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Langues et cultures en contact

Réflexions linguistiques et traductologiques

de Marc Lacheny (Éditeur de volume) Nadine Rentel (Éditeur de volume) Stephanie Schwerter (Éditeur de volume)
©2022 Comptes-rendus de conférences 304 Pages

Résumé

Dans un monde globalisé, le contact entre les langues et les cultures prend une place prépondérante. Plus de la moitié de la population mondiale utilise plusieurs langues ou variétés linguistiques. Le présent ouvrage, réunissant des chercheurs issus de différentes cultures et de disciplines variées, examine divers contextes multi- et plurilingues dans une perspective interdisciplinaire. Les contributions convoquent une pluralité d’approches relevant de la sociologie, de la linguistique, des études cinématographiques, de la musicologie, de la traductologie ou de la littérature. En ce sens, ce livre invite au décloisonnement direct des disciplines afin d’engager une réflexion croisée et nuancée sur le phénomène du multi- et du plurilinguisme.

Table des matières

  • Couverture
  • Titre
  • Copyright
  • À propos des directeurs de la publication
  • À propos du livre
  • Pour référencer cet eBook
  • Sommaire
  • Préface (Jean-René Ladmiral)
  • Introduction (Marc Lacheny, Nadine Rentel et Stephanie Schwerter)
  • Approches sociologiques et sociolinguistiques
  • Le tourisme, facteur essentiel du multilinguisme des paysages linguistiques. L’exemple de la Corse (Gaël Vidal)
  • Le développement des compétences interculturelles et plurilingues tout au long de la vie. L’exemple d’une biographie linguistique plurilingue (Nadine Rentel)
  • Multifacettes du multilinguisme libanais (Nada Kfouri Khoury)
  • Multi-/plurilinguisme du Banat. De l’espace vécu à l’histoire de langues chez les Lorrains du Banat contemporain (Silvia Aulagnon)
  • Un plurilinguisme séculaire ouvert à deux contextes multilingues. Itinéraire d’un défenseur de la langue judéo-espagnole du Maroc : Solly Lévy, de Tanger à Montréal (Line Amselem)
  • Dialogue interlinguistique dans les arts (film, spectacle, musique)
  • Le plurilinguisme et l’humour dans le cinéma. Le cas de Bienvenue chez les Ch’tis (Mercedes Banegas Saorín)
  • Les enjeux de la traduction audiovisuelle. L’exemple de Bienvenue chez les Ch’tis de Dany Boon (Véronique Lagae et Stephanie Schwerter)
  • L’humour au Québec et son ancrage dans l’histoire de la Belle Province (Camille Noël)
  • Une poésie novatrice ? L’anglais dans la musique de Serge Gainsbourg (Paul Grundy)
  • Penser autrement l’enseignement français des langues étrangères, changer son regard sur la langue de l’autre dans un contexte globalisé : l’apport de la musicologie (Philippe Desse)
  • Jeux multi- et plurilingues dans la littérature
  • Mosaïque de lotte, Marmite et mascarpone. Le goût de l’autre dans Gemma Bovery de Posy Simmonds et sa traduction (Brigitte Friant-Kessler)
  • Tempo di Roma d’Alexis Curvers, un roman de l’immigration ? Entre inspiration et traduction (Catherine Gravet)
  • Le plurilinguisme dans la tétralogie de Marie de Jean-Philippe Toussaint, M.M.M.M. (Juan Miguel Dothas)
  • « Apollôn » et « Khirôn » : usages du plurilinguisme chez Leconte de Lisle (Vincent Vivès)
  • Traduire la diglossie. Homogénéisation et/ou hétérogénéisation ? (Mohammed Jadir)
  • Salman Rushdie le jongleur. Plurilinguisme et plurivocalité dans un monde globalisé (Laurence Chamlou)
  • Auteur.e.s
  • Titres de la collection

←6 | 7→
Jean-René Ladmiral

Préface

1.

À vue de nez, on pourrait dire que le multiculturalisme est une nouveauté. Ainsi, par exemple, une part importante des populations européennes a-t-elle pu chacune n’avoir recours qu’à une seule langue, dans le cadre d’entités stato-nationales. Et puis il y a aussi les configurations où une langue dominante a fini par araser le substrat des parlers locaux sur un vaste espace géographique et pour une population très nombreuse, comme c’est le cas pour l’arabe dans le Bassin méditerranéen (et au-delà), l’espagnol en Amérique du Sud et en Amérique centrale (et ailleurs), ou encore le chinois mandarin en Extrême-Orient, etc. (Meillet).

