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Bilinguisme scolaire

Familles, écoles, identités en Bretagne

de Catherine Adam (Auteur)
©2020 Thèses 374 Pages

Résumé

Cet ouvrage développe une réflexion scientifique à propos du bilinguisme scolaire du jeune enfant, à partir d’un cas d’étude particulier, celui de la scolarisation de jeunes enfants en classes bilingues breton-français en Bretagne au XXIème siècle. Il s’agit de mieux comprendre, à travers les discours de parents et d’enfants, les mécanismes à l’origine d’une politique linguistique familiale atypique et ses influences sur l’appropriation sociolangagière des enfants. Cette recherche originale s’insère dans une thématique de recherche plus large, celle de l’individu bilingue, en explorant ses origines et son devenir. Les analyses dévoilent des dynamiques et des processus à l’œuvre, dans ces discours et pratiques, qu’il apparait essentiel de prendre en compte tant du point de vue théorique qu’au niveau d’actions sur le terrain.

Table des matières

  • Couverture
  • Titre
  • Copyright
  • À propos de l’auteur
  • À propos du livre
  • Pour référencer cet eBook
  • Avant-propos
  • Table des matières
  • Liste des abréviations
  • Introduction
  • De la sociolinguistique à l’interdisciplinarité
  • Bilinguisme scolaire du jeune enfant
  • Du multilinguisme sociétal aux plurilinguismes individuels
  • Valorisation du plurilinguisme par les institutions européennes et internationales
  • Aux origines d’un choix linguistique
  • Qu’en est-il de la diversité linguistique ?
  • Bilinguisme français-langue régionale : la Bretagne, un contexte particulier ?
  • L’étude des représentations aux origines d’un comportement
  • Des discours des parents…
  • …aux influences sur les enfants
  • Chapitre 1 – Cadre théorique et réflexions épistémologiques
  • 1. Bilinguismes
  • 1.1. « Être bilingue » : bilinguismes et diglossies
  • 1.2. Bilinguisme scolaire et appropriation
  • 2. Les représentations, une des clés de compréhension des pratiques linguistiques
  • 2.1. Des représentations
  • 2.2. Représentations, attitudes et pratiques
  • 2.3. Représentations (socio)linguistiques et apprentissages des langues
  • 2.4. Normes et imaginaire linguistique
  • 2.5. Communautés linguistiques, marchés linguistiques et identités
  • 3. Politiques linguistiques familiales
  • Chapitre 2 - La langue bretonne : contextualisation sociolinguistique
  • 1. Politiques linguistiques et statuts des langues en France
  • 1.1. Entre multilinguisme social et monolinguisme d’État
  • 1.2. Les « langues de France » : de la loi Deixonne à une « tolérance constitutionnelle »
  • 2. Contexte sociolinguistique historique de la Bretagne :
  • 2.1. Un territoire, une frontière linguistique, des langues
  • 2.2. Le breton et le gallo
  • 2.2.1. Le gallo
  • 2.2.2. Le breton
  • 2.3. La pratique sociale du breton d’hier à aujourd’hui
  • 3. Situation sociolinguistique actuelle du breton en Bretagne
  • 3.1 Politiques linguistiques régionales et discours institutionnels : un contexte favorable
  • 3.2. L’éducation bilingue breton-français aujourd’hui
  • 3.2.1. De la maternelle à l’université ?
  • 3.2.2. Plusieurs éléments majeurs ressortent de ces données chiffrées
  • Chapitre 3 - Un terrain de recherche en Bretagne
  • 1. Une situation éducative particulière en Bretagne ?
  • 1.1. Intégration de l’enseignement/apprentissage du et en breton à l’école
  • 1.2. Les « trois Di(v) »
  • 1.3. Trois modèles d’enseignement/apprentissage bilingues distincts ?
  • 1.3.1. Descriptif général et développement des trois filières
  • 1.3.2. Des fonctionnements pédagogiques et linguistiques divergents ?
  • 1.3.3. Quel(s) breton(s) pour quelle(s) pratique(s) ?
  • 1.3.4. Quels sont les objectifs affichés ?
  • 2. Définition du terrain de recherche et caractérisation de la population
  • 2.1. Des pôles géographiques
  • 2.2. Trois pôles géographiques et neuf écoles sélectionnées
  • 2.2.1. Les communes de Brest (premier site bilingue en 1978) et de Plougastel- Daoulas (premier site bilingue en 1995)
  • 2.2.2. La commune de Carhaix (premier site en 1985)
  • 2.2.3. La commune de Rennes (premier site en 1977)
  • 2.3. La population étudiée
  • Chapitre 4 – Une méthodologie plurielle
  • 1. Méthodologie de recueil des données
  • 1.1. Des choix méthodologiques de recueil des données
  • 1.2. Un questionnaire préliminaire
  • 1.2.1. Constitution du questionnaire
  • 1.2.2. Mises en relation et diffusion du questionnaire
  • 1.2.3. Atténuation des biais et difficultés rencontrées
  • 1.3. Des entretiens
  • 1.3.1. L’entretien semi-directif
  • 1.3.2. Les entretiens « Parents »
  • 1.3.3. Rôle et place de l’intervieweuse
  • 1.3.4. Les entretiens « Enfants »
