L’enfant et la métaphore
Percée socio-culturelle dans les contours normatifs du cognitivisme
Résumé
Cet ouvrage a pour but d’étudier le développement de la compréhension de métaphores chez des enfants âgés de 4 à 10 ans. Après avoir mis à l’épreuve un modèle cognitiviste de compréhension, l’auteur adopte une perspective critique relevant de la psychologie socio-culturelle sur les mêmes conduites des enfants. Ce changement radical de posture permet de décrire comment les enfants mobilisent, à certaines fins communicationnelles, divers artefacts culturels – des personnages de dessins animés ou de BD, des normes sociales ou des expériences personnelles – issus de leur environnement social. Ils démontrent ainsi disposer de compétences socio-cognitives précoces, trop souvent occultées ou considérées pêle-mêle comme « élémentaires » dans les approches plus classiques.
Extrait
Table des matières
- Couverture
- Titre
- Copyright
- Sur l’auteur/l’éditeur
- À propos du livre
- Pour référencer cet eBook
- Table des matières
- Remerciements
- Avant-propos
- Premier panorama Un modèle cognitiviste du développement de la compréhension de métaphores chez l’enfant
- Chapitre 1. L’enfant et la métaphore en psychologie du développement
- 1.1 Revue critique des études expérimentales chez l’enfant
- 1.1.1 Etude princeps
- 1.1.2 Les conceptions de la métaphore et de sa compréhension
- 1.1.3 Les procédures
- 1.1.4 Rôle du contexte
- 1.2 Enseignements
- 1.2.1 Schématisation d’une tendance développementale
- 1.2.2 Facteurs exogènes et endogènes de la compréhension
- 1.2.3 L’intentionnalité dans une situation de communication
- 1.2.4 Une définition de la métaphore comme un trope illocutoire
- 1.2.5 Perspective de recherche
- 1.3 Pistes pour un nouveau modèle de compréhension
- 1.3.1 Première piste : Une conception « perspectiviste » de la cognition
- 1.3.2 Seconde piste : Une approche pragmatique du langage
- Chapitre 2. Un nouveau modèle cognitiviste de la compréhension de métaphores
- 2.1 La métaphore comme un cas de coordination de perspectives
- 2.1.1 Une conceptualisation piagétienne des métaphores fondée sur la théorie de l’esprit
- 2.1.2 Un modèle de développement de la coordination de perspectives
- 2.2 Une approche pragmatique de la compréhension d’énonciations métaphoriques
- 2.2.1 Figure figée ou événement discursif ?
- 2.2.2 La prévarication : une propriété du langage en action
- 2.2.3 La ressemblance au cœur de la métaphore
- 2.2.4 Des indices dans la communication
- 2.2.5 Niveaux de questionnement dialogal ou métadiscursif
- 2.3 La métaphore dans un cadre cognitivo-pragmatique
- Chapitre 3. Etude I : mise à l’épreuve du modèle cognitivo – pragmatique
- 3.1 Hypothèses
- 3.2 Méthode
- 3.2.1 Sujets
- 3.2.2 Plan quasi-expérimental
- 3.2.3 Épreuve de la compréhension de métaphores
- 3.2.4 Tâche de « théorie de l’esprit »
- 3.2.5 Épreuve sur la compréhension du concept d’interprétation
- 3.2.6 Subtests des Similitudes (WISC-III et WPPSI-R)
- 3.2.7 Épreuve des « trois montagnes »
- 3.3 Traitement des données
- 3.3.1 Métaphores
- 3.3.2 Métaphores et similitudes
- 3.3.3 Métaphores et perspectives
- 3.3.4 Catégorisation de la compréhension des métaphores
- 3.3.5 Regroupement des scores en profils de réponse
- 3.4 Analyse quantitative des résultats
- 3.4.1 Compréhension des énonciations métaphoriques
- 3.4.2 Lien entre similitudes et compréhension de métaphores
- 3.4.3 Lien entre perspectives et compréhension de métaphores
- 3.5 Discussion
- 3.5.1 La métaphore, une forme d’interprétation
- 3.5.2 L’interprétation, un pré-requis de la prévarication
- 3.5.3 Limites de cette étude
- 3.6 Conclusion
- Second panorama Une approche socio-culturelle de l’interprétation de dialogues potentiellement métaphoriques chez l’enfant en situation expérimentale
- Chapitre 4. Concepts fondamentaux d’une psychologie socio-culturelle
- 4.1 Sens et interprétation
- 4.2 La médiation sémiotique de la vie mentale
- 4.3 L’interaction sociale, lieu de transmission-appropriation
- 4.3.1 Théorie neo-vygostkienne de l’activité
- 4.3.2 La définition de la situation et l’intersubjectivité
- 4.3.3 La zone proximale de développement
- 4.4 Enracinement historico-culturel
- 4.4.1 Une conception instrumentale de la culture
- 4.4.2 Configurer des mondes
- Chapitre 5. La rupture épistémologique
- 5.1 Le langage, outil culturel de médiation
- 5.1.1 Représenter, communiquer ou médiatiser ?
