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Comprendre/Transformer

de Joris Thievenaz (Éditeur de volume) Jean-Marie Barbier (Éditeur de volume) Frédéric Saussez (Éditeur de volume)
©2020 Collections VIII, 284 Pages
Série: Exploration, Volume 189

Résumé

Lorsque la recherche se donne des objets d’étude correspondant à des activités humaines, comme c'est le cas en éducation et formation, elle est de fait confrontée au défi qui consiste à rendre compte du réel et à agir sur lui. Cette question intéresse toutes les sciences humaines et sociales (SHS) qui ont pour objet le travail que la société fait sur elle-même pour se maintenir/se transformer. Comment rendre compte des rapports entre activités de compréhension et de transformation du monde, qui traversent et structurent la recherche, sans les enfermer dans des rapports d’opposition ou de disjonction ? Comment cette tension se manifeste-t-elle et comment est-il possible au chercheur de s’en emparer et de se positionner vis-à-vis d’elle ? Cet ouvrage propose d’apporter un nouvel éclairage à cette question à la fois épistémologique, théorique et méthodologique, en réunissant diverses contributions ayant en commun d’interroger les rapports de continuité entre comprendre et transformer. Il est pour cela organisé en trois parties.
La première concerne l'analyse des activités. Elle interroge dans quelle mesure il est possible de transformer les outils traditionnellement mobilisés en outils d'approche de l'activité comme transformation et en transformation. La deuxième a trait aux rapports en-acte qu'entretiennent la formation/accompagnement et la recherche : elle concerne toutes les situations de recouvrement entre champs de recherche, champs de pratiques, et champs de formation. La troisième a trait à l'organisation sociale de l'enseignement supérieur au regard de l'opposition comprendre/transformer ; elle concerne la structuration d'un champ disciplinaire particulièrement porteur de ces enjeux : le champ des sciences de l’éducation.
Cet ouvrage collectif se présente ainsi comme une invitation à d’autres explorations d’une question qui dépasse singulièrement le périmètre de l’éducation et qui concerne plus largement cultures de pensée et cultures d’action.

Table des matières

  • Couverture
  • Titre
  • Copyright
  • À propos des directeurs de la publication
  • À propos du livre
  • Pour référencer cet eBook
  • Table des matières
  • Introduction générale
  • Partie 1 Enjeux pour les analyses de l’activité
  • Chapitre 1 La transformation continue par les sujets des rapports qu’ils établissent avec/entre les composantes de leur activité (Jean-Marie Barbier)
  • Chapitre 2 La fonction mobilisatrice de concepts du champ de la recherche : transformations d’habitudes de vie en relation avec l’usage d’un carnet ethnographique (Jérôme Guérin)
  • Chapitre 3 Entre sémantique de l’action et sémantique d’intelligibilité des actions : questions pour esquisser une posture de recherche impliquée (Frédéric Saussez / Isabelle Rioux et Catherine Pilon)
  • Partie 2 Enjeux de formation et d’accompagnement dans leurs relations à la recherche
  • Chapitre 4 Élaborer une « attitude d’enquête » (Joris Thievenaz)
  • Chapitre 5 Conception de formation centrée sur l’activité : élaborer une conduite de projet intégrant le travail des concepteurs (Christine Vidal-Gomel)
  • Chapitre 6 Comprendre les situations professionnelles des enseignants pour concevoir des environnements numériques d’aide à leur transformation : le programme technologique Néopass© (Luc Ria)
  • Chapitre 7 Apprentissage du métier d’enseignant : les verbalisations sur l’activité de travail comme outil de formation (Eliane Lousada)
  • Chapitre 8 Analyse des transitions entre les deux registres de significations : le processus de distanciation réalisé par des étudiants adultes en formation (Luc Albarello)
  • Partie 3 Enjeux dans la structuration par les champs disciplinaires
  • Chapitre 9 Sciences de l’éducation et de la formation. Entre pertinence sociale et pertinence scientifique (Rita Hofstetter et Bernard Schneuwly)
  • Chapitre 10 Travail d’intelligibilité et transversalisation des pratiques professionnelles dans les métiers du prendre soin (Yves Couturier)
  • Chapitre 11 Une tension structurante entre épistémè et praxis : différenciations et processus transversaux (Brigitte Albero)
  • Titres de la collection

