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Sémantique discursive cognitive

Frames et constructions des discours de vente du vin en Autriche

de Matthieu Bach (Auteur)
©2022 Thèses 346 Pages

Résumé

Langue et connaissances sont dans la recherche actuelle travaillées sous l’angle du discours. Son étude linguistique permet d’identifier des figements en tant qu’expressions de routines sociales et cognitives. Cette approche exploite deux outils : les constructions en tant qu’appariements de sens et de forme, et les frames en tant qu’unités minimales de connaissances partagées. Il convient alors de construire théoriquement cette association, encore inédite en analyse du discours. Un protocole méthodologique de linguistique du corpus opérationnalise l’approche développée. Puis, une analyse empirique d’un corpus de publicités du vin issues de prospectus de supermarchés autrichiens permet de valider l’intérêt du travail.

Table des matières

  • Couverture
  • Titre
  • Copyright
  • À propos de l’auteur
  • À propos du livre
  • Pour référencer cet eBook
  • Remerciements
  • Table des Matières
  • 0. Introduction
  • 0.1. Contextualisation
  • 0.1.1. Eléments de cadrage
  • 0.1.2. Vers une sémantique discursive
  • 0.1.3. Contexte scientifique
  • 0.2. Objectif de l’ouvrage
  • 0.3. Structure du travail
  • Chapitre 1 La notion de discours, de Foucault à nos jours
  • 1.1. Foucault et sa définition du discours
  • 1.1.1. L’aspect linguistique
  • 1.1.2. L’aspect social
  • 1.1.3. L’aspect épistémique
  • 1.2. Opérationnalisation de la notion de discours
  • 1.3. Détour phénoménal : Merleau-Ponty et sa phénoménologie de la perception
  • Chapitre 2 Pour une Sémantique du Discours
  • 2.1. Frames et sémantique des frames
  • 2.1.1. La structure interne d’un frame
  • 2.1.1.1. Les frames linguistiques
  • 2.1.1.2. Les frames conceptuels
  • 2.1.1.3. Dépasser l’opposition linguistique – conceptuel
  • 2.1.2. La structure externe d’un frame (1) : vers un système de frames
  • 2.1.3. La structure externe d’un frame (2) : les relations prédicatives inter-frames
  • 2.1.4. L’instanciation discursive des frames
  • 2.1.5. Bilan : Les frames, des instances conceptuelles et linguistiques du discours
  • 2.2. Constructions et grammaire de constructions
  • 2.2.1. Construction : une notion de linguistique fonctionnelle-cognitive
  • 2.2.1.1. Construction : naissance et stabilisation d’une notion
  • 2.2.1.2. La grammaire de constructions située (Goldberg, Tomasello, Ziem, Lasch)
  • 2.2.2. Schéma, construction, figement
  • 2.2.2.1. Mise en réseau
  • 2.2.2.2. Constructicon
  • 2.2.3. Les évolutions structurelles de Lasch
  • 2.2.3.1. Situer la communication : Bühler
  • 2.2.3.2. Perspectivité : Köller 2004
  • 2.2.3.3. Une grammaire de constructions version sémantique : von Polenz
  • Chapitre 3 L’Analyse Cognitive de Discours
  • 3.1. Frame Attentionnel
  • 3.2. Le discours comme frame discursif
  • 3.3. Les constructions : derniers maillons discursifs