- 5.1.2 « La théorie de l’esprit » : un acte conversationnel
- 5.2 La structuration socio-culturelle de la situation expérimentale : retour sur la notion de contexte
- 5.2.1 Dépasser le « contexte » comme un ensemble figé de variables implicites
- 5.2.2 Le contexte comme un espace d’interaction sociale
- 5.2.3 Définition du « contexte » comme un système d’interactions entre individus et outils
- 5.3 Une réhabilitation du travail de l’imagination
- 5.3.1 L’imagination et le développement cognitif
- 5.3.2 Un mode de pensée culturel
- 5.3.3 Conclusion
- 5.4 Vue synoptique des deux épistémologies
- 5.4.1 Implications méthodologiques
- Chapitre 6. Etude II : émergence de ressources socio-culturelles
- 6.1 Objectif de recherche
- 6.2 Méthode d’analyse
- 6.3 Préalable : descriptif a priori de plusieurs paramètres nécessaires à une analyse psychosociale de la situation expérimentale
- 6.3.1 Contexte institutionnel et espaces concrets de la rencontre
- 6.3.2 Rôle et statut social des interactants
- 6.3.3 Définition de la tâche et de la situation
- 6.3.4 Synthèse
- 6.4 Catalogue raisonné des différents types d’enchaînements
- 6.4.1 Premier type d’enchaînement : donner une définition alternative de la situation expérimentale
- 6.4.2 Deuxième type d’enchaînement : identifier le processus à la base de l’image métaphorique
- 6.4.3 Troisième type d’enchaînement : explorer le contenu de l’image métaphorique
- 6.4.4 Quatrième type d’enchaînement : construire des similitudes
- 6.4.5 Cinquième type d’enchaînement : relever l’aspect figuré des expressions métaphoriques
- 6.5 Ancrage socio-culturel des arguments
- 6.5.1 Les expériences personnelles
- 6.5.2 L’environnement culturel
- 6.6 Discussion
- 6.6.1 Cinq types d’enchaînements
- 6.6.2 Une intersubjectivité à négocier
- 6.6.3 Le pluralisme des développements individuels
- 6.6.4 Les manifestations du travail de l’imagination
- 6.7 Conclusion
- Chapitre 7. Conclusion : La métaphore, un récit prêt à éclore ?
- 7.1 Vers un nouveau visage de la métaphore en psychologie du développement
- 7.2 La narrativité fondamentale de l’activité mentale
- 7.3 Et si l’enfant ethnographique destituait le sujet épistémique
- Epilogue
- Références bibliographiques
- Annexe 1
- Annexe 2
Que chaque personne qui, de près ou de loin, a contribué au bon déroulement de ce travail soit ici remerciée de son aide et de sa précieuse collaboration.
Le projet initial de cette étude a été en partie élaboré dans le cadre d’un engagement auprès de la Professeure Ioanna Berthoud de l’Université de Genève. Qu’elle soit ici remerciée, ainsi que l’équipe de psycholinguistique développementale qu’elle dirigeait à l’époque, pour leurs précieux conseils au cours de la première élaboration de ma situation de recherche.
