Les académiques
Terrains dans l’enseignement supérieur (France, 2011–2021) : vers les humanités éducatives
Résumé
Ce livre est le fruit d’observations participantes, de terrains, dans l’enseignement supérieur français de la décennie 2010. Le style se veut descriptif et accessible à un large public au-delà des anthropologues de l’éducation. Le familier et l’étranger se retrouvent dans un document qui illustre notre société de la connaissance.
Extrait
Table des matières
- Couverture
- Titre
- Copyright
- À propos de l’auteur
- À propos du livre
- Pour référencer cet eBook
- Table des matières
- Introduction méthodologique : une anthropologie héroïque ?
- De l’anthropologie de l’éducation aux humanités éducatives : programme de l’ouvrage
- Le choix du métier
- Enseigner à l’université ou en grande école
- L’ingénierie de la formation
- Modalités d’enseignement : présences et distances
- Trois usages pédagogiques des jeux de rôles
- Les valeurs de l’enseignement à distance : un nouvel élitisme ?
- Une expérience de « Mooc professionnel » dans France université numérique
- Evaluer dans l’enseignement supérieur
- L’atelier de correction de copies entre étudiants dans Moodle
- Evaluer des mémoires universitaires
- Les charges administratives : ethnographie d’un conseil d’administration universitaire
- Conclusion générique : les réseaux d’anciens élèves dans l’enseignement supérieur
- Table des illustrations
- Index des concepts
Introduction méthodologique : une anthropologie héroïque ? 1
Cette introduction vise à donner des éléments de méthode quant à l’anthropologie mobilisée dans le livre. Si la table des matières donne une carte des territoires académiques explorés (enseignement supérieur et ses ingénieries, modalités de la présence et de la distance, types d’évaluation à l’université, charges administratives), cette introduction présente l’explorateur, anthropologue héroïque, qui se fait le chantre des paysages qu’il a pu traverser et observer durant une dizaine d’années – avant de s’y installer. De ces terrains, de ces tableaux de situations professionnelles expérimentées successivement, émerge une histoire, le récit héroïque d’un recrutement.
Tous les terrains, toutes les données empiriques ou expériences présentées, sont antérieures au concours de recrutement comme maître de conférences. Cette situation d’extériorité, tendue vers l’intégration, induit des effets d’exotisme et de tropisme propres à l’ethnographie. La rédaction prenait sens par rapport à une activité de recherche autonome, dans le cadre du Centre de recherche sur la formation, orientée vers un objectif individuel d’habilitation. L’héroïsme académique trouvait ainsi ses conditions de possibilités, à la fois empiriques, dans des contrats divers, et scripturales dans la liste francophone des revues des sciences de l’éducation. La reprise et le développement de ce matériau premier sous forme de livre prend son sens, une fois en poste, dans une logique de diffusion auprès du grand public et des académiques sous un format plus conséquent.
Les années héroïques : présentation de l’auteur et des conditions de rédaction
Au gré d’un parcours en grandes écoles françaises, j’ai été formé à la philosophie, d’abord par une licence par correspondance à l’université de Toulouse puis par un mémoire et jusqu’au doctorat sous la direction de Francis Wolff, à l’École normale supérieure de Paris (anciennement à l’université de Paris-I). Les contraintes identitaires d’une première intention de carrière autre ont fait de ces études de philosophie un espace de loisir et de développement personnel à l’abri de toute compétition. Ainsi mon sujet de thèse a porté sur l’héroïsme homérique, il ne visait pas à être recruté et, lorsque j’ai voulu mettre au premier plan cette identité seconde, j’ai eu à faire preuve d’un héroïsme académique à divers postes d’enseignant et d’ingénieur contractuel, avant de réussir le concours de maître de conférences en sciences de l’éducation – en mobilisant d’autres études ethnométhodologiques, dans les mêmes établissements, que je détaillerais ci-après.
C’est ce parcours de dignitaire précaire qui me sert de matériau : les différents terrains auxquels il a donné accès (de la correction de copies au conseil d’administration d’une université) ont été travaillés qualitativement, après la thèse, pendant une dizaine d’années au Conservatoire national des arts et métiers, dans le Centre de recherche sur la formation, auquel son fondateur, Jean-Marie Barbier, a bien voulu me donner accès — jusqu’à l’habilitation à diriger les recherches en anthropologie de l’éducation permettant d’aller au-delà de la thèse.
