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Paysages de l’eau en trompe l’oeil

Pensées-paysage méditerranéennes

de Mercedes Montoro Araque (Éditeur de volume)
©2023 Collections 218 Pages

Résumé

Toute perception paysagère a tendance à dissocier les composantes physiques de ses résonances existentielles et symboliques. Nonobstant, peut-on penser autrement les paysages méditerranéens et s’affranchir de ce dualisme omniprésent dans la pensée occidentale ? Autrement dit, peut-on considérer quelques paysages de l’eau qualifiés de méditerranéens comme un objet global ? En interrogeant de façon holistique ces quelques espaces « en trompe l’œil », ce volume étudie les manières dont ces lieux hydriques sont conditionnés par leur environnement culturel et symbolique. Dès lors, c’est grâce au rôle joué par la mémoire et par l’invariance thématique que la réalité paysagère ici analysée peut être singularisée en géographie affective, en matrice archétypale, en « pensée-paysage méditerranéenne ».

Table des matières

  • Couverture
  • Titre
  • Copyright
  • À propos de l’auteur
  • À propos du livre
  • Pour référencer cet eBook
  • Sommaire
  • Introduction : le monde, cet « immense Narcisse en train de se penser »
  • Des réalités paysagères du miroir de Zeuxis…
  • L’Eau dans les oasis : technique, poétique, éthique
  • Sur quelques villes-mirage méditerranéennes : Lorrain et l’imaginaire de l’espace aquatique
  • Les jardins de Krystel (Oran, Algérie). Enjeux patrimoniaux et socio-environnementaux
  • Les Mandéens et le symbolisme baptismal. Des paysages cultuels, culturels et patrimoniaux de l’eau ?
  • Au miroir de Pygmalion… : géographies symboliques au féminin
  • Espace et symbolique de l’eau dans le film de Radu Mihaileanu La source des femmes
  • Espaces sacrés et Vierge Noire au bord de l’eau
  • Promenade à Grenade les pieds dans l’eau. Aqua mater et femmes voyageuses
  • Flora López Castrillo, mujer pintora y sus aportaciones al paisajismo
  • L’hétérotopie comme clé de lecture du paysage de sel : une rétrospective féminine des marais salants
  • Épilogue : Sur quelques miroirs narcissiques à Grenade
  • Géopoïétiques grenadines au fil de l’eau …
  • Résumés des chapitres
  • Données biographiques sur les auteurs des chapitres

Introduction : le monde, cet « immense Narcisse en train de se penser »

Mercedes Montoro Araque

« L’imagination aura des visions si elle s’éduque avec des rêveries avant de s’éduquer avec des expériences, si les expériences viennent ensuite comme des preuves de ses rêveries » (Bachelard, 1942, p. 25).

« Les événements les plus riches arrivent en nous bien avant que l’âme s’en aperçoive. Et, quand nous commençons à ouvrir les yeux sur le visible, déjà nous étions depuis longtemps adhérents à l’invisible » (D’Annunzio, Contemplation de la Mort, trad., p. 19. Cité par Bachelard, 1942, p. 25).

Lorsque Baudelaire écrivait, « Oui, l’imagination fait le paysage » (Baudelaire, 1868, p. 333), ou Hugo soulignait, « on ne fait pas plus de la pensée avec de la logique qu’on ne fait un paysage avec de la géométrie » (Hugo, 1934–37, p. 474), ils montraient bien dès le XIXe siècle qu’un paysage sans imagination n’était qu’un assemblage empirique d’éléments naturels, géographiques ou physiques ; un paysage lié à la tradition de la figuration et à une conception mimétique de l’art. Lorsque dans leurs récits de voyage Gautier, Nerval ou Chateaubriand appelaient à la culture livresque (informée par leurs propres goûts littéraires et artistiques) afin de mieux reconnaître ensuite, la géographie physique, ils suggéraient l’importance d’une approche paysagère mobilisant aussi d’autres types d’intentionnalités ou expériences (esthétiques, poétiques, affectives, subjectives). Autrement dit, pouvait-on et peut-on réellement continuer à faire valoir, comme cela fut le cas au moins « depuis l’Antiquité grécolatine », une « vérité » (perceptive ou idéale) de l’objet paysager primant « l’enchantement, l’imprévu – mieux : l’imprévisible, la subversion – de la Beauté » (Durand, 1989, p. 32) ?

