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Conflit au Pays basque

regards de militants illégaux

de Caroline Guibet Lafaye (Auteur)
©2020 Monographies X, 336 Pages
Série: Explosive Politics, Volume 1

Résumé

Euskadi Ta Askatasuna (ETA) a annoncé sa dissolution le 3 mai 2018 après un conflit avec l’État espagnol qui a duré 60 ans. Ce conflit s’est étendu de chaque côté de la frontière quoiqu’avec des conséquences distinctes. Médias et journalistes se sont emparés du sujet. Ils ont été invités, depuis août 1994 par le ministère de l’Intérieur espagnol, à devenir parties prenantes de la lutte antiterroriste. Du côté scientifique, existent en langue anglaise ou hispanique des travaux statistiques reposant sur l’exploitation de base de données d’attentats commis par ETA ainsi que quelques analyses de récits de vie recueillis dans les années 1990. L’ouvrage Conflit au pays basque: regards de militants illégaux comble une lacune de l’analyse scientifique à partir d’une enquête empirique menée entre 2017 et 2019 auprès de plus de 60 ex-militants d’ETA et d’Iparretarrak (IK) en convoquant une méthodologie de sociologie compréhensive. Le livre cherche à comprendre pourquoi la lutte armée persiste après la chute du franquisme en Hegoalde et naît dans les années 1970 en Iparralde. Il analyse les motivations et les raisons qui ont porté ces acteurs – inculpés pour des faits de terrorisme – vers l’engagement illégal voire l’action armée, tout en proposant une analyse générationnelle des trajectoires de ces militant.e.s. Il étudie enfin la façon dont chaque groupe clandestin élabore son « éthique de la violence politique » et précise comment l’éthique de la responsabilité fait partie intégrante de l’ethos du militant clandestin abertzale (patriote).

Table des matières

  • Couverture
  • Titre
  • Copyright
  • À propos de l’auteur
  • À propos du livre
  • Pour référencer cet eBook
  • Table des matières
  • Tableaux
  • Introduction
  • Chapitre 1 Organisations clandestines abertzales
  • Chapitre 2 Hegoalde, Iparralde : deux contextes distincts
  • Chapitre 3 Pourquoi un conflit armé ?
  • Chapitre 4 Pourquoi s’engager dans une organisation clandestine ?
  • Chapitre 5 Chemins vers l’activisme clandestin : des variations générationnelles
  • Chapitre 6 Deux éthiques de la lutte
  • Conclusion
  • Annexes
  • Bibliographie
  • Index
  • Titres de la collection

Tableaux

Tableau 1: Répartition des enquêtés dans les groupes politiques

Tableau 2: Répartition générationnelle des enquêtés

Tableau 3: Cadrage de la nécessité de l’action illégale

Tableau 4: Représentations et perceptions de la clôture de la SOP

Tableau 5: Synthèse des motivations individuelles de la lutte politique clandestine

Tableau 6: Répartition générationnelle des enquêtés

Tableau 7: Répartition des enquêtés selon la génération d’entrée en militance

Tableau 8: Engagement militant des parents des activistes rencontrés

Tableau 9: Engagement militant des parents des générations militantes rencontrées

Tableau 10: Travail identitaire et intégration dans l’organisation clandestine des générations civiles

Tableau 11: Générations d’entrée dans l’organisation clandestine et travail identitaire

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Tableau 12: Place d’un événement transformatif macrosocial dans le parcours d’engagement des membres d’ETA selon leur génération civile

Tableau 13: Expression de sentiments d’injustice en lien avec les trajectoires d’engagement

Tableau 14: Sentiment de la forclusion des opportunités politiques parmi les générations civiles

Tableau 15: Sentiment de la forclusion des opportunités politiques parmi les générations militantes

Tableau 16: Effet de la répression sur les trajectoires d’engagement selon les générations militantes

Tableau 17: Évocation de la répression dans les trajectoires d’engagement en fonction de la génération d’entrée dans l’organisation illégale

Tableau 18: Modalité d’intégration à l’organisation illégale

Tableau 19: L’engagement comme réaction à un événement micro- ou macrosocial

Tableau 20: Âge de l’entrée en militance illégale

Tableau 21: Rôle des événements liés à l’existence de l’organisation sur les trajectoires d’engagement selon les générations civiles de militants

Tableau 22: Interprétation du passage à l’engagement illégal

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Tableau 23: Facteurs ayant pesé sur l’engagement militant

Tableau 24: Socialisation politique des militants avant l’entrée dans l’organisation illégale

Tableau 25: Première périodisation de l’intensité des actions mortelles menées par ETA

