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La domination comme expérience européenne et américaine à l'époque moderne

de David Chaunu (Éditeur de volume) Séverin Duc (Éditeur de volume)
©2019 Collections 296 Pages

Résumé

Issus d’un colloque organisé en Sorbonne en juin 2017, les articles publiés dans cet ouvrage interrogent les imaginaires et les pratiques de la domination politique à l’époque moderne. (Re)conquêtes, révoltes, révolutions, répressions, crises de régime, expansion coloniale sont l’objet de cet ouvrage et sont envisagés comme autant d’épreuves pour les sociétés modernes, confrontées au risque de leur anéantissement et à la nécessité de leur réinvention. Ce volume propose d’étudier ces moments à la lumière des acquis récents de l’histoire politique et sociale, en interrogeant les processus de domination dans l’Europe moderne et ses prolongements ultramarins par-delà l’Atlantique.

Table des matières

  • Couverture
  • Titre
  • Copyright
  • Sur l’auteur
  • À propos du livre
  • Pour référencer cet eBook
  • Table des matières
  • Introduction. Dominer de part et d’autre de l’Atlantique (David Chaunu / Séverin Duc)
  • Partie 1: Les imaginaires incertains de la domination
  • Conquête, état, seigneurie, empire, loi, tyrannie. Lexique de la domination et mondialisation ratée selon Tommaso Campanella (Jean-Louis Fournel)
  • « Mes hydres et monstres cruels rendront hommage. » L’imaginaire de la domination mondiale et le discours de l’empire à l’aube de l’empire français, c. 1600 (Brian Sandberg)
  • Partie 2: Dominer à l’épreuve de l’espace : lieux forts, projections, fronts
  • Conserver la domination aux frontières en temps difficiles. Les expériences espagnoles dans le préside d’Oran et de Mers el-Kébir à la fin du XVIIe siècle (Antoine Sénéchal)
  • La domination malgré soi. L’ascendant anglais sur l’Amérique du Nord-Est au XVIIe siècle (Lauric Henneton)
  • L’Irlande comme laboratoire de l’empire anglais dans la Chesapeake et aux Antilles au XVIIe siècle ? (Élodie Peyrol-Kleiber)
  • Le bannissement vers le Brésil au XVIIe siècle. Vecteurs et microhistoires de la domination coloniale (Laura de Mello e Souza)
  • Les jeux complexes de la domination. L’Italie au XVIe siècle (Jean-Marie Le Gall)
  • Partie 3: (R)établir la Cité : les dispositifs de la domination
  • Una carezza in un pugno. La domination Habsbourg en Lombardie au XVIe siècle entre force, dissuasion et consensus (Mario Rizzo)
  • Révoltes siciliennes et réappropriation des espaces du pouvoir par Charles Ier, roi de Castille et d’Aragon (Juan Carlos D’Amico)
  • La médiation comme outil de domination. La collaboration de la Couronne espagnole avec les Incas de Cuzco (Pérou, XVIe siècle) (Loann Berens)
  • Conquête et domination anglaises en Amérique du Nord. De l’Amérique de papier du XVIIe siècle à la Révolution américaine (Bertrand Van Ruymbeke)
  • Partie 4: Mettre en ordre la multitude : imaginaires et pratiques
  • La création du « cacique ». Un outil de domination coloniale dans les Indes occidentales (XVIe siècle) ? (Louise Bénat-Tachot)
  • Mener au combat. Le capitaine et son équipage dans l’Atlantique de l’époque moderne (XVIe-XVIIe siècles) (Alexandre Jubelin)
  • Dominer les huguenots. Politique, domination monarchique et mise en minorité dans la France du premier XVIIe siècle (1610-1629) (Adrien Aracil)
  • ¿Poblar o Despoblar? La domination espagnole globale au miroir des migrations (XVIe-XVIIe siècles) (Alain Hugon)
  • Conclusions: Entre pratique de domination et exercice de l’autorité, comprendre l’obéissance : l’Ancien Régime (Jean-Frédéric Schaub)
  • Index
  • Titres de la collection

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Introduction

Dominer de part et d’autre de l’Atlantique

David CHAUNU

Musée du quai Branly – Jacques Chirac ;
Centre Roland Mousnier (UMR 8596)

Séverin DUC

École française de Rome ;
Centre Roland Mousnier (UMR 8596)

