Amours, danses et chansons
Le mélodrame de cabaret au Mexique et à Cuba (années 1940–1950)
Résumé
Extrait
Table des matières
- Couverture
- Titre
- Copyright
- À propos de l’auteur
- À propos du livre
- Pour référencer cet eBook
- Table des matières
- Remerciements
- Avant-propos
- Introduction
- Première partie Le mélodrame de cabaret : un corpus fruit de la coproduction
- Chapitre 1: La tradition musicale du mélodrame revitalisée
- Chapitre 2: Un cadre générique fixé par l’industrie mexicaine
- Chapitre 3: L’imaginaire mélodramatique : Cuba fantasmée
- Deuxième partie Le genre dans ses œuvres
- Chapitre 4: La société mise en scène
- Chapitre 5: La femme fantasmée du mélodrame
- Chapitre 6: Le topos mélodramatique
- Chapitre 7: Stratégies et doubles discours du mélodrame
- Troisième partie Le mélodrame de cabaret face à la critique
- Chapitre 8: La critique contemporaine des films : le point de vue de leurs artisans
- Chapitre 9: Le mélodrame en question dans les années 1960 ou comment le nouveau cinéma latino-américain prétendit en finir avec le vieux
- Chapitre 10: Le mélodrame de cabaret, révélateur historiographique
- Conclusion
- Index des films cités
- Bibliographie
- Titres de la collection
Ce livre est le résultat d’un travail de thèse dont l’objet relativement peu académique à l’époque a été soutenu sans réserve par Jean-Claude Seguin, Marie-Linda Ortega et Carmen Val Julián. Qu’ils soient ici vivement remerciés de m’avoir encouragée à explorer un champ qui n’avait rien d’évident dans le paysage universitaire d’alors.
Cette recherche a également bénéficié de l’aide infiniment généreuse et déterminante de Paulo Antonio Paranaguá, qui m’a ouvert bien des portes, tant à Cuba qu’au Mexique. Celles en particulier de Luciano Castillo, alors directeur de la médiathèque de l’École internationale de Cinéma et de TéléVision (EICTV) de San Antonio de los Baños, qui m’a permis un accès total aux fonds de cette institution. Celles également de Juan Antonio García Borrero, qui m’a communiqué sa passion pour l’étude du cinéma cubain ainsi que sa diffusion sur le terrain lors d’une expérience inoubliable au Festival de cinéma de Camagüey. Celles enfin d’Eduardo de la Vega Alfaro, alors directeur du Centro de Investigación y Estudios Cinematográficos (CIEC) de l’université de Guadalajara : son accueil, ainsi que celui de Rosario Vidal Bonifaz, ont été sans limites, tant sur le plan intellectuel qu’amical.
Les séjours que j’ai effectués à Cuba et au Mexique ont été l’occasion d’échanger avec Ivan Trujillo Bolio à la cinémathèque de Mexico qui m’a grandement aidée à avoir accès aux copies des films, mais aussi avec Michael Chanan au détour du Festival international du nouveau cinéma latino-américain de La Havane. La publication de ce livre s’accompagne pour moi d’une pensée émue pour Walfredo Piñera et Julio García Espinosa, avec lesquels j’ai pu avoir de longues discussions qui m’ont fait entrevoir l’importance, si longtemps refoulée, que ce cinéma prérévolutionnaire avait eue pour eux.
Ce travail au long cours a aussi été l’occasion de nouer de solides amitiés avec Julia Tuñón, Marina Díaz López et Désirée Díaz Díaz, dont le travail et la connaissance du cinéma mexicain et cubain ont nourri mes réflexions.
Je tiens à remercier enfin Dominique Nasta, qui a accepté d’accueillir mon manuscrit dans sa collection « Repenser le cinéma », ainsi que l’éditrice Émilie Menz : leur accompagnement et relectures minutieuses ont été précieux tout au long de cette aventure éditoriale, donnant tout son sens au délai qui a séparé la soutenance de cette thèse de sa publication, dans une version profondément remaniée. ← 11 | 12 →
Issu de sa thèse de doctorat soutenue en 2003, l’ouvrage de Julie Amiot-Guillouet est pionnier à plusieurs égards. Il traite un sujet qui paraît très spécialisé, celui des « mélodrames de cabaret » qui de 1945 à 1960 ont constitué un sous-genre du cinéma mexicain, en liaison avec des musiques et des interprètes cubaines, notamment les rumberas ou cabaretières, les reines de la rumba. L’auteure combine avec bonheur l’analyse des films, de leur production et de leur réception, l’histoire des formes et l’histoire économique et institutionnelle. Son livre passionnera les amateurs de mélodrame, mais aussi de comédie musicale, et tous ceux qui croient à l’inventivité de la culture populaire. Il piquera la curiosité de ceux qui s’interrogent sur la définition des cinémas nationaux car l’auteure y traite de la coproduction, qui est transnationale (en l’occurrence, binationale) par définition.