Tableau 26: Seconde périodisation de l’intensité des actions mortelles menées par ETA

Tableau 27: Comparatif des actions mortelles menées par ETA au cours des phases 2–3 et 7

Tableau 28: Moyenne des victimes par période

Tableau 29: Existence d’une éthique dans la lutte armée

Tableau 30: Liste des enquêtés avec leurs caractéristiques sociodémographiques

Tableau 31: Types d’événements transformatifs

Tableau 32: Détail des événements transformatifs

Tableau 33: Sur la nécessité du recours à la violence politique

Tableau 34: Synthèse des motivations individuelles de la lutte politique clandestine

Tableau 35: Actions ayant provoqué la mort (victimes mortelles) par années

Introduction1

L’action de chaque mouvement révolutionnaire doit être en accord avec le niveau du peuple. Nous en avons eu conscience lorsque nous avons décidé l’opération contre Carrero Blanco, et plus précisément lorsque nous avons abandonné le projet de l’enlèvement pour celui de l’attentat. Il était temps de donner une nouvelle dimension à notre stratégie, surtout depuis que la répression s’était intensifiée. […] Nous avons préféré frapper à la tête et punir le véritable responsable, et non les hommes de main de la police … Nous continuerons le combat jusqu’à la victoire. […] Nous prévoyons des conditions de lutte plus difficiles. Il y aura peut-être un jour des soldats partout dans les rues. […] Tout cela résulte d’un choix que nous avons fait, nous y sommes préparés. (Conférence de presse, Libération, 22 décembre 1973)

Ces mots, prononcés à la suite de l’assassinat de Carrero Blanco, le 20 décembre 1973, signent la stratégie adoptée par l’organisation Euskadi Ta Askatasuna (ETA – «Pays basque et Liberté») à l’aube des années 1970. Quarante-cinq ans plus tard, «ETA, organisation socialiste révolutionnaire basque de libération nationale veut informer le peuple basque de la fin de son parcours, après la ratification par ses militants de la proposition de mettre un terme au cycle historique et à la fonction de l’Organisation» ←1 | 2→(communiqué du 3 mai 2018). Corrélativement, «ETA souhaite achever un cycle dans le conflit qui oppose le Pays basque et les États, lequel est caractérisé par une utilisation de la violence politique» (idem).

Au cours de cette période et principalement pendant les années 1960–1970, trente-deux groupes terroristes ont été identifiés en Espagne (voir Engene, 2004, p. 111). Les organisations illégales de tout horizon politique, se sont multipliées au Pays basque nord et sud. En particulier durant l’époque qui fut celle de la «transition» en Espagne, notamment entre 1975 et 1982, les organisations clandestines ont été à l’origine de 503 assassinats (Sánchez-Cuenca, 2009, p. 9). Soixante-quatre sont à porter, pour l’extrême gauche, au compte des GRAPO2 et trois du FRAP3 ; pour l’extrême droite, vingt-six au compte du Bataillon Basque Espagnol (BVE), dix de la Triple A, cinq des Groupes Armés Espagnols, seize autres attaques mortelles ont été perpétrés par d’autres groupes d’extrême droite4. Du côté des organisations clandestines basques, on dénombre 308 victimes par ETA-m, vingt-quatre par ETA-pm, vingt-trois par les Commandos Autonomes Anticapitalistes (CAA), un par le Front Révolutionnaire Basque Aragonais. Du côté catalan, ce sont trois exécutions commanditées par EPOCA (Exèrcit Popular Català) et un par le FAC (Front d’Alliberament Català). S’y ajoute une action meurtrière du MPAIAC (Mouvement d’Autodétermination et d’Indépendance de l’Archipel Canarien).

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0.1 Étudier la violence politique au Pays basque

