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Pratiques et politiques en petite enfance

Perspectives internationales

de Florence Pirard (Éditeur de volume) Marianne Zogmal (Éditeur de volume) Pascale Garnier (Éditeur de volume)
©2024 Collections 266 Pages

Résumé

Pratiques et politiques entretiennent des liens étroits, même s’ils sont souvent indirects ou peu visibles, voire déniés dans le domaine de la petite enfance, objet d’attentes croissantes et d’enjeux multiples sur la scène internationale. Ce livre collectif s'appuie sur des travaux de chercheuses et chercheurs engagés dans des analyses fondées sur des enquêtes empiriques menées auprès de professionnels, de parents et d'enfants en Belgique, en France, au Québec et en Suisse. Il met en évidence la complexité des liens entre pratiques et politiques selon différentes échelles interdépendantes : dans les micro situations de la vie quotidienne des établissements, dans les dispositifs de formation et d’accompagnement, dans les actions de politiques locales, régionales, nationales et internationales. Ces éclairages multiples et variés, toujours contextualisés, ouvrent un espace de réflexion et de débat pour les professionnels, les formateurs, les cadres et les chercheurs du domaine. Ce livre invite ainsi à porter un regard critique sur des injonctions supposées universelles qui vont à l’encontre des visées de professionnalisation et de développement d’une qualité des services pourtant recherchées.
Avec les contributions de : Diane Bedoin, Anne Sophie Boucher, Catherine Bouve, Xavier Conus, Stéphanie Garcia, Christophe Genette, Marie Housen, Martine Janner Raimondi, Joanne Lehrer, Linda Mitchell, Paul Olry, Nancy Proulx, Élodie Razy, Emmanuela Rémy, Christelle Robert-Mazaye, Anne Lise Ulmann, Michel Vandenbroeck, Élodie Willemsen.

Table des matières

  • Cover
  • Title
  • Copyright
  • About the author
  • About the book
  • This eBook can be cited
  • Table des matières
  • Introduction : La recherche en petite enfance, entre analyse des pratiques et enjeux politiques
  • Première partie Quelles pratiques éducatives face à la « scolarisation » des jeunes enfants?
  • Les pratiques de transition à l’entrée en école maternelle
  • Quelle éducation pour les enfants de 4 ans au Québec ? Une enquête en centre de la petite enfance, garderie privée subventionnée et maternelle 4 ans
  • Les jardins d’enfants : une alternative aux écoles maternelles en débat
  • Le soutien à la parentalité en Suisse : regards de responsables d’associations sur leur rôle vis-à-vis des parents et de l’école
  • Deuxième partie Activité et formation des professionnelles
  • La catégorisation au cœur de l’activité des professionnelles petite enfance
  • La « collectivité » : un enjeu de reconnaissance sociale et politique des professionnelles de la petite enfance
  • Développer les compétences professionnelles pour implémenter un projet d’encouragement du langage : le travail en équipe éducative et la mise en circulation de savoirs
  • Troisième partie Jeux d’échelle : entre « terrains » et politiques locales, nationales, transnationales
  • L’investissement de l’espace extérieur au sein d’une crèche en Belgique francophone : une perspective anthropologique
  • Innovation nationale et traductions locales de politiques petite enfance : l’exemple des maisons d’assistantes maternelles en France
  • La marchandisation des lieux d’éducation et d’accueil de la petite enfance : le langage du choix et des responsabilités parentales

Introduction : La recherche en petite enfance, entre analyse des pratiques et enjeux politiques

Pascale Garnier1, Marianne Zogmal2, Florence Pirard3

Ce livre s’inscrit dans un réseau de collaborations développées depuis plusieurs années entre des chercheuses et chercheurs travaillant dans le domaine de l’éducation et l’accueil des jeunes enfants et de la formation de ses professionnelles4. À partir de différents contextes principalement en Belgique, France, Québec, Suisse, les recherches présentées ici en donnent à voir des réalités à la fois très différentes, mais aussi des questionnements partagés autour de la petite enfance, entendue ici comme la période qui va de la naissance à 6 ans. La diversité des cadres institutionnels témoigne des spécificités de la petite enfance dans chaque pays, y compris les différentes conditions d’exercice de l’activité des professionnelles. Son analyse demande d’interroger non seulement l’expression et le développement des compétences et dynamiques identitaires individuelles et collectives dans les institutions, mais aussi ce qui se trame entre pratiques, politiques et recherches en petite enfance. Dès la conception de cet ouvrage, nos échanges ont fait apparaître la nécessité, sinon l’urgence de prendre du recul sur les contextes et les usages sociaux et politiques des recherches, tant ce domaine paraît commandé aujourd’hui par l’impératif de définir les « bonnes pratiques » à l’égard des tout-petits qui vaudraient universellement. Ce sont bien plutôt les dimensions profondément singulières et contextualisées des pratiques que les chercheuses et chercheurs montrent ici sur leur terrain respectif, non sans partager le souci de mettre en perspective ce qu’elles doivent, peu ou prou, aux enjeux politiques auxquels ces pratiques sont confrontées.

