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Moeller van den Bruck Le troisième Reich

de Michel Grunewald (Auteur)
©2024 Monographies 476 Pages

Résumé

Un siècle après la parution de l’opus magnum d’Arthur Moeller van den Bruck (1876-1925), Das dritte Reich, une traduction française de ce textephare de la Révolution conservatrice allemande trouve sa pleine justification. «Bible» des «Jeunes conservateurs», diffusé en près de 150.000 exemplaires, l’ouvrage attira rapidement l’attention de certains nationaux-socialistes avant d’être rejeté par eux pour des raisons qui, de leur point de vue, avaient toute leur légitimité. Etranger à l’idéologie racialiste des partisans d’Hitler, le livre est l’oeuvre d’un conservateur opposé à la République de Weimar et désireux de combattre à tout niveau les idées libérales et démocratiques avec pour objectif de tracer des pistes susceptibles d’ouvrir la voie à un redressement de son pays vaincu dans le cadre d’un «troisième Reich» doté d’un régime
autoritaire destiné à advenir à moyen terme et permettant, tel était son espoir, l’épanouissement de toutes les potentialités de la nation germanique.

Table des matières


Remerciements

La présente traduction de Das dritte Reich est le fruit des échanges permanents que j’entretiens avec trois collègues et amis dans le cadre d’un compagnonnage scientifique qui se poursuit depuis plus de vingt ans, Ina Urike Paul, Professeure à l’Université libre de Berlin, Uwe Puschner, Professeur à l’Université libre de Berlin et Olivier Dard, Professeur à la Sorbonne. A tous les trois, je dis ma profonde gratitude.

Grâce à ses compétences en matière d’histoire des idées et à sa parfaite connaissance du corpus biblique, Ina Ulrike Paul a contribué grandement à l’enrichissement de la traduction en français de l’opus magnum de Moeller van den Bruck proposée ici. Spécialiste du milieu «völkisch» et «conservateur révolutionnaire», Uwe Puschner, quant à lui, m’a facilité l’accès à de nombreux documents indispensables pour affiner ma connaissance de l’environnement de Das dritte Reichet de son auteur, tout en m’aidant à décrypter plus d’un passage d’une œuvre qui figure parmi les plus révélatrices de l’état d’esprit des droites antirépublicaines allemandes quelques années après la fin de la Première Guerre mondiale. Enfin, grâce à son expertise relative à d’histoire des droites hexagonales et européennes ainsi qu’à l’histoire économique et à l’évolution de l’Europe au cours des années 1920-1930, Olivier Dard m’a permis de mettre en perspective le texte de Moeller van den Bruck à l’attention de lecteurs francophones. Il a également été le lecteur critique, attentif et scrupuleux du manuscrit du présent ouvrage tout au long des différentes étapes de sa genèse.

La mise au point du manuscrit de l’ouvrage a été assurée par Rébecca Champenois, que je tiens à remercier très vivement pour sa disponibilité et son écoute au fil des différentes phases de mon travail.

Septembre 2023                Michel Grunewald

Présentation

Moeller van den Bruck, auteur de Das dritte Reich1

Avant-propos

Considéré après sa parution comme leur «bible» par les jeunes conservateurs allemands des années 1920 et 1930,2 l’opus magnum d’Arthur Moeller van den Bruck (1886-1925), Das dritte Reich, connaît depuis le début du XXIe siècle non seulement en Allemagne, mais également dans plusieurs pays d’Europe un réel regain de fortune. En témoignent en particulier une réédition récente de l’ouvrage en Allemagne ainsi que des traductions de celles-ci en italien, espagnol et polonais.3 Tout ceci justifie amplement la mise à la disposition de lecteurs francophones d’une traduction de l’édition originale d’un livre sorti en librairie à l’automne 1923 quelques semaines avant le putsch de la Brasserie du 9 novembre de la même année, et que d’aucuns ont abusivement assimilé à l’œuvre d’un maître à penser des nationaux-socialistes.

Moeller van den Bruck était tout sauf un démocrate, il n’était pas indifférent au fascisme italien, mais n’y voyait pas un modèle transposable à l’Allemagne.4 Face au national-socialisme, son attitude était ambigüe: il assimilait le putsch de la Brasserie à un «crime dû à la bêtise»,5 mais considérait Hitler comme un révolutionnaire authentique et un «tambour de la nation» susceptible de réveiller une Allemagne trop peu politisée à son gré.6

Das dritte Reich n’est cependant en rien une œuvre nationale-socialiste: non seulement le futur maître de l’Allemagne et ses amis n’y sont jamais évoqués,7 mais la vision de l’organisation de la société qui s’en dégage est tout à fait différente de celle qui fut imposée aux Allemands après 1933. Enfin, on n’y trouve pas trace d’un racisme biologique assimilable à celui qui, dès le départ, fut consubstantiel à l’idéologie des partisans d’Hitler. Lesquels, au demeurant, refusèrent après 1933 qu’on les considère comme d’éventuels disciples de Moeller van den Bruck.