L’ambition de cet ouvrage est de comprendre comment certains individus, ayant épousé au Pays basque la cause abertzale, c’est-à-dire patriote, en sont venus à soutenir activement et, en l’occurrence illégalement, la lutte portée par des organisations clandestines comme ETA, Iparretarrak (IK). Lorsque cette étude a été entreprise, ETA était encore une organisation clandestine dont certains militants étaient recherchés. Des chefs d’accusation continuent de peser sur plusieurs des personnes rencontrées. Toute enquête de sociologie empirique auprès de groupes clandestins labellisés «terroristes» est confrontée à des difficultés méthodologiques de taille. Elles expliquent qu’une majorité de travaux réalisés sur des groupes comme IK ou ETA résulte de l’exploitation de sources secondaires ou de documents des institutions de police ou de justice (voir Lacroix, 2011)5 ou bien consistent en exploitations de base de données statistiques6. Une étude systématique de la littérature scientifique (i.e. de revues évaluées en double aveugle) montre que seulement 3–4 pour cent des travaux réalisés dans le domaine labellisé du terrorisme reposent sur une analyse empirique de données (voir Lum, Kennedy & Sherley, 2006). Pour le Pays basque, rares sont les auteurs qui ont eu recours à des récits de vie pour envisager les carrières militantes d’individus engagés dans la lutte armée ainsi que leurs perspectives sur le conflit. Concernant ETA, il s’agit principalement de Clark (1984, 1986), d’Alcedo Moneo (1996, 1997), Reinares (2001), Hamilton (2007). Pour notre part, nous avons privilégié une approche méthodologique rarement utilisée dans le domaine et reposant à la fois sur un recueil de données primaires et sur la rencontre avec d’ex-militants ayant purgé leur peine de prison ou n’ayant, dans d’autres cas, pas éveillé les soupçons de la justice. Dans les articles consacrés au terrorisme prétendant s’appuyer sur des entretiens, ceux-ci ne représentent qu’une dimension très restreinte de l’analyse et ne correspondent pas à plus de 4 pour ←3 | 4→cent de l’ensemble des informations contenues dans le texte (Silke, 2001, p. 6). Dans 1 pour cent des cas seulement, les entretiens ont été menés de façon systématique et structurée (Silke, 2001, p. 7).

Dans la mesure où notre terrain de recherche s’est déroulé entre 2017 et 2019, c’est-à-dire dans les dernières années de vie de l’organisation ainsi qu’après la déclaration de sa dissolution, le contact avec les militants et ex-militants s’en est trouvé simplifié. De ce fait, la présente analyse repose non pas sur des sources judiciaires ou issues d’enquêtes de police mais sur la rencontre avec des militants d’organisations armées. Cette démarche a été très peu suivie dans les études sur le Pays basque et encore moins dans la littérature francophone. Elle permet de renouveler le regard porté sur le conflit basque et ses acteurs.

Si l’accès aux terrains, du fait de la situation clandestine d’une partie des acteurs, était complexe, notre position à l’égard du conflit basque a également un statut singulier. Quoique française, nous avons été perçue comme extérieure au rapport de force entre les États français et espagnol, d’une part, et les militants abertzales d’autre part. La perception de ce positionnement n’est toutefois pas indemne de préjugés7, bien que nul entretien de sociologie ne soit exempt de projections de la part des parties prenantes (voir Cefaï & Amiraux, 2012 ; Bourdieu, 1980). L’envers et le défaut de cette position tiennent à ce que nous ne sommes pas bascophone. Les entretiens se sont donc déroulés soit en français8 soit en castillan.

Dans cette recherche, nous avons tenté de corriger le manque de fondement empirique des travaux sur la violence politique et le terrorisme par la collecte de données primaires, nourries d’entretiens et d’histoires de vie de personnes engagées dans des organisations politiques violentes (voir Crenshaw, 2000, p. 410). Nous avons fait le choix d’une interaction et d’un engagement sur le terrain, avec ceux qui ont rejoint des organisations politiques illégales afin de tenter de comprendre et d’expliquer ce phénomène social dans son contexte spécifique. En effet, on peut raisonnablement douter de la possibilité d’inférer de façon satisfaisante des motivations ←4 | 5→personnelles concernant la participation à des actions violentes, en l’absence d’un accès direct aux auteurs ou en ne s’appuyant que sur des récits de vie et des autobiographies. Seuls des entretiens approfondis, dans le cadre d’études de cas (voir Atkinson, 1998 ; McAdams, 1993), permettent de comprendre la signification associée à l’expérience de chaque personne et la façon dont ce sens affecte la motivation à agir, la mobilisation. Dans la mesure où le processus de participation à un mouvement terroriste semble être une expérience idiosyncrasique et personnelle, il peut être difficile de saisir le sens des événements et des expériences à partir de l’individu en utilisant toute autre méthode (Horgan, 2011, p. 5). Les entretiens s’avèrent essentiels pour saisir les raisons des processus à l’échelle microindividuelle à un niveau de détail satisfaisant.