  • 2. Les données : de l’échantillon au corpus
  • 2.1. L’échantillon de population
  • 2.2. Définition du corpus
  • 2.2.1. Les transcriptions
  • 2.2.2. Les conventions de transcription
  • 2.2.3. Le corpus établi
  • 3. Méthodologie d’analyse des données
  • 3.1. Des analyses qualitatives transversales et complémentaires
  • 3.1.1. Analyse de contenu
  • 3.1.2. Analyses de discours
  • 3.1.3. Une ADAO via ALCESTE
  • 3.1.4. Analyses comparatives intra-discours parents et enfants
  • 3.2. Des analyses quantitatives complémentaires
  • 3.3. Une synthèse interprétative sur mesure
  • Chapitre 5 – Représentations parentales
  • 1. Présentation des informateurs
  • 1.1. L’âge des parents
  • 1.2. Les catégories socioprofessionnelles
  • 1.3. Nombre d’enfants par famille
  • 1.4. Origines géographiques familiales
  • 1.5. Langue première de socialisation et transmission intergénérationnelle du breton
  • 1.6. La pratique de la langue bretonne
  • 1.7. La question du genre
  • 2. Analyse thématique transversale de contenu : élaboration d’une grille d’analyse
  • 3. Motivations parentales principales : mise en lumière d’un continuum
  • 4. Sept profils parentaux : des représentations imbriquées
  • 4.1. Du pragmatisme à l’ouverture
  • 4.1.1. Type A : Pragmatismes ↔ Facilités ↔ utilités
  • 4.1.2. Type B : Utilités-capacités cognitives ↔ facilités d’apprentissage ↔ avenir professionnel
  • 4.1.3. Type C : Utilités ↔ préservation d’une culture régionale
  • 4.2. De la préservation à l’ouverture
  • 4.2.1. Type G : De la préservation d’une langue à la préservation d’une culture ou à la transmission d’une langue
  • 4.2.2. Type F : De la préservation d’une langue à la transmission d’un patrimoine culturel familial
  • 4.2.3. Type E : Préservation d’une culture régionale, de l’enracinement à l’ouverture
  • 4.2.4. Type D : Transmission d’un patrimoine familial ↔ Transmission d’une langue familiale ↔ Utilités
  • 5. Apports et limites d’un continuum
  • 5.1. Apports
  • 5.2. Particularismes et limites d’un continuum
  • Chapitre 6 – Du micro au macro : un condensé de la situation sociolinguistique bretonne
  • 1. Cinq univers parentaux
  • 1.1. La classe 1 : les rapports à la scolarité des enfants
  • 1.2. La classe 2 : Les rapports à la langue bretonne
  • 1.3. La classe 3 : goûts et utilités des langues
  • 1.4. La classe 4 : la construction de la vie quotidienne des parents
  • 1.5. La classe 5 : le parcours scolaire des parents interviewés
  • 2. Approche holistique : vers une vision globalisante
  • 3. Synthèse intermédiaire
  • Les valeurs identitaires
  • Les notions d’avenir professionnel et de bilinguisme en tant que capacité
  • Le degré de facilité
  • La notion d’ouverture
  • La langue bretonne
  • Le bilinguisme et les langues
  • L’école et les langues
  • Chapitre 7 – Des parents aux enfants : effets d’influences
  • 1. Représentations des pratiques linguistiques familiales
  • 1.1. Pas de breton avec les enfants :
  • 1.2. Breton pour le suivi scolaire, les devoirs
  • 1.3. Situations de bilinguisme familial
  • 1.4. Breton – langue du foyer
  • 2. Représentations des usages des langues et de la langue bretonne
  • 2.1. Représentations des enfants
  • 2.1.1. Préserver la langue bretonne (12 enfants)
  • 2.1.2. Habiter la Bretagne et y parler la langue bretonne (8 enfants)
  • 2.1.3. Communiquer avec sa famille ou des proches (5 enfants)
  • 2.1.4. Faciliter l’apprentissage d’autres langues (6 enfants)
  • 2.1.5. Voyager (8 enfants)
  • 2.1.6. Communiquer avec d’autres personnes (12 enfants)
  • 2.1.7. Avoir de bonnes notes à l’école (5 enfants)
  • 2.1.8. Avoir plus de connaissances, associées à la réussite professionnelle (8 enfants)
  • 2.1.9. Particularismes enfantins : jeu, non réponse, plaisir
  • 2.2. Influences parentales ?
  • 2.2.1. Effets de miroir
  • 2.2.2. Effets-reflets
  • 2.2.3. Effets d’augmentation ou de diminution
  • 2.2.4. Absences d’effet ou effets contraires
  • 3. De la pratique scolaire à la pratique sociale ?
  • 3.1. Le niveau en breton estimé de l’enfant et par l’enfant
  • 3.1.1. Chez les parents
  • 3.1.2. Chez les enfants
  • 3.2. Continuité primaire-secondaire et pratique du breton à long terme ?
  • 3.2.1. La continuité primaire-secondaire
  • 3.2.2. La pratique sociale du breton à moyen et long terme par ces enfants ?
  • 4. Jeux d’influences
  • Conclusions générales
  • Les représentations sociolinguistiques
  • Le bilinguisme scolaire et individu bilingue
  • Trajectoires sociolinguistiques, constructions identitaires et ouverture
  • Sources
  • Textes législatifs
  • Autres sources
  • Bibliographie
  • Annexe
  • Index des cartes, figures et tableaux
  • Index des notions
  • Obras publicadas en la colección

