Chiapello, 1999), épreuves qui viennent souvent en appui aux évolutions des classements (Bouchard, 2013 [a] ; Ogien, 2013 ; Hazelkorn, 2011). La relation dynamique entre simplification et élaboration opère encore, explique Wendy Espeland, dans le double fait simultané d’effacement et de création de récits : « Si les classements consistent principalement à classer, simplifier et rendre visible certains types de connaissances, ils le font en évacuant les personnes, les lieux, les événements, les trajectoires des personnes évaluées et des personnes faisant l’évaluation, – la matière du récit. Mais les indicateurs étant et évoluant, ils contraignent les gens à préparer de nouveaux récits, de nouvelles histoires sur ce que les classements signifient, comment ils sont faits, s’ils sont justes ou injustes, qui les fait, ou ce que les classements disent de leurs institutions et d’eux-mêmes. »

La reconfiguration des récits, des identités et des relations est à la fois, pour partie, une conséquence et une caractéristique de la publicisation et ← 14 | 15 → de la médiatisation des qualimesures évaluatives (Gomez-Mejia, 2011). Producteur de mesures sociales, l’espace médiatique est aussi un lieu de diffusion et d’interprétations des qualimesures évaluatives produites par les médias et les collectifs autour d’eux. La mise en circulation des évaluations découle en partie de leurs propriétés formelles et génériques (Bouchard, 2013 [b]) : l’information quantifiée incorporée dans des formes sémiotiques variées (le chiffre d’étoiles, le tableau, la liste, le graphique, le radar, la note,…) est plus facilement transmissible et appropriable que d’autres formes de connaissances. Circulant, elle est simultanément construite en objet de discours dans et entre différents espaces sociaux et situations donnés. La présence des qualimesures évaluatives dans l’espace médiatique n’a cependant rien d’automatique ni de magique. En effet, si les qualimesures évaluatives se sont étendues au cours des dernières décennies, il en va de même de leur médiatisation, analysée par Deb Verhoeven et Brian Morris, Xavier Pons, Christine Barats et Thierry Baubias dans cet ouvrage. Traitant respectivement de la médiatisation en France de l’enquête Pisa, du classement dit « de Shanghai » et du Palmarès des musées, les trois derniers auteurs observent que la couverture médiatique relativement faible de la première édition de ces classements est devenue beaucoup plus importante et plus diversifiée en termes de supports pour les éditions suivantes. La parution régulière des classements (une fois par an pour les classements des villes mondiales, une fois tous les trois ans en décembre pour l’enquête Pisa, annuellement en août pour le classement de Shanghai et annuellement en mai-juin pour le Palmarès des musées) rythme leur couverture médiatique progressivement inscrite dans l’attente et la routine journalistique depuis les producteurs actifs dans la médiatisation de leurs classements, en passant par les intermédiaires (agences d’information et agences de presse généralistes ou spécialisées) jusqu’aux titres de presse et aux chaînes de radio et de télévision, sans oublier les agents évalués eux-mêmes qui peuvent commenter leur position dans les classements par voie de communiqué de presse. Le traitement médiatique des classements résulte pour partie des rapports d’interdépendance réciproques entre acteurs dans et à l’extérieur de l’espace médiatique, rapports variables selon les titres qui choisissent de relayer l’information ou non, de la traiter d’une certaine façon ou d’une autre, comme le soulignent Xavier Pons et Thierry Baubias. La médiatisation en tant que telle met en place, comme le souligne Christine Barats à propos du classement de Shanghai, une « dynamique circulaire, voire tautologique et auto-productrice : la médiatisation du classement participe ← 15 | 16 → à sa notoriété, la notoriété contribue à accorder du crédit à ce classement et amplifie sa légitimité et sa médiatisation. »

L’attention au contenu et au travail journalistique éclaire les caractéristiques, les dynamiques et les logiques de mise en récit et d’appropriation des qualimesures évaluatives au sein de l’espace médiatique. La médiatisation des classements internationaux ou nationaux dans la presse nationale ou régionale s’élabore au carrefour des propriétés de l’instrument, des modalités du travail journalistique et de la configuration des rapports avec différents espaces sociaux représentés ou non dans les médias. La parution des classements ne constitue pas en elle-même un événement médiatique (les sites web des producteurs de classements ou la reproduction intégrale des résultats dans les journaux suffiraient !) ; il s’agit d’une ressource journalistique traitée et à traiter pour faire événement. Détachées de leur contexte de production, les classements sont médiatisés au prisme d’une recontextualisation géographique locale découlant à la fois de l’instrument, qui évalue des entités associées à un espace, et de l’inscription des supports de presse, de leur contenu, de leurs interlocuteurs et de leur lectorat dans un territoire. Une mise en récit d’un soi dans le paysage artéfactuel du classement opère avec sa médiatisation : la médiatisation des classements de villes mondiales dans la presse australienne, analysée par Deb Vehoeven et Brian Morris, est centrée sur la position de la ville de Melbourne, la presse française interprète la position de la France dans les classements internationaux tels l’enquête Pisa et le classement de Shanghai tandis que la presse régionale en France se polarise sur les musées de telle ou telle région dans un classement national des musées. Des imaginaires culturels sont réactivés ou renouvelés dans l’interprétation des positions : les signes du « syndrome de la seconde ville » ressurgissent dans les commentaires des classements sur la ville de Melbourne (Deb Verhoeven et Brian Morris) ; l’ « idéalisation préalable du système scolaire français » sous-tend l’interprétation des performances jugées mauvaises par la presse en France dans l’enquête Pisa (Pons). Comparaisons et références aux « nouveaux voisins » des classements, selon l’expression de Wendy Espeland, s’effectuent : Melbourne est comparée aux autres villes du classement ; le système éducatif français est comparé au système éducatif finlandais ; le musée de Fenaille de Rouergue est comparé dans la presse régionale au centre Pompidou et au Château de Versailles, par exemple.