Notre projet trouve sa justification pour plusieurs raisons. Elles tiennent tout autant à la biographie du nationaliste que fut Arthur Moeller van den Bruck, qu’au positionnement politique qui fut le sien après 1918 face aux difficultés qui assaillirent d’emblée au niveau intérieur et au plan international la jeune démocratie allemande, mais aussi à la façon dont l’auteur concevait son rôle d’intellectuel présent dans le champ politique, sans oublier les points communs entre les thèses qu’il défendait et celles dont se réclamaient à pareille époque ses homologues hexagonaux.

Das dritte Reich représente le point d’orgue et l’aboutissement de l’œuvre d’un lecteur précoce de Nietzsche, qui, dès ses débuts, fut l’un des critiques les plus virulents du système wilhelmien, incapable selon lui de favoriser l’émergence en Allemagne d’une conscience politique et d’une culture dignes de ce nom.

La défaite du Reich en 1918 puis la conclusion du traité de Versailles furent pour Moeller van den Bruck comme pour le reste des Allemands et singulièrement les nationalistes parmi eux, un traumatisme considérable. Son livre constitue un témoignage de première importance sur la façon dont ce traumatisme fut vécu par une génération qui avait participé à la guerre, alors que, depuis le 11 janvier 1923, les Français et les Belges occupaient le bassin de la Ruhr.

Das dritte Reich a été publié au moment où la jeune république allemande essayait de se stabiliser face à toutes les difficultés intérieures et extérieures auxquelles était confronté un Reich vaincu et menacé par ailleurs dans son unité.8 Sur le plan intérieur, la démocratie libérale établie par la constitution de Weimar était refusée par une large partie des élites politiques, économiques, militaires et intellectuelles d’outre-Rhin qui lui déniaient toute légitimité – et on sait que depuis l’été 1920 les partis qui avaient mis en place la république étaient devenus minoritaires au Reichstag.

Sans établir de parallèles abusifs, il faut reconnaître que les thèses défendues par Moeller van den Bruck contre le régime qui avait succédé au Reich wilhelmien continuent à être tout à fait d’actualité de nos jours et sont parfaitement susceptibles d’entrer en résonance avec les critiques de la démocratie libérale formulées actuellement en Europe par les populistes de tous bords.9 Comme les populistes actuels, Moeller van den Bruck n’est pas chiche de ses attaques contre l’inefficacité supposée du système parlementaire, et si on lit ses réquisitoires contre les partis et les politiciens professionnels, force est de constater que les tenants de la démocratie «illibérale» n’ont rien inventé lorsqu’ils se flattent d’être à même de faire entendre la voix du «peuple» sans avoir recours à des instances intermédiaires.

*

Après sa première édition parue en 1923,10 Das dritte Reich a été publié à partir de 1930 dans une version modifiée et tronquée, établie pas Hans Schwarz,11qui était alors l’exécuteur testamentaire de Moeller van den Bruck. Celle-ci était conforme à un agenda politique qui s’inscrivait entièrement dans la nouvelle donne consécutive à la percée électorale des nationaux-socialistes en septembre 1930 et qui, par définition, n’avait pas pu être celui de l’auteur disparu en 1925. Expurgée de toutes les allusions directes aux événements de 1923 en Allemagne qui émaillent l’édition du livre mise au point par Moeller van den Bruck, cette version de Das dritte Reich ne permet pas de percevoir que la situation liée aux suites des événements du 11 janvier 1923 est présente à toutes les pages du texte, même si son contenu dépasse largement le commentaire de l’actualité.

La version «adaptée» par Hans Schwarz de Das dritte Reich fit en 1933 l’objet d’une traduction française publiée quelque mois après l’arrivée d’Hitler au pouvoir et précédée d’une préface de Thierry Maulnier (1909-1988) qui présentait le livre au prisme des événements survenus en Allemagne au printemps de 1933.12 Cette traduction réalisée par Jean-Louis Lénault est non seulement grandement fautive. Elle contient de multiples erreurs d’interprétation du texte allemand et, par-dessus le marché, elle est largement incomplète, son auteur ayant omis de traduire certains passages et amputé le texte de pans entiers de certains chapitres qui figurent pourtant dans l’ouvrage revu par Hans Schwarz.

Conçue dans un esprit scrupuleux de fidélité au texte original de Das dritte Reich, notre traduction a pour visée essentielle de restituer, à travers cette œuvre majeure, l’état d’esprit qui, un peu plus de quatre ans après la fin de la Grande Guerre, était celui d’une partie de la mouvance antirépublicaine dans l’Allemagne de la République de Weimar, au moment où celle-ci traversait une crise de dimensions existentielles. Nous nous attachons dans ce but à transcrire le plus fidèlement possible, en respectant toutes les aspérités et les particularités de la prose de Moeller van den Bruck, notamment les multiples répétitions qui rythment et émaillent ses phrases. S’adressant à des lecteurs du XXIe siècle, la traduction est complétée par les informations nécessaires à la compréhension du texte publié en 1923, y compris par les indications indispensables relatives aux sources citées abondamment par l’auteur, traduites à partir du verbatim des extraits qui figurent dans le texte; quand Moeller van den Bruck cite de manière erronée ses sources, nous en restituons la teneur exacte en note. S’agissant de textes du corpus biblique qu’il cite parfois de manière simplement allusive, nous les faisons figurer en note dans l’édition de 1912 de la Bible luthérienne connue de lui ainsi que dans le texte en français établi par l’Alliance biblique universelle en 1978.