Introduction générale

Lorsque la recherche se donne des objets correspondant à des champs de pratiques, comme c’est le cas de la recherche en éducation, elle se trouve de fait confrontée aux rapports entre comprendre et transformer : rendre compte du réel n’est pas dissocié d’agir sur lui et cet agir est lui-même objet de recherche. Analyser se fait toujours « en vue de », « dans le souci de », ou participe à cette transformation. Si comprendre et transformer sont distingués, ils ne sont jamais séparés.

Cette question intéresse toutes les Sciences humaines et sociales (SHS) : elles ont pour objet le travail que la société fait sur elle-même pour se maintenir/se transformer.

Les réponses qui y sont apportées sont marquées par le maintien de dichotomies :

Dichotomie entre sciences de la nature et sciences de l’homme dans le cas de la distinction entre expliquer et comprendre de Dilthey : « Nous expliquons la nature, la vie de l’âme, nous la comprenons » (1894/1947, p. 149). À la différence de la rationalité explicative sur laquelle se fondent le modèle expérimental et les sciences « exactes », la posture compréhensive ou herméneutique implique un lien indéfectible entre celui qui observe et son objet.

Dichotomie entre connaissances scientifiques en sciences sociales et connaissances quotidiennes chez Schütz, qui distingue objets de pensée construits par le chercheur et formes de pensée mobilisées par l’humain dans sa vie quotidienne, et qui introduit la notion de construction au second degré : « Les constructions en sciences sociales sont, pour ainsi dire, des constructions du second degré, ←1 | 2→c’est-à-dire des constructions de constructions faites par les acteurs sur la scène sociale » (Schütz, 1987/2008, p. 79).

Rupture chez Bachelard, pour qui faire de la science implique de s’écarter du sens commun, lui qui écrit par ailleurs de stimulants ouvrages sur l’imaginaire. Apprendre et connaître supposeraient d’opérer une prise de distance avec les croyances, les habitudes et les cadres de pensée ordinaires pour parvenir à une nouvelle forme de rationalité : « Une psychanalyse de la connaissance objective doit rompre avec les considérations pragmatiques » (Bachelard, 1934, p. 108). Pour comprendre il conviendrait de s’écarter du domaine de l’agir dans une sorte de destruction positive des pré-notions et des pré-construits enracinés dans le « sens commun » et s’imposant clandestinement au chercheur.

Dans leur volonté de prendre de la distance avec les concepts spontanés et les croyances, bon nombre de courants de recherche en Sciences humaines ont ainsi fondé leur propos sur un postulat de discontinuité avec le domaine de l’agir et de la transformation du monde.

Peut-on penser autrement les rapports entre comprendre et transformer ? Peut-on les envisager en dehors d’une vision séquentialiste, dichotomique de valorisation/dévalorisation d’une activité au détriment de l’autre, alors même qu’ils sont présentés par ailleurs comme en complémentarité ? L’attitude dominante donnant le primat de la théorie sur la pratique, ou l’inverse selon les contextes, ce qui dans les deux cas confirme la dépendance par rapport à un schème de pensée, peut-elle être dépassée ? Représentatif de l’héritage de pensée grec, Héraclite n’affirmait-il pas que ce qui s’oppose coopère ?

Ces oppositions ne sont-elles pas davantage des modes de pensée que des objets pour la pensée ? Ne jouent-elles pas d’autres fonctions sociales ?

Ces questions sont bien sûr particulièrement vives dans les débats en éducation et formation. Celles-ci sont en effet censées avoir toutes entières pour mission de préparer à la transformation du monde, et leurs lexiques sont saturés par cette distinction/opposition. Elles ont eu d’ailleurs un écho dans nombre de rencontres du Réseau en éducation et Formation (REF), précédant celle qui a donné lieu à l’élaboration de ce livre, et portant notamment sur l’analyse des activités.