L’Europe constitue un espace au sein duquel les imaginaires et les pratiques de domination sur les populations sont multiples et composites. De la part des Européens, son histoire est le fruit de (re)conquêtes intérieures, d’entreprises extérieures et de projections ultramarines. Puisque les logiques de domination sont plus facilement repérables dans une dynamique de (re)conquête, le présent volume propose une archéologie des processus de (re)mise en domination à l’époque moderne. Si l’on s’accorde généralement à dresser le constat de la capacité des Européens à imposer leur volonté à des peuples conquis, une histoire des imaginaires, des espaces et des appareils de domination européens peut s’avérer fructueuse. Afin de dépasser une séparation artificielle entre métropoles et colonies, nous avons voulu explorer la communauté d’expériences de domination de part et d’autre de l’Atlantique, parfois sur la rive méridionale de la Méditerranée. Cependant, loin de nous le projet d’une histoire de l’« État moderne », moins encore de l’« exception occidentale », nous avons proposé d’interroger le lien entre la multiplicité des cultures de domination en Europe et au-delà ; la récurrence des phénomènes de cohabitation de ces cultures à petite, moyenne et grande échelles catalysant émulation, médiation, intrication et concurrence ; la production et le perfectionnement, sur le temps long, d’appareils de domination toujours plus à même d’être recomposés et ← 11 | 12 → projetés à nouveau. Dans ses conclusions, Jean-Frédéric Schaub relie les pratiques de domination à l’exercice de l’autorité, entre résorption de la guerre civile, production de la conviction, arbitrage des conflits par l’établissement de la juridiction, administration de la multitude sociale et diffusion réticulaire de l’autorité.

Les articles proposés sont issus d’un colloque organisé à Sorbonne Université en 2017, avec le soutien du Centre Roland Mousnier (UMR 8596) et du LabEx EHNE. Contre une histoire événementielle et positiviste, les articles mettent en évidence un mouvement récurrent à l’époque moderne (sans qu’elle en ait le monopole) : l’expérimentation de formes de domination qui tendent à être réemployées et (re)projetées dans un contexte nouveau et sur des espaces à (re)conquérir, parfois au-delà de l’Atlantique (ce qui est inédit) et avec de forts effets retours sur les métropoles. Dans cette optique, il était nécessaire de prendre en compte les expériences intra-européennes, l’émergence des empires atlantiques et le développement de nouvelles formes de domination en Amérique au gré des dynamiques de l’Ancien monde et de l’autonomisation du Nouveau. Sans qu’il y ait nécessairement de cause à effet, la contemporanéité de nombreux phénomènes permet à l’historien.ne d’étudier un large spectre de formes de domination. Pour en rendre compte, nous avons considéré la domination sociale et politique non comme un invariant ou une évidence, mais plutôt comme une structure instable traversée de dynamiques de réaffirmation, de contestation et de négociation quotidiennes, collectives comme individuelles. Nous avons questionné les différentes matrices à l’œuvre, ses inflexions, ses variantes, ses outils, ses vecteurs, ses points de blocage et ses limites, entre macro et micro-histoire.

L’époque moderne constitue une période-clé des projections ultramarines, des guerres interétatiques et des guerres civiles propices à de nombreuses (re)conquêtes. Nous avons interrogé la possibilité de paliers historiques et d’enchaînement des processus. Sans postuler l’existence de liens causaux directs ni supposer une arborescence des phénomènes, nous nous sommes demandés si les processus de sédimentation d’expériences de la domination n’ont pas été un des catalyseurs de la construction de l’Europe et de ses projections ultramarines. Pour en rendre compte, nous souhaitons proposer ici moins une présentation des articles que les principales lignes de force qui parcourent le volume : les sémiotiques, les spatialités et les temporalités de la domination, ses dynamiques démographiques ainsi que l’extraction des ressources. ← 12 | 13 →

En premier lieu, l’analyse sémiotique permet, sinon de dépasser, du moins d’interroger le document comme écran porteur de signes entre l’historien.ne et les faits étudiés. Les articles mettent en jeu des imaginaires, des langues et des rhétoriques porteurs de problématiques dépassant l’histoire des représentations. Qu’elles questionnent explicitement la domination chez Tommaso Campanella (J.-L. Fournel) ou qu’elles la représentent, dans toutes ses ambiguïtés dans un almanach de 1616 (B. Sandberg), les sources tant textuelles qu’iconographiques voire « iconotextuelles », selon l’expression d’Alain Montandon et Peter Wagner, travaillent (in)volontairement au codage, décodage et surcodage permanents des réalités. À titre paradigmatique, dans le cas de l’Afrique espagnole, le discours de croisade semble être beaucoup plus utile dans la rhétorique européenne de compétition inter-princière, qu’ in situ, sur la « charnière instable » oranaise où la frontalité et la binarité du croisé auraient constitué une impasse en termes de domination (A. Sénéchal). Ici comme ailleurs, les ambitions territoriales comme la domination effective d’une terre s’envisagent différemment si l’on se situe au centre de commandement ou sur le terrain d’exécution.