Notre traduction restitue également sans mention spéciale les guillemets utilisés par l’auteur quand il a recours à ce procédé pour mettre en relief certains mots ou expressions. En revanche, quand il nous a paru indispensable d’utiliser pour certains mots des guillemets, nous l’indiquons explicitement en note.

Moeller van den Bruck se réfère de façon récurrente aux événements qui ont eu lieu en Allemagne les 9 et 10 novembre 1918 de même que le 11 janvier 1923, sans préciser l’année de ces événements – ce qui ne faisait pas de difficulté pour ses lecteurs d’il y a un siècle, mais n’est plus nécessairement le cas pour les lecteurs du XXIe siècle. C’est pourquoi, quand il est question des 9 et 10 novembre ou simplement de novembre, nous complétons systématiquement cette indication par (1918) entre parenthèses; il en va de même pour le 11 janvier (1923).

Le texte de la traduction que nous proposons, formée de huit chapitres, est précédé d’une lettre-préface qui avait pour destinataire Heinrich von Gleichen,13 l’un des amis proches de Moeller van den Bruck, dont il existe une première version que nous publions également.

Dans le corps proprement dit de la traduction, nous faisons figurer entre crochets (exemple: [98]) les numéros des pages de l’édition originale de Das dritte Reich.

Précisons enfin que nous écrivons «troisième Reich» avec un «t» minuscule de même que «drittes Reich» avec un «d» minuscule, afin d’éviter toute confusion avec le régime instauré outre-Rhin après le 30 janvier 1933. Nous utilisons également des caractères romains pour les mots allemands tels que «Reich», «Reichstag», «Land».


1 Avertissement au lecteur: en dehors de la page de titre du livre, dans l’ensemble de nos développements, nous gardons le titre en allemand de l’ouvrage de Moeller van den Bruck quand nous nous y référons. Toutes nos références à des passages de celui-ci renvoient à l’édition originale du livre citée avec l’abréviation DdR pour Das dritte Reich, suivie du numéro de la page concernée.

Les titres des œuvres de Moeller van den Bruck autres que DdR figurent également sous forme abrégée dans les notes, leurs références détaillées figurant quant à elles dans la bibliographie qui fait suite à la traduction.

Les références des ouvrages et articles qui font l’objet de citations récurrentes (plus d’une fois) figurent dans le corps des notes sous forme abrégée (exemple: Grunewald 2001). Les indications détaillées relatives à ces ouvrages et articles figurent également dans la bibliographie.

Quant aux textes que Moeller van den Bruck cite au fil des chapitres de son livre, leur première citation est complétée d’une indication bibliographique détaillée, suivie de l’indication de l’abréviation qui y renverra lors des citations ultérieures (exemple: Marx, Kapital 1872).

2 Cf. Kurt Sontheimer, Antidemokratisches Denken in der Weimarer Republik. Die politischen Ideen des deutschen Nationalismus zwischen 1918 und 1933, München, 1962, p. 303.

3 La version originale de l’ouvrage a été rééditée en 2006 à Töppenstedt par le Uwe Berg Verlag (Quellentexte zur Konservativen Revolution. Reihe: Die Jungkonservativen, Band 1).

Les références des traductions sont les suivantes:

Traduction italienne – Arthur Moeller van den Bruck, Il Terzo Reich, Tradutione dal tedesco di Luciano Arcella, Edizioni Settimo Sigillo, Roma, 2000.

Traduction espagnole – Arthur Moeller van den Bruck, El Tercer Reich, traduit par Miguel Angel Sanchez Lopez, introduction de Angel Fernandez Fernandez, Hipérbola Janus, 2015.

Traduction polonaise – Arthur Moeller van den Bruck, Trzecie imperium, traduit par Wojciech Kunicki, Osrodek Mysli Politycznej, 2021.

4 Moeller considérait le fascisme italien comme une force importante au sein du «contre- mouvement de conservateur qui [était] en train de traverser l’Europe»; d’autre part, quelques jours après la «marche sur Rome», il soulignait que Mussolini avait libéré son pays «du danger de domination étrangère bolchevique dont l’incurie parlementaire avait permis la montée en puissance» (cf. «Italia docet», in: Gewissen, 06.11.1922).

Dans un manuscrit demeuré inédit (Fonds Hans Schwarz, Schöppenstedt), intitulé «Faschistisch», qui constituait peut-être l’ébauche d’un chapitre (non abouti) de Das dritte Reich, conformément à sa logique nationaliste, il indiquait que chaque pays ayant son socialisme spécifique, il «avait le fascisme qui lui était propre».