Je tiens à remercier chaleureusement tous les directeurs d’école du canton de Vaud qui m’ont témoigné leur confiance en m’autorisant à conduire mes recherches dans leur établissement : Philippe Blaser (établissement primaire et secondaire de Rolle), Serge Lugon (établissement primaire et secondaire d’Ecublens), Charles Moinat (établissement primaire et secondaire de Préverenges), Claude Tharin (établissement primaire de Lausanne-Prélaz), Rémy Wist (établissement primaire et secondaire d’Apples-Bière) et Christine Wuillemin (directrice du Polykids sur le site de l’EPFL). Ma reconnaissance va également à toutes les enseignantes et à toutes les éducatrices de ces institutions qui nous ont accueillis avec enthousiasme et ont montré un vif intérêt pour notre travail. Leur collaboration nous a été indispensable.
Je suis également très reconnaissant envers les parents d’élèves de m’avoir autorisé à proposer mes saynètes expérimentales à leur enfant, ce qui témoigne à mes yeux d’une certaine confiance et d’un intérêt pour le travail que nous menons à l’Université de Lausanne. Ma gratitude s’adresse en particulier à tous les enfants qui ont participé à cette recherche et qui, par leurs réponses déconcertantes souvent, ont bousculé mes connaissances préconçues et m’ont incité à réfléchir sur la richesse du raisonnement enfantin. Les entretiens ludiques avec eux se sont déroulés dans une ambiance fort agréable. ← 15 | 16 →
Ce travail n’aurait pu être mené sans le soutien et l’aide de ma famille, mes amis et mes collègues qui ont donné de leur temps pour m’accompagner en classe et s’occuper de la logistique avant et pendant les entretiens avec les enfants. Je n’oublie pas de saluer l’aide précieuse de notre civiliste Jean-Christophe Berger et de Dorothée pour la retranscription des entretiens, d’Anja Germond pour sa relecture attentive et minutieuse, de Ludovic Bonzon pour ses dessins et pour m’avoir permis de tester mon matériel quand il avait 6 ans et enfin de ma cousine Jennifer pour son travail de graphisme créatif. Ce travail a bénéficié également du soutien de Jean-Marie Zaccaria qui m’a aidé à traduire ma pensée en anglais et pouvoir ainsi partager mes réflexions avec d’autres chercheurs lors de conférences à l’étranger. Un merci tout particulier à Fabien Desponds et Estelle Monney qui ont gracieusement prêté leurs voix aux petits personnages Playmobil. Et à Estelle et mon père Mario pour m’avoir aidé à construire le matériel expérimental, en particulier l’épreuve dite des trois montagnes.
Un travail académique d’une telle ampleur ne peut être réalisé sans le suivi bienveillant d’une chercheuse avertie comme la Professeure Michèle Grossen qui a accepté de me faire bénéficier de son expertise et de son soutien tout au long des méandres de ma trajectoire. Sa relecture minutieuse et ses suggestions stimulantes m’ont permis de prolonger mes réflexions. Ce travail de doctorat bénéficie également des regards croisés des membres du jury, la Professeure Tania Zittoun et le Professeur André Petitat. Je leur exprime ici toute ma reconaissance d’avoir lu ce travail attentivement de leur œil expert. Mention spéciale à Tania Zittoun avec qui les échanges très enrichissants ont notablement contribué à surmonter les moments de doutes et de blocages inhérents à ce type de démarche sur la durée. Merci aussi à Olivier Pochon pour son accompagnement et son aide précieuse dans le traitement quantitatif des données. N’oublions pas non plus les étudiant-e-s qui, en me confrontant à mes propres présupposés ou en prolongeant mes idées balbutiantes parfois, ont nourri mes réflexions dans le cadre de leurs travaux pratiques de deuxième année.
Je tiens à rendre hommage aux grands auteurs – Milton Erickson, Paul Watzlawick, François Roustang et Paul Ricoeur – qui, au delà de leurs savoirs, ont suscité en moi le goût de la quête intellectuelle et le sentiment d’une métaphorique fondamentale et bienfaisante de la vie. Nul doute que ← 16 | 17 → leur influence transparaîtra entre les lignes de ce travail. A ces dialogues imagnaires s’ajoutent les échanges réguliers et bien réels avec Yannis Papadaniel, grand anthropologue, qui auront contribué sans nul doute à orienter mes réflexions vers une éthnographie de l’enfance.