Introduction

« Les langues n’ont pas de vie, pas de famille, ne sont ni des instruments, ni des organismes extérieurs à ceux qui les utilisent, les langues n’existent que par leurs locuteurs, elles sont réinventées, renouvelées, transformées, dans chaque interaction, chaque fois que nous parlons » (Calvet, 1999 : 16).

Cette recherche parle de langues, non pas de la langue en tant que système homogène se suffisant à lui-même, dans une perspective structuraliste, mais de ce que Saussure (1974) écarte de ses études et nomme la « parole ». Elle envisage les langues dans leur diversité, parlées par des locuteurs, circulant dans des communautés linguistiques (Labov, 1976), sur des marchés linguistiques (Bourdieu, 1982), régies par des normes particulières, des politiques linguistiques collectives et individuelles qu’il importe de mettre en évidence, des langues investies d’un certain capital (culturel, symbolique…), des langues qui déterminent l’identité socio-linguistique de locuteurs. Au travers des langues, appréhendées en tant que fait social, ce travail s’intéresse alors avant tout à des personnes, à des locuteurs et à leurs mises en mots concernant les conditions de production et de reproduction de ces langues.

Depuis quelques années en Bretagne, nous sommes en présence d’une réalité nouvelle. Des parents, qui pour la plupart ne maîtrisent pas ou peu la langue bretonne, font l’acte volontaire de scolariser leurs enfants dans cette langue. Ils font le choix conscient d’un bilinguisme scolaire précoce breton-français, très souvent à contre-courant des décisions prises par leurs propres parents une génération plus tôt. Pour quelles raisons certains parents d’aujourd’hui font apprendre à leurs enfants la langue bretonne par voie de scolarisation ?