Le volume que nous présentons ici tente de poser par conséquent le paysage non seulement en tant que simple objet géographique ou physique ; ni en tant que « simpliste référence à une “nature” qu’il faut mirer dans l’œuvre » (Durand, 1989, p. 32). Ce volume propose d’y déceler surtout un objet (géographique, patrimonial, littéraire, artistique) dont l’histoire a été surtout écrite grâce à « l’histoire des rêveries auxquelles il s’est prêté »; « les énergies affectives » et les « dispositions symboliques de ses occupants » étant alors ce qui a permis et permettent encore son modelage (Wunenburger, 2016, p. 156). Un objet global dont la non-dissociation des composantes physiques de ses résonances existentielles et symboliques nous amènera, peut-être, à nous affranchir du dualisme invétéré de la pensée occidentale concernant la perception du paysage. En effet, toute figurativité et tout vérisme de l’œuvre d’art paysagère rappelle l’une des trois utilisations possibles du « Speculum picturae », selon G. Durand : le miroir du célèbre Zeuxis, selon lequel, « nos perceptions nous donnent à toucher, humer, goûter, entendre et voir une “ réalité ” » de l’objet paysager (Durand, 1989, p. 31). Ce premier « miroir » ayant alors pour « affirmation philosophique implicite celle de l’existence d’une réalité objective, naturelle, sans cesse menacée picturalement par les séductions antagonistes de l’expression ou la décoration » (Durand, 1989, p. 61). Conjointement à ce premier miroir, deux autres utilisations du miroir dans la pensée occidentale sont proposées par G. Durand : « celui de Pygmalion », lorsque « il est tourné vers l’intérieur, vers la profondeur » du sujet regardant et/ou recréant le paysage ; et celui de « Narcisse » lorsque « l’expression subjective tant que l’impression objective sont au service d’un apparat décoratif » (Durand, 1989, p. 61).

Notre analyse du paysage de l’eau se fera dans ce volume en alliant espace physique et lieu symbolique et existentiel et en le classant selon ces trois modes d’approche archétypaux du paysage artistique proposés par le philosophe et anthropologue savoyard. Nous y consacrerons d’ailleurs, respectivement, un des trois volets du volume. Des « miroirs archétypes »1 qui, tantôt « cherchant la lumière », tantôt « fouillant l’ombre » (Durand, 1989, p. 38–43), permettent une oscillation constante entre la considération du paysage comme projection du sentiment – le faisant alors devenir un support expressif – et celle l’envisageant comme recherche d’une vérité de la représentation. En conciliant production artistique contemporaine et recherche, l’épilogue nous donnera l’occasion, en outre, de concevoir le paysage en tant que « miroir qui se mire lui-même, dans une pure jouissance ludique du pictural, du graphique et du plastique » (Durand,1989, p. 53). Dans ce même ordre d’idées, rappelons avec A. Berque que le paysage est, avant tout, une « médiation entre le monde des choses et celui de la subjectivité humaine » (Berque, 1995, p. 22). Selon la prise de position du géographe orientaliste, ici privilégié, il ne peut y avoir de paysage en séparant « lieu cartographiable (topos) » et « lieu existentiel (chôra) » (Berque, 2015, p. 44). Pour que paysage il y ait, on ne peut pas négliger une « médiance », c’est-à-dire, le « flux de relations qui lient indissolublement les sujets aux objets » et « une société à l’espace et à la nature » (Berque, 1990, p. 110). Encore mieux, le paysage sera abordé, comme le suggère aussi F. Jullien : en tant que « déconcentration – dé-fixation – du regard » où des « facteurs opposés entrent en corrélation, se répartissent et coopèrent, à égalité, portant le regard à se convertir » et « non plus à s’arrêter “sur”, mais à aller et venir de l’un à l’autre, ou plutôt entre eux » (Jullien, 2014, p. 31). L’espace paysager sera, en définitive, questionné dans ce volume comme un « immense Narcisse en train de se penser » (Joaquin Gasquet. Cité par Bachelard, 1942, p. 35) ; comme une « pensée-paysage », pour reprendre la belle formule de M. Collot, rendant possible de nos jours de « penser autrement le paysage » afin de nous émanciper, enfin, d’un « certain nombre d’oppositions » qui l’ont toujours structuré de façon antithétique dans la pensée occidentale (Collot, 2011, p. 11–13).