ENIGME, mystère, infraction subite et inopinée au code lexical, la métaphore a suscité la curiosité et la méfiance de la tradition philosophique occidentale dès l’Antiquité. Tantôt louée pour ses vertus thérapeutiques et son potentiel didactique quand elle éblouit pour mieux éclairer, tantôt vouée aux gémonies pour sa propension insidieuse à créer des images dans le seul but de tromper et de nuire ou, plus innocemment, d’embellir superficiellement le discours. Symbole de la pensée créatrice pour quelques-uns, sauvageonne illusionniste pour de nombreux autres, la métaphore a plutôt mauvaise presse dans l’histoire de la pensée occidentale qui s’en méfie autant qu’elle redoute la force destructurante de l’imagination mue par les passions.
Réservée à une élite pour Aristote qui y voyait le trait du génie, la métaphore s’avère en fait loin d’être la prérogative de quelques-uns. Au quotidien, notre langage ordinaire est truffé de métaphores que l’usage ne laisse plus guère apparaître comme tel. Alors, essentielle à l’invention intellectuelle, puissant outil heuristique ou simple trope figé, cosmétique certes, mais inutile voire trompeur ? Tel est le débat qui agite les textes consacrés à la métaphore.
Le XXe siècle marque un renouveau. Cette « acrobatie du sens » acquiert petit à petit ses lettres de noblesse, car, tout en induisant une certaine perplexité dans le discours, on lui reconnaît la vertu d’organiser de nouvelles perceptions et d’éveiller nos sens. Une attitude bienveillante est adoptée face au phénomène métaphorique que la rhétorique classique avait voulu réduire à une figure figée de la langue, signe parfois d’une paresse mentale et d’une insuffisance d’abstraction. De figure, la métaphore devient un processus langagier dynamique dont le pouvoir heuristique révèle de nouveaux aspects du réel. Ce regain d’intérêt pour l’étude de la métaphore a eu inéluctablement des échos dans diverses disciplines. La psychologie de l’enfant s’en est saisie peu après la moitié du siècle.
On peut regretter néanmoins que les psychologues se soient engouffrés dans le sillon de la rhétorique classique. Les psycholinguistes et les ← 19 | 20 → développementalistes ont pris intuitivement la métaphore-figure comme modèle sans plus se documenter dans d’autres disciplines comme la philosophie ou la linguistique. Intéressés par le développement de la compréhension de métaphores, nombre d’entre eux ont appliqué des procédures expérimentales pour élucider les mécanismes cognitifs impliqués. Les tenants de cette approche cognitiviste très normative des processus mentaux n’ont que trop peu d’égards pour les dimensions intrinsèquement langagière et communicationnelle du phénomène métaphorique.
Ce travail se fixe comme but de dégager certaines limites d’une approche cognitiviste des processus mentaux appliquée à l’étude de la métaphore chez l’enfant. Le revers positif de cette critique est de faire émerger toutes les compétences socio-culturelles parfois précoces de l’enfant aux prises avec des dialogues potentiellement métaphoriques en situation expérimentale. Les enfants développent toutes sortes de stratégies pour faire face à la nouveauté de la situation expérimentale dont ils ne connaissent souvent pas les règles et pour maintenir la communication avec l’adulte. Pour ce faire, les enfants convoquent des éléments culturels pour interpréter la situation. Nous faisons l’hypothèse que ces éléments culturels peuvent avoir une fonction de « ressources symboliques » (Zittoun, 2007) dans l’interaction verbale avec l’adulte. Ces éléments importés de leur environnement culturel peuvent servir aussi à signifier leur saisie intuitive et imagée d’un processus métaphorique lui-même à l’interface de processus abstraits et d’évocations figuratives. Nous nous proposons de les faire émerger pour mieux les revaloriser.
Pour atteindre cet objectif, ce travail se compose de deux parties qui correspondent à deux perspectives radicalement différentes aux niveaux théorique et méthodologique.