En suivant les canons actuels des techniques de sciences sociales, et de leur méthodologie propre d’observation-participante, on peut ainsi parler d’un « héroïsme »2 du chercheur qui, sur son terrain, doit faire face à des exigences professionnelles couplées à celles de la recherche. Les questions de la double journée, de la déclaration de la recherche, de son instrumentation ou de son rejet par les autorités et les collègues, amènent un dilemme identitaire entre : d’une part, des fonctions de terrain dans l’ingénierie de l’enseignement supérieur qui constituent la source de revenus et la catégorisation professionnelle par les instances de statistiques sur l’emploi et, d’autre part, une activité continue de chercheur sur plusieurs années, tantôt vécue sur le mode du loisir, tantôt sur celui de la contrainte d’une ambition bridée, transversale aux institutions rémunératrices, qui relève des valeurs personnelles mais qui n’est pas toujours reconnue au quotidien. Cet héroïsme de terrain peut ainsi glisser de l’observation participante vers la participation observante, voire un simple professionnalisme réflexif. L’indexation de la recherche dans les manifestations scientifiques (article de recherche en anthropologie de l’éducation ou retour d’expérience d’un amateur éclairé ?) relève parfois d’une violence symbolique et sont autant de combats engagés par le chercheur-héros. Ce dernier passe par des vertiges intérieurs alors que son identité varie selon les terrains sur lesquels il évolue : le sentiment de confort identitaire, une fois immergé sur le long terme dans son terrain, laisse place à une déstabilisation quand il faut se redéfinir en passant dans l’autre monde, c’est-à-dire en effectuant les mouvements pendulaires entre l’administration éducative observée et les instances scientifiques de reconnaissance. Et, comme pour tout héros qui se respecte, la généalogie et les valeurs familiales ne vont pas sans faciliter (compliquer par l’analyse clinique ?) les prises de position au quotidien face aux contingences des péripéties et le sens donné à une trajectoire prédéterminée — ces valeurs familiales éducative en sont, a minima, le ressort ou moteur.
Et quel héroïsme ne faut-il pas pour restituer à son terrain les données de la recherche et revenir en scientifique pour expliquer de nouveau à son ancien employeur dans l’enseignement supérieur que ce qui a été écrit au sein même de son organisation fait l’objet de publications — chose délicate qui n’a pas toujours été anticipée par l’ensemble des collègues non chercheurs, dubitatifs sur le terrain et qui éveille les rancunes, malgré le souci normé d’anonymat et de déclaration des travaux quand-c’est-possible (exemple de l’ethnographe portant le masque du professionnel en conseil d’administration universitaire). Ce sont les résistances à l’objectivation bien connues, qui se doublent d’une question du statut de l’observateur et des données qu’il produit en regard de son terrain.
S’il existe un héroïsme scientifique de l’observateur, qui n’est pas toujours aisément accepté dans le milieu qu’il observe et parfois aussi dans celui où il rapporte ses observations, on peut aussi parler d’héroïsme dans les raisons et mobiles de passage à l’écriture. Car l’enquête demande d’être à la fois acteur, mais aussi spectateur et auteur de ses propres observations sur son environnement et l’action qui y est menée. Une vision de l’anthropologie éducative demande à ce que la scène soit décrite avant les acteurs, et que le scientifique spectateur ne soit qu’un personnage secondaire, voire se fonde volontairement dans le décor — car il est bien obligé d’être sur scène dans cette éthique du terrain. Mais qu’est-ce qui vaut la peine d’être décrit ? Qu’est-ce qui va déclencher le récit d’expérience scientifique, au-delà des questions de recherche posées dans les laboratoires et des prétextes des colloques ou des lignes éditoriales des revues de son champ scientifique ? Qu’est-ce qui fonde ce qui est décrit, ou simplement dit, de son terrain ? Il existe un risque narcissique individuel (le chercheur se faisant aède et chantant son héroïsme de terrain) comme collectif : celui des sujets à la mode, des terrains autorisés servant de parangon pour penser le social. Se référer à un terrain pour penser les autres, par exemple celui de l’enseignement supérieur à distance pour réfléchir à l’université par temps de Covid, c’est vouloir établir un mythe fondateur moderne, un patron ou canevas pour réifier par une image unique tout le social. C’est là le projet extrémiste de ce que nous avons appelé la « didactique de la distance »3 et qui servirait à modeler les pratiques universitaires contemporaines en transformant ses valeurs et normes pour les adapter à un enseignement supérieur numérisé. Nous nous en défendons.
