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Femmes, parole et espace public au Cameroun

Analyse de textes des littératures écrite et populaire

de Flora Amabiamina (Auteur)
©2017 Monographies 324 Pages

Résumé

Ce livre analyse le contexte d’émergence d’une parole féminine au Cameroun dans les domaines artistiques. Nombreuses, en effet, sont les femmes qui exercent aujourd’hui les métiers d’écrivaine, de chanteuse et de comédienne. Ceux-ci leur permettent de parler d’elles-mêmes et des autres, notamment des hommes, et de proposer un discours nouveau sur la sexualité. Désormais, leurs textes peuvent s’inscrire dans la littérature de la jouissance.
Une révolution découle de cette prise de parole aux senteurs politiques. Elle pose le problème de la femme dans la société ; du mutisme à elles imposé par les puissances dominatrices ; de la logique patriarcale qui repose sur des stéréotypes définissant la femme et ordonnant ses modes d’être, de faire et d’agir. En exprimant leurs désirs et en clamant leur droit au plaisir, tout en minorant parfois le rôle de l’homme dans son acquisition, les femmes s’affichent en maîtresses de leur sexualité, voire en expertes capables d’assujettir l’homme.
En violant de la sorte un ordre institué, elles ne font pas que l’inverser ; elles le travestissent. Reste à savoir si cette parole sexuée et sexuelle améliore l’appréhension de la femme camerounaise. Cette étude se veut également une lecture des mœurs dans la société camerounaise.

Table des matières

  • Couverture
  • Titre
  • Copyright
  • Sur l’auteur/l’éditeur
  • À propos du livre
  • Pour référencer cet eBook
  • Table des matières
  • Avant-propos
  • Introduction
  • Chapitre 1. La prise de parole féminine. De l’espace privé à l’espace public
  • 1. Des espaces et des tâches partagés
  • 2. De la définition de l’espace public féminin
  • 3. La parole : voie d’accès de la femme à l’espace public
  • 4. Les objets de la parole féminine et l’irruption du discours alternatif
  • Chapitre 2. Discours sexuel et lieux de la culture populaire
  • 1. La chanson traditionnelle populaire féminine
  • 2. La chanson moderne féminine comme un continuum de la tradition…
  • 3. Le théâtre populaire : le one woman show ou des femmes en espace conquis
  • Chapitre 3. Discours sexuel et lieux de la culture lettrée
  • 1. La poésie entre « poérotique » et « pornopoétique »
  • 2. Le roman : l’institution d’un nouveau type féminin
  • 3. Le théâtre intellectuel : l’entreprise de réhabilitation de la femme
  • Chapitre 4. Les techniques et modalisations de la sexualisation du discours féminin
  • 1. Une esthétique de l’entre-deux : quand crudité et douceur s’entremêlent
  • 1.1 Une onomastique artistique délibérément orientée
  • 1.2 Des titres et des refrains comme des appâts
  • 2. Un discours déconstructeur des lois de la convenance : les voleuses de langue
  • 3. Une scénographie railleuse de la convenance
  • Chapitre 5. Au-delà des mots. La construction d’une idéologie libératrice
  • 1. Sexe et quête phallique : le chemin du pouvoir et de la subversion féminine
  • 2. Sexe et construction d’un nouveau sujet : le chemin de liberté
  • 3. Visées et impensés d’un discours et d’une scénographie défiant la convenance
  • Chapitre 6. Le discours sexuel. Pour une éthique de la transgression et des marges
  • 1. Un contexte prodromique aux créations décalées
  • 2. Le discours sexuel, viatique de la capacité à s’indigner
  • 3. Un nouveau mode d’être de l’ordre : l’émergence des femmes voraces et indociles
  • Que faut-il en conclure ? Soumission ou indocilité, quel modèle pour le féminisme camerounais ?
  • Bibliographie
  • Index des notions
  • Titres de la collection

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Avant-propos

Ce livre est l’aboutissement d’une réflexion menée depuis près d’une décennie sur les nouvelles manières d’être et d’agir des femmes camerounaises, sur le langage que d’aucunes utilisent pour rendre compte de leur condition dans une société phallocratique. Toutefois, et à la vérité, mon intérêt pour la femme camerounaise remonte un peu plus loin.