Des enfants, eux, vivent ce choix au quotidien, qui émane de politiques linguistiques éducatives parentales, mises en place pour eux, pour des raisons variées. Ils apprennent le breton à l’école dans une filière bilingue breton-français, sans qu’il s’agisse d’un choix personnel au départ. Quelles sont de manière générale les représentations sociolinguistiques de ces enfants ? D’où proviennent-elles ? Quelles sont les influences parentales ? Vers quelle appropriation socio-langagière du breton tendent-ils ?

Cette recherche étudie ainsi les rapports entre langues et vie sociale à partir d’un cas d’étude particulier : celui de l’actuelle place de la langue bretonne dans ←21 | 22→le paysage linguistique breton et, plus précisément, celui du bilinguisme scolaire breton-français du jeune enfant.

De la sociolinguistique à l’interdisciplinarité

Cette recherche s’inscrit donc dans le domaine de la sociolinguistique, sous l’angle des politiques linguistiques, dans l’articulation entre politiques linguistiques générales et politiques linguistiques familiales. La sociolinguistique est donc le point d’ancrage disciplinaire, en ce qu’elle « tâche de découvrir quelles lois ou normes sociales déterminent le comportement linguistique dans les communautés linguistiques » (Fishman, 1971 : 19) et « s’efforce de les délimiter, et de définir ce comportement vis-à-vis de la langue elle-même » (ibid.). Pour autant, à l’intérieur même de cette discipline, les approches sont diversifiées. La sociolinguistique variationniste (Labov) et celle interactionniste (Gumperz) ne sont pas opposées ici. Considérées comme complémentaires, il s’est agi de comprendre les divergences de point de vue, et d’extraire ce qu’il pouvait y avoir d’heuristique pour la recherche, et de puiser, dans chacune d’entre elles, les outils nécessaires pour mener cette réflexion. Par ailleurs, cette sociolinguistique n’exclut pas des emprunts, la convocation de concepts d’autres disciplines traitant du même objet. L’étude des représentations sociolinguistiques des locuteurs nécessite, par exemple, une approche interdisciplinaire qui permet de clarifier les concepts de représentations (mentales, sociales, sociolinguistiques…) grâce à l’appui et la confrontation de travaux en psychologie sociale (cf. chapitre 1). Il y a donc la volonté de rendre compte d’un phénomène complexe par une approche interprétative plurielle et interdisciplinaire. C’est pourquoi la démarche de recherche s’ancre dans une ethno-sociolinguistique (Blanchet, 2000) qui permet d’étudier un phénomène langagier tout à la fois dans ses composantes macro et micro sociales. Il s’agit alors d’une linguistique de terrain (ibid.), c’est-à-dire qui donne la primauté au terrain dans son approche théorique et méthodologique. C’est une linguistique de la complexité, au sens d’Edgar Morin (1990) qui vise « la construction de modèles interprétatifs, lesquels participent à la construction progressive d’une vision globale des phénomènes humains observés » (Blanchet, 2000 : 63). De ce positionnement ethno-sociolinguistique découle bien entendu le développement d’une méthodologie particulière, principalement empirico-inductive (cf. chapitre 4).

D’un point de vue éthique, cette approche implique également un volet réflexif du chercheur quant à sa propre démarche, « c’est-à-dire le besoin de devenir conscient de la façon dont l’action de la recherche est reliée au savoir qu’elle construit et de rendre ce processus explicite, tout en tenant compte ←22 | 23→de ses conséquences sociales » (Heller, 2002 : 22). Ainsi, les positionnements, méthodes et attentes, au sens large, au regard de la recherche menée, sont explicités dans l’introduction et les premiers chapitres de ce livre. Cette dimension éthique, incontournable, rapproche ce travail de la sociolinguistique critique (Heller : 2002). Cette conception de la sociolinguistique, en tant que « sociolinguistique sociale et critique » (2002 : 11) passe, entre autres, par une phase indispensable d’introspection du chercheur (cf. Avant-propos).