Une anthropologie héroïque… Elle est heuristiquement liée à un parcours personnel de recherche mais elle a un pouvoir explicatif sur ce livre, en unifiant le terrain. Encore faut-il donc différencier l’heuristique qui relève des lectures de Olivier de Sardan et de la formation de l’auteur (trouver du sens et de la continuité entre une thèse sur l’héroïsme puis une habilitation d’anthropologie de l’éducation), du pouvoir explicatif réel sur ce livre, voire d’une méthode scientifique reproductible. Pour ces deux derniers, nous remarquons que la mise en scène de la science et des scientifiques est devenue commune dans la formation à la recherche de terrain (auto-analyse, conditions d’observation, rapport a l’objet de recherche et ses biais, etc.) et que, pour le livre, il conte une histoire qui fait découvrir des paysages (les terrains) et dont le travail sur le personnage principal (l’observateur narrateur) est essentiel à la bonne appréhension des réalités humaines décrites : c’est par les yeux du héros que la scène est décrite, autant en avoir connaissance préalable. Le héros est à la fois un des acteurs de la scène, les yeux au travers desquels les spectateurs la voient (s’ils partagent son point de vue), l’auteur qui écrit et valorise tel ou tel élément. Comment faire une anthropologie en se passant de lui ? Voyons donc quels sont les gages de scientificité de cette anthropologie héroïque.
Le héros : unité du point de vue sur les terrains
Le livre qui suit présente plusieurs terrains sur une dizaine d’années. Des institutions d’enseignement supérieur distinctes sont étudiées (Centre national d’enseignement à distance, école d’ingénieur en agronomie, trois universités françaises, diverses grandes écoles) depuis de multiples postes d’observation (enseignant, ingénieur, administratif, étudiant). Le tout est classé analytiquement en présentant les différents métiers (enseignement et ingénierie), les modalités de l’enseignement (présence, distance), les particularités de l’évaluation et enfin les charges administratives. La conclusion offre une perspective sur les réseaux d’anciens élèves de grandes écoles.
Corneille déplorerait que les canons de ses pièces de théâtre ne soient pas respectés : on ne trouve dans le texte scientifique ci-dessous aucune unité de lieu, de temps ou d’action. Seule garantie stable, le héros assure le point de vue unique sur les terrains. L’enquêteur est le panoptique qui donne à voir des institutions et des projets s’y déroulant durant une dizaine d’années. Pour unir la multiplicité des terrains académiques, le point focal est le héros, l’enquêteur lui-même qui donne sens aux réalités plurielles traversées. Tout se passe certes dans l’enseignement supérieur, qui est supposé connu du lecteur, sans aucun mystère, et l’unité des observations repose sur le récit historique de celui qui les a faites. C’est le paradoxe du livre dont l’unité des terrains anthropologiques repose sur le héros, l’auteur, qui s’explique dans l’introduction avant de présenter le décor, les scènes traversées et dont il fait le récit en s’effaçant – il réapparaît enfin dans la conclusion pour se laisser voir dans son passé d’élève. Aussi invitons-nous le lecteur à garder ce point de vue énigmatique tout au long de la lecture des terrains, jusqu’à la découverte de la conclusion générique – voire la relecture des livres antérieurs qui permettent aussi de mieux le cerner.
Il pourrait paraître présomptueux de se présenter comme l’anthropologue de l’université, ou de l’enseignement supérieur, car ce serait inciter à confondre notre objet de recherche de sciences de l’éducation et l’institution qui nous emploie dont on se ferait le porte-parole (on compte actuellement en France, en ce sens, plusieurs centaines d’anthropologues dans l’enseignement supérieur, spécialistes d’une multitude d’objets de recherche).
Le terrain est-il universel ? Épistémologie de l’anthropologie héroïque
Le risque de l’anthropologie héroïque est de prendre son cas pour une généralité. Comment passer, par induction, de « un académique » en devenir (soi et son entre-soi), à « des académiques » (ses collègues), voire à « les académiques » (tous les académiques). La taille du « tout » visé a aussi ses limites selon le type d’établissement d’enseignement supérieur, le pays, la génération… Notre recherche porte ainsi le sceau de l’empirisme, avec un réalisme conscient sur la portée des idées qu’on peut en abstraire : ces savoirs universels restent situés.
Résumé des informations
- Pages
- 178
- Année de publication
- 2023
- ISBN (PDF)
- 9782875748645
- ISBN (ePUB)
- 9782875748652
- ISBN (Broché)
- 9782875748638
- DOI
- 10.3726/b20771
- Langue
- français
- Date de parution
- 2023 (Juin)
- Mots clés
- Arts and crafts Higher education-France Anthropology
- Page::Commons::BibliographicRemarkPublished
- Bruxelles, Berlin, Bern, New York, Oxford, Warszawa, Wien, 2023. 178 p., 10 ill. n/b, 2 tabl.