Mais, inversement, il est aussi des zones géographiques plus ou moins étendues où le multilinguisme est traditionnellement de règle en raison de la diversité ethnique et linguistique des populations (Lacheny et al.), comme en Afrique. Cela va souvent de pair avec l’usage d’une langue comme le français qui sert de langue commune, de koinè (Gourévitch 273–277). Au demeurant, cette dernière en vient à constituer en même temps un idiome de plus dans ce concert multilingue, où son appropriation débouche sur des productions langagières qu’on peut bien dire autochtones.

2.

Fondamentalement, la pluralité des langues fait figure de malédiction. C’est du moins la lecture qu’on est porté à faire, en première approche, du mythe de Babel. Le clivage des langues ne fait-il pas obstacle à la communication ? Et donc à l’entente entre les hommes, à la fraternité universelle, et tout le reste.

Quoi qu’il en soit du multilinguisme par ailleurs, cette idée négative participe a contrario de la naïveté d’un idéalisme de la transparence communicationnelle sans reste. S’entend-on si bien quand on parle la même langue ? Très souvent, non ! Il est à peine exagéré de dire que la communication est un cas particulier du malentendu (Ladmiral, Aphorismes 27).

Le comble du multilinguisme, c’est le fantasme du polyglotte parlant « toutes les langues », qui fascine les foules. Plus modestement, on s’accordera sur la nécessité d’une connaissance des langues étrangères. En espérant que « les ←7 | 8→langues vivantes » dont on prône l’enseignement ne se limitent pas au « tout-à-l’anglais », c’est-à-dire en fait au globish (Cassin, Vocabulaire européen des philosophies XVIII).

Faute de quoi, on risquerait de n’être que ce que j’ai appelé, d’une boutade, des « unijambistes du langage » (Ladmiral, Lipiansky 83). Pour conclure d’une formule générale (en forme de saillie dont on pourra lire le signifiant de deux façons) : il conviendrait que nous sussions qu’on ne saurait plus guère n’être qu’unilingues.

3.

Le multilinguisme appelle la traduction. Et inversement la traduction sous-tend le multilinguisme. S’agissant de la pluralité des langues, je propose de distinguer plusieurs concepts apparentés mais différents. Le multilinguisme est un concept « objectif », qui désigne un espace où coexistent de facto plusieurs langues (parallèlement, concurremment, alternativement, asymétriquement…). Le plurilinguisme est un concept plus « existentiel », qui concerne les individus pratiquant plusieurs langues, selon une polarité qui va du psycho-individuel au socio-politique. Le bilinguisme en est un cas remarquable, qui pourra servir de paradigme analytique dans le contexte qui nous occupe ici (Mackey).

La traduction met « en contact » deux langues : il lui revient de gérer une altérité linguistique dont les multiples aspects feront l’objet de nos analyses. Mais le multilinguisme de la traduction met en évidence aussi la surdétermination culturelle de la communication verbale, écrite et orale. En sorte que la traduction peut être pensée comme une forme cardinale de la communication interculturelle.

Le multilinguisme est non seulement au principe de la traduction comme pratique, mais il a aussi des incidences au niveau théorique de la traductologie. Selon la forme que prend le multilinguisme et la distance interlinguistique différentielle, la question se pose de savoir si la traductologie doit (et peut) être contrastiviste ou s’il ne convient pas plutôt de thématiser une théorie généraliste.

4.

Dans la logique de ce qui vient d’être exposé et pour y apporter le prolongement d’une précision complémentaire, j’entends faire ici œuvre de rigueur terminologique en thématisant deux couples de concepts : multilinguisme et monolinguisme qui désignent des objets, des situations, des dictionnaires, etc., alors que ←8 | 9→plurilinguisme et unilinguisme caractérisent l’expérience, le vécu existentiel de personnes individuelles ou collectives (Meisnitzer, Wocker). Encore que toute distinction conceptuelle, si précise et si fondée soit-elle, ne peut manquer d’être complétée à l’épreuve du réel.