Bilinguisme scolaire du jeune enfant

Apprendre et parler une langue résulte de choix – familiaux, personnels, sociétaux, politiques, économiques, etc., directs ou indirects, plus ou moins conscients – qui interviennent, en fonction des individus et des situations, à différentes périodes de la vie. Les recherches, particulièrement « en milieu scolaire », attestent des liens indéniables entre les attitudes, les représentations et « le désir d’apprendre les langues, la réussite ou l’échec de cet apprentissage » (Castellotti & Moore, 2002). Pour le jeune enfant, l’apprentissage d’une langue ou de plusieurs langues ne résulte pas d’un choix personnel motivé et direct. Dans la famille, les parents mettent en place des politiques linguistiques (familiales) au sens où l’entend Louis Jean Calvet : « l’ensemble des choix conscients effectués dans le domaine des rapports entre langue et vie sociale » (Calvet, 1987 : 154–155). Ainsi, les parents, sans qui l’apprentissage et le bon développement des enfants ne pourraient avoir lieu, sont les acteurs principaux de ces choix linguistiques et éducatifs.

La question du choix des langues par les parents a déjà été et continue à être traitée au sujet des politiques familiales à adopter lorsque les parents forment ce que l’on appelle un « couple mixte » (Varro, 2003 ; Deprez et al., 2014) ou dans le cas de parents immigrés ne possédant pas ou peu la langue du pays d’accueil (voir, entre autres : Deprez, 1994 ; Hélot, 2007, Castellotti, 2001 ; Delamotte, 2016). Mais, dans ces deux cas, on parle de transmission ou de non transmission familiale des langues. Il s’agit d’abord d’un choix linguistique de la ou des langues de la famille. La question du choix de la langue dans laquelle seront scolarisés leurs enfants n’intervient qu’ultérieurement, si elle intervient. Cette question a également été étudiée dans la situation moins connue des enfants sourds pour lesquels les parents doivent, souvent dans l’urgence, choisir entre Langue des Signes Française (LSF) et oralisation (Delamotte-Legrand & Sabria, 2001). Le cas de parents, a priori non-contraints, qui mettent en place des politiques linguistiques concernant la scolarisation de leurs enfants dans une école qui dispense un enseignement bilingue français-langue régionale ou ←23 | 24→minoritaire, alors que pour la plupart, ils ne parlent pas ou peu la langue de scolarisation choisie, a été moins étudié. Le terme de langue minoritaire désigne dans cette recherche une langue qui :

« est à la fois minorée et minorisée, et uniquement quand les deux phénomènes se produisent conjointement. La minoration (qualitative) est une question de statut : une langue est minorée quand son statut social diminue (par rapport à celui d’une autre, dont le statut est plus élevé). La minorisation (quantitative) est une question de pratiques : une langue est minorisée quand l’ensemble des pratiques, évaluées en nombre de locuteurs, ou en productions (orales et écrites), ou encore en interactions possibles dans la vie quotidienne, diminue (par rapport aux pratiques d’une autre, dont le nombre est plus élevé.) » (Blanchet 2002 : 96)

La question du bilinguisme du jeune enfant est donc ici abordée sous l’angle du choix parental. Ce projet s’inscrit dans une thématique scientifique plus large : celle du bilinguisme précoce et plus particulièrement du point de vue de la construction d’enfants bilingues, du développement d’un « être bilingue » (Lüdi & Py, 2003 [1986]).