5 Cf. «Scharf aufgepaßt!», in: Gewissen, 12.11.1923.

6 Moeller réserva son analyse la plus détaillée relative au putsch de la Brasserie à sa «critique de la presse» («Kritik der Presse») publiée dans Gewissen le 12 novembre 1923. Il créditait le chef nazi d’être un vrai nationaliste mû par «des sentiments sincères et une passion authentique», mais notait en même temps que l’action qu’il avait menée à Munich le 9 novembre témoignait d’une bonne part d’«irréflexion». C’est une semaine après la fin de son procès (26 février- 1er avril 1924) que Moeller van den Bruck qualifia Hitler de «tambour de la nation». Cf. «Trommler der Nation», in: Gewissen, 07.04.1924.

7 Moeller van den Bruck a été en contact avec Hitler une fois, à Berlin, certainement en juin 1921. D’après le récit qu’a laissé de la rencontre un de ses proches, Rudolf Pechel (1882-1961), directeur de la revue conservatrice Deutsche Rundschau (in: Deutscher Widerstand, Erlenbach – Zürich, 1947, pp. 278-280), le comportement d’Hitler aurait produit une impression essentiellement négative sur Moeller van den Bruck.

8 Cf. Longerich 2022.

9 Cf. Olivier Dard, Christophe Boutin, Frédéric Rouvillois (dir.), Le dictionnaire des populismes, Paris 2019.

10 Moeller van den Bruck, Das dritte Reich, Berlin, Der Ring 1923.

11 Moeller van den Bruck, Das dritte Reich. Herausgegeben von Hans Schwarz, Hamburg, Hanseatische Verlagsanstalt 1930.

Hans Schwarz (1890-1967), écrivain lui-même, avait fait la connaissance de Moeller van den Bruck en 1921. Devenu l’un des ses proches, il fut son exécuteur testamentaire après son suicide et réédita à partir de la fin des années. Cf. Hans Schwarz, Ein Preuße im Umbruch der Zeit (1890-1967), Hamburg, 1980.

12 Moeller van den Bruck, Le Troisième Reich. Traduit de l’allemand par Jean-Louis Lénault avec une introduction de Thierry Maulnier, Paris, Redier 1933. Jean-Louis Lénault (1878-1955) n’est pas connu pour d’autres traductions. Je remercie les Archives départementales du Calvados de m’avoir communiqué la date de sa naissance ainsi que celle de son décès.

13 Heinrich von Gleichen (1882-1959), qui avait figuré pendant la Première Guerre mondiale parmi les proches de Walther Rathenau, avait rencontré Moeller van den Bruck pendant la guerre. Après la guerre, il figura parmi les membres fondateurs du Juni-Klub (Club de Juin [1919] dont Moeller van den Bruck fut l’un des inspirateurs). En 1924, il fut l’un des cofondateurs du Deutscher Herrenklub (Club allemand des Seigneurs) dont fut membre le futur chancelier Franz von Papen. En 1934, il devint membre bienfaiteur de la SS.

L’itinéraire d’un nationaliste conservateur de l’époque wilhelmienne à la République de Weimar

Introduction

Das dritte Reich fut diffusé à près de 150 000 exemplaires entre 1923 et 1935.14 Le livre fut publié à la fin du mois de septembre 1923.15 Sa parution avait été annoncée dès la fin du printemps 1923 dans Gewissen (La conscience), l’hebdomadaire diffusé par le cercle dont Moeller van den Bruck était le spiritus rector16 –, tout d’abord sous le titre Die dritte Partei (Le tiers parti). Ce n’est qu’au cours de l’été 1923 que le choix définitif du titre de l’ouvrage s’opéra.17 Toutefois, Moeller van den Bruck avait déjà indiqué dès octobre 1921 à Hans Grimm – l’écrivain nationaliste auteur du bestseller Peuple sans espace, (Volk ohne Raum)18 – dont il était proche, travailler à un nouveau livre qui allait s’intituler soit Die dritte Partei (Le tiers parti), soit Das dritte Reich (Le troisième Reich), et dont l’objectif était des plus ambitieux:

Il fera la vérité sur tous nos dualismes: unitarisme et fédéralisme, catholicisme et protestantisme, germanisme d’Allemagne, des frontières, de l’étranger, etc. Il fera la vérité sur la révolution et la contre-révolution, constituera un résumé de notre histoire, tracera une perspective pour la jeune génération.19

En esquissant de la sorte les grandes lignes du livre qui, du fait de son suicide le 30 mai 1925, fut son dernier opus et devint par la force des choses en quelque sorte son testament, Moeller van den Bruck endossait une nouvelle fois le rôle qu’il s’était assigné dès ses débuts, celui d’un preaceptor Germaniae autoproclamé.

Le livre était le résultat ultime du cheminement amorcé déjà 1914 par un auteur nationaliste et conservateur qui s’était attribué prioritairement comme mission de révéler à ses compatriotes quelle était leur vocation spécifique en tant qu’Allemands. Il les invitait à s’intéresser à leurs grands ancêtres tout en les incitant à prendre pleinement leur place dans le monde de leur époque.