En 1999, j’ai vécu une expérience à Strasbourg en France où je résidais comme étudiante, expérience qui marque en fait le début du présent ouvrage. À la mi-septembre en effet, une amie se mariait et, au cours de la soirée dansante organisée pour l’occasion, le disc jockey a été sommé, par un compatriote de retour de vacances au Cameroun, de diffuser une chanson dont il lui avait fourni le support. La chanson s’intitulait La petite Adeda et connaissait, à l’en croire, une immense fortune au pays. D’après son témoignage, ce titre s’était érigé rapidement en tube du moment dans toutes les discothèques et soirées mondaines au Cameroun. Le public concerné devait cette chanson à la sulfureuse artiste musicienne K-Tino qui l’avait déjà gratifié d’autres airs bien enlevés couronnés de succès (Ascenseur, Thermomètre, Égalité oblige, Ma chatte et sa queue, Ekargator, Ekobo, etc.). L’histoire rapportée dans La petite Adela est celle d’une femme libre, disponible et qui aime l’argent. L’herméneutique du texte fait ressortir qu’il s’agit d’une prostituée ou tout au moins d’une fille à la sexualité libérée, qui n’éprouve aucun scrupule à faire commerce de son corps.

J’étais partie du Cameroun depuis huit ans et étais peu informée des nouvelles pratiques musicales en vogue, notamment la désormais grande implication des femmes dans le monde de « l’effronterie » musicale. Je m’étonnais alors de la joie quasi extatique des danseurs qui scandaient à tue-tête le refrain de la chanson : a ne fili a ne fili to ane fili ayi he moni (elle est libre, elle est libre et bien qu’elle soit libre, elle ne cherche que l’argent) en exécutant des gestes lascifs dont je découvris plus tard qu’ils étaient du cru de K-Tino.

En réalité, la scène à laquelle j’avais été confrontée n’était pas, à proprement parler, une découverte. Avant de m’envoler pour la France en 1991, j’en avais eu un aperçu car j’avais vécu le succès engrangé par des artistes musiciens hédonistes tels que Mbarga Soukouss avec sa chanson Long courrier (le rapport sexuel prolongé) ou Petit Pays avec sa chanson controversée Nioxer (faire l’amour). Ils étaient des hommes et, de mon éducation, qu’ils puissent user d’un langage paillard relevait plutôt de la norme, la société leur concédant ce genre d’écart et s’en amusant même. ← 11 | 12 → Toutefois, je dois avouer que, jusque-là, le phénomène ne m’interpellait pas davantage.

À mon retour au Cameroun en 2003, à la faveur de mon recrutement comme enseignante à la Faculté des lettres et sciences humaines de l’Université de Douala, l’événement vécu lors du mariage de mon amie ne constituait plus qu’un lointain souvenir. Mais en 2008, un nouvel enseignement consacré à la paralittérature a été introduit dans les programmes de mon département (français et études francophones), et j’ai été chargée de le dispenser. Tout de suite, le souvenir de ma soirée strasbourgeoise, le constat quotidien de la présence permanente et engagée de la femme dans le paysage musical camerounais et celui de l’émergence d’une expression souvent inattendue de sa vision du monde à travers le canal artistique ont rendu évident le choix de la chanson féminine camerounaise comme corpus. Je l’ai donc proposée aux étudiants dans le cadre de travaux dirigés et de leurs travaux personnels encadrés. Je me suis intéressée avec mes apprenants à la réception de cette chanson par le public camerounais et à l’image de la femme qui en ressortait. Je n’ai rencontré aucune réticence à mon projet, mais une grande adhésion. Les étudiants avaient beaucoup à deviser sur les textes chantés, qui avaient pris de l’ampleur au Cameroun, avec la création de chaînes de radio et de télévision privées qui diffusaient à longueur de journée ce type d’airs, alimentant parallèlement les débats au sein de l’opinion publique. Notre étude s’inscrit en conséquence dans une logique de compréhension du surgissement de phénomènes discursifs et sociologiques nouveaux dans l’espace public camerounais.

Qu’il me soit permis ici d’exprimer ma gratitude à Eugène Emboussi Nyano qui, dans un taxi nous ramenant à Bonamoussadi (quartier de la commune de Douala Ve), m’avait, le premier, encouragée à réaliser cette étude, alors que je lui communiquais mon sentiment sur le déploiement de la parole féminine au Cameroun.

Ma gratitude va également à Basile Ndjio, le questionneur des sujets indociles et irrévérencieux. Notre contact s’est réalisé par le biais de mon article portant sur le bestiaire et la sexualité dans les romans d’Ahmadou Kourouma, qu’il eut le plaisir de lire alors qu’il était professeur visiteur à l’Université de Harvard, aux USA. Il se félicitait qu’une Africaine ait pu analyser l’objet sexuel avec autant de liberté. Nos discussions sur des sujets du même ordre se poursuivent depuis notre rencontre en 2007 à l’Université de Douala. Cet ouvrage en porte des traces.