Le paysage de l’eau ici présenté sera, par conséquent, un paysage « en trompe l’œil » dont l’objet en soi n’est qu’un prétexte-piège, délimité géographiquement parlant par les paramètres (sans doute objet des controverses!) synthétisés dans les adjectifs aquatique et méditerranéen. Un paysage de l’eau certes, sous un couvert réaliste, mais dont, d’un côté, la profondeur de l’apparence nous permettra de partir de l’étendue de la célèbre définition braudelienne de la Méditerranée2, et dont les raffinements et nuances de son ambigüité spéculaire nous pousseront, de l’autre côté, à le lire comme l’« une des matrices historiques mais aussi transcendantale de toute pensée en Occident » (Wunenburger, 2016, p. 130). Une matrice sous laquelle se cachent bien souvent, tel que l’on sait, des représentations ancestrales de la nature. Des représentations qui opposent à la générosité nordique de la « nature-ressource » la rudesse en Méditerranée d’une mère, tantôt « maigre et desséchée » (Tamisier, 1991, p. 37), s’agissant de sécheresse, tantôt excessive, destructrice, dévastatrice, lorsque l’eau coule à flots en saturant le sol « au moment où il n’en a plus besoin » (Descimons. Cité par Tamisier, 1991, p. 19).

Sous ce couvert “ réaliste ” du paysage de l’eau, et avec l’autorité générée par les raffinements d’une virtuosité plurielle des agencements perspectifs ouverts et généreux, nous nous immiscerons aussi bien dans l’immensité maritime (elle-même baignant des zones géographiques diverses) que dans différents espaces historiquement, géographiquement, climatologiquement ou culturellement qualifiés de “méditerranéens” (Braudel, 1985). Le volumen contenant, de ce fait, des chapitres concernant des aires géographiques assez vastes d’un « paysage de l’intellect »3 allant depuis l’ancienne Mésopotamie (actuelle Iran) au Maghreb marocain, algérien ou tunisien, ainsi qu’à l’Andalousie (Grenade, Malaga ou Cadix). Un objet paysager qui sera compris, en définitive, comme totalité, comme relation, voire comme partage (Collot, 2001, p. 32–33). Dans cette perspective, cet ouvrage s’efforcera en somme, de privilégier plusieurs axes d’étude divisés en trois grands volets.

Résumé des informations

Pages
218
Année
2023
ISBN (PDF)
9782875749772
ISBN (ePUB)
9782875749789
ISBN (Broché)
9782875748492
DOI
10.3726/b21377
Langue
français
Date de parution
2024 (Février)
Mots clés
Paysage eau pensée-paysage archétopos paysage de l’intellect imaginaire matrice archétypale médiance géopoïétique paysage culturel paysage en trompe l’œil patrimoine identité hétérotopie miroir de Zeuxis miroir de Pygmalion miroir de Narcisse
Published
Bruxelles, Berlin, Bern, New York, Oxford, Warszawa, Wien, 2023. 218 p., 24 ill. en couleurs, 2 ill. n/b.

Notes biographiques

Mercedes Montoro Araque (Éditeur de volume)

Professeure des Universités à l’UGR (Espagne), Mercedes Montoro Araque est présidente de MITEMA, et membre du bureau exécutif du CRI2I. Elle a publié, entre autres, Identités culturelles d’hier et d’aujourd’hui (2010), Le jardin entre spiritualité, poésie et projections sociétales (2020), ou Imaginación geopoiética y ecopoéticas del agua (2023).

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Titre: Paysages de l’eau en trompe l’oeil