Ainsi convient-il de faire une place à la diglossie, qui constitue une catégorie médiane entre le plurilinguisme et l’unilinguisme (Ferguson 325–330). Comme on sait, il s’agit en l’espèce de conjonctures où les locuteurs usent concurremment de deux variantes apparentées d’une « même » langue. On peut citer le Schwyzertütsch (variante de l’allemand pratiquée en Suisse) et le Hochdeutsch (forme officielle et littéraire de la langue en usage dans l’ensemble de l’espace germanophone), ou encore les nombreuses variantes régionales qui se réclament de « l’arabe » et diffèrent très sensiblement « du Golfe à l’Océan » (Hardane, Awaïss et al.).

On a là d’un côté ce que j’appelle « la haute langue » et de l’autre les diverses modalités dialectales, patoisantes et autres qui sont de la même famille. En principe, il y a intercompréhension entre ces différentes façons de communiquer verbalement. On pourrait presque parler d’un phénomène d’« unilinguisme-et-demi ».

Tout bien considéré, c’est un phénomène langagier beaucoup plus répandu qu’il n’y semble au premier abord, sinon universel. Ainsi, au sein d’un ensemble où les locuteurs parlent la même langue, c’est un fait très général et bien connu que la plupart de ces locuteurs « unilingues » font usage d’un double registre linguistique : ladite haute langue et parallèlement différentes formes d’un langage parlé qui s’écartent de la norme de la haute langue par des élisions et abréviations, des incorrections ou des hypercorrections, une grammaire rudimentaire, des éléments lexicaux particuliers ou aberrants, des expressions courantes plus ou moins dévoyées, des distorsions phonétiques et autres dérapages (Martinet 160–161). En sorte qu’il y a lieu d’élargir le concept de diglossie au-delà de son acception terminologiquement stricte. Au bout du compte, cela concerne quasiment tout un chacun.

À quoi il convient d’ajouter la vaste problématique sociolinguistique des termes composés en « -lectes » : dialectes, mais aussi sociolectes, technolectes, topolectes et bien d’autres (Peters 11–12). Sans parler des idiolectes, qui peuvent aller jusqu’à la paraphasie. Paradoxalement, on a en quelque sorte le multilinguisme dans la langue, dans une langue. C’est pourquoi le concept même de langue, ainsi que la pluralité des langues elles-mêmes se trouvent mis en cause à l’horizon d’une réflexion sur le multilinguisme.←9 | 10→

5.

« Les langues imparfaites, en cela que plusieurs » : cette belle formule suggestive et un peu déconcertante de Mallarmé, marquée par la contention stylistique qu’on lui connaît, tend à matérialiser et à préciser le topos de la dite malédiction de Babel (Mallarmé 242). Elle y apporte le prolongement réel et concret d’une intuition fondamentale de la finitude linguistique de l’homme. Le grand poète était aussi un angliciste et, à ce double titre, il était bien placé pour éprouver le manque de chaque langue à rendre très exactement toutes les nuances d’une langue dans une autre langue, comme tous les traducteurs en font l’expérience.

Cependant, il y a une dialectique inhérente à cette logique babélienne du multilinguisme. Concurremment avec le versant pessimiste qui a été évoqué, on peut distinguer un versant positif de ces limitations et de cette finitude (de Launay 93). Les langues sont « comparables » : c’est notamment l’objet de la linguistique comparée (diachronique) et de la linguistique contrastive (synchronique), mais elles sont aussi « incomparables » dans la splendeur de leurs singularités. Je fais ici écho au joli titre d’un livre de Mario Wandruszka : Sprachen vergleichbar und unvergleichlich, dont j’ai rendu le jeu sur les mots de l’allemand par un effet d’écho lexical direct en français.

Chaque langue est singulière ; et c’est cette grande diversité inhérente au multilinguisme qui fait justement le charme propre à chaque langue. À l’origine de la séduction qu’exercent les langues et de l’intérêt que l’on ne peut pas ne pas leur porter, il y a les différents registres qui les constituent. Pêle-mêle, on pourra relever entre autres : leur corporalité phonétique, la fine intelligence de leurs grammaires respectives, la richesse et l’acuité des trésors sémantiques qu’elles recèlent, l’âme des enchantements littéraires et poétiques auxquels elles prêtent leurs corps – toutes choses dont le traducteur a tant de mal à opérer la dissociation d’une langue à l’autre. Il est clair que le multilinguisme y ajoute un foisonnement polyphonique qui vient multiplier ces particularités, du fait même de la distance interlinguistique.