La question spatiale s’avère incontournable lorsqu’il s’agit de replacer les sociétés humaines en situation ou en défi de domination. Que l’on soit en Europe, en Afrique ou en Amérique, la capacité de pénétration d’un groupe de pouvoir donne à voir la forme de domination possible. Depuis Louis XIII et Richelieu capables de projeter brutalement les forces royales au sud de la France (A. Aracil) à l’« archipel américain » des colonies à propriétaire du littoral oriental (L. Henneton ; B. Van Ruymbeke), une domination se mesure aussi à son rayon d’action maximum, donc en jours de marche ou de navigation, en fonction des capacités de projection des appareils militaro-fiscaux. L’appareil de pouvoir semble toujours travailler à la lisière de ses possibilités, les repoussant sans cesse ou non. Ici donc, la domination est aussi un processus réversible. L’aptitude ou l’impossibilité à se projeter en profondeur dans une terre conditionnent et construisent de nombreux rapports à l’espace, comme lieu d’application d’une souveraineté sans négociation, comme Éden lointain, comme espace de purgation (L. de Mello e Souza) ou de réalisation collective, comme terre de combat et/ou de mission, d’utopie et/ou d’angoisse. Ces problèmes placent au centre de l’analyse le jeu des échelles entre les lieux forts et un espace terrestre souvent « liquide » propice aux courses, raids et razzias, pénétrations commerciales ou punitives (A. Sénéchal).

Si l’épaisseur des temps pèse de tout son poids sur les processus de domination, l’innovation pragmatique demeure une des clés d’une ← 13 | 14 → domination stabilisée. Née dans la violence de la conversion massive mais jamais complète, la société ibérique chrétienne des XVIe-XVIIe siècles se caractérise par une suspicion permanente de l’Autre (notamment le converso, l’Indien, le morisque) comme inapte à la vraie foi (A. Hugon). Plus généralement, l’enjeu est celui de la/des matrices orientant toute domination ce, bien-sûr, sans rigidité analytique ni téléologie. L’histoire atteste, en effet, que de nouveaux établissements ou des processus de (re)conquête ne travaillent pas nécessairement à reproduire l’ancien monde ou l’ancien temps. Volontairement ou non, sous la force des nouveautés multiples rencontrées et suscitées, les hommes et les femmes inventent de nouvelles façons de concevoir l’ordre socio-politique, depuis la rivalité entre Old et New English d’Irlande où le passé vécu in situ modèle les critères d’appartenance au point de devenir des nœuds politiques et idéologiques (É. Peyrol-Kleiber) jusqu’à la constitution en France au début du XVIIe siècle d’un langage royal ad hoc excluant le fait protestant de sa grammaire (A. Aracil). De même, l’Amérique espagnole peut être analysée en termes de « radicale nouveauté » (L. Bénat-Tachot), en ce qu’elle oblige les conquérants à repenser les formes de pouvoir en inventant la dignité de cacique afin de conserver les hiérarchies sociales existantes et d’en faire les piliers du nouveau pouvoir. Ici comme là, le rapport immédiat à la domination en train de se faire représente une forme de « chemin » (A. Aracil), une forme d’innovation pragmatique toujours confrontée à l’épaisseur des traditions. Ainsi, les racines de la révolte sicilienne de 1516-1517 (J.-C. D’Amico) ou la question italienne au XVIe siècle (J.-M. Le Gall) invitent à analyser le temps long de la domination et des pouvoirs souverains à l’épreuve de la transition, processus par lequel tout pouvoir est contraint de se repenser voire de changer sa domination.

