L’évaluation des compétences professionnelles
Une mise à l’épreuve expérimentale des notions et présupposés théoriques sous-jacents
Résumé
Extrait
Table des matières
- Couverture
- Titre
- Copyright
- À propos de l’auteur
- À propos du livre
- Pour référencer cet eBook
- Table des matières
- Introduction
- Evaluation et compétence: émergence d’un projet
- Quelques mots sur la bureautique comme domaine professionnel investigué
- Une texte qui décrit le cheminement d’une réflexion scientifique
- Structure de l’ouvrage
- Chapitre 1
- Vers Une Evaluation Valide Et Praticable Des Competences Professionnelles
- Emergence de la notion de compétence en regard des exigences du marché de l’emploi
- Définition de la notion de compétence: des enjeux pour répondre aux exigences
- Implications des enjeux de performance et de transférabilité en termes de validité de l’évaluation de compétences professionnelles
- Vers une validation expérimentale de la méthodologie de la réflexivité garante de la transférabilité (MRGT)
- Des situations complexes et inédites pour évaluer les compétences?
- La notion de famille de situations pour préciser les idées de complexité et d’inédit liées à la notion de compétence
- Une première délimitation de ce qui attendu quand il est question de discours réflexif
- Une autre définition de la compétence en guise de synthèse
- Chapitre 2
- A Propos De L’objectivité Du Regroupement De Situations En Familles
- En quoi le regroupement de situations en familles peut-il être subjectif?
- Un regroupement subjectif de situations en familles: comment mettre l’hypothèse à l’épreuve?
- Les familles de situations: un processus complexe de jugement
- Chapitre 3
- Les Perspectives Ouvertes Par La Didactique Professionnelle
- Définition, préoccupations et développement de la didactique professionnelle
- L’activité au centre des travaux menés en didactique professionnelle
- La théorie de la conceptualisation pour comprendre l’activité
- Concepts pragmatiques, concepts organisateurs et structure conceptuelle d’une situation
- Etudier les modèles opératifs de professionnels chevronnés pour dégager la structure conceptuelle des situations
- Activité efficace, conceptualisation et discours réflexive
- Relations avec d’autres concepts et cadres théoriques
- Chapitre 4
- Dispositif Experimental, Outils Et Methodes
- Description générale du dispositif
- Les tâches
- L’entretien
- Le test sur la maîtrise des outils techniques
- Les questions contextuelles et les questions sur les difficultés de verbalisation
- Chapitre 5
- Que Contiennent Les Explicitations? Comment Sont Justifiees Les Actions?
- Que contiennent les explicitations (description du codage)?
- Quelles sont les règles d’action verbalisées?
- Comment les sujets justifient leur activité en situation (discussion)
- Chapitre 6
- Quel Lien Entre Performance Et Conceptualisation?
- Approche quantitative, niveau global de l’activité
- Approche qualitative, niveau des actions particulières
- Chapitre 7
- Approfondissement Et Validation Des Observations Et Résultats Auprès De Secrétaires Expérimentées
- Méthodologie de recueil d’informations et secrétaires rencontrées
- Comment peut-on situer les performances et les types des justifications des secrétaires par rapport à ce qui a été observé chez les stagiaires en formation?
- Quels critères les secrétaires disent-elles utiliser pour déterminer que les choix qui guident leurs actions sont les bons?
- Sur la base de quels éléments les secrétaires disent-elles organiser leur travail, leur activité?
- Quelle importance et quelle utilité pour l’action les secrétaires attribuent-elles aux postures et préoccupations?
- Discussion Generale
- Quelle validation de la méthodologie de la réflexivité garante de la transférabilité?
- Quid des postures et des préoccupations? Dans quel(s) cadre(s) théorique(s) les inscrire?
- References Bibliographiques
- Annexe 1
- Description des situations utilisées dans le cadre de l’expérimentation sur le regroupement de situations en familles
- Annexe 2
- Test de familiarité à Word administré dans le cadre de l’expérimentation sur le regroupement de situations en familles
- Annexe 3
- Exemples de profils de conceptualisation: profil «moyen» et profil du sujet 24
«Vous savez, les idées elles sont dans l’air. Il suffit que quelqu’un vous en parle de trop près, pour que vous les attrapiez!»