L’option méthodologique retenue s’explique encore du fait que nous récusons que le terrorisme, la violence politique ou les processus de radicalisation appellent une méthodologie spécifique et constituent des objets sociologiques à part, qui ne pourraient être abordés avec les outils de la sociologie classique (voir Bonelli, 2011, p. 10-12). La déontologie élémentaire du sociologue de terrain, s’appuyant sur des enquêtes qualitatives en face-en-face, est premièrement de faire crédit à la personne avec laquelle il s’entretient (la présomption de véracité)9 et, deuxièmement, de lui accorder une présomption de bonne foi, c’est-à-dire de ne pas systématiquement douter ou mettre en question chacune des propositions formulées par l’individu interrogé, au nom par exemple de la mauvaise foi, de la dissimulation ou du mensonge. Ces principes n’excluent pas certains biais induits par l’enquête de terrain et son analyse, tenant par exemple au fait que l’on n’aborde jamais une population «représentative» du groupe étudié par l’enquête qualitative. En outre, la question : «peut-on se fier à ces discours ?» se pose quel que soit l’objet d’étude d’une sociologie qualitative.

Les entretiens qualitatifs constituent une fenêtre sur la vie quotidienne des acteurs, autorisant une approche autre que le sensationnalisme médiatique10. Ils produisent des représentations où est incorporée la voix ←5 | 6→subjective de l’acteur et où la voix du chercheur se fait la plus discrète possible (voir Blee & Taylor 2002, p. 96). Ces entretiens n’ont pas été menés dans l’intention de dénoncer, d’absoudre, de condamner, de légitimer, de collecter des faits ou de reconstruire une «vérité» objective concernant tel ou tel événement en particulier (voir Passerini, 1996). A contrario, ils ont été conçus pour faciliter une compréhension des personnes interrogées et de leur parcours d’engagement que certains décriront comme un processus de radicalisation voire un basculement dans la violence. L’analyse de ces entretiens permet également de saisir leurs constructions sociales de la réalité, leurs attentes, les réseaux microsociaux dans lesquels ils sont impliqués, les événements décisifs qui ont pesé sur leur décision d’adopter des stratégies illégales, les expériences dans lesquelles ils se sont impliqués, les phénomènes de justification idéologiques et symboliques qui sous-tendaient leurs décisions (voir Della Porta, 1992a ; Blee & Taylor, 2002).

De façon générale, on peine à aborder la question du terrorisme et plus encore la parole des dits terroristes, sans qu’il soit imputé à celui qui s’y risque une responsabilité morale qui imposerait le silence, un devoir de réserve, parfois motivé au nom des victimes et de leur famille (voir Galeote, 2008 ; Persichetti, 2013 ; Rechtman et Cesoni, 2007). Il s’avère difficile d’envisager la question du terrorisme dans une optique qui ne soit pas exclusivement celle de la condamnation sans se voir accuser de développer une argumentation pro domo, voire de nourrir des formes d’apologie. Cette thématique laisse une marge très étroite face aux récits et aux discours hégémoniques. Hautement émotionnelle, elle empêche une lecture aussi neutre que possible, voire compréhensive – au sens sociologique du terme – du phénomène, tant le débat est polarisé.

Pour ces raisons, plutôt que de faire référence au terme de terrorisme ou à la «bande terroriste» (banda terrorista) pour désigner ETA, comme ←6 | 7→l’a fait la presse espagnole, nous emploierons le terme de «violence politique». Ce choix terminologique coïncide avec une posture méthodologique privilégiant une approche sociologique attentive aux contextes dans lesquels la violence s’enracine, aux séquences d’action sociopolitiques, et se tenant en marge des processus de labellisation communs. A contrario, nous accorderons une attention particulière aux phénomènes d’interprétation des significations (voir Steinhoff & Zwerman, 2008, p. 213). Les caractéristiques, le domaine d’extension et la signification des phénomènes qualifiés de terroristes sont le produit de contextes particuliers qu’ils soient historiques, culturels, sociaux ou scientifiques (voir Jackson, 2011, p. 3). De même, la violence est «le fruit d’une opération de qualification variable dans le temps et dans l’espace» (Le Goaziou, 2015). Les définitions les plus communes du terrorisme revêtent un biais moral inhérent qui compromet plutôt qu’il ne facilite une détermination des caractéristiques premières du phénomène terroriste11. Le terme «terrorisme» présente une valeur heuristique et une utilité descriptive contestables (Bosi, 2012, p. 172). Il se voit plus souvent convoqué pour stigmatiser des phénomènes sociaux plutôt que pour les expliquer (voir Goodwin, 2006). Ces arguments justifient que nous fassions référence, de façon privilégiée, à la notion de violence politique, laquelle constitue une régularité des sociétés humaines s’actualisant dans les guerres, les insurrections, la répression, les génocides, les coups d’État, la torture et le terrorisme plutôt qu’une exception. Si l’on peut définir la violence politique comme impliquant une importante force physique et ayant pour effet des dommages causés à un adversaire, dans le but de parvenir à des objectifs politiques (Della Porta, 2013, p. 6), cette définition est cependant délicate à opérationnaliser. En effet, la compréhension d’«importante» [force physique], du «dommage» ou du «préjudice» est fortement subjective et historiquement déterminée (voir Della Porta, 2002). Toute définition de l’action violente dépend de normes en vigueur donnant leur contenu à la notion. Dès lors, il en résulte «une forte subjectivité et relativité des définitions en fonction des groupes en charge de la qualification» (Fillieule, ←7 | 8→1997, p. 95). En matière d’opérationnalisation du concept toutefois, il existe un certain accord, dans les démocraties contemporaines, considérant que les formes collectives d’actions violentes incluent les atteintes à la propriété, les émeutes, les confrontations violentes entre groupes ethniques ou politiques, les affrontements avec la police, les attaques physiques contre des cibles spécifiques, les explosions indiscriminées, la prise armée de lieux ou la séquestration, les braquages de banque, les détournements d’avion (Della Porta, 2013, p. 6). Certains auteurs envisagent la violence politique comme «une radicalisation des moyens, non des fins, dans des conflits pouvant opposer des communautés ethno-nationales, des groupes porteurs d’une idéologie spécifique et des gouvernements, ou les défenseurs d’idéologies rivales…» (Bosi, 2012, p. 172).