Orienter le regard sur les dimensions politiques des pratiques en petite enfance n’est pas nouveau à proprement parler. On pensera notamment aux travaux anglophones initiés dès les années 1990 (Dahlberg & Moss, 2005, 2012 ; Tobin, 2007), développés au niveau francophone dans le réseau « nouveaux paradigmes » (Brougère & Vandenbroeck, 2007 ; Vandenbroeck, 2021). Mais en quel sens entendre le terme « politique » ? Au pluriel, en tant que « politiques » portant sur l’éducation et l’accueil des jeunes enfants ? Au singulier, pour traiter du « politique », au sens étymologique grec de « polis », ce qui a trait au gouvernement d’une « cité » rassemblant adultes et enfants ? Au singulier encore pour « la politique » ? D’ailleurs, ces différentes acceptions de les/le/la politique(s) ne concernent-elles pas également les pratiques de la recherche en petite enfance ? La recherche n’est-elle pas elle-même, bon gré ou mal gré, directement ou non, partie prenante et prise dans ces rapports entre politique(s) et pratiques ? Ainsi, tout en mettant l’accent sur l’analyse des pratiques d’éducation et d’accueil des jeunes enfants qui restent trop souvent dans l’ombre des discours (Ulmann & Garnier, 2020 ; Pirard, 2021), il importe, dans cette introduction, d’expliciter quelques-uns des enjeux politiques où sont pris les acteurs. Ces enjeux touchent également les rôles et les places des chercheuses et des chercheurs qui ont à faire œuvre de réflexivité vis-à-vis des attendus des travaux scientifiques et de leur contexte sociopolitique.

Les politiques petite enfance comme « investissements d’avenir »

Une brève perspective historique nous permet de saisir d’emblée la portée politique de toute forme d’attention portée aux jeunes enfants : agir sur/dès la petite enfance, c’est viser la société de demain, en faire l’objet d’investissements pour le futur, à la fois publics, familiaux et marchands. La création des tout premiers établissements destinés aux jeunes enfants au XIXe siècle est ainsi étroitement liée à des préoccupations natalistes et moralisatrices à l’égard des familles laborieuses : « un pari sur l’enfant pauvre » (Bouve, 2010). Leur extension aux familles aisées au cours du XXe siècle garde cette perspective productive, en mettant au premier plan l’objectif d’une conciliation entre vie familiale et vie professionnelle des mères, mais aussi l’importance d’une éducation dès le plus jeune âge. Progressivement, l’accueil de la petite enfance s’est vu investi par de multiples politiques : politiques de l’emploi et de la formation, politiques d’égalité femmes-hommes, politique de lutte contre les exclusions et la pauvreté, politiques d’insertion sociale et culturelle des familles, ou encore pour l’attractivité des territoires, sans oublier toutes les politiques de protection de l’enfance et de développement des jeunes enfants. Au fil du temps, l’investissement dans la petite enfance va également se conjuguer au présent, à mesure que les enfants sont pensés comme sujets de droits et dotés de capacités qui leur sont propres dès le plus jeune âge. Mais l’attention portée à l’avenir que les enfants représentent ne s’efface pas pour autant. Loin de pouvoir être définie une bonne fois pour toute, la petite enfance fait l’objet de différentes conceptions, plus que jamais en débat (Garnier, 1995).

Si la continuité historique de ces investissements sur la petite enfance constitue le fait premier, il faut aussi penser aux ruptures que présente notre époque. Dans le contexte international contemporain, on peut caractériser aujourd’hui cette attention portée à la petite enfance comme un processus « glocal » (Faas & Wasmuth, 2019). Au-delà de ses différentes acceptions, nous définirons la glocalisation, ce néologisme apparu dans les années 1990–91, comme « réfraction de la globalisation dans le local » (Roudometof, 2021, p. 63)5. Elle conjugue, d’une part, une internationalisation des transformations de l’éducation et de l’accueil des jeunes enfants, notamment comme investissement économique et social, et d’autre part, des déclinaisons particulières aux niveaux national et local en fonction des spécificités des contextes et des acteurs. Ainsi, l’importance de préparer les enfants à leur future scolarisation dès le plus jeune âge est devenu un mot d’ordre planétaire, même si chaque pays le traduit selon les particularités culturelles et organisationnelles de son propre système éducatif. Si l’emprise de l’école sur les différenciations sociales est générale, via notamment le rôle croissant des diplômes scolaires dans l’insertion sociale et professionnelle des nouvelles générations, elle n’a pas la même ampleur et les mêmes conséquences selon les pays (Dubet et al., 2010). En tout cas, l’objectif de prévenir des échecs scolaires précoces, souvent cumulatifs, met aujourd’hui l’accent sur la petite enfance. Au niveau éducatif, les finalités s’expriment souvent à travers les mêmes mots d’ordre : autonomie, socialisation, adaptabilité, etc., même si là encore leurs significations varient selon les pays et, à l’intérieur de chacun, selon les milieux sociaux et culturels.