Pour mieux situer les rapports entre comprendre et transformer, peut-être convient-il d’opérer au préalable une distinction entre action ←2 | 3→et activité. Les actions sont des organisations d’activités ordonnées par les sujets autour d’unités d’usage, de sens ou de signification. L’activité peut-elle être définie comme l’ensemble des processus de transformation du monde dans lesquels s’engagent en même temps les mêmes sujets.

Les actions de compréhension/analyse sont ordonnées autour d’intentions d’établissement de corrélations mentales/discursives entre des phénomènes préalablement identifiés et autonomisés. Elles présupposent des représentations/énoncés relatifs à des existants ; elles ont pour produits des représentations ou énoncés de liens de survenance entre ces existants. On tend à parler de corrélations. Les actions de compréhension ou d’analyse recourent à des sémantiques et à des lexiques d’intelligibilité, évoqués par plusieurs auteurs à partir d’une distinction faite par Barbier entre sémantique de l’action et sémantique de l’intelligibilité (Barbier, 2000). Les actions de transformation du monde sont quant à elles ordonnées autour d’intentions de rendre autres les entités du monde (les « altérer » au sens propre). Elles présupposent des représentations/énoncés jouant un rôle finalisant c’est à dire considérés par les sujets comme souhaitables pour eux-mêmes, pour leurs activités ou pour leurs environnements ; elles produisent des liens d’organisations d’activités, des « conceptions », autour d’unités d’usage, de sens, de significations susceptibles d’influer sur l’engagement de la performation de l’action. Les actions de transformation du monde recourent à des sémantiques (Ricœur, 1977) ou à des lexiques de l’action.

Ces deux sémantiques ou lexiques ont une cohérence interne, dont le repérage peut être très utile dans la formation à la recherche, en particulier lorsque la recherche passe successivement, « sans crier gare », d’un discours d’intelligibilité de l’action à un discours d’optimisation de l’action.

Mais il n’en va pas de même au niveau de l’activité elle-même : définie comme l’ensemble des processus de transformation du monde dans lesquels s’engagent en même temps les mêmes sujets, l’activité peut être à la fois et dans le même temps un processus de production de liens mentaux/discursifs entre existants, un processus de transformation du monde externe, et un processus de transformation des sujets. Il ne s’agit que de différentes faces d’une même réalité.

La distinction entre comprendre et transformer a donc du sens essentiellement en tant qu’intention organisatrice d’activités ; elle en a beaucoup moins par rapport à l’activité elle-même. La compréhension ou l’intelligibilité sont des autonomisations relatives du processus ←3 | 4→d’établissement de liens de pensée ou de discours. La transformation est un cadre de pensée investi dans l’analyse de l’action. Il est probablement possible de voir l’une et l’autre comme plusieurs faces d’une même activité humaine, et l’éducation et la formation comme un champ de construction conjointe d’activités, de sujets, de savoirs/connaissance.

En posant la question non seulement de l’identification des actes de compréhension et de transformation du monde, mais des rapports que ces actes entretiennent entre eux, il est alors possible de reprendre sous un autre jour différent des questions traditionnellement désignées en termes d’opposition : concept scientifique/concept quotidien, savoir savant/savoir profane, construction scientifique/construction de sens, concept théorique/concept pragmatique. L’intelligibilité n’est pas plus le propre de l’activité de recherche-en-acte que la transformation ne l’est de l’agir-social-en-acte. L’enjeu est de parvenir à articuler différents régimes d’activité, de construction de sens, et de donation de signification au sein d’une même expérience humaine. C’est d’ailleurs dans cette optique que le signe « / » a pu permettre de marquer un rapport de conjonction qui figure dans le titre même de cet ouvrage.

Pour approcher ces processus conjoints, trois voies notamment ont été mises à l’épreuve dans cet ouvrage :

Cet ouvrage se conçoit comme une invitation à d’autres explorations d’une question qui dépasse singulièrement le périmètre de l’éducation et qui concerne plus largement cultures de pensée et cultures d’action.

Jean-Marie Barbier, Joris Thievenaz, Frédéric Saussez

Références bibliographiques

Bachelard, G. (1934). La formation de l’esprit scientifique. Contribution à une psychanalyse de la connaissance objective. Paris : Vrin.