(Raymond Devos, humoriste)
EVALUATION ET COMPÉTENCE: ÉMERGENCE D’UN PROJET
Evaluer est un acte exigeant. Dans son précis de docimologie, de Landsheere (1992) insiste sur le fait qu’évaluer les individus ne peut se faire qu’en recourant à des épreuves fiables corrigées de manière tout aussi fiable. Il s’agit de justice: souvent, une évaluation a un impact important sur l’avenir des évalués. Or, comme le montre de Landsheere, il n’est pas rare que des procédures mobilisées pour évaluer soient entachées d’imperfections parfois graves. Les constats de nombreuses expériences sur les biais de l’évaluation sont sans appel: la note obtenue (et la décision d’échec ou de réussite qui s’ensuit) varie souvent selon les correcteurs et varie même dans le temps pour un même correcteur. Ce qu’on appelle la fidélité d’une évaluation, caractéristique clé de sa fiabilité, ne va pas de soi.
Dans son ouvrage, de Landsheere met bien en évidence qu’une évaluation fidèle nécessite des exigences méthodologiques conséquentes. Mais au-delà de cette caractéristique déjà essentielle qu’est la fidélité, de Landsheere insiste sur une autre caractéristique de la fiabilité d’une évaluation: sa validité. Il écrit:
La fidélité d’un examen ne garantit en rien sa validité. Un mètre mal construit, qui mesurerait cinq centimètres de trop, indiquerait la même longueur à chaque mesure, mais conduirait néanmoins à une conclusion fausse. (De Landsheere, 1992, p. 198)
Cette métaphore est efficace pour faire comprendre qu’une évaluation juste est non seulement fidèle, mais aussi valide: elle évalue vraiment ce qu’elle se propose d’évaluer. ← 1 | 2 →
C’est une question de validité qui est au cœur des travaux présentés ici. La finalité dans laquelle s’inscrivent nos recherches est l’élaboration d’un modèle valide d’évaluation des compétences: comment mettre au point une évaluation qui mesure vraiment des compétences?
En Fédération Wallonie-Bruxelles, la notion de compétence est restée relativement floue jusqu’à la fin des années 1990. Bien que de nombreux pédagogues, praticiens et théoriciens s’accordaient à y voir l’intention de dépassement de «savoirs morts» et l’idée de transversalité, il était difficile de dégager une définition claire et consensuelle. Par ailleurs, la notion elle-même ne semblait pas constituer un objet de questionnement scientifique privilégié. Le mot compétence était certes utilisé dans les discours et textes pédagogiques, mais ceux qui l’utilisaient ne semblaient pas ou peu éprouver la nécessité de le définir pour pouvoir en parler.
Au début des années 2000, on a vu émerger en Fédération Wallonie-Bruxelles un questionnement spécifique à ces fameuses compétences: la notion elle-même devenait l’objet d’une réflexion scientifique. Un évènement que nous considérons comme emblématique de cette émergence est sans doute la communication de Stroobants et Vanheerswynghels (2000) au premier congrès des chercheurs belges en éducation. Le ton des débats entre ces sociologues de l’Université Libre de Bruxelles et l’auditoire avait été particulièrement virulent. Dans leur exposé qui ne manquait pas d’ironie, Stroobants et Vanheerswynghels se disaient frappées d’observer une convergence entre les valeurs pédagogiques attribuées à la notion de compétence et «les besoins de l’économie tels qu’ils s’expriment par la voix des employeurs» (2000, p. 2). Elles regrettaient que la valeur des diplômes soit contestée par cette notion. Elles regrettaient également que l’on oppose les compétences à la «simple» transmission de savoirs. Justement pour elles, transmettre des savoirs n’était ni «simple», ni désuet. Enfin, elles tenaient les propos suivants:
A en juger par le succès généralisé de cette notion de compétence, on finirait par croire qu’une science nouvelle serait capable de dire comment s’acquièrent, se forment, se transforment et se transfèrent ces compétences. Or, il faut bien admettre que la notion reste floue, polysémique, se prêtant à de nombreuses définitions et de multiples modèles. (Stroobants et Vanheerswynghels, 2000, p. 2)
En l’absence de mode d’emploi, la voie est ouverte à toutes sortes d’improvisation. L’expérience la plus surprenante est celle du répertoire opérationnel des métiers et des emplois (Agence Nationale pour l’Emploi, 1993). Les chances de mobilité y sont représentées non pas à partir des mouvements ← 2 | 3 → effectivement observés, mais à partir de critères «cognitifs» présumés transversaux. Les trajectoires sont littéralement inventées, abstraction faite de tous les paramètres qui organisent les marchés du travail. (ibid.)