Par violence, nous entendrons pour notre part toute forme de contrainte matérielle, indépendamment des systèmes de légitimation qui la requalifient. Nous nous appuierons sur son appréhension descriptive désignant «des actes de désorganisation, destruction, blessures, dont l’objet, le choix des cibles ou des victimes, les circonstances, l’exécution, et/ou les effets acquièrent une signification politique, c’est-à-dire tendent à modifier le comportement d’autrui dans une situation de marchandage qui a des conséquences sur le système social» (Nieburg, 1969, p. 13)12. Cette approche descriptive, qui propose une détermination de la violence politique, la saisit à partir d’un double critère, d’une part, matériel – connotant un acte de force, indépendamment du statut de son auteur – et, d’autre part, un critère politique renvoyant à la signification dont l’acte est investi. Consistant en une définition «par l’effet», elle souligne le rôle stratégique de l’usage de la violence comme moyen de négociation. Elle décrit la violence comme un processus interactif qui se joue entre plusieurs groupes d’acteurs. Elle prend en compte aussi bien la violence des groupes protestataires que celle de l’État.

Afin de saisir les répertoires axiologiques, c’est-à-dire la production du sens, des organisations clandestines basques, nous avons mobilisé la théorie du «cadrage» (frame analysis) (voir Benford & Snow, 2000, 2012 ; ←8 | 9→Goffman, 1974a) et le «vocabulaire des motifs» utilisés par les acteurs de ces organisations. Les «cadres» constituent des «schèmes d’interprétation» à partir desquels les individus «localisent, perçoivent, identifient et étiquettent» (Goffman, 1974a, p. 21) des situations de la vie ordinaire et, plus généralement, des situations auxquelles ils sont confrontés, qu’il s’agisse de situations de domination, d’exploitation, d’oppression, de guerre ou de violence. Les cadres confèrent un sens à des événements et à des situations. Ils organisent l’expérience et orientent l’action. Dès lors, ils sont utiles pour appréhender les discours producteurs de sens et de légitimation, issus de groupes et d’acteurs, ayant recours à la violence, pour des raisons idéologiques comme ce fut le cas au Pays basque. La théorie du «cadrage» permet ainsi de saisir la fonction des idées, des significations et des principes dans la constitution, la mobilisation et l’évolution de ces collectifs illégaux.

Résumé des informations

Pages
X, 336
Année
2020
ISBN (PDF)
9781789978018
ISBN (ePUB)
9781789978025
ISBN (MOBI)
9781789978032
ISBN (Broché)
9781789978001
DOI
10.3726/b16761
Langue
français
Date de parution
2020 (Septembre)
Published
Oxford, Bern, Berlin, Bruxelles, New York, Wien, 2020. X, 336 p., 35 tabl.

Notes biographiques

Caroline Guibet Lafaye (Auteur)

Caroline Guibet Lafaye est directrice de recherche au CNRS (Centre Émile Durkheim – Université de Bordeaux – Sciences Po). Agrégée et docteure en philosophie de l’Université Paris-I Panthéon-Sorbonne, elle consacre ses recherches en sociologie et en philosophie politique aux processus d’engagement dans la violence politique clandestine. Son dernier ouvrage s’intitule Armes et principes. Éthique de l’engagement politique armé (éd. du Croquant, 2019).

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