De par les questions qui y sont abordées et le contexte de sa parution, la tentation peut être grande de considérer Das dritte Reich comme l’œuvre d’un théoricien désireux de définir une doctrine politique. Moeller van den Bruck ne se désintéressait aucunement de l’évolution du monde et singulièrement de l’Allemagne: après 1918, il la commentait au fil des semaines dans les chroniques qu’il publiait dans Gewissen, et son livre qui reprend en partie celles-ci20 le montre également amplement. Néanmoins, son intention n’était pas de présenter un programme politique applicable dans l’immédiat. Quand il rédigea son opus magnum, son objectif essentiel était de proposer à la fois à ceux qui pensaient comme lui et à tous les Allemands un corpus idéologique susceptible d’inspirer tous ceux qui étaient désireux d’œuvrer en faveur de la cause du relèvement de l’Allemagne après sa défaite en 1918. Dans son esprit, le passage au «troisième Reich» qu’il imaginait ne pouvait pas s’opérer du jour au lendemain, mais à l’issue d’une véritable préparation des esprits dans cette perspective. C’est pourquoi, dans une prose volontiers incantatoire, illustrée fréquemment de citations empruntées au corpus biblique qui ne pouvaient que parler à des lecteurs allemands majoritairement protestants, il se fixait pour tâche de doter ceux-ci de références d’ordre politique et philosophique à partir desquelles ils seraient à même à leur tour d’œuvrer afin que s’accomplisse au niveau d’un «troisième Reich» l’œuvre entamée par Bismarck et demeurée selon lui inachevée.

La présentation qui va suivre se déroulera en trois temps: on s’intéressera tout d’abord à la genèse de l’idéologie nationaliste défendue par Moeller van den Bruck avant 1914, puis à l’expression aboutie de celle-ci dans Das dritte Reich, et enfin à la réception de cet ouvrage en Allemagne et en France.

1. Le jeune nationaliste conservateur avant 1914

Au niveau de l’histoire du nationalisme allemand, Moeller van den Bruck demeure un personnage intéressant et singulier. A ses débuts, il ne se réclamait pas d’une des nombreuses chapelles politiques qui représentaient cette sensibilité politique outre-Rhin, et n’était pas non plus un militant au sens classique du terme. Dédaigneux des partis politiques proprement dits, il se réclamait du «grand parti de la culture»,21 seul à même selon lui d’œuvrer effectivement à la «résolution» des «tâches» les plus importantes auxquelles le Reich faisait face un peu plus de trente ans après sa fondation sous l’autorité de Bismarck. Parmi celles-ci, estimait-il déjà en 1906, figurait «la réconciliation du socialisme avec le nationalisme», de même que celle «de la force inhérente à la masse avec la force qui est inhérente à l’individu».22

Moeller van den Bruck écrivit ces lignes alors qu’après avoir mené entre 1898 et 1902 une vie bohème à Berlin,23 il venait de passer quatre années à Paris de 1902 à 1906. Né le 23 avril 1876 à Düsseldorf sous le nom d’Arthur Moeller, il se fit appeler successivement Arthur Moeller-Bruck, associant au patronyme de son père celui de sa mère, puis, à partir de 1904, Moeller van den Bruck (sans indication de prénom). Descendant d’une famille protestante originaire de Thuringe et comptant parmi ses ancêtres plusieurs pasteurs, Moeller van den Bruck aurait dû embrasser soit la carrière militaire soit la carrière juridique s’il s’était conformé à la volonté de ses parents. Mais, au grand dam de sa famille, ces deux projets demeurèrent lettre morte. Exclu de son lycée à Düsseldorf en 1895, il fut envoyé à Erfurt, afin de poursuivre sa scolarité jusqu’à l’Abitur, mais il ne resta que quelques mois élève dans son nouveau lycée. A Pâques 1896, déjà fiancé à Hedwig (Hedda) Maasse,24 il abandonna ses études secondaires deux ans avant leur terme et gagna avec celle-ci Berlin, où il s’installa en août 1896. Grâce à un héritage que lui avait légué son grand-père paternel, dans la capitale du Reich, il fréquenta assidument les milieux littéraires et artistiques d’avant-garde de l’époque. C’est de la fréquentation de ces milieux qu’il tira les publications qu’il avait déjà à son actif quand il arriva à Paris à l’automne 1902, après avoir quitté son épouse.25

Ce séjour parisien fut décisif pour Moeller van den Bruck et marqua dans sa vie personnelle et intellectuelle le début d’une nouvelle période qui dura jusqu’à la veille de la Première Guerre mondiale. A Paris, il rencontra deux sœurs d’origine balte, Lucy (1877-1965) – qui allait devenir sa seconde épouse – et Elisabeth Kaerrick (1886-1966). Grâce à celles-ci, il fit la connaissance du romancier et essayiste russe26 Dimitri Merejkovski, qui était déjà très connu dans les milieux littéraires européens. D’aucuns27 considèrent que Merejkovski devint alors pour le jeune Moeller van den Bruck (qui n’avait pas encore trente ans) une sorte de mentor. C’est en effet à la suite de sa rencontre avec l’écrivain russe qu’il s’ouvrit au monde slave et oriental, ce dont témoigne un article qu’il publia en 1904 et dans lequel il marquait sa préférence pour Dostoïevski et le nationalisme russe plutôt que pour son compatriote Léon Tolstoï, assimilé par lui à un libéral ouvert prioritairement sur l’Occident.28 Dostoïevski fut, à partir de 1905 et au moins jusqu’en 1922, au cœur de la relation que Moeller van den Bruck entretint avec Merejkovski, et qui eut pour résultat le plus tangible la publication en 22 volumes des œuvres de l’auteur des Frères Karamazov dont Elisabeth Kaerrick fut la traductrice.29