Les débats qui avaient suivi la communication avaient été très enflammés et avaient occupé une grande part de la suite du congrès. Certains participants s’amusaient et «taquinaient» d’autres qui défendaient la compétence: dans la lignée de l’intervention de Stroobants et Vanheerswynghels, les premiers demandaient aux seconds de définir clairement la notion de compétence. Peu de chercheurs y parvenaient sans se «réfugier» derrière les définitions reprises dans les textes officiels. Manifestement, la notion ne constituait une évidence pour personne.
Parallèlement à ces questions autour de la notion de compétence, les années 2000 ont vu émerger en Fédération Wallonie-Bruxelles, un autre débat se rapportant davantage à la logique sous-jacente à la compétence. A cette période, on commençait à évoquer la mise sur pied d’un dispositif de validation de compétences en Fédération Wallonie-Bruxelles. Ce dispositif permettrait de délivrer des titres de compétences à tout qui se prêterait au jeu de l’évaluation avec succès. Des travaux tels que ceux présentés par Gérard Vergnaud (2002a) lors de l’Université d’Eté 2002 du Centre Interfacultaire de Formation des Enseignants de l’Université de Liège contribuaient parfois à alimenter ces débats.
Lors de son intervention, Vergnaud avait rapporté une expérience vécue lors de la réorganisation d’un abattoir. Dans cette entreprise, le poste d’une personne chargée d’amener les porcs «à l’échafaud» avait été considéré comme superflu et supprimé. Suite à la réorganisation, la qualité de la viande s’était dégradée. En tentant de comprendre les causes de cette perte de qualité, il a été constaté que «l’homme au bâton» faisait abattre en premier les porcs les plus stressés, ce qui permettait de produire une viande plus tendre. Selon Vergnaud, «l’homme au bâton» avait une activité importante organisée sur la base d’indices relatifs au comportement des porcs, indices qu’il avait appris à repérer au fil du temps et qu’il pouvait difficilement expliciter. Bien qu’il n’ait pas vraiment de diplôme, «l’homme au bâton» détenait des compétences cruciales pour l’abattoir, mais difficilement transmissibles.
Lors de échanges qui avaient suivi cette conférence de Vergnaud, il avait été évoqué qu’à plus ou moins long terme (peut-être 50 ans), les compétences effectives des personnes allaient sans doute être appelées à se substituer aux diplômes. Bien sûr, les diplômes continueraient ← 3 | 4 → d’exister, mais sous la forme de portefeuilles de compétences. cependant, un individu pourrait développer et enrichir son portefeuille de compétences par d’autres biais qu’un enseignement formel: l’expérience par exemple. En cela, la logique du portefeuille de compétences et celle du diplôme étaient véritablement antagonistes.
Les inquiétudes soulevées par ces considérations, mais aussi et surtout de manière plus générale par la logique de la compétence étaient perceptibles chez certains chercheurs en éducation et en sociologie, mais aussi dans les organismes et structures concernés par la formation professionnelle et auprès des organisations syndicales: pouvait-on, par le bais de cette logique, faire perdre leur statut aux diplômes des personnes ayant pris la peine de suivre et maîtriser un enseignement certainement plus «exigeant»que l’expérience?
C’est dans ce contexte que nous avons débuté nos travaux de recherche: la notion de compétence suscitait de nombreuses interrogations, tantôt sur sa signification exacte, tantôt sur la logique et les dispositifs de validation qui semblaient l’accompagner. Un projet visant à mener une réflexion scientifique quant à un modèle valide d’évaluation des compétences apparaissait pour le moins légitime et souhaitable. C’est le fruit de cette réflexion qui est présenté ici.