La première partie se donne pour objectif de mettre sur pied un nouveau modèle du développement de la compréhension de métaphores et de le mettre empiriquement à l’épreuve. Dans ce but, nous commencerons par sonder de manière critique, dans le premier chapitre, les études expérimentales sur la métaphore et l’enfant en vue de dégager les limites et les apports de cette littérature.
Fort de ces enseignements, nous proposerons deux pistes pour élaborer, dans un deuxième chapitre, un nouveau modèle de compréhension qui répondrait à certaines limites dégagées : adopter une approche « pragmatique » du langage et de la métaphore d’une part et, d’autre part, une ← 20 | 21 → conception perspectiviste de la cognition basée sur les études en « théorie de l’esprit ». Le troisième chapitre opérationnalisera le modèle sous forme d’hypothèses et le mettra à l’épreuve. Force sera alors de constater que le modèle se heurte à son tour à des limites d’ordre épistémologique qui tiennent au paradigme cognitiviste sous-jacent.
La seconde partie a pour objectif de réinterpréter le même corpus à la lumière d’une approche socio-culturelle des processus mentaux en vue de dépasser les limites persistantes d’un modèle cognitiviste. Pour ce faire, le quatrième chapitre présentera les concepts fondamentaux d’une approche socio-culturelle. Riche de ces nouveaux outils, nous serons en mesure au cinquième chapitre de poser un nouveau regard sur nos données pour surmonter les écueils de la première analyse de type cognitiviste. L’approche socio-culturelle nous permettra plus précisément de mettre en évidence le pouvoir structurant du langage pour les processus mentaux, de redéfinir la notion de « contexte » comme un système d’interactions entre l’enfant, l’expérimentateur et le matériel expérimental, et, enfin, de réhabiliter le travail de l’imagination comme un mode de pensée culturel.
Libéré d’un modèle de compréhension prédéfini, deux questions guideront cette seconde analyse mise en œuvre au sixième chapitre : (1) Que font les enfants dans cette situation expérimentale quand ils ne comprennent pas les métaphores selon le modèle attendu ? (2) Où puisent-ils leurs arguments ? Pour faciliter cette seconde analyse du même corpus, nous effectuerons au préalable une analyse psychosociale de la situation expérimentale pour rendre manifestes ses caractéristiques socio-culturelles qui pourraient nous guider dans notre travail de réinterprétation. En définitive, cette seconde partie de notre monographie marque l’ouverture de la boîte de Pandore dans laquelle l’analyse cognitiviste avait rangé les enchaînements des enfants empreints d’imaginaire et avait évacué la diversité des arguments socio-culturels dont son modèle prédéfini et uniforme de compréhension ne savait que faire.
Le passage de la première à la seconde partie marque bien une rupture épistémologique. La relecture des limites dégagées à la fin de l’analyse cognitiviste à la lumière d’une approche socio-culturelle des processus mentaux marquera l’articulation entre les deux parties du travail.
Le septième et dernier chapitre synthétisera brièvement l’apport respectif des deux approches pour mieux mettre en exergue le gain obtenu suite à cette rupture épistémologique. En réinterprétant notre corpus, ← 21 | 22 → nous aurons fait émerger et, par là-même, revalorisé des compétences socio-culturelles de l’enfant négligées par l’approche cognitiviste. Enfin, pour prendre un peu de hauteur, nous tenterons de mettre en perspective, de manière spéculative, nos résultats avec l’œuvre de Paul Ricoeur sur la métaphore. L’objectif est de mettre au premier plan le travail de l’imagination au cœur de la métaphore et de l’affilier ensuite à la capacité narrative fondamentale de l’activité mentale. Au final, ce travail nous mènera à la conclusion ultime que la représentation piagétienne de l’enfant et de ses compétences comme un « sujet épistémique » pourrait être destituée au profit d’un « enfant ethnographique » qui, riche de références culturelles et d’expériences personnelles, interprète activement et constamment, en interaction avec les autres, les situations sociales auxquelles il se voit confronté.