  • 3.4. L’Analyse Cognitive de Discours : bilan
  • Chapitre 4 Moule Textuel : une boîte à outils
  • 4.1. Textes et genre de textes du corpus
  • 4.2. Introduction au moule textuel
  • 4.3. Les outils du moule textuel
  • 4.3.1. Structure sémantique
  • 4.3.1.1. Vers une grammaire du contenu
  • 4.3.1.2. Prédicats sémantiques
  • 4.3.1.3. Arguments sémantiques
  • 4.3.2. Structure informationnelle
  • 4.3.2.1. La théorie thème-rhème
  • 4.3.2.2. Les différentes linéarisations
  • 4.3.3. Structures figées
  • 4.3.3.1. Fixités thématiques
  • Fixité thématique hédonique
  • Fixité thématique évaluative
  • Fixité thématique temporelle
  • Fixité thématique géographique
  • 4.3.3.2. Figements lexico-grammaticaux
  • Chapitre 5 Corpus : de la méthodologie aux données
  • 5.1. Positionnement méthodologique
  • 5.1.1. Pour une linguistique du corpus
  • 5.1.2. Protocole d’Analyse
  • 5.1.3. Paramétrage ethno-méthodologique
  • 5.1.4. Bilan
  • 5.2. Présentation du corpus d’étude
  • Chapitre 6 Analyses en première lecture
  • Chapitre 7 Analyses de la structure propositionnelle
  • 7.1. Analyse des prédicats
  • 7.1.1. Analyses des prédicats génériques
  • 7.1.1.1. PROCES
  • 7.1.1.2. ACTION
  • 7.1.1.3. ETAT
  • 7.1.1.4. GENRE
  • 7.1.1.5. PROPRIETE
  • 7.1.2. Analyses des prédicats spécifiques et spécialisés
  • 7.1.2.1. Prédicat ACCORD
  • 7.1.2.2. Prédicat APPARTENANCE
  • 7.1.2.3. Prédicat ETAT
  • 7.1.2.4. Prédicat GARDE
  • 7.1.2.5. Prédicat PRODUCTION
  • 7.1.2.6. Prédicat RECONNAISSANCE
  • 7.1.2.7. Prédicat SERVICE
  • 7.1.2.8. Prédicat SPECIFICATION
  • 7.1.2.9. Prédicat DIVERS
  • 7.1.2.10. Résumé et intégration à l’analyse précédente
  • 7.2. Analyses des arguments
  • 7.3. Structures prédicat-arguments de la vente de vin en supermarché
  • 7.3.1. Prédicat ACTION
  • 7.3.2. Prédicat ETAT
  • 7.3.3. Prédicat PROPRIETE
  • 7.3.4. Prédicat GENRE
  • Bilan
  • Chapitre 8 Analyses de la structure informationnelle
  • 8.1. Une linéarisation hautement prototypique à thème constant
  • 8.2. Du thème au concept, du rhème au sous-concept, de la linéarisation textuelle à l’organisation conceptuelle
  • Bilan
  • Chapitre 9 Analyses de la structure conceptuelle
  • 9.1. Analyse des fixités thématiques
  • 9.2. Des concepts au frame
  • Bilan
  • Chapitre 10 Reconstruction du frame discursif
  • Bilan
  • Chapitre 11 De l’analyse des figements lexico-grammaticaux à l’analyse constructionnelle
  • 11.1. Des figements aux constructions
  • 11.1.1. Figements et constructions lexicales
  • 11.1.2. Stabilisation polylexicale : entre lexique et grammaire
  • 11.1.3. Sédimentation grammaticale, du figement à la construction argumentale
  • 11.2. Reconstruction du segment du constructicon
  • 11.3. Vers des constructions textuelles ?
  • Bilan
  • Conclusion
  • 12.1. Résumé de la partie théorique
  • 12.2. Résumé de la partie méthodologique
  • 12.3. Résumé de la partie empirique
  • Bibliographie
  • Annexe
  • Titres de la collection