Les travaux présentés ici sur la médiatisation des classements s’efforcent de mettre en relation les discours médiatiques et les conditions sociales, ← 16 | 17 → organisationnelles et professionnelles du travail journalistique. Les producteurs de classements, qui disposent souvent d’un capital symbolique et économique leur facilitant l’accès au médias (médias, universités, organisations internationales, entreprises d’information économiques, etc.), sont des sources journalistiques actives (Kaciaf et Nollet, 2013), prenant en charge, sans la déterminer entièrement, la médiatisation de leurs instruments : pour son classement des villes mondiales, l’Economist Intelligence Unit réalise des communiqués de presse dont les commentaires sur les classements sont repris en partie par les journalistes (Verhoeven et Morris) ; l’OCDE tient des conférences de presse, transmet des documents de synthèse par pays aux journalistes et met à leur disposition un expert comme source d’information de toutes les rédactions du pays (Pons) ; difficile d’accès au moment de sa première édition et consulté par le truchement de relais institutionnels légitimes (le site Cordis de la commission européenne), le classement de Shanghai a ensuite connu une routinisation des sources avec une veille effectuée sur le site institutionnel du classement, son traitement par les agences de presse ou par la presse concurrente (Barats) ; l’appropriation d’un classement des musées par la presse régionale est encore envisagée dès l’amont par les producteurs qui ont adapté pour cela leur instrument (Baubias). Le travail journalistique lui-même façonne en outre les récits médiatiques sur les classements : choix des titres selon les contraintes d’un journal souvent réalisé dans le cadre d’une division travail, sélection des informations, choix des interlocuteurs, attribution de l’espace à la nouvelle, etc. Polyphonique, enfin, l’espace médiatique est le théâtre d’une diversité relative de registres et de locuteurs réagissant aux classements. Les objets de discours peuvent porter sur les résultats des classements, sur les méthodologies, sur les conséquences et les leçons à en tirer. Des registres discursifs variés sont exposés : analyses et commentaires neutralisés, réactions émotionnelles et affectives, célébrations, dénonciations et critiques, prescriptions, etc. Objets et registres discursifs peuvent varier en fonction des locuteurs dont la parole se trouve rapportée ou non dans les médias: experts, politiques, agents évalués, citoyens et usagers, etc. Les recherches présentées dans cet ouvrage tendent à montrer à la fois la forte structuration des rapports d’interdépendance à l’œuvre dans la médiatisation des classements et, avec elle, le rôle de l’espace médiatique traditionnel dans la naturalisation des qualimesures évaluatives.

Résumé des informations

Pages
VIII, 322
Année
2015
ISBN (ePUB)
9783035194197
ISBN (PDF)
9783035203059
ISBN (MOBI)
9783035194180
ISBN (Broché)
9783034316224
DOI
10.3726/978-3-0352-0305-9
Langue
français
Date de parution
2015 (Février)
Mots clés
Espace médiatique Valeurs Quantification
Published
Bern, Berlin, Bruxelles, Frankfurt am Main, New York, Oxford, Wien, 2015. 330 p.

Notes biographiques

Julie Bouchard (Éditeur de volume) Étienne Candel (Éditeur de volume) Hélène Cardy (Éditeur de volume) Gustavo Gomez-Mejia (Éditeur de volume)

Julie Bouchard est maîtresse de conférences en sciences de l’information et de la communication à l’Université Paris 13, chercheure au Laboratoire des sciences de l’information et de la communication (LABSIC) et chercheure déléguée à l’Institut des sciences de la communication du CNRS (ISCC). Étienne Candel est maître de conférences en sciences de l’information et de la communication à l’Université Paris-Sorbonne Celsa, chercheur au Groupe de recherches interdisciplinaires sur les processus d’information et de communication (GRIPIC) et chercheur délégué à l’Institut des sciences de la communication du CNRS (ISCC). Hélène Cardy est maîtresse de conférences en sciences de l’information et de la communication à l’Université Paris 8 et chercheure au Centre d’étude sur les médias, les technologies et l’internationalisation (CEMTI). Gustavo Gomez-Mejia est maître de conférences en sciences de l’information et de la communication à l’Université François-Rabelais et chercheur au laboratoire Cités, territoires, environnement et sociétés (CITERES).

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Titre: La médiatisation de l’évaluation/Evaluation in the Media
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