La rupture épistémologique opérée pour changer de perspectives sera désignée métaphoriquement comme un Passage des panoramas. Cette appellation fait référence à la construction par un armateur américain du XVIIIe siècle sur le boulevard Montmartre de deux rotondes dans lesquelles il installa ses panoramas, fresques peintes couvrant les murs de chacune d’elles. Pour attirer la clientèle de la bourgeoisie parisienne, il fit ouvrir un passage couvert au beau milieu, le désormais célèbre Passage des Panoramas. Situé entre les deux rotondes, ce passage permettait de cheminer entre les deux panoramas. De façon similaire, notre travail est un parcours qui nous permettra de passer au travers et de faire émerger deux panoramas fort différents sur le même corpus d’énoncés. Par ailleurs, l’écrivaine italo-suisse, Anne Cunéo, a choisi d’intituler un de ses livres « Passage des Panoramas » (1978) pour symboliser sans doute les deux cultures qui l’ont façonnée dans son parcours et le voyage intérieur parcouru par le personnage de son roman. Que le lecteur veuille bien tolérer cet emprunt non académique au monde de la littérature ; il se justifie pleinement au vu du cheminement intellectuel personnel suivi par l’auteur de ces lignes, de l’école genevoise piagétienne orthodoxe à une approche socio-culturelle plus ouverte, contemplant ainsi deux panoramas de la psychologie du développement.
Mais pourquoi consacrer un travail aussi important à une figure que l’on range volontiers dans les activités de fantaisie récréative ? A l’image du paradoxe logique intrinsèque qui la caractérise, nous dirons que la métaphore est « pertinemment impertinente », elle se moque des conventions avec insolence pour mieux ouvrir de nouveaux horizons de réel. Pas étonnant dès lors que ce phénomène démange les scientifiques qui ← 22 | 23 → cherchent sans cesse à transcender leurs connaissances et les thérapeutes soucieux de trouver des leviers pour le changement. En étudiant le développement de l’appréhension du processus métaphorique chez l’enfant, nous espérons contribuer à notre tour à mieux en saisir les contours.
Ce travail s’adresse à tout étudiant-e et chercheur-euse expérimenté-e en psychologie de l’enfant, disposé-e à accompagner cette conversion du regard. Qu’il ou elle trouve ici – ce serait la plus belle des récompenses ! – les balises qui le guideront dans cette traversée.
Un modèle cognitiviste du développement de la compréhension de métaphores chez l’enfant
L’enfant et la métaphore en psychologie du développement
GÉNÉRALEMENT, l’étude des métaphores reste confinée à la poésie et à la littérature, bien qu’Aristote l’ait située dès l’Antiquité comme un objet d’étude au creuset de diverses disciplines. Depuis le second quart du XXe siècle, l’intérêt pour les métaphores s’est étendu à d’autres disciplines sous l’impulsion de quelques penseurs. Ceux-ci souhaitaient valoriser le langage métaphorique et le dégager du joug de la rhétorique classique qui le cloisonnait dans sa fonction esthétique, en en faisant un simple ornement du discours avec pour seul but de plaire. A l’ère contemporaine, philosophes, logiciens et linguistes se sont attelés à la tâche pour démonter les arguments classiquement acceptés en faveur du rôle purement ornemental de la métaphore. Le langage métaphorique a progressivement gagné en crédibilité et, de nos jours, son utilité en pédagogie ou en psychothérapie est de plus en plus avérée.
D’une part, comme la métaphore est présente dans tous les registres du discours, du plus courant au plus scientifique en passant par le poétique, l’enfant comme l’adulte y sont confrontés quotidiennement dans leurs activités1. Laganaro (1997) relève que les textes de lectures destinés aux enfants de l’école primaire du Canton de Genève sont truffés d’énoncés métaphoriques. On peut dès lors déplorer que la métaphore ne fasse pas toujours l’objet d’un enseignement spécifique à l’école étant ← 27 | 28 → donné son omniprésence dans nos vies et son rôle de premier plan dans l’apprentissage et la construction des connaissances (Bonnet et Gardes-Tamine, 1992 ; Bonnet et Tamine, 1982). Sa fonction heuristique est pourtant reconnue dans les processus d’invention intellectuelle (Schlanger, 1983), les tâches de résolution de problème (Dreistadt, 1969 ; Tijus, 2003) et même le développement des sciences (Dreistadt, 1968 ; Durand-Richard, 2007 ; Pramling, 2009). Plus récemment, Low (2008) a décrit le rôle des métaphores pour implémenter des changements éducatifs (voir aussi Cameron, 2003).