Je remercie Valère Nkelzok et Michel Oyono dont les éclairages m’ont permis d’affiner les aspects spécifiques de l’étude relevant de la psychologie.

Qu’Alain Ekorong trouve dans ces lignes la marque de mes remerciements fraternels pour ses suggestions sur les aspects culturels de l’étude. ← 12 | 13 →

Qu’Arlette Mengong Me Engolo et Guillaume Onambele reçoivent l’expression de ma gratitude pour leur disponibilité et la patience dont ils ont fait montre pour m’aider à traduire les textes des chansons de bikutsi énoncés dans les langues bantoues (ewondo, bulu, eton).

Je suis reconnaissante à ma collègue Nadeige Laure Ngo Nlend qui m’a été d’un secours important lorsqu’il a fallu déterminer les identités civiles de quelques artistes.

Je ne saurais oublier ceux qui m’ont aidée à collecter les chansons traditionnelles (mes collègues Kolyang Dina Taiwe et Desmonds Eyango Djombi, mes étudiants de l’École normale supérieure de Maroua ainsi que de la Faculté des lettres et sciences humaines de l’Université de Douala).

Je pense aussi à toutes ces personnes bienveillantes : Thérèse Atenke, Jeanne d’Arc Mfou’ou et Marcelle Abou’ou qui, à la découverte de mon projet, m’ont spontanément proposé des chansons traditionnelles de femmes de leurs régions ; Jacques Logmo qui s’est investi pour me permettre, autant que cela était possible, d’établir les années de sortie des chansons de mon corpus ainsi que leurs maisons de production.

J’exprime ma profonde reconnaissance à mon étudiant, Claude Ngue qui m’a accompagnée pour la collecte d’informations précieuses sur le terrain ; Jean-Yves Etegle Meka et Patrick Rifoe pour nos discussions fort riches sur des aspects fondamentaux de mon étude.

Je ne saurais oublier l’humoriste Charlotte Ntamack qui a, non seulement, généreusement mis à ma disposition les textes et les vidéogrammes de son théâtre, mais a accepté de m’accorder un entretien par une matinée de juin 2016 à l’Institut français du Cameroun à Yaoundé.

J’ai une pensée pour mon papounet, Dieudonné Martin Luther Bôt, qui se refuse à voir sa fille grandir, mûrir, vieillir. Son regard exercé sur le fond et la forme de ce travail a largement contribué au résultat que je propose aujourd’hui au public.

Je remercie chaleureusement et sincèrement mes collègues Isidore Bikoko, Jacques Evouna, Claude Fingoué et Ferdinand Njoh Kome qui ont relu la version finale de cet ouvrage.

D’aucuns verront dans mon ouvrage la manifestation d’un féminisme. Je récuse pareille interprétation. Non pas que je ne me ressente pas une veine féministe, mais il a été question d’aborder la dimension subversive des discours féminins étudiés en regard du statut social de la femme africaine, particulièrement camerounaise. De même, il s’est agi de sonder les discours nativistes sur sa sexualité, de l’ordre socio-politique qui tient le corps de la femme pour un instrument d’assouvissement du plaisir de l’homme, en un espace où le pouvoir phallocratique exprime son autorité et sa suprématie sexuelle. Aussi le souci majeur qui a commandé ← 13 | 14 → mes analyses s’inscrit-il, à la suite d’autres débats, sur la condition de la femme, ses droits et, surtout, les modalités autant que les moyens dont elle se sert pour acquérir lesdits droits et/ou les faire respecter en terre camerounaise.

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Introduction

Dans le bidonville où elle avait grandi, abandonnée par sa mère, Ateba cherche avec désespoir sa place dans une société où la femme n’a qu’un droit : se taire.

Calixthe Beyala, C’est le soleil qui m’a brûlée

Le symbole de mouvement de libération de la femme, c’est sûrement sa prise de parole sous toutes les formes.

Frieda Ekotto, Chuchote pas trop

On a fait avaler des couleuvres aux femmes en leur disant que le sexe n’est rien. C’est faux !

Starter Wife

De la différence sexuelle, que nul ne peut nier aujourd’hui, découle des rôles et conduites assignés aux deux genres loin d’être identiques. L’imaginaire collectif a, de tout temps, représenté la femme et l’homme suivant des caractères, des attitudes et des conduites différents qui, non sans mal, continuent de conditionner la préhension des genres et l’agency humain au quotidien. Cela conduit à l’établissement de stéréotypes sur la femme. De nombreuses études s’intéressent depuis longtemps à la condition sociale de la femme. Des institutions universitaires, particulièrement en Amérique du Nord, en sont arrivées à créer des départements exclusivement réservés aux Gender studies dès les années 1970. Les Gender studies se fixent, entre autres finalités, de mettre au jour les modalités de la participation de l’émergence de la parole des femmes et de légitimation du point de vue féministe pour contrecarrer l’histoire des femmes dite par les autres, en l’occurrence les hommes. En Afrique également, les femmes ont compris la nécessité de communiquer sur elles par elles-mêmes.