←12 | 13→

0. Introduction

0.1. Contextualisation

0.1.1. Eléments de cadrage

Le présent travail se situe à l’intersection entre deux disciplines majeures de la linguistique : la sémantique discursive, branche de l’Analyse de Discours, et la sémantique cognitive, dont l’articulation est effectuée aux moyens des rôles sémantiques (Gruber 1965 ; Fillmore 1968a ; von Polenz 2008 ; Lasch 2016). Ces derniers en tant que catégories au sens de la psychologie cognitive (Rosch 1973 ; Lakoff 1987 ; Kleiber 1990) sont des instances du discours car partagées, normées et normatives (Mondada/Dubois 1995).

La porte d’entrée est donc celle de la sémantique référentielle (Kleiber 1999), interprétative (Busse 2015), phrastique (von Polenz 2008) et discursive (Busse 2018) dans une perspective allemande liant la linguistique textuelle (Busse 1994, 2015a), la pragmatique et l’analyse de discours foucaldienne (Busse 1987) et la linguistique de corpus (Busse/Teubert 1994).

L’intérêt de cet ouvrage est de proposer au lecteur français une approche germanique encore trop peu connue en France, de développer l’Analyse de Discours française (représentée par Maingueneau, Charaudeau, Adam et maintenant Paveau et Longhi) vers une saisie socio-cognitive du discours, et de l’illustrer à travers des exemples issus des discours de la vente du vin. D’emblée, il convient d’avertir le lecteur que cette école de l’Analyse de Discours française ne sera pas discutée dans ces pages : avant de comparer le présent modèle, il est nécessaire de le présenter dans sa continuité épistémologique de l’Analyse de Discours allemande. Des travaux ultérieurs auront la tâche de comparer et resituer épistémologiquement la présente proposition.

0.1.2. Vers une sémantique discursive

Être assis à une table, boire du vin, en discuter – cet acte de communication bien que commun n’en reste pas moins d’une haute complexité nécessitant l’interaction cognitive de plusieurs individus devant mobiliser diverses connaissances culturelles et sociales. Ce qui est échangé, autant les gestes que les mots en tant que conventions sociales, et ce qui n’est pas dit – ce qui réside entre les lignes (von Polenz 2008) –, reposent sur des structures de sens activant des connaissances partagées, adaptées pour les besoins de cette situation de communication et qui vont elles aussi modifier ces connaissances partagées (Feilke 1996). ←13 | 14→L’ensemble est constitué de routines cognitives et interactionnelles (Ziem/Lasch [eds.] 2015) influencées par et influençant l’environnement situationnel et permettant de se comprendre ; un flocon dans une avalanche, pour reprendre une métaphore de Voltaire, tel est cet acte de communication comme il y en a tant de similaires et qui pourtant à un certain degré est bien unique et restera dans les mémoires des individus concernés (Tomasello 2008). La langue – ou plutôt son actualisation ponctuelle à travers un texte – est au service de l’échange de sens entre les individus pris dans une situation de communication ; c’est précisément cet instrument sociocognitif (Goldberg 2019) qui, en tant que support et générateur de sens (Wittgenstein 2017), motive le présent travail :

La langue est (si l’on veut) le « support » dans lequel ont lieu non seulement l’articulation et la communication des connaissances sociales, mais également dans lequel ces connaissances sont simultanément constituées et structurées comme telles (c’est-à-dire comme sociales). Cependant, la langue (ses produits linguistiques, comme les textes) n’est en aucun cas l’« archive » de ces connaissances. Si l’on voulait utiliser une métaphore archivistique en rapport avec le langage, on pourrait encore la caractériser plus étroitement comme le « moteur de recherche », comme le « registre » des archives de la connaissance sociale. Ce « registre de recherche » ne contient que des références ; à savoir, des références à quelque chose que chaque personne qui comprend le langage doit d’abord réaliser épistémiquement, concrétiser, dans le processus d’actualisation du sens des signes et des séquences de signes reçus, ou, dans le processus de compréhension (plus précisément : dans les processus d’inférence qui mènent à la compréhension ou à l’actualisation du sens).1 (Busse 2015b : 43)

Partant, ce travail s’inscrit dans une perspective épistémo-méthodologique ancrée dans l’usage communicationnel et langagier (Feilke 1996 : 20) et prends l’exemple (1) pour mieux souligner ce positionnement.

(1)Saint-Aubin 1er Cru

2013

Vincent Cocherel

Pulpeux et solide, sa virilité requiert des viandes goûteuses comme le bœuf et le porc rôtis, les volailles caramélisées et laquées, les fromages bleus et même un foie gras poêlé, dont le gras sera parfaitement compensé par les tanins.

Température de service : 15°C (FR_LECLERC_07)

L’analyse que je qualifierais d’au ras du texte, qu’elle soit lexicale ou terminologique (et outillée ou non) – portant sur p. ex. « sa virilité requiert des viandes goûteuses », « le gras », l’analyse des adjectifs, etc. – ne saurait dépasser le stade de l’observation structurelle et formelle ponctuelle. Autrement dit, une telle approche ne permettrait pas de tirer de conclusions autres que la recension de formes lexicales exploitées dans ce texte et, éventuellement, de les mettre en corrélation avec d’autres textes. Pour dépasser ce stade et effectuer une analyse pouvant avoir une plus-value humaine, sociale et culturelle, il convient de changer de focale et de déployer une approche sémantique englobante qui permet (i) de « lire entre les lignes » (von Polenz 2008 : titre), et (ii) d’observer la structure conceptuelle sous-jacente à l’artefact social, déployée en situation de communication, c’est-à-dire d’accéder au comment et au pourquoi du texte.