D’autre part, la plupart des approches psychothérapiques accordent une place plus ou moins importante au langage métaphorique dans la résolution de la souffrance psychique et des problèmes humains touchant les enfants comme les adultes (pour une revue générale de l’utilisation du langage métaphorique dans les différentes approches psychothérapiques, voir Kopp, 1995 ; pour une discussion générale sur la fonction de la métaphore en psychothérapie, voir Mc Mullen, 2008).
Chez l’enfant, l’étude de la métaphore a fait l’objet de nombreuses recherches expérimentales depuis une cinquantaine d’années. Les recherches ont principalement concentré leurs efforts pour mieux décrire les processus psychologiques sous-jacents au traitement et à la compréhension des métaphores. Bien que l’étude de la métaphore soit une préoccupation ancienne qu’on fait généralement remonter à la Poétique d’Aristote (1952)2 au IVe siècle avant J.C., aucune définition claire et consensuelle n’a encore pu être dégagée. Ce flou au niveau de sa définition est sans doute à l’origine des divers paradigmes expérimentaux élaborés pour évaluer sa compréhension chez l’enfant et des résultats hétérogènes sinon contradictoires qui en ressortent. Définir des critères clairs de compréhension n’est pas chose aisée. En définitive, toutes les recherches tentent à leur manière de répondre à la même question : « Quelles capacités sont-elles mobilisées par l’enfant pour comprendre des métaphores ? »
Dans ce premier chapitre, nous allons procéder à une revue critique de la littérature consacrée au développement de la compréhension des métaphores chez l’enfant. Cette revue n’a pas la prétention d’être exhaustive, mais revendique une certaine représentativité des tendances, au niveau théorique et méthodologique, à construire des expériences ← 28 | 29 → pour tester la compréhension du phénomène métaphorique chez l’enfant. Dans un premier temps, l’objectif est de faire ressortir de toutes ces recherches la diversité des conceptions ou définitions de la métaphore et des procédures utilisées pour les tester. Nous procéderons ensuite à une analyse raisonnée de l’hétérogénéité des résultats en adressant des critiques à l’endroit de ces études. Riche de ces enseignements, nous serons en mesure de proposer des pistes pour échafauder un nouveau modèle de compréhension des métaphores chez l’enfant.
Le deuxième chapitre sera consacré à mettre sur pied ce modèle de manière plus détaillée et opérationnelle en vue de le mettre empiriquement à l’épreuve.
1.1 Revue critique des études expérimentales chez l’enfant
Il y a un certain consensus pour situer la première étude exploratoire sur la compréhension de métaphores chez l’enfant au tout début des années 60. Après une période plus creuse au cours des années suivantes, on constate un regain d’intérêt pour cette question et une prolifération d’études dès le milieu des années 70 et tout au long des années 80. Ces dernières années, la compréhension des métaphores chez l’enfant a peu fait l’objet de recherches expérimentales et l’enthousiasme de cette époque semble s’être émoussé dans ce champ de recherche. Par conséquent, il ne faudra pas s’étonner si la majorité des travaux sur la compréhension de métaphores chez l’enfant que nous allons présenter sont déjà relativement anciens. Aujourd’hui, il reste encore difficile d’en brosser un tableau très clair tant les données empiriques sont hétérogènes. Nous procéderons à un examen critique des principales études effectuées à ce jour pour tenter de contribuer à notre tour à cet effort commun de clarification. ← 29 | 30 →
Résumé des informations
- Pages
- 502
- Année de publication
- 2017
- ISBN (PDF)
- 9783034325240
- ISBN (ePUB)
- 9783034325257
- ISBN (MOBI)
- 9783034325264
- ISBN (Broché)
- 9783034321297
- DOI
- 10.3726/b10652
- Langue
- français
- Date de parution
- 2016 (Novembre)
- Publié
- Bern, Berlin, Bruxelles, Frankfurt am Main, New York, Oxford, Wien, 2017. 502 p., 30 ill.
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