Notre étude s’inscrit dans un contexte africain où on assiste à une prise de conscience lente des femmes et fait suite à des travaux que nous avons réalisés pendant près d’une décennie, travaux qui interrogent les modalités de perception et de peinture de la femme dans les écritures littéraires africaines. Sa problématique est née à la fois de l’observation et du constat qui s’en sont suivis, selon lesquels la présence des femmes dans la sphère publique camerounaise se fait de plus en plus importante. ← 15 | 16 → Cette présence est surtout matérialisée dans la parole qu’elles exercent à différents niveaux.

Contrairement à une époque pas si lointaine où la place des femmes dans les mass médias et sur la scène socio-politique était parcellaire, on dénombre, de nos jours, plus de chanteuses, de comédiennes, d’écrivaines, de journalistes-femmes ou d’animatrices de programmes dans différents organes de presse (presse écrite, radio ou télévision)1 et de femmes dans le monde politique où cependant des efforts notables restent à fournir pour leur représentativité à des postes de décision et de pouvoir2. Dans les lieux sus-évoqués, leur existence n’est plus manifestée conformément à la répartition binaire des places et rôles sociaux ordonnée par la logique patriarcale régissant la société camerounaise. En réalité, les nouveaux rôles et statuts des femmes ont à la fois brisé plusieurs barrières socio-anthropologiques qui réduisaient leur espace à l’intérieur du système patriarcal et aboli la ligne Maginot fondant une séparation spécifique entre les genres, ligne instituée par les codes sociaux. Cette situation nous a interpellée et conduite à mener des études sur la femme (telle qu’elle apparaît dans l’espace étudié) et sur les signifiances que l’on pourrait associer à la parole dont elle y use.

Le fiat biblique érige la parole en acte créateur, l’acte qui permet d’accéder à la réalité. Dans la réflexion sur le langage, les théoriciens des opérations du langage sont nombreux depuis l’Antiquité grecque. On ne retient aujourd’hui que les fonctionnalistes pour qui le langage œuvre à la communication, ou la pragmatique des actes dans laquelle toute parole est action. Dans certaines traditions africaines, elle est associée à la vie pour deux raisons fondamentales : elle matérialise la vie et est créatrice. La parole a également partie liée avec les notions de lieu et d’espace, puisqu’elle s’y déploie et prend sa signification par rapport à ces entités, surtout lorsqu’il est question de la femme. Pour Michel de Certeau, une différence nette doit être opérée entre les deux concepts : le lieu et l’espace. Le « lieu est […] une configuration instantanée de positions. Il implique une indication de stabilité » (1990 : 173) tandis que « l’espace est un croisement de mobiles. Il est en quelque sorte animé par l’ensemble de mouvements qui s’y déploient » (Ib.). Le lieu ou l’espace, lorsqu’il réfère à la femme conserve la même signifiance en ce qu’il est restrictif pour son expression. De plus, en règle générale, « dans toute société, la production du discours est à la fois contrôlée, sélectionnée, organisée et redistribuée par un certain nombre de procédures qui ont pour rôle d’en conjurer ← 16 | 17 → les pouvoirs et les dangers, d’en maîtriser l’événement aléatoire, d’en esquiver la lourde, la redoutable matérialité » (Foucault, 1971 : 11-12).

Résumé des informations

Pages
324
Année de publication
2017
ISBN (PDF)
9782807603691
ISBN (ePUB)
9782807603707
ISBN (MOBI)
9782807603714
ISBN (Broché)
9782807603684
DOI
10.3726/b11710
Langue
français
Date de parution
2017 (Septembre)
Page::Commons::BibliographicRemarkPublished
Bruxelles, Bern, Berlin, Frankfurt am Main, New York, Oxford, Wien, 2017. 324 p., 5 tabl.

Notes biographiques

Flora Amabiamina (Auteur)

Flora Amabiamina est Maître de Conférences et cheffe du département de Français et Études Francophones à la Faculté des lettres et sciences humaines à l’université de Douala au Cameroun. Ses domaines de recherche concernent les problématiques relatives aux études culturelles et postcoloniales.

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