(1) est conçu pour promouvoir un vin et le vendre ; trois complexes de sens sont identifiables : un premier complexe est dédié à la présentation du vin en jouant sur son classement de Premier Cru, le deuxième complexe met en évidence sa structure organoleptique (pulpeux, solide, tanique), le troisième complexe souligne les conditions de dégustation (accord mets-vin). Cette dynamique sémantique profile (sensu Langacker 1987) la réception de l’artefact par l’allocuté en sélectionnant certains éléments de connaissances par des structures phrastiques particulières qui font écho à des attentes socio-culturelles (spécialisées). Comprendre ainsi la communication comme une succession d’actes d’énonciation individuels manifestés par des artefacts est la première étape d’une observation plus large et profonde de la production langagière :

←15 | 16→Appréhender la communication – c’est-à-dire parler et comprendre – comme une action implique un transfert à la communication d’un vocabulaire descriptif élaboré pour des actes non-linguistiques. Les actions (en tant qu’activités volontaires, rationnelles et intentionnelles) ne peuvent être isolées du continuum d’activités initialement perçues que comme une séquence ininterrompue de relations de cause à effet par référence au critère d’individualisation de l’intention d’agir. Cela signifie qu’une « action » représente déjà en soi une construction analytique.2 (Bickes/Busse 1987 : 237)

Le marquage et le transfert de l’intention individuelle par le biais de la communication relèvent de la dimension pragmatique de la cognition et de la langue qui reflète un positionnement social (sous-tendu par un socle culturel commun (common ground ; Feilke 1994 ; Tomasello 1999)). Pour prendre en compte le sens profond d’un texte, l’intention du locuteur, l’ambition et la position sociales de ce dernier par l’emploi d’un artefact langagier, seule une analyse à l’intersection entre le texte et l’individu, entre l’individu et la société et entre la dynamique diachronique et le ponctuel synchronique de la communication n’est possible. Cette analyse est par définition une analyse de discours. Dans ce travail, la notion de discours est, en première instance, comprise à la suite de la définition séminale de Busse et Teubert (1994 : 14) :

Par discours, nous entendons, au sens pratique de la recherche, des corpus de textes virtuels dont la composition est déterminée par des critères liés au contenu (ou à la sémantique) au sens large. Un discours comprend tous les textes qui

En creux, il faut voir dans la construction du discours, qui émerge de la mise en réseau de textes similaires – c’est-à-dire d’énoncés similaires – par la structuration progressive de l’architecture conceptuelle de ce discours qui repose sur des connaissances linguistiques, sociales et épistémiques. Il convient de préciser dès à présent que la distinction usuelle entre connaissances de langues et connaissances du monde suivant la distinction Sprachwissen et Weltwissen n’est pas absolue, et pour ce faire je suivrai dans ces pages une distinction plus fine en me rapprochant de l’œuvre de Foucault (1969).

J’entends tout au long du présent travail par énoncé le terme issu du socle épistémologique de Foucault et non l’énoncé au sens de Benveniste ; en effet, la présente réflexion s’inscrit à la suite de Foucault et de Busse pour définir la notion de discours, comme on vient de le voir :

Le modèle du discours de Foucault repose sur le concept d’énoncé (pour plus de détails, voir Busse 2003a : 23–24 et Busse 1987 : 222–250). Il définit le discours comme « un ensemble d’énoncés qui appartiennent à un système de formation commun » (Foucault 1971 : 141). Il est important pour lui que les énoncés ne soient pas assimilés à des énonciations. Les énoncés (en tant qu’énoncés) sont manifestement pour lui des grandeurs abstraites qui peuvent se présenter sous différentes formes linguistiques et qui ne sont pas nécessairement liées à une forme d’expression linguistique particulière. Afin d’éviter d’éventuels malentendus, il est préférable de parler de « segments de savoir », qui peuvent être articulés sous différentes formes linguistiques, plutôt que d’« énoncés ». Pour Foucault, les discours sont donc importants en premier lieu en ←17 | 18→tant que systèmes de formation de segments de savoir qui, comme il le souligne par ailleurs, contrôlent les conditions de possibilité de production de certains énoncés. Les discours représentent ainsi pour lui un « a priori historique » épistémiquement efficace, qui commande la production, l’apparition, la sérialité, la formation et la force d’impact des énoncés.4 (Busse 2020 : 197)