Du multilinguisme sociétal aux plurilinguismes individuels

Par le biais de la mondialisation, de la globalisation économique, des flux migratoires, du tourisme…, être en contact avec différentes langues dès le plus jeune âge semble devenu quelque chose de commun au XXIème siècle. La majorité des Européens, et plus encore des citoyens du monde, vit dans un environnement multilingue, c’est-à-dire « une zone géographique déterminée, qu’elle soit limitée ou étendue » dans laquelle est présente « plus d’une “variété de langues” (c’est-à-dire le mode d’expression d’un groupe social) reconnue officiellement ou non comme langue2 ». Selon les études internationales de l’Unesco, environ 60 % de la population mondiale est bi- ou plurilingue au niveau individuel. Claude Hagège, qui s’appuie sur les travaux du psycholinguiste François Grosjean (1982), précise que « le nombre de personnes bilingues doit être évalué comme étant égal à environ la moitié de la population mondiale » (1996 : 9). Si l’on considère que le fait de parler différentes variétés de sa première langue de socialisation – c’est-à-dire faire usage de différents niveaux de langue en fonction de son interlocuteur (parler différemment à son employeur, son conjoint, ses collègues, ses amis ou ses enfants) – peut être une forme de bilinguisme, il ←24 | 25→est intéressant de se demander qui n’est pas bi- ou plurilingue dans la société actuelle. Le bi-plurilinguisme, en tant que connaissance de plusieurs langues par un individu, n’est donc pas une exception et le monolinguisme ne représente pas « La » norme au niveau international.

Valorisation du plurilinguisme par les institutions européennes et internationales

Les actes officiels des institutions internationales et européennes, en faveur du développement de l’apprentissage des langues via la scolarisation, sont déjà anciens et nombreux. L’acte constitutif de l’Organisation des Nations Unies pour l’Éducation, la Science et la Culture (UNESCO), dès son origine en 1946, place les langues au cœur de son dispositif en déclarant à l’article premier vouloir « contribuer au maintien de la paix et de la sécurité en resserrant, par l’éducation, la science et la culture, la collaboration entre nations, […] sans distinction de race, de sexe, de langue ou de religion3 ». Les gouvernements des États membres de l’Union Européenne cernent depuis plusieurs années les enjeux majeurs, tant du point de vue économique, politique que social, résidant dans la capacité des personnes à maîtriser plusieurs langues et ils effectuent des préconisations en ce sens. Ainsi, le Conseil Européen présentait en mars 2000 à Lisbonne un « nouvel objectif stratégique » :

« devenir l’économie de la connaissance la plus compétitive et la plus dynamique du monde, capable d’une croissance économique durable accompagnée d’une amélioration quantitative et qualitative de l’emploi et d’une grande cohésion sociale4 »

Les chefs d’états et de gouvernement ont tout d’abord pris des mesures pour une « transformation radicale de l’économie européenne5 » et pour « moderniser les systèmes […] d’éducation6 ». En 2002, ils ont exprimé la volonté de faire des systèmes d’éducation et de formation européens « une référence de qualité mondiale7 ». Ils ont reconnu la nécessité d’agir à la fois au niveau de l’Union Européenne et dans les états membres pour améliorer l’apprentissage ←25 | 26→des langues, en particulier en enseignant à chacun au moins deux langues étrangères et ce, « dès le plus jeune âge8 ». En 2008, dans le cadre de la résolution du 21 novembre relative à une stratégie européenne en faveur du multilinguisme9, le Conseil a invité les états membres et la Commission à :

« - promouvoir le multilinguisme dans le but de renforcer la cohésion sociale, le dialogue interculturel et la construction européenne,

- renforcer l’apprentissage des langues tout au long de la vie, en particulier auprès des jeunes et des professeurs de langues,

- mieux valoriser le multilinguisme comme atout pour la compétitivité de l’économie européenne et la mobilité et l’employabilité des citoyens européens,

- promouvoir la diversité linguistique et le dialogue interculturel en renforçant le soutien à la traduction afin de favoriser la diffusion des idées et des savoirs et la circulation des œuvres en Europe et dans le monde,

- promouvoir les langues de l’Union Européenne dans le monde.10 »

Depuis cette date, de nombreux projets, portés par le conseil de l’Europe, ont vu le jour pour le développement d’une éducation plurilingue et pluriculturelle, inclusive, qui reconnaisse les minorités de ses États membres, avec une attention particulière portée aux langues de scolarisation (entre 2007 et 2015). Ainsi, les textes officiels de l’UNESCO, du Conseil de l’Europe et leurs instances de développement tel que « l’Observatoire du plurilinguisme », sont autant de jalons, d’attributs visibles des politiques linguistiques internationales et européennes en faveur du développement des compétences linguistiques, plurilingues et pluriculturelles de tous les citoyens du monde.