Dans les discours des décideurs politiques, un tel « investissement » dans la petite enfance devrait conduire à une meilleure égalité des chances pour tous les enfants. Mais de quelles conceptions de l’égalité des chances s’agit-il ? Comment cela se traduit-il dans les pratiques effectives ? On peut souligner ici une double orientation des transformations : d’un côté, la visée d’une « rentabilité » des investissements consacrés aux familles dites « vulnérables » ; de l’autre, le souci d’une « efficacité » des investissements familiaux dans les processus de reproduction sociale des classes dominantes. Au-delà d’une individualisation des problèmes sociaux, un « séparatisme social » croissant fracture les sociétés. Par exemple, les termes utilisés en Suisse permettent d’illustrer cette double polarité des politiques de la petite enfance : la « conciliation entre vie familiale et vie professionnelle » constitue l’objectif des offres d’éducation et d’accueil (crèches, etc.) pour les enfants des familles qui travaillent, tandis que « l’encouragement précoce » (dispositif d’intervention précoce pour le langage, soutien à la parentalité, préparation à l’entrée à l’école, etc.) offre des prestations pour les enfants issus de la migration, à besoins éducatifs particuliers ou issus de contextes socio-économiques dits « vulnérables ». L’ensemble des démarches vise une meilleure égalité des chances, mais instaure, de fait, une ségrégation des publics qui va de pair avec des inégalités sociales croissantes.

Des politiques petite enfance aux pratiques de recherche

Face à la dualité des politiques petite enfance, différenciées socialement, il y a selon nous urgence à penser « le politique », au sein même des recherches. Le politique, au sens de « polis », ne se confond pas avec le pouvoir ou les rapports de domination, ni avec un militantisme particulier. Il traite des visions d’un « monde commun » dont l’enjeu est celui-là même d’une « éducation pour tous », d’une perspective à la fois inclusive, coéducative et participative. Si elles sont nécessairement en rapport avec des valeurs, les recherches réunies ici ne se confondent pas avec des jugements de valeur qui promeuvent, ou au contraire condamnent, telles ou telles pratiques. Un rapport aux valeurs est incontournable, y compris au sein des recherches : le fait même d’étudier l’éducation et l’accueil des jeunes enfants pose ce domaine d’étude comme digne d’être analysé, il en légitime l’importance. Selon Max Weber (2003, p. 90) : « il n’existe pas de science entièrement exempte de présuppositions et aucune science ne peut apporter la preuve de sa valeur à qui rejette ses présuppositions ».

De nombreuses attentes politiques et sociales pèsent très clairement sur des recherches en petite enfance dites « top-down », qui conçoivent les pratiques comme terrain d’application de savoirs scientifiques à prétention universelle, que ces savoirs portent sur les enfants eux-mêmes ou sur les pratiques éducatives. Certaines références savantes sont ainsi devenues incontournables dans les discours justifiant l’importance des apprentissages formels dès le plus jeune âge : plasticité cérébrale, fonctions d’exécution, attachement, etc. Dans ce type d’approche scientifique à visée universelle, d’autres travaux expérimentaux cherchent à mettre en évidence des pratiques éducatives optimales fondées sur des données probantes. D’autres encore s’efforcent de calculer les facteurs de risques auxquels sont exposés les enfants de par leur milieu familial, un « déterminisme parental » où se conjuguent facteurs innés et conditions de vie (Martin & Leloup, 2020). De fait, si la petite enfance est bien un formidable objet d’investissements, elle est aussi le terrain exemplaire d’une « société du risque » (Beck, 2001). C’est ainsi une certaine vision du monde que ce type de recherche véhicule : celle d’une société « technocratique » où des experts travaillent pour le bien des familles, des enfants en particulier, définissent des programmes ou des dispositifs pour eux, mais aussi à leur place et en leur nom. Le travail scientifique entend ainsi directement informer, voire déterminer, des orientations politiques incarnées dans des pratiques. Il n’est pas rare que cette perspective dénie ses dimensions politiques, en se réclamant d’une expertise basée sur la seule satisfaction des besoins commandés par le bon développement des jeunes enfants. L’absence, parfois revendiquée, du fait « politique » dans ce domaine n’est-elle pas l’expression d’une politique qui ne dit pas son nom ?