De longue date, les admirateurs du cinéma mexicain ont reconnu la place éminente qu’y occupe le mélodrame, avec les œuvres magistrales d’Emilio Fernández, comme María Candelaria (Emilio Fernández, 1944), dont la plastique, ciselée par la photo de Gabriel Figueroa, reprend les thèmes indiens épiques ou tragiques d’Eisenstein et de Diego Rivera tout en y introduisant la suavité sensuelle de son interprète, Dolores del Río. Pour la plupart, les mélodrames de cabaret qu’analyse Julie Amiot-Guillouet n’affichent pas cette ambition esthétisante (même si Fernández a sacrifié au genre avec Quartier interdit – Víctimas del pecado, 1951), mais leur découverte est aussi excitante que celle d’un Nouveau Monde, qui multiplie les métissages. Grâce aux nombreux numéros chantés et/ou dansés, le mélodrame redevient un « drame avec musique » ; accueillis par l’industrie du cinéma mexicaine, alors la plus importante d’Amérique latine, les rythmes et les thèmes cubains déferlent avec la même abondance contagieuse que dans les musicals hollywoodiens contemporains. Ce n’est pas seulement que Ninón Sevilla, la rumbera par excellence, arbore les mêmes coiffures extravagantes de fruits tropicaux que la « bombe brésilienne » Carmen Miranda dans Banana Split de Busby Berkeley ; devant la sensualité, la vitalité et l’abattage de Ninón Sevilla, on songe à Judy Garland dans Le Pirate de Minnelli, où se donne libre cours une pareille inspiration caraïbe. Sans doute est-il tentant, devant certains de ces numéros musicaux, comme le surgissement inattendu, dans Maison de rendez-vous (Aventurera, Alberto Gout, 1950), de « Sur un ← 13 | 14 → marchépersan » de Ketèlbey, de parler de kitsch, mais on aurait grand tort de considérer ces œuvres avec condescendance.
Maison de rendez-vous, qui relate la vie d’une jeune fille de bonne famille tombée dans la misère et contrainte à la prostitution avant de devenir une rumbera vedette, est un des chefs-d’œuvre du genre, et fait partie de ces mélodrames qui, tels ceux de Vidor ou de Sirk, méritent d’être réévalués pour la vigueur de leurs revendications féministes. Le machisme ordinaire des Mexicains y est dépeint sans fard, ainsi que la schizophrénie d’une société à double fond, où les coulisses du cabaret sont un bordel régi par le chantage et la violence, et où la même femme alterne chaque semestre les rôles de veuve exemplaire et de mère maquerelle : on n’est pas loin de Buñuel et de ses propres mélodrames mexicains, sans parler de Belle de jour.
Revoici Ninón Sevilla dans une œuvre toute différente, La Mulâtresse (Mulata, Gilberto Martínez Solares, 1954), dont le titre désigne la charge raciale subversive dont peut être porteur le mélodrame de cabaret. À vrai dire, il y a ici peu de numéros de cabaret, mais en revanche une fatalité du sang qui pousse l’héroïne, Caridad dite Mulata, à se livrer à la danse africaine et païenne ancestrale du Bembé. Phtisique, déchirée entre trois amants, elle rejoint in fine le volage marin mexicain incarné par Pedro Armendáriz, mais le bateau qui, passant au large du phare de La Havane, appareille pour Veracruz ne conduit Caridad qu’à l’île des Morts.
Dans Maison de rendez-vous et La Mulâtresse, Ninón Sevilla incarne des personnages dont la stature romantique, lyrique et tragique s’apparente à celle d’Ava Gardner dans La Comtesse aux pieds nus ou de Jennifer Jones dans Duel au soleil. Il faut féliciter Julie Amiot-Guillouet d’avoir exploré ce Nouveau Monde où la Caraïbe se mêle au Mexique et de nous y servir de guide, pour notre instruction et notre plus grand plaisir.
Jean-Loup Bourget
Le mélodrame est un objet familier aux contours flous et mal définis, du moins dans l’exégèse francophone. Spectateurs et critiques manipulent cette notion générique comme si elle allait de soi, faisant le plus souvent l’économie d’une définition vraiment formalisée et claire. Conséquence de cette imprécision, le substantif « mélodrame », ou l’adjectif « mélodramatique », se constituent comme des catégories de jugement esthétique pouvant désigner à peu près n’importe quoi. À côté de ces acceptions lâches du mot, aussi générales que simplificatrices, il est possible – et même nécessaire – de rechercher une définition plus stricte du mélodrame en tant que genre, ce qui constitue le fondement conceptuel du présent ouvrage : étude du contexte de production dans lequel émergent les films étudiés, il se veut également étude stylistique et thématique, abordant le mélodrame mexicano-cubain du point de vue de sa forme et du contenu des films. Les définitions génériques n’étant pas des catégories absolues, et ne pouvant se comprendre qu’à travers un contexte de réception précis1, le problème de l’accueil réservé par la critique aux films est également abordé, confirmant tout ce que l’approche critique du mélodrame doit à des présupposés idéologiques tranchés dans le contexte latino-américain, et surtout à Cuba à partir de 1959 : jusque dans le champ des études universitaires, de nombreux auteurs soulignent qu’ils étudient des films de mauvaise qualité ne pouvant rien apporter à leur public, sans toutefois tenter d’en expliquer le succès. Cela montre qu’il est souvent plus commode de passer ces problèmes sous silence plutôt que de les poser, à défaut de les résoudre.