Aux origines d’un choix linguistique

« Les représentations que les locuteurs se font des langues, de leurs normes, de leurs caractéristiques, ou de leurs statuts au regard d’autres langues, influencent les procédures et les stratégies qu’ils développent et mettent en œuvre pour les apprendre et les utiliser » (Castellotti & Moore, 2002 : 7)

De façon analogue, les choix linguistiques, les politiques linguistiques familiales instaurées par les parents font l’objet d’influences. La notion subjective de choix répond à un principe de préférence. « Les paramètres [externes et internes] qui président au choix sont nombreux et d’une grande complexité » ←26 | 27→(Delamotte-Legrand & Sabria, 2001) : parmi eux, les représentations que les individus ont de la langue choisie et des autres langues.

En ce qui concerne les représentations autour du bilinguisme et de l’enseignement bilingue, un long chemin a été parcouru. Après avoir été décriés, considérés comme un véritable handicap face à un idéal monolingue (Tabouret-Keller, 2011), les discours sur le bilinguisme évoluent. Le terme de bilinguisme « subit une réévaluation qui a pour effet de modifier profondément la relation que ses utilisateurs entretiennent avec [lui]. » (Bourdieu, 1982 : 40, note 17). L’apprentissage précoce des langues en milieu scolaire semble être désormais perçu par la majorité des différents acteurs sociaux (politiques, enseignants, parents…) comme un atout pour l’avenir des nouvelles générations. Nonobstant, pour le moment, des questions d’enjeux et de bénéfices escomptés de tels enseignements/apprentissages linguistiques et culturels et des périodes idoines pour cela, il faut souligner le poids des reconnaissances officielles (textes, lois, décrets…) sur les valeurs attribuées aux langues, les attitudes linguistiques puis sur les politiques linguistiques individuelles ou familiales établies. Toutefois, les choix linguistiques de scolarisation par les parents portent majoritairement sur des langues dites « de grande diffusion », et principalement sur l’anglais.

Qu’en est-il de la diversité linguistique ?

Entre 4000 et 8000 langues sont parlées dans environ 200 pays (Deprez, 1994 : 27, Calvet, 1999 : 9 ; Moore, 2006 : 11). Les textes officiels en faveur de l’enseignement/apprentissage des langues dès le plus jeune âge et de la diversité linguistique se sont multipliés. Pour autant, le bi-plurilinguisme suscite encore de très nombreuses interrogations lorsqu’il s’agit de penser à transmettre, faire apprendre des langues aux enfants, aux nouvelles générations (Gadet & Varro, 2006 : 9–28 ; Hélot : 2007). Il s’agit d’une question empreinte de nombreux enjeux (politiques, économiques, sociétaux, identitaires).

Résumé des informations

Pages
374
Année
2020
ISBN (PDF)
9783631820988
ISBN (ePUB)
9783631820995
ISBN (MOBI)
9783631821008
ISBN (Relié)
9783631821015
DOI
10.3726/b16913
Langue
français
Date de parution
2020 (Mai)
Published
Berlin, Bern, Bruxelles, New York, Oxford, Warszawa, Wien, 2020. 374 p., 5 ill. en couleurs, 15 ill. n/b, 16 tabl.

Notes biographiques

Catherine Adam (Auteur)

Catherine Adam est enseignante-chercheure en sociolinguistique et sciences de l’éducation. Membre du laboratoire Formation et apprentissages professionnels (EA 7529), ses travaux de recherche portent principalement sur l’étude des représentations sociolinguistiques, perceptibles au travers des discours, et de leurs influences sur l’apprentissage, le développement et l’appropriation notamment des langues en contexte plurilingue, mais aussi de savoirs, de compétences dans le cadre de formations, de la petite enfance à l’enseignement supérieur. D’une manière holistique, elle s‘intéresse aux différents acteurs en contexte éducatif, aux processus de transmissions/appropriations en lien avec les dynamiques identitaires.

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