Le rapport à l’Autre, généralement perçu comme une donnée qualitative, a montré son potentiel heuristique en considérant l’altérité à l’aune du quantitatif. En effet, les articles (notamment sur l’Amérique et l’Afrique) ont tous comme arrière-plan le très faible poids démographique des allochtones vis-à-vis des populations autochtones (L. Berens). Ce faisant, la dyade « dominants-dominés » ne recouvre pas celle des « conquérants-conquis ». De façon plus efficace car plus nuancée, les auteur.es travaillent sur un large spectre, depuis la « créolisation » et la racialisation crispées des rapports sociaux, en passant par l’angoisse obsidionale des New English d’Irlande ou des Anglais d’Amérique jusqu’à la possible (mais partielle) hybridation des conquistadores aux caciques. Entre ces pôles, nous pourrions situer la question oranaise. Incapables d’une véritable suprématie sur le corps social, les Espagnols se montrent ← 14 | 15 → aptes à une domination pragmatique (A. Sénéchal) en recourant à la violence comme puissance réactivatrice d’une puissance politique et diplomatique sans commune mesure avec leur faiblesse numérique. De même, au Pérou, deux processus de conquête (contre l’Inca, puis à l’encontre des conquistadores) se succédèrent au point de rebattre les cartes entre dominants et dominés, amis et ennemis (L. Berens).

Enfin, que ce soit la manne fiscale de la Lombardie espagnole (M. Rizzo), l’importance des terres irlandaises pour la Couronne anglaise (E. Peyrol-Kleiber), l’hinterland ravitailleur du préside d’Oran (A. Sénéchal), la concurrence pour la maîtrise du Connecticut (L. Henneton), les colonies américaines devenues pionnières par-delà les Appalaches (B. Van Ruymbeke), les bannis portugais mettant en valeur les marges brésiliennes (L. de Mello e Souza) ou encore l’exploitation de l’Amérique espagnole grâce à la collaboration des caciques (L. Bénat-Tachot), les rapports différenciés à l’extraction des ressources et à la production de richesses sont des révélateurs particulièrement efficaces de la nature d’une domination. Il s’agit d’un des points de passage cruciaux qui mènent à l’ontologie de cette dernière, sans nécessairement envisager la quête de richesses, comme il est souvent d’usage, comme un « moteur de l’expansion ». À ce titre, le recours portugais à des bannis pour valoriser le Brésil et, par là même, « purger » leurs âmes et leurs corps, est particulièrement significatif quant à la translation des questions économiques vers des enjeux d’imaginaire collectif (L. de Mello e Souza). Ici et bien souvent, l’entretien vital de la colonie précède, et de loin, les perspectives de larges profits. Autre point intéressant de par sa récurrence, le consentement des élites autochtones se manifeste comme une des clés essentielles de l’extraction de ressources, donc de la domination, plus encore que la prédation pure (M. Rizzo).

L’ensemble de ces propositions sont loin d’épuiser le sujet. D’autres pistes demeurent à explorer comme autant de lieux-test des sociétés à l’épreuve de la domination, notamment lors de processus de (re)conquête : les enjeux socio-juridiques de la stabilisation d’une domination (entre autres le consentement à l’obéissance et la « servitude volontaire ») ; la lente imposition de nouvelles colonialités sur les territoires ultramarins ; la question de la guerre, des violences et de la prédation ; les problématiques du genre, notamment de la co-construction de la féminité et la masculinité ; la famille (parentèles, couples, fratries, descendances, mémoires) comme cellule de base de projection de pouvoir ; les (dés)articulations du corps social mis à l’épreuve. ← 15 | 16 →

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PARTIE 1

LES IMAGINAIRES INCERTAINS DE LA DOMINATION

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Conquête, état, seigneurie, empire, loi, tyrannie

Lexique de la domination et mondialisation ratée selon Tommaso Campanella

Jean-Louis FOURNEL

Université Paris-8

Résumé des informations

Pages
296
Année
2019
ISBN (PDF)
9782807608429
ISBN (ePUB)
9782807608436
ISBN (MOBI)
9782807608443
ISBN (Broché)
9782807608412
DOI
10.3726/b15353
Langue
français
Date de parution
2019 (Avril)
Published
Bruxelles, Bern, Berlin, New York, Oxford, Wien, 2019. 296 p., 2 ill. n/b, 2 tabl., 2 graph.

Notes biographiques

David Chaunu (Éditeur de volume) Séverin Duc (Éditeur de volume)

David Chaunu est doctorant à Sorbonne Université, membre du Centre Roland Mousnier (UMR 8596) et du département de la recherche et de l’enseignement du musée du quai Branly – Jacques Chirac. Ses recherches portent sur la diplomatie des empires dans la Caraïbe au XVIIe siècle. Séverin Duc, docteur en histoire (Sorbonne Université), est actuellement membre de l’École française de Rome et chercheur associé au Centre Roland Mousnier (UMR 8596). L’histoire sociale du pouvoir en Italie et en France (médiation et violence, révolte et répression, famille et genre) de la première modernité est au cœur de ses recherches.

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Titre: La domination comme expérience européenne et américaine à l'époque moderne
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