C’est au cours des quatre années qu’il passa dans la capitale française que Moeller van den Bruck s’éveilla véritablement à la politique: c’est sur les bords de la Seine qu’il assista à la montée en puissance du nationalisme français des Maurras et Barrès,30 puis fut le témoin de la tension qui était en train de renaître entre la France et l’Allemagne et dont la crise de Tanger31 fut le point culminant à partir du printemps 1905. Selon Hans Schwarz,32ce fut dans le climat de tension internationale qui régnait alors que Moeller van den Bruck acquit définitivement l’intuition que sa tâche véritable était de «faire prendre conscience aux Allemands de leur mission européenne et de s’y préparer».33 Afin de s’en acquitter, à partir de 1904, il commença à publier une série de livres34 consacrés aux personnages qui, selon lui, d’Arminius à Nietzsche, avaient façonné le plus durablement l’histoire allemande afin de promouvoir un nouveau nationalisme dont les composantes intellectuelle et politique étaient indissociables. Intellectuellement, ce nationalisme se nourrissait notamment des écrits de Darwin et de Nietzsche ainsi que des débats sur la race et la nation qui occupaient alors l’espace public allemand. Politiquement, il s’inscrivait dans le cadre de la politique impérialiste (WeltpolitikPolitique mondiale) du Reich, prônée en particulier par les pangermanistes,35 tout en affichant comme objectif d’aider à renforcer la cohésion interne de la société allemande.

1.1. Un disciple de Darwin et de Nietzsche

Même s’il n’avait rien d’un théoricien, Moeller van den Bruck a toujours été très soucieux de doter ses écrits d’un fondement philosophique. Ce fondement, il l’avait défini dans le livre qu’il dédia à ses «contemporains» en 1906, Die Zeitgenossen. Dès les premières pages de celui-ci, s’appuyant sur une lecture sélective de Darwin et Nietzsche, il disait toute sa confiance en l’avenir. «L’époque [présente] [était] grandiose»,36 affirmait-il, car on assistait à une «métamorphose […] du visage de la terre»,37 annonciatrice d’un renouveau prometteur d’un élargissement sans précédent des potentialités de l’être humain.38

Un signe indubitable de ce renouveau était à son avis la remise en cause de la vision chrétienne du monde suite à l’émergence du darwinisme, qui aurait donné naissance à «une métaphysique nouvelle» appelée à déboucher sur une «foi nouvelle»39 qui, au lieu de se projeter dans «l’au-delà», ne «désir[ait] plus qu’elle-même», c’est-à-dire le «devenir» et «l’avenir de l’humanité».40 Sa conviction était que l’humanité avait devant elle une «destinée» infinie41 et que «l’aspiration à la perfection» était inhérente aux actions des humains, ceux-ci ayant pour mission d’«accomplir tout ce qui sert les desseins de l’évolution».42

En faisant de l’«évolution» la clé de voûte de la «métaphysique nouvelle» à laquelle il adhérait, Moeller van den Bruck se plaçait en même temps dans le sillage de ce qu’il estimait à l’époque être la pensée de Nietzsche.43 Dans l’œuvre de l’auteur du Zarathustra, à l’entendre, se trouvait en germe la nouvelle vision du monde appelée à guider l’action de l’humanité au XXe siècle, «une métaphysique de l’évolution immédiate» qui aurait transformé «l’être» en «devenir» et donné à l’homme «une pleine consistance téléologique»,44 faisant de lui un «combattant»,45au «regard […] lucidement et [constamment] dirigé vers l’avant»,46 et pour lequel «la vie en soi» était «l’incarnation de l’idée d’évolution [et n’était] soumise à aucune force autre qu’à l’énergie qui lui est immanente».47

Ce premier modèle évolutionniste servant de soubassement à sa conception de l’histoire au début du siècle, Moeller van den Bruck y apporta de sensibles inflexions à l’orée de la Grande Guerre. Dans deux textes parus respectivement le 2 et le 14 juillet 1914, et dont l’importance se révéla ensuite majeure au niveau de sa pensée, il développa l’idée selon laquelle la notion de «progrès» solidaire de la «pensée évolutionniste» classique ne rendait pas compte de l’exacte réalité de l’histoire, car l’univers serait le théâtre essentiellement de «phénomènes imprévus […] dont la nature [était] la nouveauté, la surprise et leur caractère inépuisable».48 A la suite de cette affirmation, il prenait alors apparemment quelques distances envers Nietzsche et sa vision de l’histoire censée, à en croire ce qu’il écrivait en 1906, intégrer l’idée classique d’évolution au schéma de «l’éternel retour».49 Ce n’était cependant à proprement parler pas de l’auteur de Zarathustra qu’il se détachait, mais de Darwin, dont il remettait en question les thèses au profit de celles qu’avait développées l’ethnographe, géographe et philosophe balte Karl Ernst von Baer,50 qui avait été l’un des premiers à réfuter le transformisme dans sa conception darwinienne pour mettre en valeur dans le développement naturel l’importance des mutations comme moteurs de l’évolution.51 C’est après avoir pris connaissance des œuvres de von Baer, qu’à partir de l’été 1914 et jusque dans son dernier opus, Moeller van den Bruck eut recours systématiquement à la notion de «génération spontanée» (Urzeugung) pour évoquer le jaillissement des phénomènes historiques et le «changement éternel»52 induit selon lui par la «volonté» inhérente à la vie même.53