Disons-le d’emblée : les recherches en petite enfance présentées dans cet ouvrage ne s’inscrivent pas dans ce paradigme de recherches à finalité prescriptive. Dans quels sens peut-on dire qu’elles ont pourtant trait au(x) politique(s) ? Comment trouvent-elles des « politiques » ou du « politique » en chemin ? Plusieurs perspectives sont possibles, nullement exclusives l’une de l’autre, comme le montreront les différents chapitres de cet ouvrage.

La voie la plus explicite est de prendre directement des politiques petite enfance pour objet d’étude, qu’il s’agisse de leur conception, leur mise en œuvre sur leur terrain, leur évaluation. Dans cette perspective, il s’agit d’être attentif à la variabilité des échelles où elles se déploient : « micro », dans le quotidien des établissements, « macro », au niveau national et international, mais aussi « méso », niveau intermédiaire des politiques locales, régionales ou cantonales. L’organisation territoriale des politiques publiques se joue, selon les pays, au sein d’espaces pluriels, souvent fortement marqués par des inégalités territoriales. D’une autre manière, les recherches peuvent être prises par des politiques selon un double mouvement. D’une part, à travers la mise à l’agenda des thématiques de recherches en fonction de l’évolution des politiques petite enfance, comme c’est le cas quand une nouvelle réglementation, un nouveau dispositif d’intervention ou d’accueil des jeunes enfants est mis en place. D’autre part, à travers l’accompagnement des pistes de transformations mises en œuvre à partir des recherches. L’explicitation des rapports entre un éventuel commanditaire ou financeur, de l’agenda politique dans lequel s’inscrit la recherche fait partie d‘une nécessaire contextualisation de ses enjeux. Au reste, le cadre institutionnel des recherches peut les orienter, de manière plus ou moins souple, vers tel ou tel objet, telle ou telle question vive, comme celle de la professionnalisation des personnels de la petite enfance. En effet, le niveau et l’orientation des formations initiales, les temps reconnus de travail en dehors de la présence des enfants et les possibilités et modalités de formation continue font actuellement débat dans les différents contextes nationaux.

Résumé des informations

Pages
266
Année
2024
ISBN (PDF)
9782875749635
ISBN (ePUB)
9782875749642
ISBN (Broché)
9782875749628
DOI
10.3726/b21319
Langue
français
Date de parution
2024 (Janvier)
Mots clés
Petite enfance politique pratiques professionnelles éducation formation
Published
Bruxelles, Berlin, Bern, New York, Oxford, Warszawa, Wien, 2024. 266 p., 2 ill. n/b, 5 tabl.

Notes biographiques

Florence Pirard (Éditeur de volume) Marianne Zogmal (Éditeur de volume) Pascale Garnier (Éditeur de volume)

Florence Pirard est professeure en sciences de l’éducation à l’Université de Liège en Belgique, membre de l’unité de recherche RUCHE (Research Unit for a life-Course perspective on Health and Education). Elle mène des recherches et intervient dans le domaine de l’accueil et de l’éducation des jeunes enfants depuis plus de trente ans en portant une attention particulière aux enjeux de professionnalisation et de qualité de services. Ses démarches participatives impliquent professionnels des services, de la formation et responsables politico-administratifs. Marianne Zogmal est collaboratrice scientifique en sciences de l’éducation à l’Université de Genève en Suisse. Dans le cadre de l’équipe Interaction & Formation, ses travaux de recherche concernent la formation professionnelle dans les champs de l’éducation de l’enfance, du travail social et la santé. Ses intérêts portent sur les liens entre interactions, travail et formation et sur les apports d’une perspective interactionnelle pour la formation professionnelle des éducatrices et éducateurs de l’enfance. Pascale Garnier est sociologue, professeure en sciences de l’éducation, membre du laboratoire Experice (Expérience, ressources culturelles, éducation), co-responsable du master Métiers de la petite enfance, à l’université Sorbonne Paris Nord. Ses recherches portent sur les politiques relatives à la petite enfance et l’école maternelle, les pratiques éducatives du point de vue des professionnels, des jeunes enfants et de leur famille, en lien avec les territoires.

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Titre: Pratiques et politiques en petite enfance