Le discours se compose donc d’un faisceau d’énoncés construits historiquement dans l’interaction d’individus d’un groupe social, qui supportent chacun un ensemble de concepts constitutifs de connaissances d’un savoir. En employant le terme « connaissances », je fais référence à l’ensemble des segments conceptuels structurant un savoir nécessaire pour comprendre et réagir devant l’évènement du monde phénoménal auquel fait face un individu. Je distingue trois catégories de connaissances qui sont à concevoir chacune sur un continuum allant du général au spécialisé :

En passant d’une analyse lexicale de la langue à une analyse sémantique et textuelle orientée vers la communication et son rôle social, l’analyse de discours semble être sui generis une analyse linguistique socio-cognitive dans la mesure où elle s’intéresse aux structurations épistémologiques individuelles et à l’architecture sociale d’un groupe d’individus concernant un objet du monde (cf. en filigrane Busse 1988, 2015b) par la mise en mots de routines communicationnelles sous-jacentes. La présente étude s’inscrit dès lors dans une perspective « pragma-sémantique délibérément référentielle » (Kleiber 1994 : 6) reposant sur

une approche en termes de sémantique référentielle ouverte sur le domaine cognitif. Les données empiriques analysées militent toutes pour une sémantique référentielle ancrée dans l’expérience humaine et prolongeant ainsi, en l’amplifiant, l’écho syntaxique d’une syntaxe au moins partiellement en rapport avec l’expérience humaine (Kleiber 1994 : 7 ; emphase dans l’original, MB).

Le discours s’insère alors dans la dynamique texte-discours-cognition (Achard-Bayle 2018), ce qui apporte les trois points méthodologiques fondamentaux de l’approche défendue dans ces pages ; en effet, sera déployée dans ce travail une sémantique discursive sociale basée sur une analyse systématique des textes en ayant en point de mire la configuration cognitive des individus d’une communauté. Le terme communauté (ou groupe) est entendu dans un sens proche des Denkkollektive de Fleck (2012 : 54–55) : « Si nous définissons le ‹ collectif de pensée › comme une communauté de personnes qui échangent des idées ou interagissent sur le plan de la pensée, nous trouvons en lui le support du développement historique d’un domaine de pensée, d’un certain niveau de savoir et de culture, donc d’un style de pensée particulier. »5 Il s’agit dès lors d’une ←19 | 20→construction sociale inter-individuelle stabilisée qui permet d’asseoir une légitimité à un ensemble de connaissances ordonnées (Fleck 2012 : 57).

Les outils de la sémantique (cognitive) moderne, et en particulier deux, permettent de réaliser le programme de cette sémantique discursive et socio-cognitive branchée sur le réel (Kleiber 1999). Le premier est le frame, tel que théorisé dans la sémantique des frames (cf. Busse 2012 pour une vue d’ensemble exhaustive), en tant que structure conceptuelle orientée autour d’un objet conceptuel (cf. plus précisément : Busse 2018b : 16–17). Sans entrer dans les détails de la méthode et seulement pour l’exemple, la Fig. 1 est la représentation du probable frame déployée par le texte de l’exemple (1). On constate un déploiement de la structure conceptuelle autour du concept principal vin, qui se décline en deux frames définitoires de niveau inférieur nature et culture – suivant la reconnaissance du vin comme produit bio-culturel (Bach 2017 : 123) –, puis ces frames sont définis plus précisément et spécifiquement par des frames de niveau inférieur. Ce qui est représenté est dès lors un segment des connaissances du savoir du vin nécessaires pour la compréhension de (1). Une sémantique basée sur les frames, donc les connaissances, est une sémantique qui part du sens holistique du texte (Busse 2015a), l’enrichit par le contexte de communication et le situe dans un contexte social et culturel.