1.2. «Race et nation»

A la différence de son corpus philosophique, le corpus idéologique proprement dit sur lequel avait pris appui à partir de 1906 le nationalisme de Moeller van den Bruck ne varia plus au cours des quelque vingt années pendant lesquelles il fut encore productif. Il était organisé autour des deux notions de «race» et de «nation» ainsi que de l’idée selon laquelle il existerait des «peuples vieux» et des «peuples jeunes».

Même si, spontanément, il ne viendrait pas à l’idée de citer Moeller van den Bruck parmi les théoriciens les plus en vue de la «race», il n’en reste pas moins que son apport personnel aux discussions sur cette notion et sur les «valeurs des peuples»54 qui faisaient florès au début du XXe siècle fut loin d’être négligeable.

Dès le premier article qu’il consacra au sujet en 1908,55 Moeller van den Bruck donna aux termes «race» et «nation» une signification qui demeura constante jusqu’au dernier texte qu’il publia sur ce thème en 1924.56 Il considérait la race non pas en tant que donnée «biologique», mais en tant qu’entité de nature «historico- politique».57 Mais cela ne l’empêchait pas d’affirmer que «la race [préexistait] à la personnalité» et que, sur un plan culturel, on avait affaire là au «plus important des phénomènes».58 Ses références, en la matière, étaient empruntées à Gobineau59 et Chamberlain, mais aussi à l’Anthropologie politique du darwiniste Ludwig Woltmann.60 La race, écrivait-il en 1908, «est tout ce qui fait office de lien du sang et de l’esprit au sein d’un groupe humain de niveau supérieur».61 Par ailleurs, comme Chamberlain notamment, il souscrivait à l’idée que les races évoluent et ne conservent pas au fil des générations leurs caractères originels à l’état pur.62 Au contraire, il affirmait que «ce n’[était] pas la pureté de la race, mais le mélange des races qui [était] fondateur de valeurs humaines».63 Afin d’étayer ici son point de vue, il se réclamait à la fois de Gobineau et de Chamberlain, de Gobineau à travers la thèse développée par celui-ci sur le mélange de races observable dans les domaines de l’art et de la poésie,64 puis de Chamberlain, dont il citait l’affirmation selon laquelle «l’émergence de races d’exception a[vait] toujours pour origine un métissage»65 entre différents lignages66– sous-entendu sains et relativement proches les uns des autres comme dans le cas de la Prusse.67

Prenant appui sur Chamberlain, Gobineau et Woltmann, Moeller van den Bruck élabora un tableau de l’évolution de l’humanité reposant sur un schéma selon lequel à la base, il existait des «races» – il citait les Indiens (de l’Inde), les Iraniens, les Grecs, les Germains, les Slaves – regroupées en ensembles plus vastes constitués de «race[s]‌ générique[s]» (Grundrasse[n]),68 au nombre desquelles étaient censés figurer les Aryens.

C’est au sein des «races» évoquées plus haut et non pas des «races génériques» qu’émergeaient ensuite selon Moeller van den Bruck les peuples et les nations, profondément différents les uns des autres et dont la confrontation permanente constituait, affirmait-il, le ressort fondamental de l’histoire.69 Sa vision ici était clairement social-darwiniste. Elle reposait sur l’idée selon laquelle les peuples seraient divisés en trois catégories: les «peuples vieux» («alte Völker») – de civilisation latine – les «peuples jeunes» («junge Völker») et les «peuples les plus jeunes» («jüngste Völker»).70 Au sujet des «peuples les plus jeunes» essentiellement en devenir selon lui – Américains et les Russes –, avant 1914, Moeller van den Bruck ne s’exprima pas vraiment. Ses commentaires étaient essentiellement centrés sur l’un des «peuples vieux» – la France –et sur deux «peuples jeunes», la Grande-Bretagne et l’Allemagne.

La France, à l’entendre, était l’archétype même du «peuple vieux» incapable de renouvellement: sa civilisation aurait vécu sa dernière grande époque avec l’art gothique puis aurait périclité ensuite à partir de la Renaissance,71 pour connaître lors de la Révolution un sursaut qui ne se serait cependant traduit par aucune grande réalisation culturelle.72 Même si les jeunes nationalistes comme Maurice Barrès lui paraissaient dignes d’intérêt et de sympathie,73 le contact avec ceux-ci n’avait pas suffi à infléchir son opinion sur la situation dans l’Hexagone.