Ce livre constitue une étude du mélodrame mexicain en tant que genre dans ses rapports avec Cuba à une période circonscrite (de 1938 à 1958, dates respectives de la première et de la dernière coproduction entre les deux pays), et il implique des questions de plusieurs ordres. Tout d’abord, une réflexion sur la notion de genre fondée sur un effort de contextualisation en fonction de l’aire spatio-temporelle choisie et des spécificités de son industrie cinématographique : la période considérée correspond à celle où le mélodrame s’épanouit sur les écrans des deux ← 15 | 16 → pays, qui mettent en place un système de coproduction dont la matrice générique est le mélodrame mexicain. Mais ce cadre esthétique se modifie à mesure que les Mexicains mettent en scène de façon récurrente une référence omniprésente à Cuba, dont la présence dans les films mexicains est bien moins anodine et ornementale qu’il n’y paraît.
L’analyse vise à dégager les spécificités formelles et thématiques de ces mélodrames, mais aussi le rapport entretenu avec le public et la critique. On le sait, le mot « mélodrame » a été soumis au cours de son histoire à une importante évolution sémantique : faisant au départ référence à une forme nouvelle et fort bien délimitée de dramaturgie, le terme se modifie au fil des jugements portés par la critique sur les œuvres constituant le genre vers une acception de plus en plus péjorative. Cette tendance se trouve à la fois confirmée et nuancée dans le domaine latino-américain. Confirmée, parce que l’héritage musical et radiophonique qui pèse sur le mélodrame en fait un élément clairement rangé dans les catégories de la culture dite « populaire » ou « de masse ». Nuancée, dans la mesure où ces traditions populaires sont valorisées de par leur dimension « vernaculaire », signe aussi bien à Cuba qu’au Mexique de la vigueur de pratiques culturelles locales non modelées par le goût colonial.
La critique anglo-saxonne a largement contribué à renouveler la façon d’appréhender les genres cinématographiques, et en particulier le mélodrame2 à travers une riche réflexion issue des cultural studies sur le woman’s film ne faisant pas l’économie de considérations psychanalytiques donnant aux études génériques un éclairage nouveau. Elles permettent notamment de dépasser l’impasse axiologique dans laquelle la critique et l’historiographie mélodramatique se sont longtemps enfermées. Les apports de cette nouvelle approche critique au mélodrame latino-américain sont considérables, en particulier depuis les travaux de Julianne Burton-Carvajal. Les chercheurs latino-américains ne sont pas en reste, notamment grâce au travail pionnier de la Brésilienne Silvia Oroz intitulé Melodrama, el cine de lágrimas en América latina3. Un texte de référence pour qui veut aborder les études mélodramatiques dans le champ cinématographique en Amérique latine, qui brosse un panorama complet du genre. D’autres ouvrages ont contribué à infléchir substantiellement les approches du mélodrame, comme celui de la Mexicaine Julia Tuñón4 qui aborde la ← 16 | 17 → question du genre (sexuel et esthétique) dans le contexte de l’industrie du cinéma mexicain classique, ou celui, plus modeste, de Martha Vidrio qui se penche sur le « plaisir des larmes » dans le mélodrame mexicain des années 19305. À Cuba, Nery Sellera, professeure d’histoire du cinéma à l’université de La Havane, a pour sa part rédigé un travail inédit intitulé El Melodrama y lo melodramático en el cine latinoamericano6 : elle replace le phénomène cinématographique dans le contexte particulier de l’évolution des mentalités en Amérique latine au début du XXe siècle, et son étude se termine au moment où d’autres commençaient, à l’avènement de la Révolution cubaine. Aux perspectives d’interprétation inspirées du marxisme qui ont longtemps prévalu à Cuba, Nery Sellera préfère les points de vue plus « personnels » ou « sensibles » d’un Carlos Monsiváis ou de la critique féministe dont elle souligne l’influence déterminante.
Résumé des informations
- Pages
- 219
- Année de publication
- 2016
- ISBN (PDF)
- 9783035265699
- ISBN (MOBI)
- 9783035298963
- ISBN (ePUB)
- 9783035298970
- ISBN (Broché)
- 9782875742407
- DOI
- 10.3726/978-3-0352-6569-9
- Langue
- français
- Date de parution
- 2015 (Décembre)
- Mots clés
- rumba Genres Réception Historiographiee Coproduction et contexte industriel
- Page::Commons::BibliographicRemarkPublished
- Bruxelles, Bern, Berlin, Frankfurt am Main, New York, Oxford, Wien, 2015. 219 p., 29 ill., 6 tabl.