Barbier, J-M (2000). Sémantique de l’action et sémantique de l’intelligibilité́ des actions. Le cas de la formation. In B. Maggi (Éd.), Manière de penser, manière d’agir en éducation et en formation (p. 33–68). Paris : PUF.

Dilthey, W. (1894/1947). Le Monde de l’esprit (trad. par M. Rémy). Paris : Aubier Montaigne.

Ricœur, P. (1977). La Sémantique de l’Action. Paris : Éditions du CNRS.

Schütz, A. (1987/2008). Le chercheur et le quotidien. Phénoménologie des sciences sociales (trad. par A. Noshis-Gilliéron). Paris : Méridiens Klincksieck.

Partie 1
Enjeux pour les analyses de l’activité

Enjeux épistémologiques et théoriques liés aux rapports, transitions et passages entre comprendre et transformer, soit au sein de l’activité d’un même sujet, soit dans les démarches de recherche-intervention ayant pour objet l’agir humain et ses entours.

Afin d’aborder la dynamique des transformations, leur caractère conjoint et les mobilités entre espaces d’activités, Jean-Marie Barbier se donne pour objet la transformation continue par les sujets des rapports qu’ils établissent avec/entre les différentes composantes de leur activité.

Jérôme Guérin explore dans sa contribution, la relation entre comprendre et transformer en montrant comment l’usage d’un carnet ethnographique dans le cadre de l’investigation sur le terrain de l’éducation thérapeutique du malade devient un artefact pour transformer les habitudes de vie du sujet.

Frédéric Saussez, Isabelle Rioux et Catherine Pilon tentent d’articuler les distinctions analytiques entre sémantique de l’action et sémantique d’intelligibilité de l’action et entre engagement et distanciation afin d’esquisser les contours d’une posture de recherche impliquée. Sur cette base, cette contribution discute deux conceptions des visées transformatives de la recherche-intervention.

Chapitre 1
La transformation continue par les sujets des rapports qu’ils établissent avec/entre les composantes de leur activité

Jean-Marie Barbier

Professeur, CRF, Chaire Unesco, Conservatoire National des Arts et Métiers

Rendre compte de l’activité dans d’autres termes que ceux dans lesquels elle se pense

Au regard de la question principale de cet ouvrage (peut-on penser autrement les rapports entre comprendre et transformer ?) cette contribution a pour objet d’interroger le statut des outils utilisés pour situer les rapports entre intelligibilité, et transformation. Dans les formes dominantes de la pensée sociale, ces rapports sont abordés de façon asymétrique. Ils sont habituellement mis en mots à travers le prisme de l’opposition supposée entre théorie et pratique, qui structure de fait un grand nombre d’autres distinctions. La théorie est supposée paradoxalement tout à la fois « éclairer » la pratique et en rendre compte, ce qui ne dit rien de ce qui les constitue spécifiquement l’une et l’autre.

Résumé des informations

Pages
VIII, 284
Année de publication
2020
ISBN (PDF)
9783034340236
ISBN (ePUB)
9783034340243
ISBN (MOBI)
9783034340250
ISBN (Broché)
9783034339797
DOI
10.3726/b16767
Langue
français
Date de parution
2020 (Juillet)
Page::Commons::BibliographicRemarkPublished
Bern, Berlin, Bruxelles, New York, Oxford, Warszawa, Wien, 2020. VIII, 284 p., 16 ill. en couleurs, 2 ill. n/b, 1 tabl.

Notes biographiques

Joris Thievenaz (Éditeur de volume) Jean-Marie Barbier (Éditeur de volume) Frédéric Saussez (Éditeur de volume)

Joris Thievenaz est Professeur des universités en Sciences de l’éducation et de la formation. Ses recherches interrogent les rapports entre activité, apprentissages et construction de l’expérience. Jean-Marie Barbier est professeur en formation des adultes au Cnam. Ses recherches portent sur la transformation conjointe des activités et des sujets par et dans leurs activités. Frédéric Saussez est professeur en Fondements de l’éducation à l’Université de Sherbrooke. Il y anime depuis plusieurs années un groupe de réflexion sur l’analyse de l’activité et la psychologie historique du développement culturelle initiée par Vygotski.

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Titre: Comprendre/Transformer