S’il ne faisait pas de doute en revanche à ses yeux que les peuples germaniques – peuples jeunes par définition – jouissaient d’atouts qui manquaient aux peuples vieux, il faisait un distinguo entre les deux principaux d’entre eux, les Anglais et les Allemands. Les Anglais, à l’en croire, avaient apporté à l’Europe le rationalisme et le modernisme, mais, au XIXe siècle, il leur avait manqué l’élan nécessaire pour transformer la modernisation industrielle en modernité intellectuelle, et, de ce fait, au tournant du XIXe et du XXe siècle, on pouvait juste voir en eux les représentants d’un «germanisme dégénéré en matérialisme»,74 et, en tout cas, ils ne disposaient ni du potentiel ni de la «force intérieure» propres aux Allemands.75 Cette force, tel était son avis, puisait ses racines dans la «libération de l’esprit» due à la Réforme luthérienne, dont le résultat ultime avait été au XIXe siècle la réalisation de l’unité nationale sous l’autorité de Bismarck.76 Mais cette unité, il recommandait à ses compatriotes de n’y voir qu’un prélude au nouveau défi face auquel se trouvait le Reich au début du XXe siècle: «devenir un peuple universel» («Weltvolk»)», qui offrirait «à tous les peuples à travers [sa] culture une culture universelle».77

1.3. Impérialisme

L’idée d’un «peuple universel» dont Moeller van den Bruck se faisait l’interprète était pleinement en phase avec la politique étrangère du Reich depuis les années 1890.78 Conformément aux idées qui avaient cours alors, il envisageait comme horizon de l’évolution du monde un partage de celui-ci entre quatre grands blocs: «le panaméricanisme, le panslavisme, la Grande-Angleterre et la Grande-Allemagne»,79 la France n’étant plus, selon lui, qu’une nation de second rang. Dans la logique de cette vision, il se faisait le promoteur pour le Reich d’un nationalisme aux prétentions impérialistes clairement affichées et reposant sur une «éthique»80 qui privilégiait sans détour la loi du plus fort81 et dont les tenants auraient eu pour vocation de mettre un terme à la domination latine sur le Vieux Continent.82

Même si, avant 1914, il ne doutait pas du potentiel de son pays sur tous les plans, Moeller van den Bruck estimait que, pour devenir le véritable fer de lance de «l’esprit européen», le Reich ne pouvait se satisfaire simplement d’être économiquement et démographiquement la puissance européenne dominante.83 Le défi à relever désormais à ses yeux pour ses compatriotes – en particulier conservateurs – était de se montrer capables de développer un nationalisme qui soit à même d’épouser pleinement la modernité. Ce nationalisme nouveau, selon lui, était indissociablement lié à un projet idéologique et intellectuel qui présentait trois traits caractéristiques: l’abandon de tout esprit patriarcal au profit d’une identification pleine et entière aux courants les plus contemporains;84 l’abandon de la spéculation théorique au profit de l’action;85 et, enfin, l’adhésion à l’idée selon laquelle l’histoire humaine est régie par des lois éternelles «qui sont d’un plus grand poids que les vérités de l’instant, qui sont valides aujourd’hui, mais ne le seront déjà plus demain».86

C’est à ce nouvel état d’esprit pour lequel il militait que Moeller van den Bruck consacra l’article qu’il dédia en 1912 au futurisme et dans lequel se trouvaient déjà esquissés les fondements du «conservatisme révolutionnaire» auquel il allait s’identifier encore plus fortement après 1918 et singulièrement dans Das dritte Reich. Le futurisme l’intéressait au moins autant en tant que manière de se positionner face à la modernité qu’en tant que courant artistique, et c’était sur son exemple qu’il s’appuyait pour souligner quelle voie il fallait choisir pour épouser le mouvement du début du XXe siècle. Cela passait à l’entendre tout d’abord par le rejet du libéralisme, du «relativisme», de l’«utilitarisme», du «scepticisme», du «féminisme» et du «pacifisme» censés caractériser cette idéologie.87 Une fois cette démarche effectuée, ses contemporains, à l’entendre, s’identifieraient à l’état d’esprit dont les futuristes étaient les pionniers:

Résumé des informations

Pages
476
Année de publication
2024
ISBN (PDF)
9783631912102
ISBN (ePUB)
9783631912119
ISBN (Relié)
9783631912096
DOI
10.3726/b21419
Langue
français
Date de parution
2024 (Juillet)
Mots clés
Konservative Revolution deutsche Jungkonservative Ring-Kreis Ideologie der deutschen Rechte Deutschland in der 1920er Jahren
Publié
Berlin, Bruxelles, Chennai, Lausanne, New York, Oxford, 2024. 476 p.
Sécurité des produits
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Notes biographiques

Michel Grunewald (Auteur)

Michel Grunewald est Professeur en études germaniques à l’Université de Lorraine (Metz). Spécialités de recherche : littérature allemande de l’exil, Arthur Moeller van den Bruck, «révolution conservatrice» allemande, Action française, relations franco-allemandes, réception du national-socialisme.

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Titre: Moeller van den Bruck Le troisième Reich