Il y a un jeu linguistique propre au plurilinguisme, ne fût-ce que dans sa variante minimale de base qu’est le bilinguisme. Quel plaisir de se couler dans les rôles du théâtre attaché à l’oralité d’une autre langue ! Parler une autre langue, c’est jouer à être un autre soi-même. De surcroît, l’expérience plurilinguistique apporte comme un supplément d’intelligence – comme si on voyait en 3D ce que l’unilingue ne voit qu’en deux dimensions.

Plus profondément, le mythe de Babel appelle en lui-même une lecture fondamentalement positive, qui est d’ordre métaphysique. Le pluralisme des langues qu’il est censé instaurer est à l’origine d’une « dispersion » des hommes « sur ←10 | 11→toute la terre ». Et ce multilinguisme est le socle d’une diversité des peuples : de leurs représentations culturelles, de leurs pratiques sociales et des identités ethniques dont les langues sont à la fois le vecteur et le fondement.

Une langue est en effet comme un biotope, au sein duquel la vie peut naître et se développer. Par analogie, Nietzsche voit dans la nécessité d’un espace relativement fermé, c’est-à-dire protégé, la condition de la créativité culturelle et d’une vie humaine (Nietzsche 248). De même, la séparation des États, parfois conflictuelle, est pour Hegel une chance de liberté pour les individus qui y résident.

6.

Parallèlement, on peut dire que les langues constituent chacune un système (c’est le terme qu’emploie Ferdinand de Saussure), c’est-à-dire une « structure » d’ensemble, centrée sur elle-même, avec sa dynamique interne et ses propres critères de clôture (Saussure 43). C’est du moins le postulat du structuralisme. Dans cet esprit, le multilinguisme ne serait qu’une juxtaposition de ces totalités foncièrement séparées les unes des autres. Cependant, les réalités tangibles du multilinguisme viennent de facto ébrécher ce modèle et le compléter, à la marge.

Il convient en effet de prendre en compte le vaste champ d’études des langues en contact (Weinreich), dont les différents aspects tendent à constituer des sous-disciplines de la linguistique et de la Linguistique Appliquée (Bouton). Il y a d’abord a minima la thématique rebattue des emprunts d’une langue à l’autre. À cet égard, il n’est pas sûr que lesdits emprunts soient essentiellement exogènes. Là-contre, je défends la thèse que les emprunts sont assez largement endogènes (Ladmiral, Sourcier ou cibliste 26).

Mais il est en cette affaire deux domaines d’investigation importants qui prennent pour objet le fonctionnement psycholinguistique qu’induit le plurilinguisme d’une part et les conjonctures sociolinguistiques déterminées par le multilinguisme d’autre part. À quoi viennent s’ajouter deux domaines d’application tout aussi importants que constituent l’apprentissage des langues étrangères et bien sûr la traduction.

Encore une précision : le multilinguisme ne met pas en contact les langues elles-mêmes, en tant que telles ; le contact interlinguistique ne se fait que par la médiation concrète des locuteurs.

7.

Dans la logique des analyses qui précèdent, le multilinguisme débouche tout naturellement sur le multiculturalisme. Les langues sont en fait des ←11 | 12→« langues-cultures ». Nombreux sont les items d’une langue qui renvoient à « une périlangue » culturelle et historique, ainsi qu’aux realia auxquels il est fait référence (Ladmiral, « De la traduction à la communication interculturelle » 58).

Résumé des informations

Pages
304
Année
2022
ISBN (PDF)
9783631874257
ISBN (ePUB)
9783631874264
ISBN (Relié)
9783631830765
DOI
10.3726/b19498
Langue
français
Date de parution
2022 (Mai)
Published
Berlin, Bern, Bruxelles, New York, Oxford, Warszawa, Wien, 2022. 304 p., 7 ill. en couleurs.

Notes biographiques

Marc Lacheny (Éditeur de volume) Nadine Rentel (Éditeur de volume) Stephanie Schwerter (Éditeur de volume)

Marc Lacheny est professeur en Etudes Germaniques à l’Université de Lorraine – site de Metz. Nadine Rentel est professeure de Langues romanes à l’Université de Sciences Appliquées de Zwickau. Stephanie Schwerter est professeure de Littérature britannique et de Traductologie à l’Université Polytechnique Hauts-de-France.

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Titre: Langues et cultures en contact
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