QUELQUES MOTS SUR LA BUREAUTIQUE COMME DOMAINE PROFESSIONNEL INVESTIGUÉ
Les travaux présentés dans cet ouvrage ont pu être réalisés grâce à un projet plus général financé par le Fond Social Européen et la Région Wallonne: le projet PANTIC (Pédagogie Adaptée aux Nouvelles Technologies de l’Information et de la Communication). L’objectif principal de ce projet était de construire des outils d’apprentissage et d’évaluation à destination des opérateurs de formation qualifiante dans le domaine de l’informatique, et plus particulièrement de la bureautique. Le développement de tels outils pouvait justifier qu’une partie du temps affecté au projet soit consacrée à la réalisation d’études plus «fondamentales» sur l’évaluation des compétences.
En 2001, le projet PANTIC avait permis de réaliser, d’une part, une étude des besoins des opérateurs en termes d’outils d’enseignement et d’évaluation de l’informatique, d’autre part, une enquête sur les tâches sollicitées en entreprise dans le domaine de la bureautique. Ces investi ← 4 | 5 → gations avaient montré qu’il existait un écart important entre les exercices utilisés en formation et ce qui était demandé dans le milieu du travail. Alors qu’en entreprise, l’informatique était vue comme un moyen de réaliser des tâches professionnelles, en formation, elle était vue comme une fin en soi, éventuellement enseignée au moyen de tâches professionnelles dénaturées, morcelées, guidées pas à pas. Tout ceci donnait sa légitimité au fait de mener une réflexion scientifique sur les compétences professionnelles dans l’utilisation des logiciels bureautiques.
De tels travaux étaient d’autant plus légitimes qu’il en existait relativement peu dans le domaine. C’est ce que constate Bernard André, qui a consacré une thèse de doctorat à l’utilisation et la formation au traitement de texte, en particulier sur les difficultés d’apprentissage. Dans le cadre de la revue de la littérature de recherche qu’il a réalisée, il a été amené à consulter les travaux de Lévy, en particulier sa thèse de doctorat (1990), première thèse francophone portant sur la formation au traitement de texte. Bien qu’elle soit considérée comme une «étude datée du fait de l’évolution technique et économique du matériel» (André, 2006, p. 68), cette thèse «reste d’actualité» (p. 36). André écrit que «l’analyse de la bibliographie [de cette thèse] laisse supposer qu’il y a peu de travaux sur les difficultés liées à l’apprentissage du traitement de texte entre 1982 et 1990» (p. 36). Dans la conclusion de sa revue de la littérature, André explique que «les thèses et travaux de recherche que nous avons trouvés sur les difficultés des utilisateurs dans le cadre d’un enseignement sont peu nombreux» (p. 74). Les résultats de sa revue de la littérature «opposent quelques chercheurs et auteurs qui constatent la difficulté à utiliser un traitement de texte à de nombreux auteurs qui ne voient dans ce logiciel qu’un outil qui nécessite peu d’apprentissage» (p. 75). Enfin, André explique que «les rares travaux de recherche sur la formation à l’usage du traitement de texte sont problématisés autour du couple utilisateur/progiciel. Cette centration sur l’utilisateur ne laisse pas de place à la finalité de ce couple qui est de donner un document à lire à un lecteur humain» (p. 120).
Parmi les conclusions qui seront dégagées à la fin de cet ouvrage, certaines seront sans doute spécifiques au domaine de l’utilisation professionnelle du traitement de texte. Cependant, des constats plus généraux pourront aussi dépasser ce cadre strict. Il faudra être attentif à cet aspect des choses dans la discussion générale. ← 5 | 6 →
UNE TEXTE QUI DÉCRIT LE CHEMINEMENT D’UNE RÉFLEXION SCIENTIFIQUE
Au-delà de la présentation de résultats obtenus lors d’expérimentations menées avec un cadre théorique défini, l’intention du présent ouvrage est de donner à voir le cheminement d’une pensée qui se tisse, se construit, se tricote, doute, évolue pour finalement prendre forme et se stabiliser provisoirement.
Résumé des informations
- Pages
- VIII, 347
- Année de publication
- 2015
- ISBN (ePUB)
- 9783035193435
- ISBN (PDF)
- 9783035203080
- ISBN (MOBI)
- 9783035193428
- ISBN (Broché)
- 9783034316682
- DOI
- 10.3726/978-3-0352-0308-0
- Langue
- français
- Date de parution
- 2015 (Mars)
- Mots clés
- Famille de situations Réflexivité Performance individuelle Didactique
- Published
- Bern, Berlin, Bruxelles, Frankfurt am Main, New York, Oxford, Wien, 2015. 356 p.