Fig. 1 :Frame spécifique du vin (FR_LECLERC_07)

←20 | 21→La sémantique des frames se veut donc être un protocole d’analyse heuristique de la réalité langagière permettant l’observation, la dissection et in fine la représentation du réseau de concepts supportant les connaissances et savoirs d’un groupe d’individus en un lieu et à un moment donnés. Tout l’intérêt de la sémantique des frames en analyse de discours tient en la possibilité de représenter systématiquement des structures de sens, d’observer les variations particulières à partir d’un prototype, d’interpréter ces différences, de les expliquer d’un point de vue social et culturel, et de les représenter relativement fidèlement.

Malgré l’intérêt manifeste des frames dans l’analyse de discours, l’écart entre le texte et la structure conceptuelle du discours reste trop important et l’analyse perd en finesse si elle ne comble pas ce vide. La première étape sera de réunir la partie linguistique-sémantique du frame à sa partie conceptuelle (cf. Busse 2012 ; Varga 2019) ; mais, cela reste toujours insuffisant. Le deuxième outil de la sémantique cognitive permet de parer à ce manquement : les constructions en tant qu’associations de fonction et de forme (cf. Goldberg 2006, 2019 ; Ziem/Lasch 2013 ; Lasch 2016 ; Merten 2018)6 permettent de passer de la matérialité énonciative à la structuration épistémo-linguistique des connaissances. Les constructions sont par nature discursives puisqu’elles sont des conventions linguistiques ; comme elles sont des outils de communication issus de l’usage situé de la langue elles conservent cette situationnalité et le positionnement discursif inhérent à la catégorie – elles projettent à leur tour un positionnement socio-discursif.

La grammaire de constructions repose sur une approche économique de la cognition et du langage (von Polenz 2000 : § 2.2, 2008). Une telle approche se fonde sur le constat que la réalité langagière actuelle repose sur des structures linguistiques reflétant une conceptualisation hautement comprimée implicite : la raison est (i) sociale, il ne faut pas ennuyer l’allocuté ou le détourner de son objectif (cf. von Polenz 2008 : 25 sur la base de Grice (1991)), et (ii) pragma-cognitive, car les structures linguistiques sont des conventions normalisées et ces conventions tendent vers l’efficacité cognitive : il faut pouvoir transmettre un maximum d’informations en un minimum de structures pour limiter le processus cognitif.

Ces constructions déploient alors une structure sémantique (articulant des rôles sémantiques) et une structure formelle (coordonnant des rôles syntaxiques) dont le couplage est prototypique (Merten 2018 : § 3.4.2) ; les mots ←21 | 22→constituant la réalisation constructionnelle sont signifiants par leurs propres sémantismes et fonctionnalités syntaxiques, mais acquièrent un poids supplémentaire par la construction. La construction insuffle un surplus sémantique à la somme des mots de telle manière que le sens transféré n’est pas celui des mots, mais bien celui de ces mots majorés du sens constructionnel contraignant. Or, précisément, la construction est prototypique donc le sens transféré à la réalisation est lui aussi prototypique (cf. Hilpert 2019 : 31). La construction ditransitive (Fig. 2) témoigne de la flexibilité des constructions offerte par le caractère prototypique des constructions en général.

Fig. 2 :Construction ditransitive, instanciée au verbe donné

Résumé des informations

Pages
346
Année
2022
ISBN (PDF)
9783631879900
ISBN (ePUB)
9783631879917
ISBN (Relié)
9783631847725
DOI
10.3726/b19852
Langue
français
Date de parution
2022 (Octobre)
Mots clés
Discours / Diskurs (in der Linguistik) Sémantique / Semantik Corpus / Korpus/Textkorpus (in der Linguistik) Frame Semantics / Frame-Semantik Construction Grammar / Konstruktionsgrammatik Autriche / Österreich Vin / Wein
Published
Berlin, Bern, Bruxelles, New York, Oxford, Warszawa, Wien, 2022. 346 p., 17 ill. en couleurs, 32 ill. n/b, 32 tabl.

Notes biographiques

Matthieu Bach (Auteur)

Matthieu Bach, docteur en Etudes Germaniques, est associé au Centre Interlangues Texte, Image, Langage (EA 4182) de l’université de Bourgogne. Il poursuit des recherches en sémantique appliquée à l’analyse des discours de spécialité dans une perspective interdisciplinaire et plurilingue. Il est lauréat du Prix de Thèse 2021 de la Fédération des MSH de Bourgogne Franche-Comté.

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